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Les vacances étaient là, enfin. Ou devrais-je dire déjà. Je n'avais rien vu passer. Les événements s'étaient enchaînés. Le monde des sorciers partait en vrille, rien n'allait plus, et cela ne pouvait qu'empirer. Les choses n'allaient pas s'arrêter. De mon côté, en l'espace de trois mois, je m'étais découvert une famille, composée d'une demi-sœur, probablement née d'un adultère, et une cousine. Que demander de plus ? Et bien beaucoup de choses, en réalité. A commencer par la vérité. Le temps était venu de prendre mon courage à deux mains, et d'affronter ma mère. De la mettre face à ses mensonges. Le décès de mon père, la naissance de Savannah, et Lexie cachée jusqu'alors. Qu'aurait-elle à m'en dire ? J'étais impatiente de le savoir. Aussi blessante que puisse être la vérité, elle n'était que préférable au torrent de mensonges derrière lequel elle avait pour habitude de se réfugier.

J'étais là, devant la porte, depuis ce qui me semblait être une éternité. En réalité, je n'étais arrivée qu'il y a quelques minutes. Les plus longues de ma vie. Main levée vers la porte, je m'apprêtais à frapper, avant de me raviser. J'étais chez moi, pourquoi attendrais-je qu'on vienne m'ouvrir, comme le ferait une inconnue ? J'ouvris la porte. Evidemment. Elle avait la fâcheuse habitude de ne jamais la verrouiller. A quoi bon être une sorcière. Me raclant bruyamment la gorge afin d'attirer son attention, je m'annonçais.

- M'man ? J'suis rentrée.

Était-elle à la maison ? Je l'ignorais autant que je l'espérais. Sinon, j'aurais fait le chemin pour rien, alors que j'aurais sans doute pu passer les vacances chez des camarades de classe, si j'avais demandé. Et puis si elle n'était pas là, où pouvait-elle bien être ? Chez son amant ? Remplacé le défunt mari ? Non. Ma mère était ce qu'elle était, elle serait incapable de faire ça, n'est-ce pas ? Mon père...s'il savait la relation que j'avais à présent avec maman, il serait dévasté. Il n'avait qu'à pas partir. Nous abandonner. Il n'avait pas le droit de mourir. Une fille de 13 ans a besoin de son père. Le temps n'effaçait rien, et surtout pas mon fervent besoin de connaître la vérité.

En ce début d'été, Sasha entend des bruits provenant du pas de sa porte d'entrée. Elle n'est pas inquiète, elle a appris avec le temps à se défendre, maîtrisant la magie à la perfection. Cela l'interroge tout de même, elle n'attend personne. Soudain, la porte s'ouvre, elle ne bouge pas. Installée dans le canapé, elle ne quitte pas son livre, appréciant trop l'odeur des pages pour se soucier du reste. A moins que je n'ai la visite d'une revenante. Il est indéniable que la quarantenaire en veut à sa fille. Personne ne sait réellement ce qu'il s'est passé entre elles deux, mais c'est une histoire fort complexe. L'une a un secret bien trop lourd à porter, que l'autre cherche à découvrir par tous les moyens. Nul ne saurait proposer de solution suffisamment bonne pour les deux brunes. Les bruits de pas franchissent le seuil de la porte tandis que la femme se lève, sourcils froncés. Personne ne leur a donc appris à frapper ? Furieuse, elle entreprend de se diriger vers l'entrer, quand une voix se fait entendre. Ce qu'elle redoutait tant est arrivé. Ses jambes semblent soudainement incapable de supporter son poids, et elle fléchissent, retombant sur le canapé. Un murmure s'échappe de ses lèvres.

- Emily.

Dépassée par la surprise, elle se lève d'un bond, et serre sa fille dans les bras. Elle ne l'a pas vue depuis deux ans, et pourtant, ce n'est qu'aujourd'hui qu'elle se rend compte à quel point elle lui a manqué. Malheureusement pour elle, sa fille est intelligente, et ne vient sans doute pas pour rien. D'autant plus que la sorcière a ignoré tous les hiboux de la jeune Poufsouffle jusqu'à présent. Elle craint que celle-ci ne lui en veuille énormément. Comme si elle avait besoin de cela. Sa vie actuelle est déjà bien assez compliquée à gérer. Et voilà qu'un nouveau problème, une petite tornade brune aux yeux noirs dissimulés derrière une frange ébouriffée vient s'ajouter à l'équation. Prenant une profonde inspiration, elle s'écarte de sa fille, la débarrasse de ses affaires et l'invite à la suivre dans le salon. Elle va devoir répondre de ses actes, et elle le sait. Tandis qu'elle file dans la cuisine préparer un lait fraise à sa fille, sa boisson préférée, elle lance, du fond de la pièce, d'un air innocent.

- Alors comme ça tu rends visite à ta vieille mère. Que me vaut le plaisir de ta présence ?

Beurk. Est-elle vraiment en train de me serrer dans ses bras ? Comme si de rien n'était ? Les bras ballant le long du corps, j'attends que ce moment passe. Sujet suivant, les retrouvailles sont terminées, passons aux choses importantes. Elle avait sans aucun doute reçu mon hibou, le mois dernier. Elle savait donc pertinemment pourquoi j'étais là. A quoi bon jouer les idiotes ? Grimaçant lorsqu'elle me lâcha enfin, je m'affalais sur le canapé tandis qu'elle me préparait à boire. Probablement du lait fraise. Incapable d'attendre son retour, j'entamais la conversation.

- Et si on arrêtait l'hypocrisie ? Tu sais aussi bien que moi pourquoi j'suis là. Je t'écoute, maman.

Je commençais à la connaître, elle ne parlerait pas si facilement. Il me fallait une stratégie, rapidement. Il était hors de question que je quitte cette maison bredouille, encore une fois. Elle m'avait bien eue deux ans de cela. Mais mes recherchent m'avaient fait grandir en accéléré. J'étais prête à lui tenir tête, et je ne comptais pas me laisser berner. Même si elle me prenait par les sentiments avec ma boisson préférée. Là-dessus, elle marquait un point. Elle se tenait devant moi, à me fixer, sa moue habituelle ne quittant pas son visage. Je levais les yeux au ciel, exaspérée. Elle ne changerait donc jamais. Le silence, encore et toujours. Malheureusement pour elle, cette fois, j'avais des cartes en main. Des informations qu'elle ne pourrait pas nier. Il fallait procéder autrement. La colère montant à mesure qu'elle restait silencieuse, debout face à moi, je débitais mon discours avec une forte dose de mépris.

- Savannah. Lexie. Papa. Je t'écoute, tu as le choix. Par qui veux-tu commencer ? Tu es prise au piège, tu ne peux plus nier, cette fois. Je sais que tu as eu mon hibou, alors vas-y, présente-moi le mensonge que tu as du répéter moultes et moultes fois dans ta tête.

Bras croisés, je la fixais, fermement décidée à lui faire cracher le morceau. C'était triste d'en arriver là, de laisser des histoires de famille détruire notre relation. Mais avais-je bien le choix ? J'étais dos au mur, nous étions dos au mur. Nous étions seules dans cette maison, alors il allait falloir parler. Rapidement, de préférence. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je faisais fière mine, mais en réalité, j'étais terrifiée. Une petite fille qui n'avait qu'une seule envie : se recroqueviller au fond du canapé, et ne plus jamais en sortir. Et si elle avait tué mon père ? Ou pire, s'il n'était pas mon père ? Je m'attendais à tout, venant d'elle. Je ne savais pas jusqu'où elle était capable d'aller dans ses mensonges. Jusqu'à s'y perdre, probablement. J'aurais dû inviter Savannah. Je n'avais guère envie de l'inviter sous mon toit, et son existence ne m'enchantait que très peu, mais à deux, nous ne pouvions qu'être plus fortes.

Elle se sentait coincée, tel un boursouflet qui se serait aventuré dans un piège à souris. Sa fille savait, elle ne mentait donc pas dans son hibou reçu quelques semaines auparavant. Hibou qui l'avait totalement déboussolée, elle avait même songé à quitter le pays, tant elle redoutait la confrontation. Cela lui ayant semblé excessif, après réflexion, elle avait continué sa vie, comme si cette lettre n'avait jamais existé. Seulement, aujourd'hui elle était là, face à elle. Sasha ne reconnaissait même plus sa petite fille, elle semblait avoir tellement grandi. Un peu trop, d'ailleurs. L'ancienne Serpentard resta plantée là, au milieu du salon, écoutant le flot de paroles de sa fille, priant pour qu'elle se taise. Elle savait. Elle devait savoir. Mais pas maintenant. C'était exactement dans ce genre de moments qu'elle aurait eu besoin de son mari. Il avait toujours su gérer ces situations avec calme, ce qui n'était pas le cas de Sasha. Elle avait deux possibilités : soit elle s'énervait, soit elle se réfugiait dans le mensonge. Une mère ferme, qui avait le dessus sur sa fille. Voila ce qu'elle se voulait d'être.

- Ca suffit, Emily. Arrête avec tes questions. Je ne sais pas qui t'a mis de telles idées en tête. Mais je ne connais ni Savannah, ni Lexie. Et ton père est mort.

Insister sur le dernier mot lui déchira le cœur. Elle aurait aimé que sa fille sache, pouvoir en parler avec elle, mais c'était si dur. Elle avait tellement honte d'elle-même, de cette situation, de ses mensonges. Faire machine arrière lui semblait impossible. Et puis elle était rongée par la haine.

- Foutue Bronw. Puisque tu te crois suffisamment mûre pour que je te racontes des choses d'adultes, alors voila. Ton père est un espèce de...troll. Il a jugé bon de plier bagage à la première difficulté, et est allé enfanter cette manticore de Bronw. Elle a aspiré son âme tel un détraqueur. Puis il est revenu, la queue entre les jambes, pour s'excuser. Il n'y a rien à savoir de plus. Satisfaite ? Son départ est la meilleure chose qui nous soit arrivée, crois-moi.

La sorcière rejoignit sa fille sur le canapé, et posa sa main sur son épaule. Elle espérait avoir gagné sa confiance. Elle connaissait à présent une partie de la vérité. Mais ce n'était sans doute pas celle qui lui importait le plus, cela ne suffirait pas à rassasier sa curiosité. Les yeux baissés vers ses genoux, Sasha patientait, prête à accueillir la moindre réaction de sa fille. Emily se montrerait compréhensive, du moins elle l'espérait. Son père avait été infidèle, une autre fille était née, et visiblement elle l'avait rencontrée. Ces informations étaient amplement suffisantes, il était inutile de s'attarder davantage sur cette famille qui la répugnait au plus haut point.

- Et Lexie, oui. Ton père a de la famille. Il est toujours resté très silencieux à leur sujet.

Elle niait. Elle niait la vérité, elle osait me mentir, en me regardant droit dans les yeux. Elle ne connaissait ni Lexie, ni Savannah, mais à qui pouvait-elle faire gober cela ? Je n'étais plus la petite fille naïve et docile qu'elle avait élevée. La haine grandit en moi, je ne savais que faire de plus pour la faire parler. Mort. Elle avait insisté sur ce mot avec une telle froideur. Je la détestais. Comment pouvait-elle être aussi insensible ? Je sentis les larmes monter, et détournais le regard pour qu'elle ne s'aperçoive de rien. Elle avait été absente et semblait totalement détachée de la situation, je ne voulais pas de sa pitié maintenant, c'était trop tard. J'avais perdu mon père, mon pilier, la personne que j'aimais le plus au monde, celui qui m'avait toujours écoutée, conseillée, soutenue, réconfortée. Celui qui avait toujours su me faire rire. Mort. Mon père est mort. Ce n'était plus un secret, je vivais avec ça depuis deux ans maintenant, mais c'était toujours aussi dur d'entendre ces mots.

Et puis l'inattendu se produisit. Ma mère craqua, et tandis qu'elle débitait un certain nombre d'informations que je connaissais déjà, je sentis mes jambes fléchir, et ce malgré le fait que je sois déjà assise. Elle avoua tout. Savannah, sa mère, mon père, la tromperie. Il était parti, avait fauté, et était revenu. De toute évidence, la haine qu'elle ressentait à l'égard de la mère de Savannah était au moins aussi forte que celle que j'avais envers elle. Mais ce n'était pas ce qui m'interpellait le plus, car elle ne m'apprenait pas grand-chose. Elle avait osé dire que son départ était la meilleure chose qui nous soit arrivée. Elle avait osé. J'avais envie de hurler, mais je n'y arrivais plus, j'étais incapable de quoi que ce soit d'autre que de pleurer, car à présent les larmes coulaient à flot sur mes joues rougies par la colère. Je ne m'étais pas sentie aussi mal depuis le fameux jour. Je n'avais plus rien à espérer d'elle, ce n'était qu'un monstre sans cœur. Si elle avait été différente, il ne serait peut-être pas parti, et aujourd'hui il serait toujours en vie, il me serrerait dans ses bras en me disant que je n'avais fait qu'un mauvais cauchemar. Cette pensée me ramena des années en arrière, et je redevins une petite fille apeurée.

- Je. Te. Déteste. Papa a eu raison d'aller voir ailleurs ! Qui voudrait de toi ? T'es trop méchante.

Sur ces mots, je me levais d'un bond et quittais la maison en claquant la porte. Je ne voulais plus la voir ni l'entendre. Rester n'avait plus aucun intérêt, car je n'apprendrais rien de plus aujourd'hui. Elle l'avait dit elle-même, il n'y avait rien à dire d'autre. Je suivais sa volonté, et n'avais plus rien à lui dire, moi non plus. Je ne savais pas où j'allais, mais je partais sans me retourner, prête à passer des vacances aussi mauvaises que les précédentes. L'année scolaire à venir ne s'annonçait pas non plus très glorieuse, si je restais dans cette situation de flou, et de colère.