Enfin !
Après des mois d'attente, de doutes, d'excitation, Joanne se tenait sur le quai, voie 9 ^3/4. Amy et Jim n'avaient pas pu se libérer, leur rentrée se déroulant le jour même. C'était donc Charlie qui, dissimulant mal son émotion derrière sa mauvaise humeur, avait accepté de l'accompagner pour ce départ un peu particulier.

Ils avaient fait la route dans la vieille Ford Ka d'Amy. La pauvre voiture étant fort bruyante, la conversation s'était vite tarie, laissant place à des pensées ambivalentes chez les deux "quasi-frangins", comme ils se désignaient les bons jours.

Joanne savait que Charlie s'inquiétait de la voir partir si loin, si jeune, pour une école dont il doutait encore de l'existence. Elle aurait cependant aimé qu'il laisse tomber les grognements et les sarcasmes, juste pour une journée, et qu'il la conforte dans sa décision.

La fillette se voulait forte mais hébergeait tout de même certaines craintes : n'allait-elle pas regretter Newlyn, la mer, sa famille d'accueil, même les visites de sa mère ?

Sur le quai, cependant, sa préoccupation se mua immédiatement en émerveillement. La barrière à peine franchie (heureusement qu'elle avait repéré une famille de sorciers en pénétrant dans King's Cross, sans quoi elle n'aurait jamais trouvé le chemin), elle découvrit un espace bondé d'enfants et d'adolescents, de familles pleurant ou riant ou passant de l'un à l'autre, de chouettes (ou était-ce des hiboux ?), de grandes malles en bois ou en cuir, et de mille autres objets non identifiés mais fascinants.

A côté d'elle, une jeune fille d'une quinzaine d'années écoutait, l'air excédé, les dernières recommandations d'un homme vêtu d'une grande robe violette. Un peu plus loin, elle aperçut un crapaud sauter de chariot en chariot, se dérobant aux tentatives de capture d'une rouquine de l'âge de Joanne. Une toute jeune femme, assise sur sa malle, lisait un journal dont les illustrations semblaient animées.

Joanne voulait tout voir, tout toucher, tout comprendre. Elle en oublia Charlie, qui se rappela à son bon souvenir en laissant tomber lourdement sa malle sur le quai.

"10h50, tu devrais monter t'installer à bord.
- Oups, désolée, j'ai eu une petite absence là... Tu me files un coup de main pour monter la malle ?"

Charlie s'exécuta, et Joanne s'installa confortablement dans un compartiment vide. Les banquettes du Poudlard Express étaient larges et moelleuses, appelant un bon bouquin. La jeune sorcière sélectionna parmi la petite bibliothèque qu'elle avait emporté son exemplaire d'Orgueil et Préjugés. Elle détestait Jane Austen et aurait plus volontiers relu Moby Dick ou même un bon vieux Roald Dahl, mais elle voulait paraître mature.

10h57... Joanne prit soudain conscience du tournant majeur que prenait sa vie. Suffoquant d'angoisse tout à coup, elle fouilla la foule du regard à la recherche de Charlie. Au même moment, celui-ci se frayait un chemin à travers les parents à grands renforts de coudes.

"Jojo..."

Joanne détestait ce diminutif.

"Tu vas manquer à Jim et Amy. Fais attention à toi, d'accord ? Ne vas pas me les mettre en vrac. Et pense à leur écrire, ça leur fera plaisir."

Joanne acquiesça, souriant en coin.

"Et ne vas pas te trouver un autre quasi-frangin à enquiquiner, ok ? Je sais que tu as un haut potentiel agaçant, mais je pense être capable d'encaisser triple dose quand tu rentreras."

Coup de sifflet. Le train se mit doucement en branle. Charlie marchait à côté du wagon de Joanne.

"Salut, la casse-pieds !"

Le Poudlard Express prenant de la vitesse, le jeune homme perdait rapidement du terrain.

"Salut, le cafteur ! On se voit à Noël, n'oublie pas mon cadeau !"

Charlie répliqua mais Joanne était trop loin et la réponse se perdit dans le bruit. Souriant toujours, et délaissant son livre, elle colla son nez à la fenêtre pour observer le paysage.

Elizabeth Bennet attendrait.

42 jours. Cela faisait exactement 42 jours que la jeune fille de onze ans avait appris qu'elle était une sorcière. 42 jours qu'elle avait reçu cette lettre, qui lui annonçait son admission à l'école de sorcellerie de Poudlard.  Et aujourd'hui, c'était Le grand jour. 

Aujourd'hui, elle allait prendre le Poudlard Express et rejoindre ce monde dont elle ignorait l'existence quelques semaines plus tôt. La nouvelle l'avait bouleversée. En premier lieu, elle avait pensé à une farce de ses copines, puis elle avait été intriguée alors qu'elle réalisait qu'il ne s'agissait pas d'une blague; avant d'être complètement émerveillée en se rendant sur le chemin de Traverse. C'était complètement dingue. Surréaliste. Et pourtant. Elle, Ema Taylor, était bel et bien une sorcière. Euphorique, elle avait acheté ses livres de classes, essayé des chapeaux pointus. Elle avait également acquis son nécessaire de potion et bien sur ... sa baguette. Un grand moment. Ce qu'elle vivait était absolument incroyable et c'est les yeux pleins d'étoiles qu'elle était rentrée chez elle, impatiente de se rendre dans ce collège. 

Mais plus les jours passaient, plus l'appréhension grandissait surplombant son excitation à se rendre à Poudlard. Ema n'était pas une jeune fille timide, ni même craintive. Loin de là. Mais l'idée de quitter Londres, ses amies, sa mère pour aller vivre en pension dans un château magique où elle ne connaissait personne ne la rassurait pas entièrement. Mais ce dont elle était le plus effrayée c'était de ne pas être à la hauteur. Elle avait dévoré ses livres de cours, surtout l'histoire de Poudlard, essayant vainement de combler ses lacunes. Mais force était de constater que les notions étaient compliquées et tout si différent de ce dont elle avait l'habitude. Plus la rentrée approchait, plus elle doutait de réussir à suivre en classe.

C'est la boule au ventre qu'Ema se rendit sur la voie 9^3/4, accompagnée de sa mère qu'elle ne reverrait pas avant les vacances de noël. Elles traversèrent, comme on le leur avait indiqué, le mur qui séparait les deux mondes. Il régnait un joyeux brouhaha sur le quai, ici et là ce n'était qu'embrassade. Des au-revoirs, mais surtout de très joyeuses et bruyantes retrouvailles. Cette agitation lui remis du baume au coeur, elle retrouvait cette ambiance qui l'avait charmée sur le chemin de Traverse. 

Inspirant un grand coup pour rassembler son courage, Ema se pencha légèrement en avant pour donner une impulsion sur son chariot et fit un pas en avant vers sa nouvelle vie. « Viens, on va monter tes affaires ! » lui dit doucement sa maman alors qu'elle voyait les élèves hisser leurs malles et animaux à bord du train. Finalement, l'heure du départ arriva et Ema serra une dernière fois sa mère dans ses bras avant de monter à bord du train.  L'émotion était palpable entre les deux femmes. Après le départ du père de sa fille, Kate avait tout donné à sa fille, s'oubliant elle-même. Et voilà que son petit bébé s'en allait loin d'elle, pour un monde dont elle ne savait absolument rien pendant plusieurs mois. 

Le coup de sifflet retentit, il était 11h pile. L'heure du départ. Le train s'ébranla, crachota de la fumée un peu plus fort et commença à prendre de la vitesse en laissant derrière lui la gare King Cross et la fameuse voie 9^3/4.  

Ema commença à longer les compartiments à la recherche d'une petite place pour s'assoir essayant de ne pas laisser l'émotion la submerger. Finalement, elle poussa la porte d'un compartiment pratiquement vide. Tirant la seule jeune fille qui s'y trouvait de sa contemplation du paysage, elle demanda d'une voix douce et fluette :  « Excuses moi, je peux m'assoir ?! »
 

Quelques minutes seulement après le départ du Poudlard Express, Joanne, plongée dans ses pensées, ne s'était pas aperçue qu'une autre élève venait d'entrer dans le compartiment.

« Excuses moi, je peux m'assoir ?! »

Joanne sursauta très fort, faisant tomber son livre et sa baguette qui étaient posées sur ses genoux.

"Mer... Zut ! Pardon. Oui, pas de problème, je t'en prie ! Excuse-moi, je ne t'avais pas vue."

La fillette observa la nouvelle venue s'installer. Elle était plus petite en taille que Joanne, qui supposa qu'elle devait également entrer en première année. Plus que la taille, ce qui trahissait la rousse, c'était son air un peu fébrile et sa voix peu assurée.

Le trac transparaissant du le visage rond de l'autre fillette rassura Joanne, qui s'en cachait bien mais ne se sentait pas moins anxieuse à l'idée de la rentrée imminente. Elle essaya de deviner ses origines familiales mais ne trouva pas d'indice en faveur d'une origine magique dans son apparence. La jeune fille était plutôt jolie, avec ses yeux verts et ses pommettes hautes. Elle possédait une certaine douceur dans ses manières, mais ne semblait pas dénuée d'entrain pour autant. Joanne décida qu'elle lui était sympathique.

Tout à coup, elle réalisa qu'elle fixait sa camarade du regard sans un mot depuis un long moment et qu'elle risquait au mieux de la mettre mal à l'aise, au pire de passer pour folle avant même de commencer l'année. Elle choisit donc de rompre le silence qui s'installait. Parler, c'était plutôt dans ses cordes habituellement.

"Je m'appelle Joanne, je rentre en première année. Et toi ?"

La jeune fille était tellement perdue dans ses pensées qu'elle sursauta quand Ema lui demanda l'autorisation de s'installer avec eux. Si elle culpabilisa au début de l'interrompre, cela ne dura qu'une demi-seconde car l'amusement la gagna rapidement alors qu'elle sursautait fort à en faire tomber son livre et sa baguette qu'elle avait posé sur ses genoux. 

« Ce n'est pas grave ne t'en fais pas ! » répondit rapidement Ema alors que la jeune fille s'excuser alors qu'il n'y avait pas lieur d'être. D'ailleurs, Ema continua tout en pénétrant dans le compartiment : « en plus, c'est moi. Je suis désolée de t'avoir interrompu tes pensées. »

Ema se posa sur la banquette, juste en face de la jeune fille, espérant ne pas la contrarier. Il était vrai que choisir pile cette place sur les 5 disponibles était peut-être osé, elle aurait peut être pu laisser un peu plus d'espace à la jeune fille qui venait de l'accepter dans son compartiment. Mais en même temps, le voyage promettait de très beau paysage, être à côté de la fenêtre était tout à fait justifié.

Poudlard. Cette pensée était grisante tout autant qu'angoissante. Après avoir déposé la petite sacoche qu'elle avait gardé avec elle sur la place à sa gauche, Ema commença à tourner la tête dans tous les sens. Elle ne voulait rien perdre de ce tout premier voyage. Pourtant, il ressemblait aux trains qu'elle avait l'habitude de prendre. Mis à part qu'il était rouge flamboyant et laissait un panache de fumée blanche dans son sillage comme les vieux trains. Les banquette du même rouge que la locomotive étaient moelleuses et des plus confortables, Ema s'y adossa un peu plus, appréciant le confort.

Déjà la ville s'effaçait derrière eux. Perdue dans la contemplation de ce qui l'entourait elle ne remarqua pas que sa camarade fixait son air ahuri.  Cette dernière rompit d'ailleurs le silence pour se présenter. Avec un large sourire, Ema lui répondit joyeusement : « Et moi c'est Ema ! Enchantée » tout en lui tendant la main. D'un ton légèrement moins assuré, elle continua : « moi aussi je rentre pour la première fois à l'école, c'est un peu stressant non ? » La jeune fille était contente de rencontrer une jeune fille de son âge dans le train, pour autant cela ne calmait pas son angoisse qui lui tordait le ventre.