Un an était passé et tout avait changé. Enfin tout... Oxy n'était pas beaucoup plus grande, pas vraiment plus calme et lançait le même : "Oui maman !" aux recommandations qu'elle n'avait toujours pas écoutées.
Elle portait son sac à dos soumis au sortilège d'extension à l'épaule, une boite à la main et son Boursoufflet dans la poche spéciale que sa mère avait cousue à l'intérieur de sa cape. Celui-ci était terrifié. Trop de bruit, trop de monde, trop de nouveautés, trop. Tout était trop pour lui. La jeune fille avait abandonné l'idée de le rassurer et arpentait le couloir du Poudlard Express pour leur trouver un coin plus calme.

Cette fois elle avait prévu d'attendre son arrivée pour écrire à son père, il n'était pas question de réitérer ses exploits de l'année précédente. Avisant un compartiment, qui, au premier coup d’œil semblait vide, elle s'engouffra dedans, referma derrière elle et s'adressa à son compagnon poilu :

"Tu vois Toubo, on va être bien là ! Personne pour nous embêter. Tu pourras sortir et te promener un peu tu ne penses pas ?"

Elle posa la précieuse boite sur le siège, sortit le paquet de friandises que son frère lui avait donné et rangea son sac. Elle ôta délicatement sa cape pour la plier sur le siège voisin de manière à ce que la bestiole puisse sortir s'il lui en prenait le courage.

S'installant enfin à son tour, elle sursauta en voyant une femme assise près de la fenêtre. Comment n'avait-elle pas pu la voir en entrant ? Elle était vêtue de noir, certes, mais quand même. La voix de sa mère résonna dans sa tête "Tu ne fais vraiment attention à rien !" Pour le coup elle pouvait difficilement lui donner tort...

Ferme la bouche et soit polie !

"Euh, Bonjour Miss..."

Elle ne l'avait jamais vue avant. Un regard pareil, ça ne s'oublie pas, même quand on ne fait attention à rien ! Pourvu que ce ne soit pas un nouveau professeur !

"Ce compartiment est libre ? Je peux entrer ? Tu es déjà installée grosse nouille ! Enfin je veux dire, je peux rester ?"

Assise le long dans un compartiment du Poudlard Express, la sorcière avait le regard perdu dans la foule agglutinée le long des quais. Des enfants souriants, des parents visiblement heureux ou émus. Des effusions de joie et de tristesse, mêlées, mélangées. Joanne trouvait cela aussi beau qu’effrayant. Elle n’avait jamais connu ce genre de chose. Il fallait toujours rester droit chez les Taylor. Dignes, fiers. Ne pas faire étalage de ces sentiments, fussent-ils bons ou mauvais. Cela ne changeait rien.

Inspirant profondément, elle continuait son observation silencieuse lorsqu’un vacarme se fit entendre. Une petite fille se fait remarquer à l’entrée du compartiment. Alors que l’azur de la professeure est posé sur la frêle silhouette, la jeune fille semble parler au vide alors qu’elle sort une petite boite et étale sa cape sur toute la longueur de la banquette. Etrange manège aux yeux de la professeur tandis qu’un faible esquisse de sourire prend place sur ses lèvres. Elle poursuit toutefois son observation de vie, l’enfant s’installant désormais et … sursautant en constatant la présence de l’enseignante.

La gêne est manifeste dans les propos que tient la petite brune, des salutations brèves qu’elle poursuit avec une demande – à laquelle elle a elle-même répondu en s’installant. L’adulte hoche la tête doucement, avant de laisser un ironique « Je m’en voudrais de vous faire partir alors que vous êtes si bien installée ». Le sarcasme est à peine voilé alors que pourtant la présence enfantine ne la dérange pas. C’est presque la curiosité qui pointe même le bout de son nez alors qu’elle demande « Je m’interroge juste sur votre état mental vu comme vous semblez parler seule ». A moins que la boite ne contienne quelque chose, ou plutôt quelqu’un ? Et c’est sans doute pour cela que l’enseignante pose la question. Sans quoi elle serait restée dans une posture affichée de dédain. Juste pour conserver cette façade qu’il lui sied si bien au corps. Intérieurement, elle sourit simplement de cette rencontre fortuite.

Bien installée ? On était dans un train tout de même. Côté confort on avait vu mieux.
Ah mes affaires ! C'est vrai que je me suis étalée sur ce coup là.
"Ah, oui, pardon. Enfin merci je veux dire."
Il était temps qu'elle fasse des phrases un peu plus élaborées, sinon son interlocutrice allait finir par se poser des questions sur son ... Trop tard.
Comment ça toute seule ?
"Euh, madame, c'était à vous que je m'adressais..."
Le voyage risquait d'être fort long à ce rythme là.
Puis, surprenant un mouvement sous sa cape elle comprit enfin où la femme voulait en venir.
"Oh ! En entrant ? Ah non, mais je parlais à Odin ! C'est mon Boursouflet ! Il est très effrayé alors pour le moment il ne veut pas sortir. Mais si vous ne lui faites pas trop peur il viendra peut-être nous voir tout à l'heure ?"
Passer pour une andouille, c'est fait. Étape suivante ?
Oxy attrapa le sachet de friandises, et se leva pour en proposer à sa vis à vis. Mais avant que celle-ci n'ai pu amorcer le moindre geste elle ramena son bras brusquement vers elle, se rendant compte qu'elle n'avait pas demandé :
"Madame, vous n'enseignez pas à Poudlard dites ?"
Si elle s'était rendue ridicule devant un de ses futurs professeurs elle ne s'en remettrait pas. Puis elle se rendit compte de ce à quoi son geste de protection avait pu sembler du point de vu de l’adulte.
Oh, non...
Elle tendit à nouveau la main.
"Non mais vous pouvez quand même en prendre ! Je ne voulais pas dire que..."
Non décidément ce trajet allait être interminable.
On efface et on recommence ?
Elle soupira, haussa les épaules, se redressa et réessaya.
"Bonjour Madame, je m'appelle Oxy Wright et j'entre en deuxième année à Poudlard. Je vous remercie d'accepter que je reste dans votre compartiment. Est-ce que vous voulez des friandises ?"

S’il y avait bien quelque chose de lucide dans cette histoire de Poudlard Express, c’est le fait que la jeune fille n’avait pas tout à fait les idées claires. Était-ce la perspective d’aller à Poudlard qui la rendait si … si … égarée ? Peut-être. Après tout, Joanne ne supposait que très peu de la santé mentale des élèves rassemblés à Poudlard. Peut-être y avait-il une sorte de sortilège qui privait les étudiants d’un minimum de réflexion ? La femme haussa les épaules à cette pensée : après tout, ce n’était pas son problème.

Quoiqu’il en soit, la jeune fille continuait sa discussion et Joanne ne put qu’être interloquée du nom donné au boursoufflet. Voilà qui venait de faire gagner à la jeune fille un vif intérêt de la part de la professeure. Mais l’étudiante ne s’arrête pas là. Sous le regard interrogatif de l’enseignante, elle se leva et tendit le bras vers Joanne pour lui proposer des friandises. Avant d’amorcer le geste inverse avec une rapidité impressionnante pour lui poser une question – qui n’avait absolument aucun rapport avec le reste de leur conversation – pour savoir si Joanne était une professeure de Poudlard. Et sans que Joanne n’ait pu prononcer le moindre mot, faire le moindre geste, la jeune fille tendait à nouveau son bras pour proposer des friandises à la professeure.

Cette dernière n’avait pas quitté son regard interrogatif, voire même clairement interloqué devant le comportement de l’élève. Finalement, face au soupir de l’adolescente et son discours de présentation, Joanne ne put se retenir de rire. Un rire fin, cristallin, rejoint par ses yeux. Le sourire du regard. Celui qu’on ne pouvait pas trafiquer, de quelque sorte que ce soit.

« Bonjour Miss Wright ». Le visage demeurait souriant, ouvert. « C’est gentil pour les friandises, mais gardez-les pour vous. J’ai peur que vous en ayez besoin pour vous remettre du fait que je suis effectivement professeure à Poudlard ». Cette fois-ci, c’est un rire plus doux qui s’extirpe. Comme pour souligner l’ironie de la situation. « J’apprécie particulièrement le nom de votre boursoufflet en tout cas, c’est vous qui l’avez choisi ? ». La bête, d’ailleurs, n’avait toujours pas montré le bout de son nez.

Le rire de la femme soulagea grandement Oxy. Peut-être qu'elles allaient effectivement repartir sur de bonnes bases ? En tout cas son attitude ne semblait pas moqueuse, c'était déjà une bonne chose. Enfin jusqu'à ce qu'elle apprenne qu'elle était bien professeur à Poudlard... Elle grimaça mais se garda bien de tout commentaire. Qu'aurait-elle pu dire au demeurant ?
Elle se rassit donc et attaqua un crapaud à la menthe quand la question sur son Boursouflet arriva.
Ça c'est typiquement un truc d'adulte ! Ils attendent que tu commences à manger pour te poser une question à laquelle tu n'as pas le droit de répondre la bouche pleine !
Elle avala bien vite sa sucrerie, des larmes perlant à ses yeux sous l'effort. Toussant un coup puis se raclant la gorge elle répondit enfin :
"Quand je l'ai eu il était effrayé par tout."
Puis, après un coup d’œil vers sa cape.
"Bon, ça n'a pas vraiment changé...
*soupire
Alors je me suis dit qu'avec un nom courageux ça l'aiderait peut être. Mon frère m'avait parlé de ce dieu de la mythologie nordique. C'est le père de tous les dieux vous savez ? Il est fort, puissant, intelligent et tout. Alors je me suis dit que quitte à choisir, autant lui donner ce nom là ! Vous le connaissez aussi ? Ah oui en même temps, vous êtes professeur, vous savez plein de trucs vous."
La jeune Gryffondor haussa les épaules sur cette évidence.
Elle se saisit de la boite, pleine de curiosité, prête à découvrir la surprise que son père lui avait préparée. Elle tendit la main vers ses friandises quand elle leva les yeux sur la femme.
Je peux manger ou je vais encore manquer de m'étouffer ?

La rencontre avec l’adolescente avec ce quelque chose de rafraîchissant que Joanne avait du mal à saisir mais qui lui plaisait beaucoup, et plus encore quand la jeune fille fit étalage de la mythologie nordique. Elle écarquilla les yeux, prête à exploser de rire, mais elle se retenu tant bien que mal, hochant la tête à chacun des affirmations de la jeune fille. Le pire, ce fut lorsque l’élève tendit sa main vers ses friandises, avant de regarder l’enseignante – comme si elle attendait qu’elle lui donne une quelconque autorisation dont elle ne disposait pourtant pas.

« C’est étrange que vous me parliez de ça … car justement, je suis professeure de rune et Odin est comme qui dirait assez … inévitable dans ma matière ». Tel un prédateur qui guette sa proie, l’enseignante veillait à observer consciencieusement la réaction de la jeune fille face à cet aveu. Joanne aurait-elle le droit à une moue d’excuse dont certains êtres humains sont dotés ? Ou la jeune fille virerait-elle au rouge pivoine sous la honte qu’elle venait de s’infliger ? Joanne ne le savait pas, mais elle devait bien admettre qu’elle avait hâte de voir.

Au dehors, le train filait à toute allure vers sa destination : Poudlard. Symbole de renouveau pour la jeune femme, l’école était-elle à la hauteur pour lui faire oublier ce passé tumultueux d’héritière de famille aristocratique ? Pourrait-elle déployer ses ailes au sein de l’académie ? Et pire encore, serait-elle à la hauteur de la tâche qui l’attendait la-bas ? Serait-elle assez pédagogue ? Le regard ne quittait pas la jeune étudiante qui lui faisait face, mais l’esprit s’évadait quelques secondes aux doutes qui l’assaillaient sournoisement.

« C’est étrange que vous me parliez de ça … car justement, je suis professeure de rune et Odin est comme qui dirait assez … inévitable dans ma matière ».
Nan ? Trop fort !
Oxy se laissa emporter par son excitation et se mit à genoux sur sa baquette, légèrement penchée vers la professeure, ses mains agrippées lui permettant un équilibre précaire. Ce sont le yeux brillants d'excitation et le cœur avide d'informations qu'elle laissa libre cours à sa curiosité :
"C'est vrai qu'il avait des corbeaux qui lui racontaient ce qu'ils avaient vu tous les matins ? Ça doit être super pratique pour gouverner ! Mais bon les autres dieux devaient s'en douter non ? Du coup ça devait pas être de supers espions... Et ses loups, ils servaient à quelque chose ? Il parait qu'il parlait que en poèmes aussi ! Pour un dieu de la guerre c'est un peu étrange vous trouvez pas ? Ou alors c'était pour équilibrer un peu ? D'un côté la destruction et de l'autre la beauté. Bon j'aime pas trop les poèmes moi, mais on dit que c'est beau alors... Et les runes peuvent vraiment faire ressusciter des morts ?"
La jeune Gryffondor stoppa net ses interrogations en se rendant compte qu'elle était en train de noyer la jeune femme sous un déluge de questions. Prenant conscience de la situation, elle se réinstalla normalement, posa les mains sur ses genoux en mode "gentille fille sage" et non hystérique incapable de se contrôler et reprit d'un ton posé.
"C'est intéressant en effet."
C'est fichu, elle va me prendre pour une idiote hyperactive et me jeter du train en marche pour avoir le calme ! Ou me transformer en Boursouflet, je me demande ce qui serait le pire...

On touchait presque le mois de retard, je suis vraiment désolée !

Elle avait à peine fini sa phrase que la jeune étudiante était déjà sur les genoux sur sa banquette, telle une enfant le matin de Noël. Elle semblait beaucoup trop surexcitée au gout de Joanne. Les runes ne faisaient pas cet effet-là habituellement. Cette fois-ci, elle regarda la jeune fille d’un air clairement étonné. La jeune fille enchaînait les questions à une vitesse impressionnante – à tel point que l’enseignante n’avait absolument retenue aucune des interrogations, si ce n’est la dernière, qui venait de mourir sur les lèvres de l’élève.

En tout état de cause, il fallait croire que la jeune fille se rendait compte du particulier de la situation. Elle se rassit normalement, posa ses mains sur ses genoux et laissa un simple « C’est intéressant en effet », s’extirper de ses lèvres. Un peu plus de changement de comportement et Joanne se demanderai presque si l’enfant ne souffrait pas d’éventuels troubles qu’il lui serait difficile de nommer tant elle n’y connaissait rien en la matière.

Joanne, de son côté, toussota légèrement et finit par répondre « Vous avez l’air très intéressée par ma matière » il fallait se concentrer sur les choses positives, « il ne fait nul doute que vous serez très certainement une très bonne élève lorsqu’il vous sera permis de l'étudier ». Voilà, elle avait même réussi à lui adresser un compliment. Après tout, ce n’est pas parce qu’elle avait du mal à gérer ses émotions qu’elle devait absolument la cataloguer comme une élève ne méritant que peu d’intérêt. « Mais dites-moi, comment savez-vous tout ça ? ». La majorité des élèves en années supérieures ignoraient les trois quarts du savoir qu’elle avait étayé plutôt. C’était intéressant pour Joanne de savoir comment l’étudiante avait eu accès à ces connaissances, cela éveillait en effet sa curiosité.

Sa matière ? L'étude des runes ?
Oxy pencha la tête, en regardant la professeur.
"Et bien en fait, l'étude des runes et tout ça je n'y connais rien" dit-elle, un peu honteuse. "Mais comme je vous l'ai dit, j'ai un grand-frère, il était à Poufsouffle, et il sait plein de choses. Ma sœur aussi sait plein de choses, elle était à Serdaigle. Mais c'est avec lui que je passe plus de temps. Enfin moins cet été, il a une copine maintenant, alors il passe du temps avec elle vous voyez ?" ajouta-t-elle en rougissant. "Enfin bref, il me raconte toujours plein d'histoires. Et il m'a parlé d'Odin. Et des runes aussi mais euh, j'étais pas très intéres... J'ai pas tout retenu ! Alors comme j'ai décidé de baptiser mon Boursouflet comme ça, cet été, avec maman, on a fait quelques recherches dans une bibliothèque moldue sur ce dieu. Vous saviez que les moldus avaient plein d'informations sur notre monde sans le savoir ?"
Elle était assez fière d'avoir parlé posément, résumant la situation sans digressions. Enfin pas trop...
Elle reprit une sucrerie et lorgna à nouveau vers la fameuse boite. Elle se demandait bien ce qu'il pouvait y avoir dedans. Elle regarda l'adulte, évaluant s'il était poli ou non de l'ouvrir alors qu'elles discutaient. Probablement pas. Elle reporta donc son attention sur la jeune femme, tout en caressant l'objet du bout des doigts, inconsciemment.

L’enseignante ne savait plus si elle devait rire ou pleurer du comportement de la jeune étudiante. A dire vrai, elle était la première dans le genre à être aussi … enthousiasme, en parlant des runes, d’Odin, et de tout ce que la passion de Joanne avait d’étrange. L’élève indiqua ensuite que c’était son frère, qui lui racontait souvent des histoires et elle dériva ensuite sur le nom de son boursoufflet, racontant ainsi l’anecdote de son nom et les recherches qu’elle avait entrepris avec sa mère. Joanne hocha la tête. La curiosité n’était pas un vilain défaut à ses yeux, il fallait juste que cela soit fait à bon escient. Ni trop, ni trop peu. C’était comme tout, un juste équilibre.

La question qu’elle lui posa l’interrogea quelques peu : l’élève avait poussé sa réflexion plus loin que n’importe quel adulte car les runes représentaient souvent un domaine peu intéressant aux yeux des sorciers. Pas assez … magique ? Sans doute. Joanne laissa un soupir s’extirper à cette pensée. Ils se trompaient tous lourdement, et la jeune fille qui lui faisait face lui donnait raison. « Vous savez, la plupart des légendes et mythes moldus trouvent une origine dans le monde magique ». Mais les moldus n’ont pas assez de nerfs pour supporter la vérité : était-ce cela la réalité ? Ou l’égoïsme d’un monde sorcier qui refusait le partage de sa magie ?

Et sans ajouter davantage, la sorcière reporta son regard sur le paysage qui continuait à défiler au-dehors, exposant ainsi toute la beauté de la nature dans son plus simple appareil. Elle réfléchissait à cette simple pensée : l’écartement des moldus du monde de la magie était-il pour protéger les moldus ou plutôt les sorciers ? Elle avait lu, plus jeune, les persécutions vécus par des générations de sorciers et cela lui avait collé un frisson d’effroi le long de l’échine. Le monde avait-il réellement changé désormais ?