Enora avait eu le chance de ne pas être au bal d'Halloween. Et pourtant, les évènements l'avaient tout autant chamboulée. Penser que les idées sombres d'Ursula Parkinson avaient pénétré les esprits de certains de ses jeunes camarades étaient effrayantes. Et si l'un de ses amis proches avaient été parmi ce groupe de faux mangemorts ? Elle n'en aurait peut être rien su tant elle avait boudé à cause de son malheur d'été. Ce qu'elle pouvait se sentir bête à présent ... 
Néanmoins, c'était le coup de fouet dont elle avait besoin pour se sortir de cette torpeur. C'était décidé, elle allait parler à quelqu'un au lieu de tout prendre sur elle. Mais elle y irait pas à pas. Cela faisait si longtemps qu'elle s'était trop habituée à la situation. Elle se laissait donc jusqu'à la reprise des cours pour mettre au point son plan. 
En parlant des cours, il fallait qu'elle se remette en tête les dernières leçons. Elle se dirigea donc vers la salle d'étude pour la première fois depuis le bal. Cela avait été rare qu'elle quitte la tour des Serdaigle pour autrepart que la Grande salle cette semaine mais il fallait bien penser à son avenir ! Quelques livres sous le bras, elle entra dans la pièce. Très peu d'élèves étaient déjà installés, ça lui laisserait la place d'étaler tous ses parchemins et ouvrages. Elle se glissait jusqu'à l'endroit qui lui avait tapé dans l'oeil lorsque quelque chose agrippa son coude. Enora se retourna vivement pour vérifier qu'elle n'avait rien fait tomber, mais rop vivement car son autre coude tapa dans un encrier. Le liquide sombre dégoulina sur le sol, manquant de peu la plume, première à chuter. 
Aussitôt, elle posa ses livres sur l'autre banc pour essayer de limiter les dégats. Elle se confondit en excuse :

- Je suis vraiment désolée. Je n'arrive pas à croire que j'ai été aussi maladroite. Je vais te donner de mon encre, proposa-t-elle en reposant l'encrier à présent presque vite sur la table.

Ne sachant quoi ajouter, elle attendit avec anxiété la réponse de sa camarade.

Je suis vraiment désolée pour le retard.

Presque une semaine depuis le bal d’Halloween. Presque une semaine qu’Alice survivait, peinant chaque jour à ne pas s’effondrer sous le poids de la honte et de la peur. Garder la tête haute, c’était compliqué. Dormir, même dormir, ça l’était également. Comme une toute petite fille, Alice n’arrivait plus à dormir seule. Chaque nuit, elle craignait que Carry ne vienne mettre le feu à son lit pour la tuer dans son sommeil. La présence d’Irisia dans son lit, chaque nuit, la rassurait un peu, lui permettait au moins de se reposer. Lovée l’une contre l’autre, enroulées comme deux serpents, les angoisses s’envolaient, et réapparaissaient au matin pour ne plus quitter les songes d’Alice jusqu’au soir venu. Son quotidien, agité par ses tourments, l’épuisait.

Alice reposa sa plume au côté de son parchemin, son poignet endolori désirant une pause. Se plonger dans ses leçons, c’était devenu vital. Cela l’arrachait momentanément à tout ce qui lui grignotait la santé. C’était une pause bien méritée.
La salle d’études était un endroit calme, la plupart du temps. Seul le bruit des plumes grattant le papier rompait le silence qu’imposait les révisions et la rédaction des devoirs. Ce n’était pas le meilleur endroit pour être seule, mais au moins Alice ne sentait pas le regard des autres sur l’immense compresse qui couvrait sa joue balafrée.

Un mouvement brusque à ses côtés la fit sursauter et, avant qu’elle ne puisse arrêter quoi que ce soit, sa plume d’hippogriffe blanc s’échoua au sol, rejoint de près par un long filet d’encre noir. C’était bête,Alice s’était contenté de regarder son encrier se vider sans faire le moindre geste pour l’arrêter. Elle était immobile, vissée sur son séant, écoutant seulement les piteuses excuses de l’élève à qui Alice devait ce capharnaüm.

Ses yeux coulèrent sur la jeune fille. Elle ne se souvenait pas de son nom, sa mémoire lui jouait des tours ces derniers temps… et de toutes façons, les prénoms, elle les oubliait facilement. Ses sourcils se fronçaient alors que sa mémoire cherchait à se souvenir d’elle. Mais rien ne vint. Rien. Pas un nom, pas une discussion quelconque, pas une amitié avec qui que ce soit. Et Alice n’aimait pas cela.

« Tu te fiches de moi ? » cracha Alice « Tu ne peux pas faire attention ? Tu as fait exprès ou quoi ? »

Mais oui. Comment cela pourrait-il en être autrement ? A passer aussi près d’elle, sans raison apparente, c’était certainement son but. Mais pourquoi ?

Alice se releva, claquant sa langue contre son palais. Elle ne tournerait pas le dos à cette fille, ça non.

La réaction de sa camarade l'a surprise. Elle ne s'attendait pas à autant de colère et encore moins à une telle accusation. Pourquoi aurait elle fait exprès de faire tomber et sa plume et son encrier ? Elle ne la connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Et pour quelle raison lui proposerait-elle ensuite de remplacer son encre avec la sienne si le but premier était de l'embêter. Autant de question que son cerveau trop rationnel lui faisait se poser tandis que les calomnies cinglantes l'atteignaient en pleine face. 
Quand la sorcière se leva, Enora fit un pas en arrière, pensant qu'une telle proximité ne serait pas bonne pour elle. Plus agée qu'elle, le but était sans doute de l'intimider davantage. Elle n'avait pas besoin de ça. C'était déjà chose faite. 
L'aiglonne ne voulait pas aggraver les choses. Seulement récupérer ses livres et aller s'installer à l'endroit qui lui avait taper dans l'oeil. Elle s'excusa une nouvelle fois sans pour autant réitérer sa proposition pour l'encre. Elle acceptait lui avoir causé un certain tort mais pas ses accusations infondées !

- Désolée d'avoir fait tomber tes affaires. 

Après un dernier regard à la tâche d'encre sur le sol, Enora se pencha pour récupérer les trois livres qu'elle avait laissés sur un banc voisin. Rien de bon ne sortirait de cette conversation étant donné l'état de sa camarade. Elle mettait ça sur le compte du bal. Bien que cela lui donnait un semblant d'explication, ça n'excusait pas les paroles de la sorcière. 

Alice se sentait bouillonner. Désolée, elle était désolée ? Non, ça, la Serpentard ni croyait pas un seul instant. Autant de maladresse, c’était inconcevable ! Elle jeta un regard derrière elle, tentant de voir si elle ne venait pas de tomber dans une embuscade en réagissant ainsi. Il n’y avait rien, pour l’instant.
Ses yeux d’argent se reposèrent sur sa camarade. A quoi jouait-elle ? Allait-elle tenter de l’attaquer de front ? Oh non, ce serait particulièrement idiot !

Celle ci fit un geste en avant, aussitôt Alice plaqua sa main sur les livres qu’elle s’apprêtait à attraper. Elle ne la lâchait pas des yeux, essayait de prévoir chacun de ses mouvements comme si, à chaque instant, la brune pouvait fondre sur elle, l’extrémité de sa baguette pointée sur elle.

«  Je veux juste être tranquille pour faire mes devoirs » gronda t-elle, ses sourcils froncés. «  C’est possible, ça ? Pourquoi est-ce que tu viens m’embêter ? Tu veux me faire rater ma scolarité ? C’est ça, la prochaine étape ? »

C’était fourbe que cela. Attaquer une jeune fille au visage, c’était cruel. Mais l’empêcher de faire ses leçons, c’était tout autre chose. C’était de l’acharnement. Alice sentait une boule se former dans sa gorge. Pourquoi fallait-il que des personnes avec qui elle n’a jamais parlé vienne l’embêter ? Alice était gentille, elle l’était toujours. Elle ne méritait pas tout ce qu’elle subissait.

Déjà que les accusations continuaient, la sorcière se permettait en plus de l'empêcher de reprendre ses biens en pressant avec force sa main contre les ouvrages. Cette fois ci Enora ne détournerait pas le regard. Elle ne se laisserait pas traiter comme ça tout ça parce que sa camarade était perturbée par le bal. C'était une Horton ! D'ailleurs, elle devait avoir assisté aux évèneements d'Halloween au vu du pansement qui lui couvrait une bonne partie du visage. Ce n'était pas une raison pour s'en prendre ainsi à une autre. 
Déterminée, l'aiglonne lui rendit son regard ferme tout en retirant violemment sa main de la prise de l'inconnue. 

- Figure-toi que c'est le cas de tout le monde ici et qu'à cause de ta petite scène, personne ne peut plus faire ses devoirs à présent. 

Elle désigna d'un geste de la main le reste de la salle d'étude et croisa les bras sur sa poitrine naissante pour se donner un peu plus de composition. La jeune fille à l'impressionnante chevelure pâle faisait bien quinze centimètres de plus qu'elle. 

- Si la seule chute de ton encrier peut te faire rater ta scolarité, tu devrais peut être te poser des questions. Sur ce, je refuse de m'excuser une nouvelle fois alors que tu m'accuses sans raison d'avoir fait tout cela exprès. J'ai seulement été un peu maladroite ! soupira-t-elle. 

On ne l'y reprendrait pas à transporter autant de bouquin à la fois ! D'ailleurs, Enora jeta un regard insistant sur la petite pile de livres, espérant que la sorcière en face d'elle serait suffisamment lucide pour enfin la laisser partir. 

Alice n’en revenait pas ! Cette fille était vraiment une sale petite manipulatrice. Les yeux froncés, la fillette l’écoutait prendre le parti de la pièce entière en la faisant passer pour la méchante diva. Outrée par le comportement versatile de la pseudo-maladroite, Alice manqua d’exploser. On ne lui faisait pas, à elle. Elle savait parfaitement reconnaître une brute quand elle en voyait une. Ce n’était la maladresse qui avait fait choir son encrier et sa jolie plume d’hippogriffe que grand père Henri lui avait fait parvenir par hibou, c’était la cruauté ! C’était l’acharnement ! Et Alice était épuisé de tout cela. Elle voulait seulement la paix, et cette fille se refusait à lui donner. Elle se donnait en un spectacle, tentait d’humilier Alice en la faisant passer pour une cancre se cherchant des excuses. C’était pathétique.
Alice ne se laisserait pas faire, ça non.

Ses yeux d’argent suivirent ceux de la brute, se posant sur sa pile de livres. C’était bien idiot de la part d’une élève de transporter autant de choses, bien évidemment que circuler devenait compliqué avec tout cela comme ouvrage ! Encore une preuve que cette fille avait fait exprès, au moins se donnait-elle des excuses si jamais un professeur venait à demander des explications. Elle était maline, cette fille.

« Arrête d’inverser les rôles » lança Alice en élevant ses yeux sur la brune, l’air dégoûtée. « C’est toi qui fait une scène... ton comportement est vraiment écœurant. Je ne t’ai rien fait, moi. Je veux juste travailler tranquillement ! Alors tu es gentille, et tu me fiches la paix ! Et tu diras à tes petits copains que la prochaine fois que l’un de vous essaye de s’en prendre à moi d’une manière ou d’une autre, ça se passera très, très mal !»

Son regard c’était durci, ses poings fermés plus encore. Si cette fille voulait faire l’énervée, Alice la ferait mieux encore.

Pour quelqu'un si désespérémment en quête de tranquilité, la jeune fille ne semblait pas prête de la laisser partir. D'ailleurs, elle rafermissait sa prise sur les livres d'Enora. De plus en plus de regards se rivaients sur elles et l'aiglonne n'appréciait pas ce genre d'attention. Pourtant, elle ne pouvait décemment pas partir sans ses livres ! Et puis, la colère de sa camarade la piquait au vif. Elle ne pensait pas mérité autant de haine ! Car c'était de la haine, elle ne savait pas quand mais cette histoire était devenu personnelle. 

- C'est toi qui devrais ouvrir les yeux. Je me suis excusée calmement en te proposant de réparer mes torts. C'est toi qui continues de me hurler dessus en refusant de me laisser partir, justifia-t-elle en désignant ses livres. 

Ce n'était pas Enora qui inversait les rôles. Seulement cette autre sorcière qui était tellement biaisée par sa mauvaise expérience du trente et un octobre qu'elle en voyait le mal partout. 

- Mes petits copains ? répéta-t-elle en haussant un sourcil. Mais c'est que tu es paranoïaque ! J'ai fait tombé ton encrier, je ne complote pas contre toi.

Enora voulait plus que tout partir à présent. Elle trouverait un autre endroit pour travailler mais elle avait besoin de ses livres. Ni la manière douce, ni la manière forte ne semblait marcher avec sa camarade. Fallait-il simplement attendre qu'elle reprenne ses esprits ?

Le sang battait à ses tempes. Son corps entier était tendu, c’était comme si il était prêt à se battre mais a fuir également. De la peur et de la colère, voila ce qui régissait ses gestes ces derniers jours. Il n’y avait plus de logique dans ses pensées, rien que son instinct de survie. Elle continuait à réfléchir beaucoup, et certainement trop. Pour chaque situation qui se présentait à elle, son cerveau imaginait tout autant de scénarios qu’il y a de goutte d’eau dans le lac noir. Et aucun de ces scénarios n’avait de fin heureuse.

Cette rencontre là avec cette fille n’échappait pas à la règle. Elle s’était excusé après avoir fait tomber son encrier et sa plume, elle avait même proposé de remplacer son encre. Ç’aurait pu être une farce, des moqueries. Et peut-être pas, finalement. Ce pouvait être une maladresse, seulement une maladresse. Ils existaient, les maladroits, Christopher aussi en était un.
Les doigts d’Alice s’écartèrent de la pile de livres de sa camarade. Elle la fixait de ses yeux laiteux, comme si en un regard elle était capable de lire dans ses pensées.
Mais dans les yeux marrons de l’autre, Alice ne voyait rien, peut-être un peu d’impatience et d’incompréhension. La petite fille aux cheveux blancs se mordit l’intérieur de la lèvre, gardant pour elle toute manifestation de regret quant à son comportement … paranoïaque, oui, le mot qu’avait employé la brune était affreusement juste. Paranoïaque. Comme une vieille sorcière vivant reclue dans une forêt, s’attendant jour après jour que la fin du monde ne vienne la faucher, prenant chaque aboiement de chien errant pour l’annonce de son funeste destin.
Par Merlin, Alice devenait folle.

« Peut-être » admit Alice, que l’embarras rendait amère. « Mais peut-être pas. Alors reprends tes livres, et va hors de ma vue. Tu m’as fait perdre assez de temps. »

Alice se racla la gorge avant de réajuster sa masse de boucles blanches sur son épaule. Plus vite cette fille disparue, plus vite elle pourrait oublier cet événement et se replonger dans ses leçons, et oublier la folie qui semblait la grignoter toujours un peu plus.

La sorcière semblait avoir repris ses esprits. Ou du moins en partie. Sa main avait certes quitté les bouquins d'Enora mais ce n'était pas pour autant qu'elle était  retournée s'asseoir à sa place. Au lieu de cela, elle lui faisait face sans la quitter des yeux. Comme si elle surveillait que l'aiglonne ferait bien ce qu'elle avait dit. 

Se sentant un peu piégée, la petite brune fit une croix sur la possibilité de partir. Elle avait dit qu'elle était venue étudier et elle craignait que prendre la fuite renforcerait les pensées paranoïaques de sa camarade. Et puis, si elle ne lui criait plus dessus qu'est ce qu'elle avait à perdre ? Rien. Elle gagnait même le temps qu'un nouveau voyage vers la bibliothèque ou la salle commune lui aurait pris. 

En soutenant le regard glaçant de la sorcière, elle reprit ses livres. Elle s'attendait presque à ce qu'elle change d'avis et ne lui aggripe le bras à nouveau. Peut être elle aussi avait elle besoin de l'observer pour se rassurer ? Etudier allait être difficile si elle se sentait obligée de regarder par dessus son épaule mais c'était trop tard pour changer d'avis. Elle se dirigeait vers le coin qui lui avait tapé dans l'oeil, juste à côté du mur de sorte à être tranquille à sa droite. A sa gauche, l'étalage de bouquins et de parchemins la protègerait d'yeux indiscrets. 

Une fois ses barrières naturelles mises en place, elle ne put s'empêcher de regarder en direction de l'autre élève, au risque de l'énerver à nouveau.

Alice se sentait comme une lionne attardée surveillant son territoire de poussière et de cendre. Cela crevait les yeux que cette fille n’était pas plus méchante qu’Alice ne l’était. Et pourtant, elle continuait à l’observer comme si chacun de ses gestes pouvaient trahir une quelconque appartenance au mauvais côté des élèves de Poudlard. Peut-être allait-elle jeter un regard discret à l’un de ses camarades en embuscade, qui fondrait alors sur Alice pour la mettre à terre et la brutaliser. Devant tout le monde, oui. C’était probable, après tout. Plus rien n’arrêtait les mauvaises personnes désormais.

La fille se décida à s’installer plus loin, dans un recoin qui, semblait-il, ne lui donnerait aucun voisin. Cela voulait peut-être dire qu’elle n’attendait personne ? La disposition de ses affaires la protégeait des autres. Il y avait une réelle recherche de tranquillité. C’était certain maintenant : Alice s’était fourvoyé, la jeune fille n’avait jamais voulu lui nuire. Ce n’était qu’une maladresse.

Mais si c’était le cas, pourquoi diable venait-elle de la regarder ? Les sourcils froncés, Alice se réinstalla à sa place, ses yeux foudroyant l’autre fille. Elle la surveillait ? Non, non certainement pas, elle voulait peut-être seulement assurer qu’Alice avait calmé sa paranoïa.
De toutes évidences, ce n’était pas encore le cas. Alice souffla, ses cheveux se soulevant un peu, et se pencha à nouveau sur son parchemin et sa plume. Une plume sans encrier. Voilà qui compromettait l’avancée de son devoir. Tant pis, il faudrait remettre cela à plus tard.