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19 juin 2019, 11:27
Le Sorcier au cœur velu  Solo   OS 
Juillet 2025,
West London


Il était une fois un jeune sorcier beau, riche et talentueux, qui avait remarqué que ses amis devenaient sots lorsqu’ils tombaient amoureux, folâtrant et se pomponnant, perdant l’appétit et leur dignité. Le jeune sorcier décida qu’il ne serait jamais la proie d’une telle faiblesse et il eut recours à la magie noire pour assurer son immunité.
Extrait du Sorcier au cœur velu, Beedle le Barde.

***


Les tapis disposés sur le sol étouffaient les bruits des pas des gamins courant à travers la maison. À chaque tapis était associé un bruit feutré différent. Aussi, le tapis de l’entrée laissait échapper un petit nuage de poussière sèche à chaque fois qu’on marchait dessus, et le tapis du séjour avait un de ses coins qui s’enroulait sur quelques centimètres : tout le monde dans la famille s’était pris des dizaines de fois les pieds dans ce tapis ! Et ces tapis intéressaient étonnamment le petit garçon qu’était Oliver. Chaque fois que son père lui disait : « On va en vacances chez grand-père Briggs ! », l’enfant ne pensait plus qu’aux ancestraux et singuliers tapis de son grand-père.
Oliver s’élançait entre les fauteuils placés ça et là dans le salon, esquivant sa petite sœur qui lui courait après. Ils appréciaient souvent jouer ensemble à se courir l’un après l’autre, inversant les rôles quand l’un était touché par l’autre. La plupart du temps, Oliver faisait exprès de se ramasser dans le coin enroulé du tapis pour que sa petite sœur le touche et que la partie continue. Mais c’était son secret à lui, il aimait bien jouer avec elle.
De son regard d’homme fait, Erik regardait ses deux enfants avec une satisfaction non dissimulée. Qu’il était fier de les avoir pour fils et fille ! Il éprouvait pour eux un amour comparable à un lien indéfectible, si indéfectible que rien au monde n’avait la possibilité même de le détruire, quel que soit le moyen employé. Et il savait que sa femme, Diana, ressentait exactement les mêmes sentiments.

« Oliver ! Ruby ! appela leur grand-père depuis le bas de l’escalier. J’ai une histoire à vous raconter !
- Oh ouais ! Tu viens Ruby ! s’exclama Oliver avec entrain.

Les deux enfants rappliquèrent aussitôt, toujours en courant, et grimpèrent les escaliers pour aller au premier étage s’installer dans leur lit.

« C’est quoi ton histoire, grand-père ?
- Ouais, c’est quoi l’histoire ? renchérit la petite fille. »

Le grand-père sourit, prit une chaise en bois qui se trouvait dans un coin de la chambre, et s’assit. Il tenait dans ses mains Les Contes de Beedle le Barde. Puis, de la voix qui était utilisée pour conter un conte, celle qu’on pouvait aussi entendre dans nos rêves les plus merveilleux, il commença sa lecture :

« Il était une fois un jeune sorcier beau, riche et talentueux, qui avait remarqué que ses amis devenaient sots lorsqu’ils tombaient amoureux, folâtrant et se pomponnant, perdant l’appétit et leur dignité. Le jeune sorcier décida qu’il ne serait jamais la proie d’une telle faiblesse et il eut recours à la magie noire pour assurer son immunité… »

Alors qu’il écoutait son grand-père narrer l’histoire du Sorcier au cœur velu, Oliver s’imagina bientôt être ce jeune sorcier beau, riche et talentueux. La beauté, ce n’était pas sa mère qui tarissait d’éloges sur lui. La richesse, cela pouvait sous-entendre plusieurs choses, mais ce qui venait immédiatement à l’esprit du garçon de onze ans, c’étaient les gallions. Ah, Oliver, profite de ton innocence, mais continue à écouter ton grand-père, et souviens-en toi, de cette histoire qu’il te raconte.

Cedric Briggs lisait l’histoire, ses petits-enfants toujours captivés. Le jeune sorcier avait donc décidé de s’arracher le cœur et de l’enfermer dans le plus profond de ses cachots. Un peu plus tard, il choisit de trouver une épouse, non pas par amour mais par orgueil, après avoir entendu ses valets se moquer de lui. Il chercha ainsi une sorcière à la beauté sans pareil et aux dons prodigieux, qu’il trouva bien vite. Il organisa donc un festin en son honneur. Mais elle ne croyait pas qu’il avait un cœur, alors le jeune sorcier l’amena voir l’organe scellé et devenu tout velu. La jeune femme le supplia de le remettre dans sa poitrine, et dès lors, il remarqua sa beauté exceptionnelle. Mais le cœur était devenu étrange, et le jeune sorcier ne supporta pas d’avoir cette chose pourrie en lui. Alors il voulut l’échanger avec celui de la sorcière, qu’il poignarda. Cependant, son cœur velu était plus fort que lui, et il ne put l’arracher de nouveau qu’à coups de couteaux dans sa poitrine, faisant le vœu de ne jamais se laisser dominer par son cœur. Triomphant, un cœur dans chaque main, il s’étala en travers du corps de la jeune fille, et mourut.

Les deux enfants frissonnèrent.

« Comprenez, les enfants, que ce conte a bien une morale – et je suis tout à fait certain que vous pouvez la comprendre, assurément ! Vous êtes intelligents, mais nul ne peut résister totalement à la quête de l’invulnérabilité.
- Mais c’est quoi le rapport entre l’amour et l’invulnérabilité, grand-père ?
- Dans son cas, le jeune sorcier considère l’amour comme une faiblesse, une humiliation : c’est pour ça qu’il décide d’enfermer son cœur, grâce à la magie noire. Mais retenez une chose, aucun mage ne peut soumettre la nature à sa volonté. En cherchant à devenir surhumain, le jeune sorcier n’a fait que se rendre inhumain, déclara-t-il avec beaucoup de sagesse. Je crois qu’il est temps de dormir, les enfants.
- Bonne nuit grand-père ! »

Oliver ne répondit rien. Il était peut-être déjà parti dans ses rêves les plus profonds. Alors le grand-père se leva, embrassa ses petits-enfants sur le front, éteignit la lumière, et referma la porte derrière lui, pour laisser l’obscurité prendre place dans la chambre.

***


« Ne touche aux plus profonds mystères – la source de la vie, l’essence de soi – que si tu es préparé à en subir les conséquences les plus extrêmes et les plus redoutables. »
Adalbert Lasornette

« Tu crois qu'on invente les gens qu'on aime ? »
« Elle pirate ton cœur pour entrer dans ta tête ! »