Comme tous les matins depuis le début des vacances, Sophie se réveillait dans une chambre au Chaudron Baveur. Une chambre que Sara, la patronne de l'endroit, lui avait très gentiment proposé.

Elle occupait ses journées comme elle pouvait, allant se promener avec ses amis lorsque ceux-ci venaient à Londres, ou bien flânant sur le Chemin de Traverse. Elle aimait particulièrement la boutique Fleury & Botts. Elle y passait pratiquement tous les jours et avait déniché quelques livres sympathiques. Mais aujourd'hui, la boutique était fermée et aucun de ses amis n'avait prévu de sortie aujourd'hui. Alors elle ne savait pas quoi faire de sa journée.

C'est en descendant dans le salon qu'elle eut une idée. Le bar débordait de monde et il n'y avait que Sara et Jake pour s'en occuper. Alors elle alla les voir et demanda la permission de les aider - Permission accordée, enfin du moins pour aujourd'hui - lui répondit Sara. Alors c'est toute heureuse que la jeune fille se rendit en salle, prête à prendre les commandes.

Elle passa de table en table. Elle y prenait goût ! Discutant même parfois avec quelques clients venus de différentes contrés. Elle allait prendre une pause lorsque une jeune femme passa la porte et alla s'asseoir à une table. Sophie la voyait de loin mais il y avait un air de déjà-vu. Elle connaissait cette femme, mais elle ne savait pas d'où. Elle attendit qu'elle puisse faire son choix puis s'avança vers elle, prête à noter sa commande.

« Bonjour, vous avez fait votre choix ? »

C'est alors qu'elle se rappela où elle l'avait vu. C'était lors de la journée internationale des dragons à Poudlard ! Elle avait en face d'elle la dragonologiste avec laquelle elle avait parlé. Lorsqu'elle la reconnût, elle ne put retenir ses mots.

« Je vous reconnais, vous êtes la dragonologiste qui est venue à Poudlard lors de la journée internationale des dragons ! Je ne pensais pas vous revoir ici. Vous avez quitté votre réserve ? »

Elle espérait ne pas paraître trop intrusive. Peut-être qu'elle n'avait pas envie de parler de son travail avec elle mais Sophie avait été déçue de ne pas pouvoir parler plus longtemps avec elle à Poudlard alors elle avait espoir de pouvoir continuer à lui parler ici.

Max était du genre à traîner au Chaudron Baveur. On y rencontrait fréquemment des sorciers intéressants qui passaient par Londres au cours d’un voyage. De temps en temps, il y avait de drôles de trafics, mais rien qui n’ait jusque-là concerné Maxine Paulson. Le trafic de créatures magiques avait pris un coup ces dernières années, et les hors-la-loi de ce genre se faisaient bien plus discrets. Le Chaudron Baveur n’était plus un lieu sûr pour eux. De passage dans la capitale, Max n’avait pas hésité à venir siroter une bièraubeurre dans ce pub de sorciers, pour écouter d’une oreille les folles aventures de vieux explorateurs ayant découvert une nouvelle poudre de perlimpinpin dans le fin-fond d’une forêt obscure d’Europe de l’Est.

Max zieutait les boissons proposées sur l’ardoise en reposant son menton dans sa main. Elle était absorbée par l’ambiance de cet endroit, même si elle le connaissait par cœur. Elle venait de faire son choix quand une toute petite créature aux longs cheveux se dirigea vers elle avec l’intention de prendre sa commande. Max releva la tête, surprise qu’une jeune fille travaille dans cet endroit. Elle s’apprêtait à poser une question quand la fillette reconnut Maxine comme la dragonologiste qui était venue à Poudlard au cours de l'année scolaire.

Maxine se gratta le menton en avançant la tête. Son œil tatoué cligna, puis elle se recula soudainement, s’écriant presque :

« Mais bien sûr ! C’est Sophie Lunera, grande admiratrice de l’Opalœil des Antipodes ! »

Elle lui fit un clin d’œil entendu, comme si elles avaient partagé de grands secrets pendant les dix minutes où elles avaient parlé.

« Je suis de passage à Londres pour quelques jours. Il y a des choses dont j’ai besoin qu’on ne trouve qu’ici. »

Elle prit un air faussement mystérieux et sourit.

« Tu n’es pas un peu jeune pour travailler ici ? »

Elle se gratta à nouveaux le menton, baissa les yeux et dit tout bas, en articulant à peine :

« J’espère qu’on n’exploite pas les enfants dans ce pub… je n’aurais jamais cru la propriétaire capable d’une telle chose… Je devrais peut-être prévenir les autorités… »

« Mais bien sûr ! C’est Sophie Lunera, grande admiratrice de l’Opalœil des Antipodes ! »

Sophie acquiesça tout en rigolant. C'est vrai qu'elle lui avait dit que son dragon préféré était l’Opalœil des Antipodes mais elle ne pensait pas qu'elle s'en souviendrait. Elle avait dû parler à pas mal d'autres élèves et quelques temps s'étaient écoulés depuis. La dragonologiste avait une très bonne mémoire.

« Je suis de passage à Londres pour quelques jours. Il y a des choses dont j’ai besoin qu’on ne trouve qu’ici. »

Elle comprenait très bien. Même si elle ne savait pas de quoi elle avait besoin, Sophie savait que à Londres on trouvait souvent des choses peu communes donc ce n'était pas une surprise qu'elle se soit dirigée par ici.

« Tu n’es pas un peu jeune pour travailler ici ? Puis elle continua en chuchotant J’espère qu’on n’exploite pas les enfants dans ce pub… je n’aurais jamais cru la propriétaire capable d’une telle chose… Je devrais peut-être prévenir les autorités… »

Sophie ne put se retenir d'éclater de rire. Mais ce n'était en rien un rire moqueur. Cela paraissait totalement absurde lorsqu'on connaissait Sara de penser qu'elle pourrait exploiter des enfants alors l'entendre de la bouche de quelqu'un ! Elle s'empressa de lui répondre.

« Je ne suis pas du tout exploitée ! Je suis ici pendant les toutes les grandes vacances et je m'ennuyait donc j'ai demandé à Sara qui est la patronne si je pouvais l'aider et elle a accepté. Elle est vraiment très sympa. »

C'est vrai qu'elle devait beaucoup à Sara. Elle était d'une gentillesse exceptionnelle.

Sophie regarda la dragonologiste. Elle se rendit compte qu'elle ne connaissait même pas son prénom ! Elle avait faillit l'appeler "Madame" mais elle se souvenait que la dernière fois, elle n'avait pas apprécié. Alors elle prit son courage à deux mains et demanda.

« En fait, nous avions un peu parlé mais je ne connais pas votre ... ton nom. »

La rectification vint toute seule. Si elle n'aimait pas être appelée "Madame", elle préférait surement le tutoiement. Et puis cela paraissait plus simple.

Sophie adorait parler avec elle mais elle était surement venue pour boire quelque chose. Alors quand elle l'avait reconnut, Sophie avait empêché la jeune femme de lui dire son choix.

« Mais du coup je t'ai coupé dans ton élan. Tu voulais commander quelque chose ? »

Max fut étonnée par le choix de destination de vacances de la jeune fille : quand même, le Chaudron Baveur, c’est étrange ! Il n’y a pas la mer, ni rien, et en général c’est ce que les enfants préfèrent. Il fallait croire que Sophie Lunera avait d’autres centres d’intérêt. Peut-être qu’elle aussi aimait écouter les conversations des sorciers explorateurs. Quant à savoir si Sara Jenkins était ou non très sympa, elle n’en savait trop rien, mais elle fut rassurée d’apprendre qu’elle n’exploitait pas les enfants (elle n’avait pas la gueule de l’emploi, mais on est parfois surpris par ce que font les gens dans le secret…).

Elle fut aussi surprise par le tutoiement soudain mais trouva cela plutôt attachant et se redressa, toute fière de ne pas être considérée comme une adulte-terrible-qu’il-faut-vouvoyer-attention. Elle avait un super contact avec les jeunes (parce qu’elle n’était pas si vieille que ça). Elle se prit facilement au jeu de la jeune toute pimpante et décontract’ et dit :

« Maxine Paulson, mais tout le monde m’appelle Max. Et ouais, je vais prendre une Licorne et puis un sandwich pain de campagne, citrouille, cornichons et chantilly, s’il te plaît. »

Max avait l’habitude de manger n’importe quoi, de faire les mélanges les plus bizarres, et qu’il soit dix heures du matin ou minuit, c’était pareil, et l’alcool au réveil ne lui posait aucun problème. Elle se considérait assez comme une guerrière des expérimentations culinaires, prête à découvrir des choses extraordinaires dans les mélanges les plus… exotiques.

« Je blague pas, précisa-t-elle. »

Elle lança à n’importe qui un regard de défi, l’air de dire : « regardez un peu ce que j’ai commandé, bande de nazes, et essayez de faire mieux ! », mais personne n’avait fait attention à ce qu’elle avait commandé. En reportant son attention sur Sophie, elle dit :

« Je suis sûre que ce sera top, et tu pourras goûter. Enfin pas la Licorne, je ne veux pas de problèmes. »

« Maxine Paulson, mais tout le monde m’appelle Max. Et ouais, je vais prendre une Licorne et puis un sandwich pain de campagne, citrouille, cornichons et chantilly, s’il te plaît. »

Sophie prit note de la commande tout en fronçant légèrement les sourcils quelques micro-secondes à l'annonce du contenu du sandwich. Déjà que la Licorne n'était pas une boisson commune mais la boire avec ce plat semblait pour la jeune fille quelque chose d'impensable. Peut-être la faisait-elle marcher ?

« Je blague pas, précisa-t-elle. »

Et bien ses doutes étaient effacés. Elle allait tourner les talons pour chercher la commande mais Max continua sur sa lancée.

« Je suis sûre que ce sera top, et tu pourras goûter. Enfin pas la Licorne, je ne veux pas de problèmes. »

Sophie sourit face à la jeune femme. Elle appréciait beaucoup sa compagnie et son attitude assez atypique qui lui donnait un côté différent. Sentant que c'était le moment, elle prit la direction des cuisines et revint très vite avec la boisson composée de rhum, de bacon haché, de bave de crapaud, de poils de licornes. L'étrange mélange ayant fermenté dans de l'eau de vie. Et dans l'autre main elle tenait l'assiette portant le plat. Elle ne put résister à l'envie d'exprimer ses craintes.

« Tu es vraiment sûre du choix des ingrédients ? Parce que ce n'est pas ce que j'aurais choisi en premier. »

La mine dubitative de la rouge et or devait être drôle à voir de l'extérieur. Mais elle n'arrivait vraiment pas à accepter le fait que cela soit comestible, et surtout pas bon. Mais une fois la réponse eue, elle changea radicalement de sujet, préférant en apprendre plus sur le métier qu’exerçait Max plutôt que sur la teneur de son sandwich.

« Où se situe ta réserve ? »

Elle était très curieuse de savoir où vivait et travaillait Max. Sophie savait qu'il en existait une en Roumanie, qui était il lui semblait la plus grande du monde, mais il était possible qu'il en existe d'autres en Europe où puisse travailler la dragonologiste. Elle était d'ailleurs curieuse de savoir où elles se situaient et si elles avaient une spécificité.

Maxine attendit sa commande la tête haute, fière de se livrer à cette nouvelle expérience. Lorsque la petite revint avec sa boisson et son sandwich, Max se frotta les mains et fit un grand sourire. « Super, super, super… » murmura-t-elle, les yeux rivés vers son sandwich qui se cassait un peu la tronche. Elle joignit ses mains comme une japonaise, s’inclina devant ce qui lui était servi et se redressa en prenant une grande inspiration. Sophie Lunera, elle, avait l’air un peu perplexe.

« Mais oui, mais oui, ce sera bon. »

Et elle croqua dans son sandwich à pleines dents pour prouver qu’elle n’avait absolument aucune appréhension. La chantilly débordait sur le côté, un cornichon se faisait la malle, et elle était à peu près sûre de s’en être mis partout. Elle prit alors une grande gorgée de sa Licorne et reposa le verre bien fort sur la table, comme un vrai bonhomme, quoi. « Aaah. » Il fallait bien le dire, ça arrachait. Max était même sûre qu’avec un mélange pareil, on pourrait réveiller les morts. Elle secoua un peu la tête : brrr ! l’arrière-goût de bacon était terrible. Elle s’en remit dignement, comme si ce n’était pas si dingue que cela, et répondit à la jeune fille :

« Dans les Hébrides. La réserve qu’on a reconstitué à Poudlard, c’est la mienne. Enfin, celle où je travaille. Qu’est-ce que tu as pensé des dragons ? C’était bien fait, non ? Même moi, j’y aurais cru. »

Elle croqua à nouveau dans son sandwich en pensant aux efforts qui avaient été déployés pour produire ces illusions de dragons, si réalistes, et elle s’essuya la bouche dans une serviette en papier trop fine. Ah, Poudlard.

Max balaya ses craintes d'une simple phrase et commença son repas par quelque chose d'étrange, qui la laissa perplexe. Mais la jeune fille ne dit rien, se contentant d'observer le personnage atypique qui se trouvait devant elle. Elle ne savait pas pourquoi, mais il y avait une sorte de je-ne-sais-quoi qui lui faisait apprécier malgré tout le caractère de la femme qui se trouvait devant elle.

Après une bouchée de son sandwich -- si l'on pouvait encore appeler ça comme ça -- elle prit le temps de répondre à sa question.

« Dans les Hébrides. La réserve qu’on a reconstitué à Poudlard, c’est la mienne. Enfin, celle où je travaille. Qu’est-ce que tu as pensé des dragons ? C’était bien fait, non ? Même moi, j’y aurais cru. »

C'est vrai qu'elle gardait un très bon souvenir de cette journée qu'elle avait passé quand elle était en première année. Elle avait vraiment pensé que c'était de vrais dragons qui volaient au dessus d'eux, jusqu'au moment où elle avait posé la question et où on lui avait répondu que ce n'était évidemment pas des vrais vu la dangerosité de ces créatures.

Mais même en le sachant, elle avait eu du mal à voir des illusions tellement elles étaient réussies.

« J'y ai cru avant qu'on me dise que ce n'était pas vrai. C'était vraiment impressionnant de les voir voler au dessus de nous ! Ils avaient même un ombre ! J'ai vraiment adoré cette journée. »

Le fait d'y repenser lui avait remis des étoiles dans les yeux. Elle pensait tout ce qu'elle venait de dire.

Mais Sophie n'avait pas vraiment un bon niveau en tout ce qu touchait à la géographie. L'indication qu'elle lui avait donné ne l'avait aidé en rien. Alors elle redemanda, parce que c'était quand même bête de savoir sans comprendre, surtout quand cette information l’intéressait vraiment.

« C'est loin les Hybrides ? Parce que moi et la géographie ... »