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27 janv. 2018, 17:48
L'aiguille tourne.
Eadric lâcha un soupir qui se transforma en un rot sonore. Il n’avait guère cure du peu de politesse de l’acte : car personne ne pouvait l’avoir entendu. Le Chaudron était vide. Il n’y avait que son patron, à moitié affalé sur le comptoir, le visage épuisé posé contre le bois, une bouteille de rhum vide dans sa main droite, et un drôle d’objet cliquetant dans l’autre, gauche. Il avait… encore… trop bu. L’alcool lui alourdissait la tête, le forçant à la poser quelque part, comme il le faisait actuellement avec le comptoir. Les fenêtres tamisées qui laissaient d’habitude filtrer la lumière, naturelle ou électrique, de Charing Cross Road étaient cachées par des rideaux : la pièce principale était seulement éclairée par une petite lampe discrètement fixée sur le mur où étaient rangées les bouteilles.

Les chaises étaient toutes montées sur les tables, le sol, parfaitement propre. Les tabliers gris des deux serveurs, Callum et Francesca, ainsi que le bleu de Joanna, la petite dernière, étaient accrochés sur les porte-manteaux prévus à cet effet. Celui d’Eadric, d’un blanc immaculé, était roulé en boule, au sol. Rien ne venait troubler le silence, sinon deux choses : la respiration lourde du vieillard, entrecoupée par des toux extrêmement bruyantes, des rots et autre bruits fort peu agréables à l’audition, et le tic-tic-tic de l’objet qu’Eadric serrait dans son poing. Le dernier des clients était parti il y a plus d’une heure, à présent. Enfin tranquille, le propriétaire des lieux avait pu laisser libre cours à sa toute dernière occupation en date depuis la fin de son procès : la consommation abusive d’alcool.

Il n’y avait pas un jour sans que le vieil homme barbu ne pense à ce procès. Le discours… Le verdict… Le public… La tête du juge lui revenant sans cesse dans l’esprit…

Lorsque son visage apparut à nouveau à cette simple pensée, il se releva avec rage et lança la bouteille vide contre le mur en face de lui, comme s'il s'agissait de ce gamin qui l'avait contemplé de haut. Le verre vola en éclat dans la salle. Il plongea ensuite la main dans sa poche pour attraper sa baguette et déchaîner sa colère autour de lui. Mais la réalité le rattrapa. Il n’avait plus de baguette.

Eadric ressortit lentement sa main de sa poche et attrapa, encore tremblant, une autre bouteille. Dix ans d’âge, soixante-dix centilitres, quarante-cinq degrés. Origine : Sainte-Lucie. Du rhum.

« Juste ce qu’il me fallait… » murmura l’homme en portant le goulot à sa bouche.

D’un coup de dent, il arracha le bouchon de bois qui retenait le liquide ambré à l’intérieur et avala le contenu de la bouteille en quelques gorgées. Puis il se laissa retomber sur le comptoir, chancelant. La boisson lui brûlait la langue, la gorge, la trachée, l’estomac ; mais il n’en avait pas non plus cure. Tout ce qu’il devait faire, c’était se faire du mal. Pour tomber ensuite d’épuisement dans un sommeil noir, sombre, dépourvu de tout rêve. Il ne voulait plus rêver.

Depuis la trahison du Magenmagot et de toute la communauté magique, depuis la confiscation de sa baguette, depuis qu’il n’était plus un sorcier à part entière, il avait pris conscience d’une chose : il était vieux. C’était une réalité qu’il avait toujours repoussée jusque-là. Eadric Sturrlock, à la vie bien remplie, mais qui refusait pourtant d’accepter la fatalité de la vie, était-il réellement aux portes de la mort ? Son corps le lâchait petit à petit. Dernièrement, il s’était découvert une difficulté à exécuter certains mouvements à l’aide de sa jambe gauche. Ses poumons étaient au plus mal. Mais… il aurait pu supporter tout cela si son cerveau n’était pas devenu incontrôlable durant le sommeil.

Il y avait eu comme un déclic à l’intérieur de son crâne lorsqu’il avait réalisé l’état de sa condition. Et depuis, il était assailli de toutes parts par des visions de ses souvenirs. Des choses qu’il pensait enfouies dans sa mémoire refaisaient sans cesse surface, ne lui accordant jamais un moment de répit.

Le seul moyen qu’il avait trouvé de contrer ses visions, était de boire. Encore, encore, plus, et toujours. Boire jusqu’à tomber dans le sommeil.

Non, pas le sommeil. L’inconscience.

Il sentit ce picotement si familier à l’arrière du crâne. L’évanouissement était proche. Il sortit de derrière le comptoir, disparut de la grande salle à manger du Chaudron et commença à monter les escaliers qui menaient vers sa propre chambre.

La faiblesse frappa sans prévenir.

Eadric s’écroula dans l’escalier, et ne chercha même pas à se relever. Les bras de Morphée s’enroulaient doucement autour de lui… Doux… Confortables… Comme les bras de sa conjointe qui l’avait quitté il y a longtemps… Sa vision... devenait plus sombre...

Le vieil homme ouvrit alors le poing. La petite montre à gousset qu’il tenait attachée à son bras par une chaîne attachée à un bracelet cliquetait bruyamment. Il appuya sur le petit bouton au-dessus du cadran pour l’ouvrir. Il voulait voir la photo à l’intérieur. Mais il sombra dans le sommeil avant d'avoir pu accomplir son but.

Sa dernière pensée fut de se dire qu’il n’avait pas assez bu.

28 janv. 2018, 20:05
L'aiguille tourne.
1er septembre 1990, école de sorcellerie Poudlard, quelque part en Ecosse.


Reducio
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« Alors c’est ça Poudlard ? » demanda une voix de garçon dans la barque alors que les élèves approchaient le château, emmenés par le garde-chasse répondant au nom de Hagrid.

« Tout à fait. Notre nouvelle maison. C’est tellement grand ! » répondit une autre, féminine celle-là.

Eadric renifla de désintérêt et se frotta les mains. Le peu d’envie qu’il avait témoigné envers l’école s’était envolé dès qu’il avait vu le nombre d’autres premières années. Des enfants de son âge, tous excités à l’idée d’entrer dans l’une des quatre maisons et de devenir des sorciers accomplis. Lui aussi était content à l’idée de faire usage de sa toute nouvelle baguette ; mais il aurait préféré faire son apprentissage chez lui, auprès de ses parents et de sa sœur, et surtout, loin de son frère, Geralt, qui était lui à Poudlard depuis trois ans déjà.

Il se pencha par-dessus bord et regarda son propre reflet dans l’eau. Ses cheveux bouclés, d’un noir sombre, se confondaient avec la surface ténébreuse du lac, qui était seulement éclairée par la pleine lune. Seul son visage d’enfant apparaissait, révélant des yeux méfiants, un nez quelque peu déplacé, et un bleu sur sa joue droite, infligé par Geralt il y a de cela quelques jours. Fidèle à lui-même, Eadric avait su répliquer par un remarquable coup de poing qui avait lui aussi laissé sa trace sur la hanche de son frère. Œil pour œil, dent pour dent. Telle était la règle lorsque vous aviez Geralt Sturrlock comme frère.

Lorsque les autres enfants avaient vu arriver le gamin renfrogné à l’air taciturne qu’était Eadric, ils s’étaient écartés et ne lui avaient pas adressé la parole. Tant mieux. Le garçon n’avait besoin de rien, ni, surtout, de personne. Ce fut alors qu’il entendit une voix derrière lui. La première fois qu’on lui parlait.

« Te penche pas comme ça ! Tu vas tomber. »

Eadric grommela quelque chose d’inaudible en guise de réponse. Qui était-il pour lui donner des ordres ?

« Laisse-le. Il n’a pas l’air d’être de bonne humeur. Il n’a même pas regardé le château. » répondit la fille.

« Ouais, laisse-moi. » confirma le garçon aux cheveux noirs.

« Si tu tombes, je n’irai pas te chercher ! » le prévint le premier en replaçant son regard sur les hautes tours du château.

*La vision du rêve se floute, le lac disparaît. Eadric se retrouve à présent dans la Grande Salle, entouré des autres premières années.*


Avec un nom de famille commençant par la lettre S, Eadric fut dans les derniers à être appelés lors de la cérémonie de répartition. Il ne tenait pas à s’approcher près de cette vieille dame avec une drôle de paire de lunettes qui semblait plus sévère encore qu’une grand-mère à qui vous auriez volé son dentier. Le jeune garçon en profitait pour jeter des regards autour de lui. S’il avait été quelque peu sceptique en arrivant devant le château, il devait reconnaître que la dénommée Grande Salle avait un certain charme. Les élèves plus âgés étaient tous attablés aux places attribuées à leurs maisons respectives, attendant que les premières années soient tous envoyés dans une maison. Les bannières aux emblèmes 

Les yeux d’Eadric s’attardèrent sur une paire de jumeaux aux cheveux roux, attablés à la table de Gryffondor : mais il n’eut pas le temps de les contempler plus longtemps. La vieille aux lunettes l’appela.

« Sturrlock, Eadric. »

Il s’avança d’un pas décidé vers la chaise et s’assit sans un mot. Tous les yeux étaient tournés vers lui. Il sentit le Choixpeau lui être enfoncé sur le crâne. Une voix résonna alors dans son esprit.

*Sturrlock… Je me rappelle de ton frère. Tu es moins tête brûlée que lui. Mais tout aussi rusé. Intelligent. Et surtout… déterminé. Oh oui, pour toi non plus, la question ne se pose pas...*

L’objet cria alors :

« SERPENTARD ! »

Eadric attendit que le professeur McGonagall retire le Choixpeau de sa tête, puis il alla s’asseoir à la table des verts et argents, qui applaudissaient à tout rompre. Il croisa alors le sourire de Geralt, assis au fond de la salle. Un sourire sérieusement méchant.

Il lui rendit son expression et s’assit à côté de ceux qui seraient désormais ses camarades de maison.

03 févr. 2018, 12:47
L'aiguille tourne.
3 août 1997, Broughton West, Cumbria, Angleterre. 


« Vous avez entendu cette histoire ? On raconte que le ministre de la magie a été tué. Pourtant, tout le monde là-bas s'évertue à dire qu'il a simplement démissionné. »

« Je crois que nous ferions mieux de ne pas en parler, Pierrick. » répondit Thérésa en portant son verre à ses lèvres. 

« Je me disais juste que ça expliquait bien des choses. »

La petite famille Sturrlock était assise à table, presque au complet. Thérésa et Pierrick, les parents, étaient assis d'un côté de la table ; Eadric et sa sœur, Rye, se trouvaient à l'autre. Seule la chaise de Geralt était vide, en bout de table. Si Thérésa tenait tant à éviter le sujet, c'était parce que la chute du ministère relançait le souvenir de l'enfant absent à table, dont on disait qu'il avait rejoint certaines personnes peu recommandables.

Eadric touchait du bout de la fourchette le morceau de viande posé dans son assiette, l'air maussade. Il avait les pensées obnubilées par son frère. Ils n'avaient plus entendu parler de lui depuis le début du mois de juin, or, cette subite disparition signifiait deux choses. Soit leur cher Geralt avait été tué, et dans ce cas, Eadric se ferait un plaisir d'organiser une fête pour célébrer son décès, soit, et cela était l'idée plus inquiétante, il avait rejoint l'autre côté. C'était hautement improbable, pour ne pas dire purement impossible, que Geralt soit obligé de se cacher comme un 'gentil' ; car il n'en était tout simplement pas un. 

Rye toucha doucement du coude Eadric, lui adressant un regard qu'il connaissait bien : il termina alors de manger en vitesse et descendit de table sans un mot, suivi par sa petite sœur. Alors qu'ils allaient monter à l'étage pour avoir l'une de ces discussions dignes de ce nom, on frappa à la porte.

Tous les Sturrlock arrêtèrent brusquement leurs mouvements : Pierrick et Thérésa reposèrent la vaisselle qu'ils avaient dans les mains, Rye, déjà à l'étage, se pencha par-dessus la rambarde pour avoir vue sur la porte d'entrée. Eadric, quand à lui, lâcha la rampe et sortit de sa poche la petite montre à gousset que ses parents lui avaient offerts, suivant la tradition, lors de ses dix-sept ans. Midi et trente-sept minutes. Ils n'attendaient personne, et encore moins lors d'un repas. Repas, qui, de plus, venait de se terminer. Eadric, gardant sa montre en main, descendit les quelques escaliers qu'il avait montés et alla ouvrir la porte.

Lorsqu'il reconnut le visage qui se tenait devant l'entrée, ses craintes se confirmèrent.

C'était Geralt. Il avait le visage grave, les yeux dépossédés de toute chaleur. Il sentait la transpiration et ses cheveux étaient gras. En guise de salutations, il offrit à Eadric un souffle d'haleine puante, qui riposta en le poussant de ses deux mains.

« Qu'est-ce que tu viens faire ici ? »

« Saluer ma très chère famille, voyons, mon frère. Me retirerais-tu ce plaisir ? » répondit l'aîné avec une pointe de sarcasme non dissimulée.

Il s'avança à nouveau, mais Eadric ne bougea pas d'un poil : il força Geralt à faire un détour pour passer derrière la porte d'entrée.

Le fils qui il y a dix minutes était encore porté disparu alla s'asseoir à table, sans même dire bonjour à ses deux parents qui le regardaient avec un air inquiet. Eadric s'avança dans la pièce, mais n'imita pas Geralt. Il se tenait debout, stoïque, attendant que quelque chose de plus intéressant se profile. Une minute passa, puis une autre. Enfin, après un long silence où chacun attendait un signal de l'autre, Eadric prit l'initiative.

« Et qu'attends-tu pour saluer ta très chère famille ? »

« J'attends que vous vous débarrassiez de ce regard accusateur et me témoigniez un peu plus de respect. »

« Du respect ? Tu te pointes ainsi, après nous avoir ignorés pendant tout ce temps, et tu attends que nous te témoignons du respect ? T'es taré. »

« Peut-être bien. J'ai sommeil. »

Et, sans un mot de plus, il quitta la table et monta l'escalier pour aller dans sa chambre, laissant sa famille dans l'ignorance et l'incompréhension la plus totale.

*La vision du rêve se floute. Eadric est maintenant en face avec son frère, dans le petit jardin à l'arrière de la maison.
Le soleil se couche à peine.*


Après le repas du soir, qui s'était déroulé dans une ambiance plus que morbide, Eadric avait attiré son frère au-dehors, loin des regards et des oreilles des trois autres habitants de la maison. Il avait remarqué quelque chose chez son frère qui l'avait hautement dérangé ; et il voulait en avoir le cœur net.

« Un problème, petit frère ? » finit par dire Geralt. 

« Remonte ta manche. »

« Hein ? »

Eadric ne prit pas la peine de répéter, car il savait très bien que Geralt l'avait entendu. Celui-ci esquissa alors un pas de côté ; Eadric avait à peine eu le temps de plonger la main dans sa poche pour attraper sa baguette que le poing de Geralt l'atteignait. Il fut projeté contre le mur d'une petite cabane en bois et resta là, immobile, regardant son frère avec une haine nouvelle. Son aîné s'approcha de lui.

« Il y a quelque chose que tu voudrais voir sur mon bras petit frère ? »

Il remonta sa manche.

« Une certaine marque ? »

Il y avait en effet un dessin sur l'avant-bras de Geralt. Une tête de mort enlacée par un serpent. N'importe quelle personne qui ne connaissait pas le frère d'Eadric aurait pris ses jambes à son cou en voyant un tel symbole.

Eadric, lui, savait que Geralt était trop mauvais, dans n'importe quel domaine pour même pouvoir prétendre au rang de disciple de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. 

Sortant sa baguette avant que son frère ne s'en rende compte, Eadric s'écria :

« Aguamenti ! »

Un jet d'eau jaillit de sa baguette noire et vint éclabousser le bras de son frère. Lorsque l'eau disparut, la marque dégoulinait, ne ressemblant plus à présent qu'à une simple masse d'encre. Eadric éclata d'un rire franc, mais douloureux, à cause de l'impact encore vif de la frappe de son grand frère.

« Un tatouage à l'eau... putain, t'es pitoyable, Geralt, pitoyable. Il ne serait pas très content d'apprendre que certains se font passer pour certains de ses fidèles, je me trompe ? »

Le visage de son grand frère avait pris une couleur rouge, ce qui ne faisait qu'accentuer l'hilarité d'Eadric. Il s'approcha un peu plus près de lui et marmonna entre ses dents :

« Ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle ne soit permanente. J'étais revenu pour toi, Eadric. Mais je me suis trompé. »

Et après lui avoir adressé un dernier coup de pied au niveau de l'estomac, il transplana dans un craquement et disparut.