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09 août 2018, 02:40
Le Silence est d'Or. Vraiment ?  PV 

Emy, Onze ans


Je ne savais pas exactement quelle réponse attendre à ma question. Je n'étais même pas certaine qu'elle ait eu un préféré. Solwen n'en avait jamais. Ou plus précisément tous mes dessins étaient ses préférés, chacun pour une raison différente, chacun pour un détail, une atmosphère qui rendait ce dessin unique, différent de tous les autres. Le haussement d'épaule de Lyn me fit comprendre que comme Elle, elle avait du mal à en choisir un seul. C'était une question qui demandait de la réflexion après tout, je n'étais pas vraiment étonnée par sa réaction. Il fallait avoir tous les dessins en tête pour les comparer, et ressentir celui qui nous transmettait le plus d'émotions. Pour moi, c'était sans doute aucun celui à l'aquarelle représentant le parc en Automne, mon tout premier dessin de ce carnet auquel j'avais apporté de la couleur. Tout en lui en faisait mon préféré. Il était la première explosion colorée de mon carnet, quittant le monde noir et blanc qui habitait auparavant les feuilles de papier. Mais surtout, il représentait ma saison favorite dans son apogée. Souvent par Automne les gens entendent "retour du froid", "pluie", "fin de l'été", "feuilles qui tombent partout à balayer". Mais pourtant, ça n'est pas que ça, c'est aussi une myriade de couleurs chaudes éclatantes, des arbres semblables à des boules de feu lorsque le soleil les éclaire à son déclin, un tapis de feuilles recouvrant le sol. L'Automne est une saison réellement magique et chaleureuse, lorsque l'on cesse d'être négatif, de dire que les feuilles partout c'est chiant. Il suffit de regarder. Moi je n'ai que ça à faire de ma vie, regarder, pour ensuite reproduire avec un crayon, un pastel ou un pinceau dès que j'ai un moment. Mais j'ai l'impression que les adultes ne prennent plus le temps d'admirer la nature, ils ne s'extasient plus devant rien. Quand il y a des feuilles dans les allées, la seule chose à laquelle ils pensent c'est au temps que ça va prendre pour les enlever. Et c'est pareil quand il neige. Je n'ai jamais vu un adulte sourire en voyant les premiers flocons tomber, se précipiter dehors pour les sentir sur sa peau, espérer qu'il en tombe suffisamment pour que ça tienne et qu'il puisse faire un bonhomme de neige ou des batailles de boules de neige. Non c'est toujours "Putain il y a de la neige, ça va être la plaie sur la route, je vais être en retard au boulot." Ça ne me donne pas envie de grandir.
Comme si elle avait lu dans mes pensées, Lyn tourna les pages du cahier pour retourner du côté des dessins, avant de s'arrêter sur l'aquarelle d'Automne. Pendant quelques instants elle la regarda sans rien dire, et je compris que ce devait être son dessin préféré, ce qu'elle confirma en me le montrant, son regard pointé sur moi. J'étais contente que nous ayons le même favori. Peut-être n'y avait-elle pas vu ce que j'y voyais, mais après tout c'est ça l'art, c'est avoir chacun une interprétation différente pour une même œuvre. Quoi qu'elle y ait vu, quelles que soient les émotions qu'elle ait ressenti en la regardant, ça avait été assez puissant pour qu'elle retienne cette aquarelle parmi tous les autres dessins. 
Elle laissa le carnet immobile quelques instants, quelques secondes durant lesquelles je laissai les couleurs me submerger une nouvelle fois, d'autant plus éclatantes que le monde qui les entourait était blanc, couvert de neige. Elle finit par saisir le crayon, puis après avoir laissé fuir quelques secondes supplémentaires, elle retourna à la fin, faisant danser une nouvelle fois la mine, transcrivant ses pensées. J'eus le droit à un nouveau compliment, puis elle confirma ce que j'avais pensé suite à son haussement d'épaules, son choix avait été compliqué. Mon regard se releva sur son miroir d'émotion. Il était fendu d'un sourire. Et tout d'un coup, mes lèvres se relevèrent pour l'imiter. Parce que j'étais contente d'avoir eu des compliments, parce que j'étais contente qu'elle soit là. Parce que ça faisait longtemps que je n'avais pas souri sincèrement. Parce que j'avais envie de sourire tout simplement. Et parce que cette sensation de bien-être au creux de mon ventre m'avait manquée.
Elle reposa le crayon sur notre feuille, et je le rattrapai tout de suite, sans réfléchir. Je ne savais même pas ce que j'allais lui répondre, mais pour une fois j'avais envie d'être sincère, d'arrêter de trop réfléchir. Depuis que j'étais arrivée à Poudlard je ne m'étais ouverte à personne, ni à mes camarades de classe, ni aux autres Poufsouffle. Je n'avais pas confiance en eux, je n'avais pas envie de me lier avec eux, ni même d'essayer, certaine qu'ils n'arriveraient pas à me comprendre, ni à dépasser l'obstacle de mon handicap. Les seuls endroits où je pouvais être moi-même, sans complexe, sans différence c'était dans mon carnet et dans ma tête, deux endroits assez peu fréquentés par les gens normalement. Et pour la première fois ça me manquait ce lien fort qu'on pouvait tisser avec certaines personnes. Si je m'étais rouverte à Solwen, nous aurions pu redevenir amies, presque sœurs, j'aurais connu Lyn plus tôt, et j'aurais pu avoir deux amies avec qui passer mon temps. Et à ce moment-là je me dit que j'ai été conne. Borné dans mon dégoût de moi-même, j'avais refusé que Solwen me pardonne. Je m'étais éloignée, et j'avais bien fait, je ne la méritais pas. Mais lorsqu'elle était revenue, j'aurais du l'accueillir à bras ouverts, heureuse qu'elle ne m'en veuille pas. J'aurais dû accepter de tirer un trait sur tout ça. Et au lieu de ça, je l'avais blessée, repoussée, et je nous avais fait du mal à toutes les deux. Et soudain j'en avais eu marre, ça ne pouvait plus durer comme ça. Je ne pouvais pas continuer à l'éviter à chaque fois que je la voyais, à refuser de lui parler, refuser de me pardonner. Je me rendis compte qu'elle me manquait vraiment, que j'avais besoin d'elle, de ses sourires et de sa gentillesse. 
Lorsque mes yeux redescendirent sur la feuille, je sus soudain exactement ce qu'il fallait que j'écrive. Je fis tourner mon crayon dans ma main, puis je le laissai danser sur le papier, dans une valse effrénée. Les mots se bousculaient sous ma plume, comme si ils avaient craint que je ne les trace pas. Mais j'étais bien décidée à poser ma question à Lyn, je ne comptais pas faire machine arrière, pas maintenant. Ça avait assez duré, il fallait que ça cesse. 
"Mon dessin favori est le même que le tien, sacré coïncidence n'est-ce pas ?C'était assez nul, mais je n'avais tracé ces mots que pour amener ceux qui allaient suivre. Je fis une pause, suspendant ma mine. J'inspirai, et écrivis la suite, un air curieux sur le visage et mes jambes se balançant, dans le vain espoir de diminuer le nœud qui se formait dans mon ventre. "Dis, tu connais Solwen n'est-ce pas ?"
Et voilà, c'était aussi simple que ça. Les dés étaient jetés, je ne pouvais plus faire demi-tour



Solwen


Après quelques heures passées à plancher sur mes devoirs et à réviser quelques contrôles qui approchaient, je décidai de sortir prendre l'air. J'avais bien avancé sur mon programme de révision, et je ne tenais pas à passer ma journée enfermée. Un peu de sérieux fait du bien, mais j'avais quand même besoin de faire autre chose, de m'aérer la tête, et surtout de passer du temps avec Lyn. Un coup d’œil à la fenêtre suffit à me convaincre que je trouverais ma meilleure amie dans le parc. J'étais certaine qu'elle n'avait pas su résister à l'appel de la neige. Je rangeai rapidement mes affaires dans mon sac que je balançai sur mon épaule, avant de me précipiter vers la sortie. Maintenant que j'avais décidé de me rendre dehors, j'en avais besoin, et vite. J'avais besoin de sentir l'air froid me brûler la gorge, d'entendre la neige crisser sous mes pieds. Je dévalai les escaliers un peu plus vite qu'il aurait été raisonnable de le faire, et je me retrouvai dehors en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Le parc était bondé d'élèves occupés à jouer avec la neige, que ça soit en batailles de boule, en construction de bonshommes, ou tout simplement en galipettes dans l'herbe enneigée. Nous étions loin de la blancheur immaculée qui couvrait le parc le matin même. Mais voir toute cette agitation avait quelque chose de plaisant, elle semblait dégager une impression d'harmonie. Cependant je n'étais pas là pour admirer les autres. Je fis un tour visuel du parc, sans réussir à distinguer Lyn. Je m'engageai donc sur le chemin, espérant la trouver sur un banc un peu à l'écart du bruit. 
Elle était en effet sur un banc à l'écart quand j'arrivais près d'elle. Mais elle n'était pas seule. Je reconnus tout de suite la silhouette vers laquelle elle était tournée. Je l'aurais reconnue entre mille. Emy. J'eus le souffle coupé. Pour la première fois depuis plusieurs mois, son visage n'était ni déformé par la colère, la tristesse, le regret ou la douleur. Non, il était déformé par un sourire. Ce sourire m'avait manqué.
Je vis Lyn écrire, puis tourner la feuille vers Emy. Feuille qui se révéla être un carnet. La blondinette s'en saisi et écrivit précipitamment dessus, après quelques hésitations, son sourire toujours ancré sur son visage. Je n'en revenais pas. Emy s'était complètement refermée depuis quelques temps, je le voyais. Et soudain elle se rouvrait, d'un coup, et laissait Lyn accéder à son carnet, allant même jusqu'à y prendre plaisir. Lui avait-elle également montré ses dessins ? Certainement. Mais qu'en avait pensé Lyn ? Est-ce qu'elle avait compris qui était la fille qui se tenait face à elle ? Est-ce que Emy avait compris elle aussi ? 
Je restai immobile au milieu du chemin, ne sachant plus quoi faire. Je voulais aller les voir, profiter de mon amie, retrouver Emy, la serrer contre moi, lui faire comprendre que je ne lui en voulais pas. Mais elle me fuyait. N'allait-elle pas également fuir si je m'approchais ? Surement que si. Elle n'était pas encore prête à me reparler. Et même si ça me faisait mal, je l'acceptais. Je ne voulais pas troubler leur moment, Emy semblait vraiment heureuse de passer ce moment avec Lyn, et si elle était contente alors je l'étais aussi. J'aurais juste aimé avoir la chance de les présenter l'une à l'autre, d'avoir été celle qui avait réussi à arracher à Emy ce premier sourire radieux depuis des mois. J'avais beau être infiniment contente de voir qu'elles s'entendaient à merveille toutes les deux, je continuais à sentir cette boule dans ma gorge. J'étais vraiment triste de ne pas pouvoir partager ce moment avec elles deux. J'avais envie de pleurer, à la fois de joie, de soulagement, mais aussi de tristesse. 
J'allais faire demi-tour, rejoindre le château, quand le regard d'Emy croisa le mien. Malgré la distance qui nous séparait, elle m'avait reconnue, j'en étais certaine. Et elle savait que je les avais vu. Voyant qu'elle continuait à sourire, même si ses lèvres s'étaient légèrement figées et crispées, j'hésitais à franchir les quelques pas qui nous séparaient. Mais il était surement trop tôt, je devais être patiente. Je laissais un sourire triste relever mes lèvres, puis je reculai d'un pas. J'écartais l'index et le majeur de ma main droite pour former un V horizontal, que j'abaissai. *A plus*. Puis je tournai les talons, retournant au château.
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"If your absence doesn't bother them, then your presence never mattered to them in the first place"
"C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.” Le Petit Prince

12 août 2018, 20:26
Le Silence est d'Or. Vraiment ?  PV 
Si c'était possible, le sourire d'Emy se fit plus grand encore. Il l'était tellement que c'était impossible de douter de sa sincérité, de sa spontanéité. Sourire et faire sourire. Deux sensations, plus que des actions. L'une réchauffait, l'autre gratifiait. Et les deux donnaient une sensation de fierté, une fierté non pas d'orgueil mais une fierté d'être heureux, de vivre le bonheur et de le donner. Lyn était fière, oui. Elle voyait bien qu'elle faisait plaisir à sa camarade, et elle-même se faisait plaisir. La petite italienne se demanda si Emy avait eu ce type de discussions avec beaucoup de gens ; au premier abord, elle avait eu l'air plutôt solitaire, mais n'était-ce pas également le cas de Lyn qui avait débarqué sans Solwen à ses côtés ? Et pourtant, elles étaient souvent - presque toujours ? - collées ensemble. Emy avait paru ouverte à se lier d'amitié avec une fille qu'elle ne connaissait pas quelques instants plus tôt, et si vite et avec tant de confiance que Lyn ne pouvait pas imaginer qu'elle n'ait pas d'autres amis. Et pourtant, l'aiglonne avait ce sentiment qui s'insinuait, et qui ne partait pas, celui d'être en quelque sorte "privilégiée". Elle se posait des questions, toutes plus insignifiantes les unes que les autres, des questions dont les réponses ne lui auraient pas été plus utiles les unes que les autres. Combien de personnes avaient vu ces dessins ? Combien avaient contribué à l'écriture de ces pages ? Combien s'étaient assis à côté d'Emy ? Lyn refoula ces questions le plus loin possible. Elle s'en fichait bien, des autres. Ce n'était pas une histoire de combien. Ce n'était pas une histoire de dessins, de communication manuscrite.
C'était une histoire qu'il fallait vivre, juste.
C'était une histoire de présent et de neige, d'Emy et de Lyn ce jour-là, c'était une histoire de sourire. C'était une histoire dont on ne voulait pas connaître la fin. C'était une histoire à laquelle on ne voulait pas de fin.

Emy avait vivement repris le crayon lorsque Lyn l'avait reposé, ce qui surprit et amusa cette dernière. Et attisait sa curiosité. Qu'avait-elle envie d'écrire, avec tant de hâte ? Mais ses mots ne vinrent pas tout de suite. Elle sembla réfléchir, peut-être hésiter ? Et alors, elle posa enfin le crayon sur le papier. Et commença à tracer, à toute vitesse.
Son dessin favori était le même, disait-elle. Oh. Sacrée coïncidence en effet, c'était exactement ce qui était venu à l'esprit de l'aiglonne en lisant le début. Elle était contente de partager cela avec Emy. Contente qu'Emy s'ouvre d'ell-même. La discussion filait naturellement, avec autant de fluidité qu'à l'oral. La différence était que seul l'essentiel était conservé. "Notre dessin." La pensée qui avait spontanément débarqué en Lyn la fit sourire, de naïveté, d'amusement et en même temps, par la vérité qu'il y avait là. Dès à présent, peut-être Emy penserait-elle à Lyn en regardant son dessin préféré. Peut-être s'amuserait-elle encore de cette coïncidence.
C'était vraiment plaisant et amusant, n'empêche. Cette discussion avait commencé par une question maladroite et un... malentendu, au sens propre. Et très vite, les deux fillettes s'étaient ouvertes l'une à l'autre ; et pourtant, que savaient-elles chacune ? Finalement, pas grand chose. Lyn n'avait confié que ses sentiments sur les dessins de sa camarade. Aucune n'avait réellement parlé d'elle, mais le courant était passé très vite, sans qu'il soit nécessaire de s'étendre sur les présentations. Elles auraient tout aussi bien pu ne pas se donner leurs prénoms, aurait-ce changé grand chose ? Cela ajoutait juste la connaissance d'une information. Mais c'était tout de même satisfaisant de se dire qu'elle pourrait associer un nom à ce visage, et un visage à ce nom.
Lyn s'attendait à ce que la fillette lui repasse son crayon pour lui permettre d'écrire sa réponse - bien que le sourire que la Deuxième année lui avait adressé soit suffisamment explicite quant à sa réaction sur ces mots tracés - mais visiblement, elle s'apprêtait à continuer. Les mots vinrent. "Dis". Cela devait annoncer une question. "Tu connais"... le regard de Lyn se fit plus intense, son visage légèrement penché vers le carnet. Qu'est-ce qui allait poindre ? Pendant le court instant où rien ne suivait encore, Lyn imagina toute sorte de choses. Allait-elle lui parler d'un livre, d'un tableau, d'un peintre ? S majuscule. Nom propre ; une ville, une personne ? La réponse arriva en une seconde à peine.
Solwen.
Si l'affaire des dessins était une belle coïncidence, celle-ci l'était d'autant plus. Impossible qu'elle parle d'une autre Solwen, même si ça avait été un prénom courant, le "n'est-ce pas" était clair : Emy le savait déjà, il ne pouvait s'agir que de cette Solwen. Lyn était surprise. Surprise, et intriguée. Il ne lui avait pas semblé les voir discuter, depuis le début de l'année. Peut-être à un moment comme celui-ci où Solwen et Lyn n'étaient pas ensemble. Lyn n'avait jamais entendu le nom d'Emy de la bouche de son amie, et voilà qu'elle lisait Solwen de la main de cette fillette qu'elle ne connaissait pas en se levant. Impossible de deviner d'où elles se connaissaient ; peut-être comme ça, tout simplement, en discutant sur un banc. Peut-être les mots de son amie figuraient-ils aussi dans ce carnet. Emy n'avait rien ajouté de plus.
L'aiglonne manifesta son air surpris par un léger haussement de sourcils, et répondit d'une voix claire par un "Oui". Elle ne savait pas vraiment quoi ajouter. Des milliards de questions naissaient et s'effaçaient, chacune balayée parce qu'elle avait moins d'intérêt qu'une autre. Enfin, elle supposait que la fillette l'éclairerait. Peut-être avait-elle posé sa question pour enchaîner, peut-être était-ce par pure curiosité et ça s'arrêterait là. En tout cas, Lyn en parlerait à son amie ; elle voulait savoir le pourquoi du comment. Pourquoi spécialement Solwen, alors que des dizaines d'écritures différentes semblaient parsemer ces pages ?
Lyn reprit le carnet et le crayon, sans savoir quoi dire. "Comment tu la connais ?" aurait été un peu brutal, mais sa curiosité était titillée. Elle réfléchit encore. Et elle sut ce qu'elle avait à écrire. Ce n'était pas à elle de poser la question, c'était à elle de répondre. Un "Oui" en l'air ne suffisait pas. On connaissait beaucoup de monde, mais qui pouvait donner un sens réel à "connaître" ? Lyn lui dirait qu'elle connaissait Solwen, qu'elle la connaissait au point de tout partager avec elle, ses journées et ses pensées, ses rires et ses délires. Enfin, peut-être ne lui dirait-elle pas de cette manière. Elle ferait simplement. Elle n'avait pas besoin d'écrire tout ce qu'était Solwen pour elle pour rendre ça plus vivant ; ce qu'elle ressentait suffisait.

Au moment où elle releva la tête vers Emy pour vérifier qu'elle ne l'avait pas trop fait attendre, elle la vit regarder au loin, le regard droit, et non pas baissé sur le carnet ou le crayon. Suivant son regard, Lyn aperçut une cascade de cheveux noirs, portée par une fillette dont la démarche n'échappa pas à l'aiglonne. Même de dos, il était impossible pour elle de se tromper. Solwen. Lyn baissa aussitôt le regard vers la feuille sur laquelle elle s'apprêtait à écrire encore une fois. Mais elle ne songeait plus à ce qu'elle allait écrire sur Solwen, elle songeait à ce qu'elle venait de voir d'elle. Elle était repartie en direction du château. Et Emy l'avait regardée. Solwen les avait-elle vues ? Elle savait que Lyn serait dans le parc ; elle y était venue ; et elle n'était pas allée jusqu'à elle.
Le regard perdu, dans le vague, Lyn était complètement immobile. Mais elle réfléchissait à toute vitesse, cherchant ce qui avait bien pu se passer. Rien ne lui venait. Juste une pensée. Une question, encore une question. Une question qui n'évoquait pas une quelconque colère, ou un ressentiment. Une question naïve, une question survenue spontanément, une sorte de conclusion à toutes ces interrogations qui affluaient et ne trouvaient pas de réponse. Pourquoi tu pars, Solwen ? Une question dont la réponse aurait sûrement apporté toutes les réponses depuis le début. Une question d'enfant, mais peut-être la plus logique en cet instant.

Reprenant ses esprits, Lyn secoua la tête. Il fallait qu'elle écrive un truc. Elle reprit son sourire, essayant de ne pas gâcher ce moment avec des interrogations floues dont elle aurait peut-être la réponse plus tard.
"C'est ma meilleure amie à Poudlard." Elle hésita. Demander pourquoi, ou demander ce qu'il en était pour Emy ? Elle reprit, écrivant sans vraiment faire attention. "Sacrée coïncidence aussi ! Je ne pensais pas que tu la connaissais." Elle avait opté pour la manière enjouée de manifester sa surprise, et une question indirecte. Ainsi, libre à Emy de choisir ce qu'elle en ferait. Lyn ne forçait à aucune réponse. Et pourtant, pour le moment, c'était un océan de questions sans réponses dans lequel elle avait plongé.
Elle était submergée. Submergée, mais elle savait qu'elle n'avait pas à s'en faire. Solwen était son amie, Lyn lui faisait confiance.
Lyn ne fit pas d'extrapolation sur ce qui pouvait bien se passer plus tard. Elle repensa au sourire d'Emy, si lumineux, et sourit à nouveau. Submergée, mais heureuse.

“C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.” - Le Petit Prince, St Exupéry

17 août 2018, 21:03
Le Silence est d'Or. Vraiment ?  PV 

Emy, Onze ans



Ma question suscita l'étonnement chez Lyn. Dès les premiers mots, elle s'était approché de la feuille. Et lorsque le nom de Solwen avait franchi ma mine, j'avais lu la surprise dans ces yeux. Elle finit par hausser les sourcils, et je lus sa confirmation sur ses lèvres. Ainsi je ne m'étais pas trompée. A vrai dire ça aurait pu facilement être le cas, mais j'aurais eu l'air bête si elle n'était pas la Lyn de Solwen, étant donné que ma question était quasiment une affirmation.. Elle n'avait évoqué son amie que dans quelques hiboux, vu que nous ne nous étions pas reparlé depuis notre dispute. Hiboux auxquels je n'avais jamais répondu, et auxquels je n'avais porté qu'une faible attention, ne les lisant en diagonale que pour apaiser ma conscience. Il aurait donc été facile que je me sois trompée dans le prénom de celle qu'elle qualifiait comme sa "meilleure amie chez les sorciers". A l'époque cette phrase m'avait fait mal, j'avais été remplacée si vite que c'en était douloureux. Mais maintenant je comprenais. Lyn était vraiment adorable, il me semblait impossible qu'on ne puisse pas l'apprécier. Et surtout pour Solwen je devais encore faire partie du monde des moldus, du monde d'avant quoi.
La jeune fille me reprit le carnet, mais sembla hésiter, le crayon en suspension dans sa main. Ne souhaitant pas me montrer trop pressante, je détournai le regard, m'absorbant dans la contemplation du parc. Mes yeux furent attiré par un mouvement derrière Lyn. Je les tournai dans cette direction. C'était une silhouette. Silhouette que j'aurais reconnu parmi des milliers, même de loin. Mon sourire se figea, tant j'étais stupéfaite de la voir. Elle me reconnut également, et s'immobilisa. D'habitude j'aurais été contente qu'elle s'arrête d'elle même. Mais pas maintenant. J'espérais que cette fois elle continuerait, qu'elle vienne nous retrouver. Mais je l'avais tellement repoussée qu'elle alla même jusqu'à reculer, son habituel sourire aux lèvres. Sauf que cette fois il était triste, et ne montait pas jusqu'à ses yeux. Je m'en voulais. J'allais lui faire signe de nous rejoindre, quand elle écarta son majeur et son index droits, pour former un V à la verticale qu'elle abaissa. Puis elle fit demi tour, d'un coup, sans se retourner. *Non, reviens !*  Pour un peu je me serais presque levée pour la rattraper en courant. Mais je ne le fis pas. Je ne pouvais pas abandonner Lyn. Je tournai la tête vers elle, dans l'espoir qu'elle ait fini d'écrire. Son regard surpris était fixé sur le point que mes yeux venaient de quitter. Solwen. Lyn devait avoir compris que notre amie nous avait vu, et avait fait demi tour, mais elle n'avait certainement pas la bonne raison en tête. Elle rebaissa le regard vers la feuille, toujours vierge de ses nouveaux mots. J'attendis. Son regard était fixe, elle ne bougeait pas. J'avais peur qu'elle ait été blessée par l'attitude de Solwen, pourtant tout ce qu'il y avait de plus logique. Elle secoua la tête, surement pour se tirer de ses pensées -je faisais pareil quand je m'enfonçais dans mon esprit, submergée par mes pensées, et que je souhaitais revenir à la surface d'un coup. Son sourire souleva une nouvelle fois ses commissures, et cette fois ci, elle se mit à écrire. Je me penchai légèrement vers elle, dans l'espoir de saisir ses mots dès qu'ils naîtraient du crayon. 
Je savais déjà qu'elle était sa meilleure amie à l'école, mais la voir confirmer me fit un sentiment bizarre. Un subtile mélange de tristesse, et de joie. J'étais contente que Solwen, pourtant si timide ait réussi à se lier d'un amitié si forte avec une fille comme Lyn. Elles revendiquaient chacune l'autre comme sa meilleure amie, je trouvais ce lien magnifique. Mais il l'était d'autant plus qu'elles ne se connaissaient même pas depuis un an, si je me souvenais bien. Solwen ne m'avait parlé d'elle que depuis le printemps dernier environ. Je ne me rappelais plus de tout, j'avais eu du mal à accepter qu'elle ait eu une nouvelle amie qui compte autant pour elle, mais je me souvenais que dès le début elle avait eu l'air de beaucoup l'apprécier. Maintenant je comprenais pourquoi. Lyn semblait pétillante, toujours de bonne humeur, et tolérante puisqu'elle n'avait pas eu de mouvement de recul quand je lui avais parlé de ma surdité. Une amie parfaite si on résume. *Pas comme moi* J'avais pensé que la jeune fille s'arrêterait après ces quelques mots, mais du coin de l’œil je vis que la danse de sa mine venait de recommencer. Elle nota la nouvelle coïncidence qui venait de pointer son nez, avant d'ajouter qu'elle ne pensait pas que je connaissais Solwen. Coup de poing. Est ce qu'elle m'en voulait au point de n'avoir parlé de moi à personne ? Ce n'était pas comme si j'avais mérité qu'elle m'évoque à vrai dire, mais je pensais que Lyn aurait au moins entendu mon prénom. Au moins elle avait pu se faire une idée de moi avant d'être au courant de ce que j'avais fait, au final ça n'était pas plus mal. Mais j'étais certaine qu'elle n'hésiterait pas à aller demander à Solwen d'où elle me connaissait, et là la vérité éclaterait. Il valait mieux que je lui explique moi même pourquoi Solwen avait fait demi-tour, pourquoi elle ne m'avait jamais évoquée, et pourquoi nous ne nous étions pas rencontrées avant. Je préférais être sincère. 
Une boule d'inquiétude au ventre, je lui pris le crayon des mains, les miennes tremblantes. La phrase de Lyn cachait une question, j'en étais sure. Elle avait envie de savoir d'où je la connaissais. Et j'avais prévu de lui répondre. Mais pourtant... N'allait-elle pas me détester pour ce que j'avais fait ? Ne risquais-je pas de perdre la seule personne avec qui j'avais pris plaisir à discuter depuis mon arrivée à Poudlard ? *De toute manière elle le saura, alors autant que ça vienne de toi.*  C'était une phrase typique de Solwen, et je savais qu'elle m'aurait dit exactement ça si elle avait été là, elle avait toujours préféré la sincérité au mensonge. Un jour elle m'avait d'ailleurs sorti une de ses nombreuses citations que j'avais précieusement notée dans mon carnet tant elle me plaisait : "Quand le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier. Elle met plus de temps, mais finit toujours par arriver". C'était le moment de l'appliquer. *Ferme les yeux, commence à écrire, ça sera plus facile après* Et c'est ce que je fis. Je baissai mes paupières, posai ma mine sur le papier, et commençai à tracer. Mon esprit continuait à se poser des milliers de questions qui me déstabilisaient, me faisaient douter de ma résolution. *Assume tes actes Emy* Je rouvris les yeux, et continuai à écrire. C'était trop tard pour reculer.
"Elle était aussi ma meilleure amie. Avant Poudlard." Pause. "Ma seule amie en fait. On s'est disputées juste avant son entrée en Première année. Je lui ai dit des choses horribles, terrifiée et hors de moi à l'idée de la perdre pendant un an. On ne s'est pas reparlées depuis." Nouvelle pause. "C'est pour ça qu'elle a fait demi-tour tout à l'heure. Je la repousse depuis plus d'un an, parce que j'ai honte de ce que j'ai fait, je m'en veux. Au début elle venait quand même, mais je la fuyais, puis au bout d'un moment elle a arrêté de m'approcher. C'est aussi pour ça qu'elle n'a pas dû te parler de moi." Et voilà, finit. Au final ça n'avait pas été aussi dur que je ne le pensais, les mots avaient coulés tous seuls. J'avais surement eu besoin d'en parler à quelqu'un. Je n'avais jamais autant écrit d'un coup sur mon carnet, et mon dieu ça m'avait fait un bien fou. Pourtant j'avais l'impression d'oublier quelques chose. J'avais beau chercher, je ne remettais pas le doigts dessus. Laissant tomber, je reposai mon crayon sur la feuille. Au moment où il commença à rouler, je me souvins. Je le rattrapai, et traçai de nouveaux mots, abîmés par la vitesse de ma mine. "Si je t'ai posé cette question, c'est parce que j'en ai marre de ce froid entre Solwen et moi, elle me manque. Je voudrais savoir si tu pourrais lui demander de me rejoindre ici demain s'il te plaît. Vers dix huit heures. Désolée de te demander ça, ne t'en sens pas obligée" Je reposai définitivement mon crayon, pivotai mes mots dans sa direction et détournai le regard vers les arbres couverts de neige qui nous entouraient. Je ne me sentais pas capable d'affronter son regard après ce que je venais de lui dire. D'habitude je l'aurais dévisagée, à la fois par défi et curiosité, mais là j'en étais incapable. Mes mains étaient alertes, le bout de mes doigts en contact avec le papier, attendant qu'elle reprenne mon carnet pour me répondre, mais mes yeux couraient d'un point à l'autre, témoins de mon stress grandissant. J'avais peur de sa réaction. Peur qu'elle dise non. J'avais peur tout court en fait.
Dernière modification par Solwen Estendle le 23 déc. 2018, 11:52, modifié 1 fois.

"If your absence doesn't bother them, then your presence never mattered to them in the first place"
"C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.” Le Petit Prince

25 août 2018, 18:16
Le Silence est d'Or. Vraiment ?  PV 
La surprise de Lyn demeura, mais la cause avait changé. Un instant plus tôt, elle s'étonnait de la question d'Emy. Sans compter qu'elle s'était posé des questions sur l'éloignement de Solwen. Non, à présent, sa surprise reposait sur autre chose : toute l'émotion d'Emy semblait être descendue de son visage à ses mains, d'un sourire à un tremblement. Un tremblement qui, s'il pouvait être dû au froid, ne l'était probablement pas. Enfin, ça aurait pu. Mais Lyn n'y croyait pas, sachant que ce n'était sûrement pas la première fois que la fillette dessinait dehors dans la fraîcheur de l'hiver, ou la fraîcheur tout court. Ce n'était pas un tremblement de quand on avait froid ; Lyn ne savait pas à quoi il était dû, mais pas au froid. Peu à peu, sa naïveté pragmatique s'estompait, et elle essayait de comprendre, de réfléchir, de saisir un sens plus profond à ce qui l'entourait. Exercice pas si simple, mais qu'elle appréciait de pratiquer en cet instant, où les mots étaient éliminés de la discussion. Pas de voix, alors des gestes. Des mouvements, des regards, un sourire. Un tremblement. Ce tremblement quand Emy reprit le crayon pour écrire, Lyn le percevait presque comme un tremblement dans la voix. Quelle voix, cependant, dur à dire. Lorsqu'elle lisait les mots d'Emy, une sorte de voix automatique, qui devait ressembler à celle de la petite italienne, se mettait en marche dans l'esprit de cette dernière. Elle aurait voulu entendre, même pour un mot, la voix de cette petite qui, bien que sourde, devait au moins pouvoir sortir un son.

Emy paraissait hésiter, encore. Elle ferma les yeux, se coupant un peu plus du monde. Que lui restait-il, sinon la sensation du froid et le parfum de la neige, le parfum de l'hiver ? Il lui restait du moins ce crayon qu'elle posa sur le papier, et avec lequel elle commença à écrire. Pas si coupée du monde que ça. Ce qui était rassurant, ce fut qu'elle rouvrit les yeux assez vite, préférant probablement être sûre de son tracé. Mais Lyn ne prêtait plus attention à ses yeux. Même sa main. Seuls comptaient les mots qui se traçaient là, comme si rien que le premier pouvait apporter une réponse à tout.
La première phrase était sensiblement la même que celle de Lyn, à ceci près qu'elle était au passé. Ce qui, en fait, changeait pas mal de choses. L'aiglonne se surprit à ressentir un léger malaise, comme si elle lui avait volé une amie, comme si elle avait remplacé Emy sans même y penser. Le "Avant Poudlard" renforça cette impression. Cette culpabilité. Pourtant, il y avait autre chose, elle le savait, le devinait. Cette pause qui suivit, ce n'était qu'une pause. Pas une fin. La réponse se déroulait, elle arrivait, et Emy se livrait, faisant se rejoindre en un même point les trois fillettes. Une histoire qui avait commencé bien plus tôt, et à laquelle Lyn s'était ajoutée le matin même, par hasard. Et apparemment, il n'y avait personne d'autre. Solwen était sa seule amie. L'aiglonne connaissait ça, on pouvait dire qu'elle était plutôt du genre solitaire - ou presque - aussi, avant Poudlard. Poudlard, le lieu de tous les changements, fallait croire.
Apprendre que les deux amies s'étaient disputées avant même la rencontre entre Solwen et Lyn provoqua un sentiment bizarre chez cette dernière. À la fois un soulagement de savoir qu'elle n'était pas la cause de ce... remplacement, si on pouvait l'appeler ainsi - Lyn était persuadée que Solwen n'avait jamais remplacé personne. Et à la fois, un malaise croissant. Tourné cependant, non plus vers elle-même, mais vers Emy, vers Solwen. Vers cette cassure. Cassure dans laquelle elle sentait qu'elle se glissait peu à peu, sans toutefois s'y confondre. Elle avait le sentiment de lire dans les pensées intimes de sa camarade, des douleurs auxquelles elle n'aurait pas dû avoir accès. Malgré tout, elle voulait la suite.

Emy écrivait, racontait, expliquait, et Lyn comprenait. Tout devenait clair, limpide, mais cela ouvrait la porte au tragique, à quelque chose de pas si joyeux. Une perte, finalement. Ça se résumait à une perte, de chaque côté. Dont chacune semblait souffrir.
Elle lâcha le crayon, après avoir tant écrit. À l'oral, cela aurait été si simple. D'autres détails se seraient ajoutés, sûrement. Qui auraient renforcé le pathétique de la situation, ou au contraire l'auraient nuancé. Là, on se contentait des faits purs et durs, mais c'était tout ce qu'il y avait à dire. Lyn ne se serait même pas étonnée de voir une larme tomber sur le papier. En cet instant, elle était touchée, et se sentait attachée à la fillette qui avait perdu la seule qu'elle avait jamais qualifiée d'amie. Celle qui peut-être lui avait arraché le plus grand nombre de sourires.

Le crayon roula, et Lyn s'apprêta à le prendre, pour le rattraper d'abord, pour peut-être écrire ensuite. Que dire pourtant ? Elle était restée immobile tout ce temps, regardant le carnet. Son regard n'était passé vers Emy que pendant les pauses, et puis à la fin ; un regard attendri, qui se voulait réconfortant.
Mais la Première année rattrapa le crayon aussitôt, et Lyn retira sa main aussi sec. Prise d'une illumination subite, Emy reprit, faisant danser sa mine avec plus d'ardeur encore. Cette fois, c'était une demande. Avant même que la demande elle-même vienne, Lyn le devina. Avant même que ça arrive, elle savait qu'elle répondrait oui, à tout, quoi que ce soit. Son affirmation anticipée se confirma en voyant la demande, la prière même, exprimée sur ce papier. Demain, 18 heures. Très bien. Elle n'attendait que ça, réunir les deux comparses. À cette pensée, elle eut un sourire, bien que plus si haut qu'un moment auparavant. Il était empreint d'une certaine tristesse, mais d'espoir aussi, et de son éternel optimisme.

Elle regarda donc Emy, ce sourire aux lèvres. Le regard presque perçant, brillant, pétillant.
Elle lui passa le bras droit derrière son dos, et lui frictionna affectueusement l'épaule, la rapprochant légèrement d'elle. Son autre main, elle la posa sur celle de la fillette. À travers son gant, elle ne pouvait pas sentir grand chose, mais voilà. Sa main était là tout de même.

Ne sachant pas trop quoi faire ensuite, et ne souhaitant pas brusquer Emy, elle ramena doucement son bras droit, qui passa ainsi de l'épaule au dos, et elle continua à légèrement la réchauffer, machinalement ; tandis que de sa main gauche, elle reprenait délicatement le crayon de la main de la fillette, ainsi que le carnet.
"Bien sûr. Je lui dirai."
Puis, après une petite pause pendant laquelle elle regarda vers le château, vers la tour de Serdaigle où Solwen n'était peut-être pas mais où elle l'imaginait :
"Ça va aller."
Le dernier mot partait légèrement de travers, parce que Lyn avait cessé de regarder ce qu'elle écrivait. Elle avait tourné la tête, tout sourire, vers Emy. Ce fut tout.

Elle resta ainsi un petit moment, le crayon en main, sans envisager un instant que Emy puisse vouloir écrire à sa suite. Elle ne pensait plus au carnet, elle pensait déjà à demain. Elle finit par se lever, les jambes engourdies, et avec l'impression d'abandonner quelqu'un qui a plus que jamais besoin de réconfort. Mais peut-être avait-elle aussi besoin de calme, de solitude, d'un instant pour réfléchir, seule sur son banc. À cette pensée, la culpabilité de Lyn grandit, mais elle ne jugea pas nécessaire d'expliquer qu'elle partait. Quand elle avait écrit ses derniers mots... eh bien, ça devait se voir que c'étaient ses derniers mots. Et qu'à partir de là, bientôt, ses dernières minutes ici. Elle ne voulait pas spécialement partir, mais elle voulait tout de suite remonter. Aller chercher Solwen. Lui dire ce qu'elle n'avait pas déjà vu ou deviné.
Elle ébouriffa un peu les cheveux d'Emy avant de s'éloigner en secouant la main, comme on fait coucou, comme on dit au revoir. Et bien sûr, le tout, toujours avec le sourire.

Ses pieds foulaient la neige, en des endroits pas encore noircis par le passage des autres élèves ; ça lui faisait du bien, et elle voulut siffloter, mais seule une sorte de soufflement sortit. Elle voulut alors chantonner - d'humeur joviale, elle n'allait pas s'arrêter sur un échec musical, alors autant tenter autre chose -, mais ce fut un son rauque qui parvint à ses oreilles. Combien de temps était-elle restée auprès d'Emy, sans parler, ou presque ? Elle n'en avait aucune idée à ce moment, mais la défaillance de sa voix laissait comme une trace de ces échanges manuscrits. Pour un temps, ses doigts, à l'écriture malhabile, avaient supplanté ses cordes vocales. Dans un réflexe, elle aurait toussoté, pour se dégager la voix, retrouver son babillement claironnant. Elle l'aurait fait, mais ne le fit pas, et referma simplement sa bouche, retournant au silence. Finalement, elle ne l'avait pas quitté, ce silence. Elle ne l'avait pas quittée, Emy.

♪♫♪

Lyn était remontée dans la tour de Serdaigle, elle avait gravi les marches, en se réjouissant du spectacle intérieur du château : çà et là, des traces brunes de neige fondue, de pas boueux déposés par les élèves revenus d'une balade sur ce manteau blanc. Pour autant, rien n'avait perdu de sa majesté, et ces taches donnaient même un côté vivant ; et surtout, elles témoignaient de l'état hivernal et neigeux. Ce qui était une merveille en soi et ne pouvait qu'embellir, tout. Bien sûr, les élèves n'étaient pas (tous) des sagouins et s'essuyaient les pieds avant d'entrer, mais on ne pouvait pas non plus nettoyer parfaitement ses semelles. Cependant, plus on progressait dans le château et au fil des escaliers, moins ces traces étaient présentes.
Lorsqu'elle arriva devant sa salle commune, Lyn regarda donc avec un sourire de satisfaction le sol propre qu'elle laissait derrière elle sur ses derniers pas. Elle enleva son bonnet et ses gants en même temps qu'elle entrait dans le chaleureux petit salon, et repéra tout de suite Solwen.
Avant même d'enlever sa doudoune, la petite italienne se dirigea vers son amie et lui mit les mains sur les épaules en la saluant, d'une voix encore un peu étouffée, mais assez distincte tout de même. Coucou toi ! Et puis elle se planta devant elle et ôta son épaisse parure, sourire aux lèvres. Elle ne fit aucune allusion à l'allée et venue de Solwen dans le parc, mais alla droit au but, sachant que de toute manière les deux fillettes devaient penser à la même chose.

- Emy voudrait te voir demain à 18 heures, dans le parc. Tu lui manques, tu sais. Elle avait prononcé cette dernière phrase sur un ton qu'elle voulait... réprobateur, mais en affichant clairement un air amusé, puis la fixa de son regard pétillant et adouci. Avant même que sa camarade lui réponde, elle rouvrit la bouche, la referma, jeta un coup d’œil à la fenêtre comme si depuis sa place elle pouvait voir Emy sur son banc - alors que seul le ciel gris-bleu et quelques cimes d'arbres se laissaient observer à travers les carreaux -, puis lâcha quelques mots, spontanément, sans vraiment réfléchir, sans savoir une seconde auparavant que c'était ça qu'elle allait dire.
- Elle dessine bien.
Tout du long, elle avait conservé son sourire, comme s'il s'était écrasé là pour demeurer ensuite. Un sourire ne fait pas de bruit, mais exprime plus que bien des paroles. Il est silence, mais rayonne. Et Lyn rayonnait.

“C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.” - Le Petit Prince, St Exupéry

21 sept. 2018, 17:42
Le Silence est d'Or. Vraiment ?  PV 

Emy, Onze ans


Je sentis le poids de sa main sur mon épaule. Son geste rassurant me donna le courage d'affronter son regard. Je relevai la tête. Sourire. Ses lèvres légèrement relevées furent la première chose que je vis. Elle ne me regardait pas avec dégoût, ni colère. Aucune émotion négative. Je retins un soupir de soulagement. A sa place j'aurais été écœurée de mes actes. D'un mouvement, elle m'attira vers elle, puis posa sa main sur la mienne. D'habitude je détestais qu'on me touche. Mon corps m'appartenait, à moi seule, les autres n'avaient pas à faire entrer leur enveloppe corporelle en contact avec la mienne. Je repoussais toujours ceux qui prenaient la liberté de le faire sans mon autorisation. Par "ceux" j'entendais mes parents en fait. De toute façon y a qu'eux qui avaient envie de me toucher. Mais qu'est ce qui leur disait que j'avais envie de les toucher moi ? Rien. Rien du tout, leur contact me dégoûtait. Mais eux ils en avaient envie, donc ils le faisaient, dans l'immense égoïsme qui était le leur. Sauf que là, grande première, je me surpris à apprécier son geste de réconfort. C'était bien la première fois que je laissais un inconnu faire ça. Quelque part, c'était pas gênant. C'était l'amie de Solwen. Elle lui était reliée. Si je fermais les yeux, je pouvais même imaginer que c'était elle, son bras dans mon dos, sa main sur la mienne. Mais ça n'était pas Solwen. Juste Lyn.
Elle finit par se retirer doucement, effaçant lentement le semblant d'intimité qui s'était créé entre nous. Elle attrapa une nouvelle fois le carnet, puis le crayon. Ses mots apparurent, me communiquant ce dont je m'étais déjà doutée. Elle acceptait de transmettre ma demande à Solwen. Je la remerciai d'un signe de tête, un sourire flottant sur mes lèvres. Je ne sais même pas si elle le vit, son regard s'étant détourné pour observer le château. Elle aligna trois nouveaux mots d'encouragement, dont deux plus alignés que le dernier, puis son regard rencontra le mien, inondé de son sourire. *J'espère que tout ira bien Lyn, je l'espère* Ce n'était pas tant la réaction de Solwen que je redoutais, j'avais plus peur de moi. Saurais-je trouver les bons mots ? Une bêtise était tellement vite écrite, et pouvait tellement faire mal. Je n'avais plus vraiment le droit à l'erreur.
Je ne savais pas quoi lui répondre, pas quoi ajouter. De toute manière, même si j'avais voulu poursuivre notre discussion, Lyn avait gardé mon crayon dans sa main, et n'ayant pas envie de la déranger alors qu'elle semblait dans ses pensées je n'aurais pas eu le courage de le lui reprendre. Je laissai le silence s'installer, sentant que la discussion était close, que le moment que nous venions de passer ensemble touchait à sa fin. Je me demandai à quel moment ses jambes prendraient le chemin du château, guettant le moindre signe qui trahirait son départ. *Ah bah maintenant visiblement* Je vis le poids de son corps basculer vers l'avant, puis elle se releva. D'un geste elle m'ébouriffa légèrement les cheveux, puis s'éloigna en agitant la main. L'une des miennes s'attaqua tout de suite à l'aplatissement des quelques mèches sortant de mes couettes, tandis que l'autre lui rendit son au revoir. Elle finit par se retourner, s'éloignant peu à peu. *Et voilà, c'est fini* Une étrange sensation naquit dans mon ventre. J'avais presque -je dis bien presque- envie de la suivre. Ma solitude me semblait plus évidente, plus pesante qu'avant. Autour de moi, tous les élèves étaient par groupes d'amis, occupés à plaisanter et rigoler. C'était bien la première fois depuis mon arrivée que je les enviais, que j'avais l'impression d'être l'anormale dans le tas, et non plus que c'étaient eux, avec leurs bouches trop ouvertes quand ils riaient, toujours fourrés en groupe, incapables de se séparer même pour aller aux toilettes. *Trop bizarre* Ouais c'était vraiment trop bizarre.
Je fermai les yeux, et basculai d'un coup ma tête en arrière. Mon cou craqua, mais je m'en tapais. Derrière mes paupières, je revoyais le sourire de Lyn, sa gentillesse, ses mots gravés sur mon carnet, à jamais. 



Solwen


Assise dans la salle commune, un bouquin posé sur mes genoux, j'attendais son retour. Je ne cessai de jeter des regards vers la porte, comme si Lyn pouvait y apparaître par la simple force de ma volonté. J'étais tellement peu concentrée que les mots devant mes yeux ne trouvaient plus aucun sens, s'enchaînant devant mon regard, sans lien entre eux. Je me retrouvais en bas d'un paragraphe, sans souvenir de l'avoir lu, donc je revenais au début, pour le relire plus attentivement. Mais le moindre mouvement me déconcentrait, attirant mes yeux. J'avais hâte de savoir la raison pour laquelle Lyn était avec Emy, et ce dont elles avaient discutées toutes les deux. Est-ce qu'elles s'étaient bien entendues ? Surement oui, connaissant Emy elle l'aurait vite envoyée promener si ce n'était pas le cas. Était-ce la première fois qu'elles se voyaient ? Peut-être bien, Lyn m'en aurait parlé si elles s'étaient rencontrées plus tôt non ? Mais une petite voix me dit qu'elle n'avait aucune raison de le faire. Après tout elle avait sa vie, je n'avais pas à en connaître les moindres détails. Elle n'était pas non plus au courant de toute la mienne. 'Fin elle l'avait été, jusqu'à Novembre. 
Durant mes quelques secondes d'inattention, celle que j'attendais était arrivée. Elle passa dans mon dos, et je sentis le poids rassurant de ses mains sur mes épaules. Elle me salua avec énergie, et je basculai la tête pour la regarder, contente de sentir sa présence après quelques heures loin d'elle. C'était assez effrayant, mais elle me manquait très vite, surtout quand je la savais à quelques minutes de moi seulement. J'avais l'impression de n'être bien que quand elle était là, de ne pouvoir être totalement moi même qu'en sa présence. C'était faux bien sûr, mais quand on était loin toutes les deux c'était la sensation que j'avais. Sa jovialité me manquait vite. Je la suivis du regard lorsqu'elle vint se poster devant moi, ôtant son manteau. Je n'eus même pas besoin de lui poser de question, elle embraya tout de suite sur le sujet qui me tenait à cœur. J'écoutai ses paroles, pourtant quelque part ses mots refusaient de prendre sens. J'avais peur d'avoir mal compris, d'avoir entendu ce que je voulais entendre. Pourtant, sa voix repassait dans ma tête. "Emy voudrait te voir" *Sérieusement ?* Je ne demandais que ça depuis un an et demi, mais c'était elle qui semblait ne pas avoir envie de me revoir. "Tu lui manques, tu sais" Je n'osais même pas l'espérer. Pour moi elle avait tiré un trait sur notre amitié depuis le jour où elle avait refusé que l'on parle de l'accident. Je m'étais toujours demandé comment elle avait pu oublier tout ça aussi vite, comment toutes nos années de complicité avaient pu être effacées par ces quelques minutes. Comment elle avait pu tourner la page aussi rapidement, alors que moi, même après plus d'un an sans aucune nouvelle d'elle j'en avais été incapable. Peut-être que c'était débile de s'accrocher autant à des souvenirs que je semblais être la seule à vouloir voir revivre, auxquels je souhaitais donner une suite. Et pourtant, il semblerait que ça ait payé, au final elle acceptait de me revoir. C'était même plus qu'accepter, c'était demander. 
Lyn hésita, fermant puis rouvrant les lèvres, comme si elle souhaitait ajouter quelque chose, mais que rien ne venait. Puis elle finit par lâcher un compliment sur les dessins d'Emy qui fit naître un sourire de fierté sur mes lèvres, presque aussi rayonnant que celui qui habitait les siennes.*Bien sûr qu'elle dessine bien, c'est elle la meilleure*
Et en trois mots, je lui fis comprendre que je serais au rendez-vous.

Fin

"If your absence doesn't bother them, then your presence never mattered to them in the first place"
"C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.” Le Petit Prince