Pourquoi faisait-il si jour enfin? Pourquoi cette lumière dorée tenait-elle tant à agresser ses paupières? Ne pouvait-elle donc pas la laisser dormir....
Grognant, Ivy entrouvrit les yeux, éblouie par les rayons traversant la vitre du dortoir et manqua de tomber du lit, encore toute désorientée.
Comme chaque matin, un compte-rendue immédiat s'établit en son crâne. Quel jour était-on? Le 19 De quel mois? Avril. De quelle année? 2043. Où était-elle? A Poudlard, dortoir bleu, dans son lit. Quel âge en fait? 11 ans. Que faisait-elle là? Étudier pour Poudlard et tenter de dormir pour son lit. Quel nom déjà? Ivy Wild. Et pourquoi diable avait-elle tant de mal à ouvrir les yeux? La fatigue et puis...
Maintenant complétement éveillée la fillette contempla incrédule la fenêtre. Pour la première fois depuis de nombreux jours, le ciel gris avait laissé place à une immensité de bleu parsemé de tâches cotonneuses. Il faisait beau. Une première depuis quelques temps. Il n'y avait d'ailleurs pas si longtemps, la neige avait reprit de plus belle, couvrant ainsi de blanc le match Serdaigle/Gryffondor.
Étirant un a un ses muscles engourdis, Ivy se redressa lentement.... Avant de retomber le nez collé à l'oreiller. Ses quatre heures de sommeil journalier commençaient à se faire sentir. Claustrophobie et château ne faisaient pas bon ménage la nuit. Elle qui avait toujours été lève-tôt, il était maintenant de plus en plus compliqué de se lever le matin. Et puis après tout c'était le week-end et ce lit était si agréable....
Lâchant un long soupir la Serdaigle retira d'un geste brusque la couette et jeta son oreiller au sol. Pour une fois qu'il faisait beau, il était hors de question qu'elle reste cloîtrée entre quatre murs sinon elle allait devenir folle.
Grognant une seconde fois plus pour la forme que pour le fond, elle s'assit en tailleur sur le lit, tentant de repousser les épaisses mèches rousse qui lui retombaient sur le visage. Elle lâcha un bâillement à s'en décrocher la mâchoire avant de se lever du plus discrètement possible. La plupart des filles dormaient encore et elle n'avait nullement l'intention de se faire remarquer parce qu'elle avait réveillé ses camarades. Marchant sur la pointe des pieds, elle enfila rapidement un jean et un simple T-Shirt bleu. En passant devant son lit elle attrapa au passage sa vieille paire de Dr Marteens qu'elle enfila à la va-vite avant de dévaler les escaliers du dortoir.
En cette heure de la matinée la plupart des élèves dormaient encore ou alors restaient dans leur dortoir et le château était étonnamment silencieux. Pas un bruit ne parvenait à Ivy si ce n'est le claquement de ses talons contre la pierre dure. Elle déambula ainsi dans les couloirs avec ce bruit de pas pour seule compagnie. Parfois elle apercevait dans les tableaux des personnages éveillés qui la contemplaient d'un air somnolent.
Enfin arrivée devant la porte, elle poussa d'une main le battant pour se retrouver dans le parc.
Enfin, dehors! Là pas un nuage ne cachait le soleil et Ivy sentait chacun de ses rayons la transpercer, réchauffant son corps et son âme. Ce que ça faisait du bien un peu de beau temps! Lâchant un petit sourire bienheureux, la fillette s'avança pour s'assoir dans la pelouse. Puis fronçant les soucils elle tenta de gommer ce sourire niais de son visage. Il ne manquerait plus qu'elle passe pour une idiote!
Elle resta ainsi assise quelques minutes avant de se lever pour sautiller sur place. Elle n'en pouvait plus de ne rien faire, de ne pas bouger. Il lui fallait se défouler.
Se remettant en marche, son regard se posa sur la forêt interdite. Qu'est-ce que sa forêt pouvait lui manquer, c'en était insupportable. La forêt, le ruisseau, le bruit du craquement des feuilles mortes sous ses pas, les arbres.... Les arbres.
Durant ses longues journées de vadrouille en forêt, une activité occupait principalement Ivy: grimper dans les arbres. Elle les avait tous testé. Pas tous les arbres de la forêt non mais toutes les espèces,  les feuillus, les épineux. Tous. Les hêtres, les pins, les châtaigners,  les épicéas...
S'entraîner à grimper le plus haut et le plus rapidement possible avait vite été un défi pour la Serdaigle et maintenant, à force d'entraînement, elle pouvait se considérer comme grimpeuse accomplie.
S'arrêtant devant un grand chêne proche du lac, elle sentit un fourmillement familier gagner ses jambes. Il était temps.
Attrapant deux branches, Ivy commença son ascension, se hissant à bout de bras et par la forces de ses cuisses. Petit à petit l'aisance lui revenait et grimper redevenait un jeu d'enfant. Malgré plusieurs mois passés à Poudlard, elle n'avait pas trop perdue en agilité. Branche par branche, elle s'élevait de plus en plus haut, filant comme un écureuil. Elle manqua de glisser une ou deux fois mais se reprit rapidement et reprit de plus belle son avancée. Quand les branches commencèrent à devenir trop fines pour pouvoir supporter son poids, elle s'assit sur une assez épaisse pour ne pas craquer mais assez haute pour pouvoir admirer le parc. Elle se cala confortablement contre le tronc, installée à califourchon sur son siège improvisé.
De là elle pouvait apercevoir le lac ou flottaient paisiblement quelques canards égarés. Elle avait une vue imprenable sur le parc, le château et l'orée de la forêt interdite. Une légère brise s'était levée et ses cheveux ne tardèrent pas à lui recouvrir les yeux. Fronçant légèrement les sourcils, elle dégagea d'une main experte les mèches rousses.

La bise s'était levée. Les cheveux d'Ivy voletaient autour de sa tête pour former comme un halo roux et s'amusaient à cingler son visage. En soi, ce n'était pas si désagréable comme sensation, mais c'était tous sauf pratique. Il faut bien avouer que les cheveux n'ont pas énorme intérêt gustatif. Fronçant les sourcils elle tenta de les ramener derrière ses épaules mais il fallait se faire une raison: la nature gagnait toujours. Résignée, elle se recala confortablement contre le tronc et commença à contempler le ciel. Aucun nuage ne se profilait à l'horizon. Le ciel était d'un bleu limpide, presque translucide. En cette heure matinale tout le monde semblait encore dormir, aucun bruit ne se faisait entendre. Seul le chant des oiseaux parvenait à la fillette. On lui aurait annoncée qu'elle était le dernière être humain sur Terre qu'elle n'aurait même pas été surprise.
Elle était bien assise sur cette branche, seule avec elle-même.
Le problème à Poudlard, c'est qu'on n'avait jamais une minute en tête à tête avec soi-même si ce n'est aux toilettes (quel agréable moment n'est-ce pas?). Les instants en solitaire se comptaient sur les doigts de la main. Il avait toujours des élèves à crier, pleurer, chanter, même à exister! C'en était presque fatiguant. Même si la Serdaigle aimait partager du temps avec ses camarades, elle se rendait compte maintenant à quel point être seule lui avait manqué.
Enfin seule, pas toute à fait.
Un son entre le cri et le beuglement d'une vache retentit du bas de l'arbre, manquant à Ivy de tomber de sa branche. Fronçant les sourcils elle tenta tant bien que mal de rester en équilibre et fouilla du regard l'épais feuillage. Qui pouvait bien brailler à cette heure-ci? Quelque peu agacée la fillette continua à chercher de regard qui avait produit ce mélodieux meuglement mais dû se rendre à l'évidence: elle n'avait pas le choix, il lui fallait descendre de son arbre.  Soupirant elle descendit à toute vitesse les branche tout en essayant de ne pas finir écrasée au sol à la manière d'une crêpe bretonne.
Fort heureusement pour ses jolis petits membres, la fillette arriva en un seul morceau au niveau de la branche la plus basse. Sous l'arbre se tenait une autre fille aux cheveux noirs comme la cendre et aux yeux d'un gris orage tournant vers le bleu. C'était une Serdaigle, ça Ivy le savait. Elle l' avait déjà croisé dans la salle commune plusieurs fois. Peut-être lui avait-elle même déjà parlé? Elle n'en avait aucune idée. Fichue mémoire.
S'installant confortablement sur son siège de fortune et se calant contre le tronc elle observa la fillette avant lâcher d'un ton narquois.

"Ça se voit pas je tricote!"

Comme d'habitude les mots n'avaient pas attendu son autorisation pour franchir sa gorge. L'impulsivité était vraiment un sale défaut.
Il faut dire qu'Ivy n'avait jamais compris pourquoi il fallait se taire plutôt que de dire ce que l'on pense, ne pas courir pour ne pas tomber, ne pas parler aussi fort qu'on le souhaite pour ne pas déranger, ne pas attraper l'eau avec ses mains parce qu'elle va s'échapper. Et elle ne voulait pas comprendre. Elle voulait vivre oui, apprendre, courir, savoir, parler aussi fort qu'elle en avait envie, vider le lac entier de ses mains si il fallait... Mais pas comprendre.
Laissant courir sur ses lèvres un sourire en coin, presque espiègle elle reprit:

"Chouette T-Shirt!"

La fille portait un haut AC/DC, le groupe préféré de son père. Éduquée depuis toute petite par ce dernier, elle avait depuis toujours été bercée par des rocks qu'il écoutait en permanence. Tout comme pour les poèmes, il lui avait donné le goût de la musique. C'était aussi lui qui lui avait apprit à jouer de la batterie et elle pouvait maintenant dire en toute modestie qu'elle se débrouillait plutôt bien.
La bise reprit, recouvrant ses yeux d'une voile orangé tandis qu'elle balançait énergiquement les pieds du haut de son perchoir.

Désolée du retard!

Ivy avait bien remarqué que la fille semblait s'être décrispée à sa vue et avait lâché un soupire de soulagement. Avait-elle pensé voir apparaître un monstre poilu du feuillage? La Serdaigle ne le saurait jamais. Toujours était-il que maintenant elle semblait plus relaxée. Elle avait même lâché un sourire quand la rouquine lui avait fait un compliment sur son T-Shirt. Il fallait dire qu'AC/DC était un sacré bon groupe. Voir ce logo avait fait ressurgir des souvenirs. Les après-midi pluvieuses passées avec son père et sa petite sœur à écouter et danser sur des airs endiablés, mimant une guitare électrique commençaient à manquer à la fillette. Elle ne se rappelait plus du nombre incalculable de bibelots qu'ils avaient cassé en sautant sur les meubles à la manières de rock star totalement déchaînés ou bien du nombre de fois où ils s'étaient disputés pour savoir qui choisirait le CD à insérer dans le poste du vieux pic-up de son père. C'était sans doute ces moments qui manquaient le plus à la Serdaigle, désormais bien loin de son chez-soi.
Le regard de la fille en bas de l'arbre s'était fait plus songeur. Après quelques secondes de mutisme elle sortit de sa torpeur pour demander à la fillette pourquoi elle avait besoin d'être en haut d'un arbre pour "tricoter". Perplexe Ivy fronça les sourcils quelques micro secondes avant de se reprendre. Bien sûre elle avait compris que la fille plaisantait en lui demandant pourquoi elle "tricotait". Ce qu'elle ne comprenait pas c'était sa question. Pourquoi faudrait-il un motif particulier pour grimper aux branches? Un besoin précis? Pour la fillette c'était aussi instinctif que respirer et le concept même de devoir se justifier  pour escalader un arbre lui   échappait totalement. Passer des heures à tenter de grimper encore plus haut, encore plus vite était quelque chose d'habituel pour elle. Rien ne lui faisait plus plaisir que de rester cachée par le feuillage a observer les plaines alentours, à sentir le vent rendre le bout de son nez tout froid.  Alors assise sur sa branche, la rouquine restait songeuse. Que pouvait-elle bien lui répondre?
*Secoue-toi ma vieille on dirait une débile là*
Reprenant son sourire malicieux elle lâcha:

"Bah je sais pas moi. J'ai envie c'est tout. C'est comme quand tu danses, que tu chantes, que tu rigoles ou que tu dessines y'a pas vraiment de raisons. Chez moi je grimpe tout le temps aux arbres mon père dit même que je suis un écureuil -même si moi je lui dis que non un écureuil c'est bien trop naze mais il m'écoute jamais quand je lui dis ça- et que je devrais faire ma maison dans un arbre."

Redressant son dos du tronc elle se leva et se rapprocha du bord de la branche à la manière d'un funambule, essayant de ne pas tomber au passage. Maintenant en équilibre précaire elle était cependant plus proche de son interlocutrice. Elle était jolie pas de doute là-dessus. Physiquement elle était même radicalement différente d'Ivy, leur seul point en commun était sans doute ces petites tâches de rousseur qui parsemaient leur nez. Cependant elles semblaient toutes deux avoir un caractère similaire, ce qui fit sourire la rouquine.
S'asseyant au bord de la branche en priant pour qu'elle ne rompt pas, elle reprit d'un air curieux:

"T'as jamais grimpé dans un arbre toi?"