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01 déc. 2018, 20:10
À la recherche du temps perdu  OS 


Un Lundi de Janvier 2043, 17h50


Solwen, Douze ans


*Un* Inspiration. *Deux* Expiration. Depuis ce matin, j'étais tendue et stressée, incapable de défaire le nœud qui me tordait les entrailles. Je n'avais même pas réussi à me concentrer correctement sur les cours, ne cessant de me rappeler à l'ordre mentalement. J'avais essayé de me détendre pourtant, me rappelant que ce n'était qu'Emy, pas une inconnue. Mais quelque part, est-ce que je ne pouvais pas dire que mon amie avait fini par devenir une quasi inconnue ? Après tout, qu'est-ce que je savais d'elle maintenant ? Elle avait tellement changé en un an et demi que je n'étais plus sûre que mes certitudes à propos d'elle soient encore fondées. J'avais peur de celle que j'allais trouver en me rendant à notre rendez-vous. 

*Il te reste exactement huit minutes* Je savais très bien que je n'allais pas faire demi-tour, j'étais incapable de lui poser un lapin. Mais j'attendais quand même le tout dernier moment pour sortir. J'étais terrorisée à l'idée qu'elle me rejette une seconde fois. Pourtant cette fois-ci, elle avait sûrement apprivoisé sa nature sorcière, je ne devais plus lui paraître aussi monstrueuse. Puis c'était elle qui avait demandé à me revoir après tout, elle devait être prête. Mais la peur restait là, malgré tous les arguments rationnels que j'avais pour la contrer. 

*Six minutes* Si j'attendais plus j'allais être en retard. J'inspirais à fond, puis poussai la grande porte. Après la chaleur du hall, j'eus l'impression de me prendre une claque par le vent glacial. Dès que le soleil se couchait, la température chutait et là ça se sentait bien. Rentrant le cou dans mes épaules, je tentais de repérer la silhouette d'Emy dans la semi obscurité du parc. Sur ma droite, une petite masse sombre était assise sur un banc, à une centaine de mètres de moi. C'était sûrement elle, après tout il n'y avait pas vraiment foule à cette heure là. Plongeant mes mains dans mes poches, je m'avançai.



Image

Emy, Onze ans


J'étais plantée sur ce banc depuis déjà une bonne demi-heure, à me geler les fesses. J'avais eu peur de la louper, alors j'avais préféré venir carrément en avance, quitte à finir en glaçon avant la fin de la soirée. Même si maintenant, j'avoue que je regrettais un peu. J'avais attendu ce moment toute la journée, à la fois morte de trouille et de hâte. Et maintenant qu'il était bientôt l'heure, il ne restait plus que la peur. Et si elle ne venait pas ? Si Lyn n'avait pas passé le message ? Ou si elle l'avait fait, si Solwen m'en voulait tellement qu'elle refusait de venir ? Quelque part au fond de moi, je savais que ce n'était pas son genre, qu'elle viendrait si elle avait eu ma proposition. Mais en même temps, je me disais que c'était très soudain, et qu'après tout je ne lui avais pas reparlé depuis très longtemps, peut-être que cette année et demie à Poudlard l'avait métamorphosée. Même si je n'y croyais pas vraiment. Au fond de moi, j'étais certaine qu'elle était restée à peu près la même. 

Pourtant, plus le temps passait, plus j'avais des doutes. La Solwen que je connaissais devrait déjà être là. Il était cinquante trois, et elle détestait arriver en retard, quitte à se pointer une dizaine de minutes en avance. Et là, sept minutes avant le rendez-vous, aucune trace d'elle. *Arrête de psychoter* Après tout, je n'allais pas déjà commencer à me faire un sang d'encre sept minutes à l'avance, c'était ridicule. J'inspirai profondément, mes doigts jouant machinalement avec mon ancien carnet, posé sur mes genoux. J'avais passé ma soirée d'hier à lui écrire un message, que j'avais soigneusement relu ce matin, histoire de vérifier. Tout était parfait, tout ce que je voulais lui dire était là. Il fallait juste que j'ai le courage de l'ouvrir, et de lui montrer mes mots. 

Du coin de l’œil, je vis la grande porte s'ouvrir, inondant l'herbe de lumière. Une silhouette apparue, difficile à discerner dans le contre jour. *C'est toi ?* Je n'en étais pas certaine, mais il y avait de grandes chances que oui. Après tout, qui serait prêt à quitter son confortable siège au coin du feu pour se pointer dans le parc frigorifié à la nuit tombée ? Certainement pas grand monde si ce n'est ceux qui y étaient pour quelque chose de précis. Comme moi. Et elle. 

La silhouette s'avança doucement dans l'obscurité qui reprenait ses droits après que la grande porte se soit refermée. Impossible de s'y tromper, c'était elle. Recroquevillée dans son manteau, elle s'approchait doucement de moi. Quand elle ne fut plus qu'à quelques pas, je pus lire son inquiétude dans son regard et son sourire. Elle n'avait pas l'air à l'aise. Visiblement elle était aussi stressée que moi à l'idée de notre rendez-vous. Elle m'adressa un petit salut de la main, puis s'assit à côté de moi, assez près pour que n'importe qui puisse voir que nous étions assises ensemble, mais suffisamment loin pour qu'aucun point de nos corps n'entre en contact avec celui de l'autre. Elle était assise tout au bord du banc, comme prête à fuir à tout moment. C'était pas gagné... Elle tourna sa tête vers moi, et m'adressa un petit sourire que je lui rendis avec toute la conviction que je pus. Ça faisait bizarre d'être là à nouveau à côté d'elle. Il y avait un truc qui avait changé, un mur de malaise s'était installé entre nous, aucune de nous deux n'était naturelle. Et ça me faisait chier. Ok je savais que ça n'allait pas redevenir comme avant d'un claquement de doigts, que ça prendrait du temps pour qu'on reconstruise notre relation, mais je ne pensais pas qu'on partirait d'aussi loin. Je m'en voulais d'avoir réussi à tout détruire jusque là. Parce que c'était entièrement de ma faute, et je l'assumais. J'aurais juste voulu pouvoir péter cette distance entre nous à coup de poings. J'aurais aimé qu'elle soit matérielle, que je puisse la défoncer là maintenant tout de suite. Mais elle était juste là, entre nos deux cœurs. Ma propre impuissance m'éclatait au visage, ça faisait mal.
Sur un coup de tête, j'ouvris mon carnet à la page dont j'avais soigneusement marqué le coin, puis je le lui tendis, la tête penchée sur le côté.  




Solwen



Actuellement, j'aurais aimé pouvoir m'enfoncer dans le banc, histoire de disparaître. J'avais des milliers de trucs à lui dire qui me tournaient dans la tête, mais je ne savais pas par où commencer, ni si elle avait vraiment envie que l'on discute de ce qu'il s'était passé. Je me doutais qu'il faudrait en passer par là, impossible de reconstruire quoi que ce soit si on ne s'expliquait pas, mais je ne voulais pas lancer un sujet qui fâche. J'avais attendu un an et demi pour ce moment, c'était pas pour tout gâcher par une dispute. Mais du coup je restais là, assise à une trentaine de centimètres d'elle, sans rien faire. Juste moi, mes doutes et mon malaise. 

La situation aurait certainement pu durer un bon bout de temps si elle n'avait pas fait le premier pas. Je la vis remuer à mes côtés. Je remarquai seulement à ce moment qu'elle avait emporté son carnet. Un sentiment de nostalgie me submergea en reconnaissant la couverture gribouillée de dessins à la va vite, plus abîmée que dans mes souvenirs. Les pages étaient également plus cornées. Je me demandais combien de dessins avaient pu y voir le jour depuis la dernière fois qu'elle m'avait autorisée à y toucher. La connaissant, surement plusieurs centaines. Est-ce qu'elle avait pu tous les caser dans ce petit truc ? Non, il y avait un souci au niveau du nombre de pages, impossible qu'elle l'ait utilisé aussi longtemps, elle n'aurait pas dû avoir assez de place... Peut-être avait-elle fini par prendre un nouveau carnet. Mais alors pourquoi prendre celui-ci aujourd'hui ?

Elle ouvrit le carnet à une page, puis me le tendit. D'une main tremblante, je l'attrapai. Le papier était couvert de son écriture. Je me tournai vers elle, un sourcil levé. Elle mit la paume de sa main gauche face à elle, forma un V avec son index et son majeur droit devant sa bouche, leurs extrémités touchant ses lèvres, avant de l'abaisser pour montrer sa paume. "Lis" Je lui articulai un "Ok" avant de me lancer dans ma lecture.

Salut,

Si tu lis ces mots, c'est qu'au final t'es venue, et je t'en remercie infiniment. Je ne sais pas si ça se verra quand tu me liras, mais j'en serais vraiment heureuse. Je sais que ma proposition était soudaine et j'avais peur d'être allée trop vite quand j'ai fait ma demande à Lyn hier soir, mais je n'en pouvais plus. J'en ai marre que tu sois aussi loin de moi, marre de t'éviter dans les couloirs. Je sais que je t'ai rejetée, et de la pire manière qui soit, mais tu ne peux pas savoir comme je m'en veux, mes mots sont allés beaucoup trop loin. Je ne te dirais pas que je ne peux pas vivre sans toi, puisqu'on a vu que justement je le pouvais, je pense qu'on n'a besoin de personne pour vivre, mais disons que c'est difficile sans toi. A la maison c'était invivable, et ici c'est pas mieux. Les gens sont vraiment hypocrites, t'as remarqué ? Pas un pour rattraper l'autre. 
Je ne te demande pas de me pardonner pour ce que je t'ai dit ce jour là, parce que ce n'est pas pardonnable, ni non plus de me laisser redevenir ton amie comme avant, je sais que ça ne marche pas comme ça, que ce n'est pas aussi simple, que je peux pas juste m'excuser et qu'on retrouve notre complicité. Mais j'aimerais juste que tu acceptes de me laisser une chance. Qu'on essaye de se revoir de temps en temps, de faire des trucs ensemble, comme avant. Peut-être que ça prendra du temps de tout reconstruire, surement même, mais j'espère qu'un jour ça sera juste de l'histoire ancienne.

Je comprendrais que tu préfères rester loin de moi à l'avenir, ne te sens pas forcée par mes mots. Mais c'est mieux quand t'es là.

Les mots défilaient devant mes yeux, ma respiration s'était arrêtée. Je n'arrivais plus à penser à rien, si ce n'est à une seule chose : elle ne me détestait pas, elle voulait qu'on essaye de retrouver notre complicité. Et surtout, elle s'excusait. Je savais très bien qu'Emy avait beaucoup de mal à demander pardon, et ses mots me touchaient d'autant plus. Doucement, je posai son carnet à ma gauche. 



Emy



Je n'osais plus bouger. Je voyais ses yeux parcourir rapidement mes mots, accélérés par des centaines d'heures passées à bouquiner. Enfin, la danse de son regard s'arrêta. Elle déposa mon carnet à côté d'elle. J'avais terriblement peur de sa réaction. J'avais relu ces mots de nombreuses fois, j'étais sûre de moi en arrivant, mais maintenant qu'elle les avait lus également, j'avais peur d'avoir été maladroite, ou d'avoir dit une bêtise. 

Tout d'un coup, je la vis courber le dos, les épaules secouées de sanglots, le visage caché dans les mains. *Merde* Est-ce que j'avais dit quelque chose de mal ? Je ne savais pas vraiment quoi faire, je ne l'avais que rarement vu pleurer. Et ce n'était pas avec les exemples que j'avais à la maison que j'allais être aidée. A mon avis Père et Mère ne savaient même pas ce qu'était une larme. Je les imaginais très bien me dire que ce n'était qu'un moyen de gâcher de l'eau, que les gens bien ne pleuraient pas, parce qu'il faut savoir intérioriser ses émotions. Ce qui ne m'aidait vraiment pas. Maladroitement je lui frictionnai l'épaule. Elle finit par se redresser, essuyer son visage avec ses paumes, puis elle sortit un mouchoir de sa poche. Elle finit par se tourner vers moi, un pauvre sourire aux lèvres. Elle ferma son poing, pouce en l'air, puis elle traça un cercle sur son torse, avant de presque fermer ses mains, et leur faire faire à chacune un cercle dans un sens différent près d'elle. "Désolée, émotion" Instinctivement, j'ouvris les bras, et après un gros instant d'hésitation où je craignis de me faire repousser, elle me serra brièvement contre elle. Notre étreinte ne dura que quelques très courtes secondes, je sentais bien qu'elle n'avait plus l'habitude de notre contact et qu'elle avait rapidement été gênée, mais ça m'avait quand même mit le baume au cœur. Ça faisait du bien. Je me sentais en quelque sorte libérée, j'avais réussi à m'excuser, chose que je ne faisais que très rarement, et elle n'avait pas l'air de m'en vouloir. Soudainement, j'étais pleine d'espoir, certaine que tout allait finir par s'arranger, qu'on allait s'en sortir, et que notre amitié n'en serait que plus forte. 

Elle prit de nouveau mon carnet, posa sa main gauche dessus, et traça un cercle sur son torse avec sa main droite à plat. "Je peux regarder s'il te plaît ?" Surprise, j’acquiesçais sans hésiter. Je n'aurais pas pensé que quelques minutes seulement après nos retrouvailles elle aurait déjà voulu voir mes dessins, mais quelque part ça me touchait. Elle l'ouvrit précautionneusement, et commença à le feuilleter, un sourire aux lèvres. Dans la semi-pénombre du parc, on ne voyait que peu les traits fins, mais je devais avouer que ça donnait à certains charme à mes dessins qui ne me déplaisait pas. Les pages se tournaient, et je me penchai un peu plus vers elle pour regarder également. Ceux qui couvraient les pages dataient presque tous d'avant notre dispute, elle n'allait pas en découvrir beaucoup de nouveaux. Après ce jour là, j'avais pris un nouveau carnet, l'ancien étant trop bourré de souvenirs d'elle. Je ne supportais pas de la voir dans chacun des dessins qui noircissaient le papier, alors j'avais rageusement caché l'ancien dans un tiroir. Mais en partant à Poudlard, j'avais été incapable de le laisser à la maison. J'avais peur que Mère tombe dessus, qu'elle voit nos discussions, ou pire, mes croquis. Mais surtout, quelque part j'y tenais quand même, malgré ce qu'il me rappelait. Je l'avais donc fourré sans trop de soin au fond de ma valise, ce qui expliquait son piteux état actuel. Il y a quelques semaines, quand Solwen avait commencé à vraiment me manquer, je l'avais ressorti, feuilleté, et j'avais recommencé à dessiner dedans de temps en temps. Quand il y avait du monde autour, ou que je dessinais au parc, je prenais le neuf, parce que je ne voulais pas que les gens voient l'ancien. Pas que j'ai honte, au contraire. Je voulais le préserver de leurs sales regards, qu'il n'y reste que mes souvenirs immaculés avec elle, souvenirs de tous nos bons moments. Je ne le sortais que le soir, quand les autres dormaient. J'y croquais quelques objets ou endroits que me la rappelait elle ou un de nos moments. 

Je m'approchai un peu plus d'elle, jusqu'à poser mon menton sur son épaule. Elle se tendit à mon contact, et je me dis que j'avais été trop loin. Mais elle ne me chassa pas, et après quelques pages tournées, elle finit par se relaxer, allant jusqu'à rire en découvrant mon dessin de sa cuisine ravagée après notre catastrophique confection de gâteau au chocolat. C'était il y a longtemps, mais je m'en souvenais parfaitement. On avait passé un super moment, et au final même si on en avait mis partout, le gâteau était délicieux. Elle attrapa le crayon coincé dans les spirales, puis tout en gardant la page d'un doigt, se rendit à la fin du carnet, où nos anciennes discussions noircissaient encore le papier. Elle trouva une petite place, et écrivit "Je ne pensais pas que tu te souvenais de ce moment". Je lui pris rapidement le crayon "Comment l'oublier ?". Ma réponse lui arracha un sourire, et elle retourna à son observation de mes dessins. 

C'était tout simple comme moment, mais putain ce que ça m'avait manqué. Elle m'avait manquée. 


Fin

"If your absence doesn't bother them, then your presence never mattered to them in the first place"
"C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.” Le Petit Prince