Fin juillet 2044

Elle avait retourné les choses dans son esprit plus d’un milliard de fois. Elle n’en dormait plus la nuit. Son entretien avec Ursula Parkinson l’avait remué en tous sens. Elle oscillait entre excitation et exaspération. Qui ne serait pas excité à l’idée de pouvoir enseigner à Poudlard ? Qui ne serait pas exalté en voyant que la Cheffe du Conseil des Sorciers lui faisait confiance ? Et c’est là que l’exaspération entrait en jeu : elle ne se pensait pas à la hauteur de la tâche confiée par Parkinson, elle avait la crainte d’échouer, de ne pas être recrutée par la Directrice de Poudlard. Il lui faudrait alors prendre son courage à deux mains pour retourner à la Citadelle et faire part de son échec à sa supérieure.

Au manoir familial, tout le monde s’était adouci avec la bâtarde. Sa mère semblait être bien disposée à lui laisser la paix, ce qui n’était pas arrivé depuis … bien trop longtemps au gout de la sorcière. Pas de représentation, pas de demande particulière. Rien que le calme et le silence dont la jeune femme avait besoin pour travailler sa candidature. Elle se doutait bien que Miss Parkinson n’était pas innocente au changement soudain dans le comportement de sa mère, il fallait croire que cette dernière portait plus d’intérêt à l’avis d’une inconnue qu’à celui de sa fille. C’était risible, mais cela laissait un petit sourire narquois à Joanne, une sorte de petite revanche.

Quand la jeune femme appela doucement le hibou familial, celui-ci ne tarda pas à se faire entendre. En deux coups d’ailes, il était rendu à ses côtés et tendait déjà sa patte. La précieuse missive, scellée de cire avec les armoiries familiales, fut rapidement attaché à la patte du volatile qui s'envola sans demandé son reste. Le sort en est jeté, pensa la jeune femme alors qu’elle regardait le hibou disparaître dans l’horizon. A sa patte, une missive destinée à Kristen Loewy, directrice de Poudlard.

Miss Loewy,

Ayant eu vent d’un poste vacant au sein de votre école, je me permets de vous faire parvenir cette missive afin de vous faire part de ma candidature spontanée au poste de professeur d’Etude des Runes. Diplômée de l’Académie d’Etude des Runes, mes connaissances runiques peuvent être un plus non négligeables au sein de votre école. J’ai par ailleurs appris la pédagogie nécessaire pour l’enseignement auprès de jeunes élèves.

Ne souhaitant pas trop en dire par l’intermédiaire d’un hibou, je sollicite, si votre planning le permet, un entretien avec vous. Votre date et votre horaire me conviendront.

Cordialement,

Joanne Taylor

Début août 2044

Elle avait fait volontairement simple. Ne pas trop en dire pour susciter une curiosité. Elle avait espéré que cela fonctionne et il fallait croire que oui, cela avait fonctionné. Elle avait rendez-vous avec Kristen Loewy. Directrice de Poudlard. Aussi impressionnante qu’Ursula Parkinson dans l’esprit de la jeune femme. Qui pouvait bien gérer Poudlard d’une main de maître si ce n’était pas une grande sorcière ? C’était aussi simple que cela dans l’esprit de Joanne. Ce jour-là, elle espérait faire bonne impression auprès de la directrice, elle s’était vêtue simplement. Un pantalon noir en tissu léger, un chemisier à manches courtes, dont l’habituelle couleur noire s’était retrouvée troquée par du blanc. Simplicité. Telle qu’elle était. Loin des Taylor et de leurs passifs, loin de la Citadelle. Convaincre par elle-même si c’était possible, abattre la carte Parkinson si cela s’avérait nécessaire.

Quand elle arriva aux abords du château. Elle crut s’être trompée, d’avoir été dupée par les souvenirs qu’elle avait de l’école. Une île, c’était devenue une île. Une espèce de forteresse imprenable. Il y avait bien quelques embarcations çà et là, disséminée sur ce qu’on pourrait appeler des douves géantes. De là où elle était, le changement semblait aussi improbable qu’impressionnant, alors elle resta là, les bras ballants, espérant que Miss Loewy l’attendait là, quelque part. Elle ne savait pas trop. Poudlard avait changé, tout avait changé et la sorcière en prenait pleinement conscience.

Au bout de quelques secondes – peut-être minutes ? – elle se décida enfin à emprunter l’une des barques de Poudlard, pas vraiment sereine de se retrouver dans la situation de sa première année d’étude à l’académie. Elle respira profondément durant tout le temps que dura le voyage. Perdue dans ses pensées, la jeune femme observait, de loin, les modifications qui avaient eu lieu sur le château. Il était clair que la directrice Loewy avait mis le paquet dans la protection de son école. C’était impressionnant.

Un léger basculement en avant appris à Joanne qu’elle était rendue à quai et la silhouette qui se découpait non loin d’elle la fit se relever derechef. Le pas assuré, elle quitta la barque et se dirigea droit vers celle qu’elle pensait être la directrice. Main tendue vers l’avant, elle salue autant qu’elle interroge « Bonjour Miss Loewy, et merci de me recevoir ». Le décompte avait commencé, c’était le moment d’être persuasive.

Le temps était bon et chaud : il exigeait que l'on en profite. Pourtant, Kristen avait tout sauf envie de profiter du parc de Poudlard, nouvellement configuré et encore plus beau qu'auparavant. Elle voulait rester seule, passer du temps à penser à ce qu'elle avait perdu tout en caressant Ludwig - il était resté, lui, au moins - et voilà. Plus d'un mois sans nouvelles d'Owen, et elle était anéantie.

Il s'avérait qu'aujourd'hui, elle devait rencontrer une certaine Joanne Taylor pour passer un entretien pour le poste de professeur d'étude des runes, et Kristen n'avait pas l'énergie suffisante pour paraître agréable. Autant dire que malgré le beau temps, elle paraissait lugubre. Elle portait une robe cache-cœur noire, longue avec un col en V, et des manches qui arrivaient au-dessus des coudes. Une petite pochette pendait sur son épaule.

Kristen se renseignait toujours sur les potentiels futurs professeurs, avec les moyens dont elle disposait : années d'études, maison à Poudlard, éventuelles remarques sur le dossier scolaire. C'était sa façon de se préparer à rencontrer un inconnu. La candidate du jour était, comme elle, issue de la maison Gryffondor.

On dit que la première impression est souvent intéressante à analyser. Joanne Taylor était un étrange reflet de Kristen : elle avait un style simple mais distingué, se tenait droite, avait des cheveux noirs coupés au carré et des yeux bleus. En d'autres circonstances, cette impression de copie - en plus jeune - aurait pu l'amuser, ou bien la dépiter. Cette fois-ci, elle se contenta de hausser un sourcil et d'observer la candidate de haut en bas.

La directrice de Poudlard se contenta d'agir mécaniquement. Elle s'approcha d'elle, et quand la sorcière lui tendit la main, Kristen pensa d'abord à regarder cette main comme si c'était une chose étrange, puis lui tendit la sienne, qui contribuerait peut-être à donner à la candidate au poste de professeur une première impression : sa main était toujours couverte de cicatrices difformes.

« Bienvenue à Poudlard, Madame Taylor, dit-elle d'une voix monotone. »

Le visage fermé, inexpressif, elle se retourna et ouvrit le bras pour inviter la sorcière à la suivre dans une petite marche. Ce n'était pas pour profiter du soleil, mais plutôt pour s'éviter la perte de temps qui consistait à rejoindre le bureau directorial pour discuter en privé. Ici, c'était très bien aussi.

« Venez, marchons. Nous aurons le temps de discuter de vos qualifications en profitant du beau temps. »

Elle laissa la sorcière s'engager dans la marche, mais ne voulut pas perdre de temps :

« Je vous écoute. Pourquoi devriez-vous être notre prochaine professeure d'étude des runes ? »

Le regard que lui jette la sorcière laisse peu de place au doute : elle va devoir courir pour être à la hauteur. Le visage fermé, la main tendue dans un singulier automatisme humain. Joanne la saisit sans trop la regarder, elle est bien trop concentrée sur le regard de Loewy, comme s’il était éteint, absent. Présent sans être réellement connecté à la réalité. Effroyable gouffre dans lequel elle aurait presque pu se perdre si la sorcière ne l’avait pas salué. Le mouvement de Kristen, ce bras qui s’ouvre et invite à suivre, Joanne ne s’y trompe pas et ne discute pas : elle n’était pas maîtresse de la situation, elle se plierait aux volontés de la sorcière qui se tenait désormais à ses côtés. Une petite marche pour discuter des qualifications. Ce n’est pas vraiment ainsi que Joanne avait imaginé les choses. Elle s’était représenté l’entretien idéal avec une directrice avenante, un bureau probablement bien rangé, une odeur de vieux ouvrages peut-être. Quelque chose de plus percutant que ce soleil. Astre lumineux qui dénotait clairement avec l’attitude et la tenue de la directrice de Poudlard qui renvoyait une image si … sombre ?

L’esprit de la jeune femme carburait à toute vitesse alors qu’elle jetait des œillades à la femme qui se tenait à ses côtés. Elle n’avait pas de temps à perdre, Joanne l’avait perçu très vite et la phrase qui suivit ne laisse pas de place aux doutes. Sans réfléchir, elle répondit à la volée « Il me semble que les professeurs passionnés font les meilleurs enseignants. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les Runes me passionnent depuis très longtemps ». Inutile de faire une remarque sur son passé à Poudlard. Sans doute que la sorcière s’était renseignée un minimum avant d’accepter l’entretien avec Joanne.

« Lorsque j’étais encore élève à Poudlard, ou bien même à l’Académie d’Etude des Runes, il m’a semblait que j’étais beaucoup plus attentive aux professeurs qui transmettaient leurs savoirs avec passion et bienveillance. J'aimerais désormais devenir une professeure comme cela? donner envie aux jeunes sorciers de s'intéresser à cette matière mystérieuse qu'est l'étude des Runes ». Elle était risible, on aurait dit qu’elle cherchait à se défaire d’un filet du diable et qu’elle ne mettait aucun cœur à l’ouvrage. Il fallait qu’elle se reprenne, qu’elle ne se laisse pas avaler par l’inquiétude et l’angoisse de l’échec. Dans sa tête, les mots d’Ursula Parkinson résonnaient encore. Elle crispa sa mâchoire, sa vision vagabonda sur l’horizon, sans trop savoir où se fixer, ou se figer. Il était difficile pour elle de ne pas voir les yeux de son interlocutrice : il était plus aisé de savoir comment se situer lorsqu’il y avait les traits du visage, les expressions lisibles dans le regard. Une aide non négligeable dont elle ne disposait pas actuellement.

Alors que la candidate venait d'exposer ses arguments, Kristen s'arrêta soudainement et la dévisagea. Honnêtement, elle ne s'attendait à rien, mais parvenait malgré tout à ressentir une pointe de déception. Non, pas de déception. D'agacement. Avait-elle perdu son temps ? Le discours de la sorcière était terriblement banal : n'importe quel candidat aurait pu lui sortir exactement la même chose, mot pour mot. Je suis passionnée, j'aime transmettre ma passion aux élèves... Ce n'était pas un entretien d'embauche pour vendre des frites dans un fast food, ou même, pour rester dans le thème, d'un entretien pour devenir professeur de mathématiques dans un établissement moyen en manque d'effectifs. Il s'agissait d'un entretien pour enseigner à Poudlard, l'une des plus grandes écoles de magie du monde. La candidate face à elle en avait-elle conscience ? La médiocrité n'était pas la bienvenue à Poudlard, encore moins tant que Kristen en était à la tête.

La directrice de Poudlard fronça les sourcils tandis qu'elle observait l'anatomie faciale de la sorcière. Son visage ne resta pas crispé bien longtemps : elle relâcha tout, y compris un léger soupir.

« D'accord..., fit-elle. »

Elle n'était pas décidée à reprendre sa marche. S'il fallait faire demi-tour tout de suite pour raccompagner Joanne Taylor à la sortie, autant ne pas trop s'éloigner : ce serait une nouvelle perte de temps.

« C'est tout ? »

Un arrêt brutal et une directrice de Poudlard qui a les yeux figés sur elle, Joanne comprend qu’elle n’a pas choisi le bon cheval de bataille pour cette candidature. Le regard qu’elle lui lance, cette espèce de … déception qu’elle lit dans son regard ? Elle n’aime pas ça, instinctivement, un rictus narquois se saisit des lèvres de la jeune sorcière. Elle contient sa hargne pourtant, mais elle ne supporte pas ce regard, cette manière d’agir qui lui rappelle beaucoup trop … sa mère ? La bâtarde demeure toujours, quelque part sous les traits de Joanne, l’enfant meurtrie, rejetée. Celle qui a sans arrêt besoin de faire ses preuves pour se sentir exister. C’était une nouvelle fois le cas.

La carte qu’elle gardait dans sa manche allait devoir sortir, c’était indéniable. La crispation du visage de Loewy ne dura pas : un soupir plus tard et un simple « D’accord » s’était extirpé de ses lèvres. Lorsqu’un « C’est tout ?» s’extirpa des lèvres de la directrice de Poudlard, Joanne ne put retenir son nez de se froisser, comme s’il y avait du dégout dans l’air. Une odeur nauséabonde qu’elle supportait difficilement.

La jeune femme aux yeux saphir laissa échapper un long soupir. Elle aussi, elle perdait patience. Elle ajouta un simple « Très bien ». Comme si elle se résolvait à abattre cette carte qu’elle voulait pourtant garder pour elle. Toujours droite comme un i, le visage froid – en réponse à celui de la directrice – elle n’hésita pas à y aller franc jeu. De toute façon au point où elle en était, cela ne pouvait pas être pire. « Savez-vous Miss Loewy, comment j’ai appris pour ce poste vacant au sein de votre académie ? C’est la Cheffe du Conseil des Sorciers en personne qui m’en a parlé. Je pourrais tenter de vous convaincre que je suis la meilleure pour ce poste, mais difficile de pouvoir vous le prouver alors autant jouer carte sur table et aller jusqu’au bout ».

Ça, c’était la première étape. Il fallait voir comment réagirait Kristen Loewy face à l’aveu dévoilé de la jeune femme. Dépendant de sa réaction, Joanne irait plus loin et parlerait des missives qu’Ursula Parkinson voulait échanger avec elle. « Alors bien sûr, vous êtes libres de ne pas m’écouter, de me ramener aux barques pour que je reparte, de m’enfermer dans un cachot même si vous le souhaitez. Mais est-ce réellement une bonne idée ? ». Sans pour autant reprendre sa marche, la jeune femme s’éloigna de quelques pas. Soufflant par le nez, preuve de son impatience et de sa hargne à l’obtention du poste, elle ajouta « Les runes n’ont jamais passionné grand monde, vous avez là quelqu’un prêt à s’investir et vous seriez prête à refuser ? ». Les mots allaient loin, elle en était consciente. Mais c’était sa seule chance. L’unique chance de liberté.

« Oh, fit Kristen. »

Et elle plissa les yeux. Apparemment, la candidate avait plus d'une corde à son arc, ce qui n'était pas pour déplaire à Kristen. Mieux encore : elle qui voyait cet entretien comme une corvée, d'autant qu'il commençait assez mal, fut enfin intéressée par cette entrevue. Comme légèrement réanimée. C'était une sensation agréable, et un esquisse de sourire apparut sur ses lèvres. Elle reprit sa marche.

« J'apprécie les personnes qui se battent pour obtenir ce qu'elles souhaitent. »

Et Joanne Taylor avait montré bien plus de hargne que les apparences le laissaient imaginer de prime abord. Kristen ne supportait pas les personnes banales, insignifiantes : pour être toléré, il fallait tenter de se hisser à la hauteur à laquelle elle-même se plaçait. Ne pas s'écraser d'une part, mais aussi le faire bien. Certaines personnes qui refusaient de se laisser marcher dessus réagissaient simplement comme des enfants capricieux : ce n'était pas tout à fait le cas de Joanne Taylor. Pas tout à fait, car la candidate avait laissé échappé un peu trop de sa détermination, sur la fin. L'enfermer dans un cachot ? N'importe quoi : elle s'était emportée.

« Votre profil devient tout de suite plus intéressant. »

Elle prit une profonde inspiration. La Cheffe du Conseil des Sorciers lui avait parlé de ce poste vacant ? Loin de se réfugier dans la méfiance, car Kristen savait qu'ici, elle n'avait pas grand-chose à craindre du Conseil, même si ses pouvoirs étaient toujours diminués, cet élément continua d'intéresser la directrice de Poudlard.

« D'autant plus si Madame Parkinson en personne vous recommande. Vous travaillez pour le Conseil des Sorciers ? »

Elle avait touché en plein cœur. Joanne devait-elle penser qu’Ursula Parkinson ne se trompait jamais ? Il y avait dans le regard de la directrice une faible lueur qui s’était allumée. Quelque chose que, jusqu’à présent, elle n’avait pas vu. Oserait-elle dire qu’elle avait entraperçu l’ombre d’un sourire sur les lèvres de la Directrice ? C’était difficile à dire et elle préférait ne pas vraiment se concentrer sur ça mais plutôt sur la reprise de la marche que Kristen avait entreprise et par les paroles qu’elle laissait à Joanne. Il fallait croire que son coup de sang et les mots qu’elle avait déversé avaient touché la Directrice. Son profil devenait plus intéressant, forcément. Quant à se battre pour obtenir ce qu’elle voulait … n’était-ce pas ce qu’elle faisait ici-même ? Cherchant à tout prix sa liberté ? Possible oui.

La directrice aussi semblait avoir des soucis de respiration : elle prit une profonde inspiration avant de poser une question à la sorcière. Cette dernière hésita, un instant, sur la réponse à lui apporter. Après quelques secondes d’hésitation, et au vu que la franchise jusqu’à présent lui avait été profitable, elle ne s’arrêta pas en si bon chemin. « En effet oui ». Un silence avant de continuer. « En toute honnêteté, puisque c’est ce que vous semblez apprécier, je travaille en tant qu’archiviste au sein de la Citadelle ». Unité de réappropriation de l'Histoire, mais devait-elle en dire plus ? Elle l’ignorait. Si la directrice de Poudlard voulait en savoir plus, elle poserait sans doute les questions qui permettraient d’aiguiller la discussion.

« Ce n’est vraiment le métier que je me voyais faire très honnêtement. Ce qui explique ma candidature ici ». La jeune femme fit une pause dans son explication avant de demander, sans aucun détour. « Même si je suppose désormais que vous voulez en savoir davantage sur Ursula Parkinson et ce qu’elle a bien pu me dire sur vous, je me trompe ? ». Joanne n’avait pas oublié la demande de la Cheffe du Conseil des Sorciers, ni les mots qu’elle avait eu à propos de Miss Loewy. Elle devait simplement devenir le hibou facteur entre l’une et l’autre. Ce n’était pas très compliqué. La partie la plus difficile se jouant là, actuellement, devant le paysage d’un Poudlard modifié, transfiguré.

La conversation accrochait de plus en plus Kristen. Ainsi, Joanne travaillait bel et bien pour le Conseil des Sorciers. Se présenter ici était assez culotté : à peu près tout le monde devait être au courant que Poudlard n'était officiellement pas de l'avis du Conseil. Fort heureusement, Kristen n'avait a priori rien contre le culot bien placé. La directrice de Poudlard ne manquerait pas, évidemment, en tant que Fangs, de récolter quelques informations potentiellement utiles sur ce métier d'archiviste. Enfin, même s'il aurait été intéressant à titre purement informatif de savoir ce qu'Ursula Parkinson avait dit d'elle, Kristen ne s'en souciait pas assez pour saisir l'opportunité offerte par la candidate. Incroyable mais vrai, le sourire infime sur les lèvres de Kristen se maintint : elle ne pensait plus qu'à ce qu'elle était en train de vivre, au moment présent. Le moment n'était pas choisi pour se laisser aller - ses problèmes resteraient ses problèmes, qu'elle y pense ou non à l'heure actuelle. Elle avait plutôt une autre partie à jouer.

« Oui, vous vous trompez. En partie, du moins. Je me fiche de savoir ce qu'Ursula Parkinson vous a dit de moi : je suis à peu près certaine qu'elle ne me connaît pas si bien qu'elle se l'imagine. Son avis a donc assez peu de valeur à mes yeux. »

Elle marqua une pause et observa le château qui se dressait majestueusement devant elle.

« Êtes-vous l'une de ses proches ? Pourquoi vous a-t-elle recommandée, vous en particulier ? Si vous n'aimez pas ce que vous faites, il doit bien y avoir une raison à votre présence au sein de la Citadelle. »

Elle jeta de fréquents regards à la sorcière, continuant cette petite promenade sous le soleil écossais.

Un fin sourire était venu orner les lèvres de la directrice, la rendant beaucoup plus accessible que les minutes précédentes. Comme quoi un simple sourire pouvait faire changer les choses. Mais Joanne n’oubliait pas les paroles précédentes, elle ne perdait pas de vue son objectif non plus. Ainsi donc elle se trompait. Pourquoi pas. Après tout elle ne connaissait pas personnellement Miss Loewy – pas plus qu’elle ne connaissait Miss Parkinson. Mais elle devait admettre que cette dernière avait eu raison quand à la candidature de la jeune femme : sans le fait qu’elle côtoie Ursula Parkinson, jamais la directrice de Poudlard ne lui aurait accordé le moindre regard.

Le sourire de la sorcière s’agrandit lorsqu’elle entendit les simples mots « … qu’elle ne me connait pas si bien qu’elle se l’imagine … ». Parce qu’il s’avérait justement qu’Ursula avait eu particulièrement raison sur l’atout de sa candidature au sein de l’académie. Toutefois, la jeune femme ne répondit rien pour l’instant, laissant à Kristen Loewy le temps de poser les questions qui devaient lui brûler les lèvres. Ce qui ne tarda pas à arriver. Des questions sur sa proximité avec la Cheffe du Conseil des Sorciers, sur sa recommandation … et surtout sur les raisons de sa présence à la Citadelle.

Prenant le temps de faire quelques pas tout en réfléchissant à sa réponse, la jeune femme soupira et admit « Il y a parfois des instants dans la vie où il faut faire ses preuves. Cela se révèle régulier au sein de ma famille ». Enfant, Joanne avait dû faire des pieds et des mains pour être remarquées, adulte, les meurtrissures qui emplissaient son cœur n’avaient pas guéries. Et pourtant, elle courait toujours après la chimère qu’elle arriverait à satisfaire ses parents. Les yeux perdus dans le paysage, la jeune femme réfléchissait. Un enchaînement étrange l’avait mené jusqu’ici.

« Pour tout vous dire, je ne suis pas une de ses proches. Je dirais plutôt que ce sont plutôt mes parents lui vouent un culte particulier. Elle m’a parlé de cette possibilité au vu de mon passif au sein de l’académie des runes et parce que je n'étais pas à la Citadelle par conviction » Le mot, les phrases d'Ursula Parkinson étaient gravés dans l'esprit de Joanne, qui les repassait en boucle pour ne pas les oublier. Elle continua doucement sur sa lancée, provoquant le deuxième aveu de cet entretien. « Et sans doute aussi parce qu’elle avait besoin d’une liaison entre vous et elle ». Le regard azur de la sorcière quitte le paysage pour se figer dans celui de son interlocutrice. « Vous semblez si sûre de vous en disant qu’elle ne vous connait pas si bien … pourtant … elle était certaine que le fait d’être en quelques sorte missionnée par ses soins … rendait ma candidature bien plus intéressante à vos yeux ». Ce qui était clairement le cas aux yeux de Joanne.

Le sourire de Kristen diminua à mesure que celui de son interlocutrice croissait. Ses yeux toujours plissés dévisageaient les expressions de Joanne Taylor, décortiquant désespérément chaque détail que la candidate pouvait, inconsciemment ou non, lui livrer. Ses paroles, en tout cas, en livraient beaucoup. Elle ne travaillait donc pas à la Citadelle par conviction. C'était une bonne chose, a priori, mais des rumeurs de serments inviolables tournaient sur certains employés du Conseil. Joanne avait-elle dû prêter serment ? C'était une question à ne pas négliger, mais secondaire pour l'instant présent. D'autres mots avaient capté l'attention de Kristen : Joanne avait été envoyée pour faire le lien entre Poudlard et Ursula. Intéressant.

Le reste satisfit moins Kristen : ses mâchoires se crispèrent et son sourire avait totalement disparu. Elle haussa le menton en inspirant l'air de l'été par le nez.

« Être perspicace ne signifie pas me connaître. J'en déduis simplement que Madame Parkinson a suffisamment étudié mon parcours, et peut-être entendu certaines rumeurs à mon sujet, pour anticiper quelques-unes de mes réactions. Mais nous ne sommes jamais seulement nos biographies, n'est-ce pas ? »

C'était une question tout à fait rhétorique. Ce qu'Ursula avait pu déduire venait de portraits dressés par autrui, de faits, certes, mais dont la motivation pouvait parfois rester opaque, et Kristen ne se résumait pas à son histoire. Certains secrets étaient uniquement gardés dans son cœur. Même Ursula Parkinson, toute détective qu'elle puisse être, ne pourrait percer tous ses secrets.

« Vous serez pour elle une occasion de mieux me connaître, j'imagine. C'est un commerce équitable : vous vendre une opportunité en échange de ce petit service. »

Kristen posa ses mains sur ses hanches et balaya du regard le parc de l'école.

« Je vais vous poser une autre question. Après tout, c'est ce que l'on fait en entretien. »

Elle tourna la tête vers son interlocutrice.

« Pour qui voulez-vous faire vos preuves, aujourd'hui ? »