"Depuis quand tu me parles, toi ?"

J’parle plus. Mais ça, elle ne le sait pas, évidemment. Parce qu’elle me reproche tout, alors qu’elle ne sait rien. Alors qu’elle n’a pas été présente lorsque j'avais aussi besoin d'elle. Anna n’a pas le droit de tout me reprocher. J’ai peut-être fait des erreurs, elles ne m'appartiennent pas toutes. Anna n'est pas juste. Et sa voix a beau être glacée, elle me brûle comme un claquement de fouet.

Je redresse la tête. Si je m'en veux pour trop de choses, je ne la laisserai pas me mépriser. Elle n’est pas seule au monde. Elle ne sait pas que les cauchemars sont revenus en force, que je me réveille chaque nuit, les poumons en feu, hurlant au secours. Moi je sais que

Son temps
Est compté.

Que je suis tellement en colère contre le monde qui m’a arraché mon enfance, et qui veut à présent s’en prendre à mon frère. Sauf qu’elle reste à l’intérieur, serrée autour de ma gorge. Elle s'y est logée et ne désire plus repartir. J’aimerais lui dire tout cela. Lui crier qu’elle est égoïste. Seulement, il me manque quelque chose. Ma voix.

Mais je suis en colère contre ses mots, son ton dédaigneux, et l'indignation prend le dessus sur toutes mes envies d’excuses. En cet instant, je suis certaine que je n'ai rien à faire ici, à côté de cette fille que je ne connais pas, cette fille qui me juge. Mais avant de lui tourner le dos, j’ai une question à lui écrire. Je sors mon carnet, des éclats de verre pleins les yeux.



J’aimerais qu'elle sache que j’me sens seule… mais elle comprendrait pas. Elle ne comprend pas.

Les deux jeunes filles s'étaient déplacées inconsciemment vers le parc, loin du bruit des tribunes.
Elles étaient en colère, rejetant chacune la faute sur l'autre, sans savoir accepter leurs erreurs.
Les regards noirs fusaient, sans parole.
Mais il n'y en avait pas besoin, les Mots n'étaient d'aucune utilité lorsque les yeux s'exprimaient. Tant d'émotions, de sentiments, pouvaient se transmettre en seulement un regard.
Les expression du visage aidaient aussi beaucoup.
Pas un sourire.
La mâchoire contractée.
Les sourcils froncés.
Tous les signes de la colère était présent sur le visage de la Rouge.
Les Mots n'étaient donc pas les bienvenues dans ce combat de regard remplis d'éclairs.

Mais pourquoi tant de haine, alors que les deux jeunes filles s'entendaient si bien auparavant ?
Comment les sentiments avaient-ils pu se modifier aussi rapidement ?
Tout était basé sur des non-dits, elles ne savaient plus rien l'une de l'autre.

Ella sortit rageusement son carnet et griffonna quelques mots.
Elle lui retournait la question.
Pourquoi est-ce que je ne lui parle plus ?
*Parce que tu n'aimes personne.*
Parce que t'es là.
*Parce qu'elle t'as ignorée.*
Parce qu'elle me parlait plus.
C'était encore un cycle sans fin, faisant retomber la faute sur l'autre.
Et puis d'ailleurs, pourquoi Ella ne lui parlait-elle pas directement ?
*Elle ne veut pas dévoiler ses faiblesses, elle a Honte.*
T'as raison.
La Rouge était tellement en colère qu'elle était d'accord avec La Voix. Elle était à deux doigts d'exploser, de crier sa haine, sa colère, sa tristesse.
C'était une colère triste, désespérée d'avoir été abandonnée durant les moments les plus durs.
D'avoir été laissée tomber.
Seule.
Alors elle cria, laissant La Voix l'emporter avec Elle dans les ténèbres, dans les profondeurs sombres de son esprit plein de haine.
Il fallait bien qu'elle explose un jour, c'était simplement la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.

- Moi je vais pas bien, je suis seule, et toi t'as fait quoi pendant ce temps !? Rien, absolument rien ! Alors me demandes pas pourquoi je t'ai pas parlé, c'est ta faute !

*Une gamine.*
C'est juste la vérité.
*Alors continue.*

- Et 'pis d'ailleurs, pourquoi tu me parles pas en face ? T'as peur ?

Cette dernière phrase était de la provocation à l'état pure. Elle n'avait aucun intérêt, outre le fait de pousser Ella dans ses retranchements, pour qu'elle perde les pédales à son tour et dévoile ce qu'elle ressentait vraiment.
Enfin, une petite part de la Rouge avait quand même envie de savoir pourquoi la jeune fille écrivait dans un carnet, au lieu de lui parler en face.

A présent, Anna ne faisait plus d'efforts pour diminuer sa colère, elle était là, bien présente, et ne semblait pas décidée à s'en aller.

Les mots fusent, lourds de reproches, vengeurs, violents. Mais ce n’est pas pour ça qu’ils font mal. Il font mal parce qu’ils viennent d’une fille qui a été mon amie. Une fille avec qui j’ai partagé des choses rares. Des éclats de rire, étouffés par le rideau blanc de la neige, se répercutent dans ma tête. Je lui ai tout dit. Je lui ai fait confiance. Ce Noël, rempli de confiseries et de tourbillons de neige, je l'ai vécu grâce à elle. Après tout ce temps passé à m’en méfier, j'avais eu l'impression d'avoir trouvé l’amitié. J''aurais dû m'en douter. Que toutes les belles choses *meurent* trop vite et que serai juste seule à nouveau. Avec un grand trou noir à la place de la poitrine. Comment on a pu en arriver là ? Comment est-ce possible d’haïr à ce point quelqu’un qui nous a été si proche ?

Je pleure sans retenue à présent. Mes joues, rougies par la colère et l’amertume, sont baignées de larmes que je ne tente pas d’essuyer. Elle voulait me blesser, ça a marché. *Comme d’habitude* Et ça me rend folle. Je n’en peux plus. D’elle, d’eux, de tout le monde. Mon carnet tremble dans ma main, et je le serre plus fort pour ne pas le lâcher. Une pensée honteuse me traverse l’esprit. Quelques secondes, je me suis imaginée le lui lancer dessus. Mais il y a une chose, bien plus mauvaise, que je peux faire. La blesser dans l’âme. Comme ils l’ont tous fait. Comme elle vient de le faire. En cet instant précis, je ne réfléchis plus. J’ai simplement envie qu’elle ressente la même chose que moi.*La douleur*



Qu’elle ait mal. Qu’elle regrette. Que ça ne soit plus moi la faible de l’histoire. Celle qui se fait jeter à l’eau. J'veux devenir celle qui sait nager.

Ella pleurait sans retenue.
*Tu lui as fait mal.*
Je... je sais. Mais je m'en fous.
Mais ce ne sont pas que des larmes de tristesse, elle semble aussi venir de la colère, d'une colère profonde, bien trop noire.
Les deux jeunes filles avaient tant de haine en elles qu'elles se devaient de se défouler, de la vider sur quelqu'un.
Elles s'étaient revues au mauvais moment.
*Brisées.*
Malgré cette colère qui était bien visible, Ella ne parlait toujours pas. Elle écrivait.
Pourquoi ?
Anna n'en savait rien, elle n'avait pas été là, alors elle n'en saurait rien.
C'était d'ailleurs ce que disait les écrits de la jeune fille.
La Rouge ne méritait pas de le savoir.
*Tu fais pitié.*
Même si les paroles n'étaient pas dites oralement, c'était dur.
Dur de savoir que quelqu'un pensait qu'elle faisait pitié.
Dur d'avoir perdu une amie.
Dur de se sentir à nouveau brisée, blessée.
Bien sûr que c'était le but d'Ella, elle voulait lui faire ressentir ce qu'Anna lui faisait ressentir elle-aussi. De la douleur.
Œil pour œil, dent pour dent.
Une devise stupide, mais que les deux Gryffones semblaient vouloir appliquer absolument.
Elle veut me faire mal ? J'vais lui faire mal.

Il n'y avait plus de voix qui la contrôlait, c'était juste elle, et cette colère qui s'était bien trop accumulée.
Juste elle et un sentiment de trahison qui la hantait.
Elle n'allait certainement pas se laisser faire, devant les Mots si blessants que lui lançaient sa camarade.
De toutes manières, elle ne montrerait pas un signe de faiblesse.
Pas une larme.
Il n'en était pas question.
Juste de la colère, de la haine, accompagnées de son regard le plus noir et de ses paroles agressives.

- Je fais vraiment pitié ? Dit celle qui est même pas capable de retenir ses larmes et de me parler réellement !

De la haine et de la colère, rien de plus.
Elle sait pas non plus c'qui m'est arrivée, elle peut pas comprendre.

Un sourire ironique, amer, dur, se dessine sur mon visage, et je secoue la tête de droite à gauche. Ses mots ne font que m’effleurer à présent. Ils glissent sur ma peau et suivent les courants d'air en direction de la forêt, bien loin de mon esprit. Car je suis arrivée à un point où rien ne m’atteint plus. Anna me parait soudain ridicule, et je retiens l’envie irrépressible d’éclater de rire. Car oui, ses cris, son envie de me blesser plus que je ne l’ai fait, sont minables. Ses paroles sont minables. Elle ne sait pas de quoi elle parle. Dirait-elle la même chose si elle savait ? *Sûrement* Elle m'a craché dessus, et cette brûlure restera à jamais tatouée dans ma peau. Frotte, frotte, Ella.

Rien ne part,
Tout reste.

Je ne la reconnais plus, et je ne veux plus la connaitre. Je hais cette inconnue, et cela me fait sourire encore plus à travers mes larmes. Pourquoi, je n’en sais rien. *Autodéfense* C’est la seule chose dont je suis capable. Je m’en fous. *Royalement* Et c’est à cet instant que je me rends compte que ma mâchoire me fait souffrir. Alors j’écris, en serrant le stylo si fort autour de mes doigts que mes jointures en deviennent blanches. L’espace de quelques secondes, on n’entend plus que le grattement de la plume sur le papier et le bruit de nos respirations saccadées.

Courant d’éclairs
Foudre contre air.



Je pense, quelques secondes, à m'en aller. Mais je ne lui fais pas assez confiance pour lui tourner le dos. C’est toujours plus facile ainsi de se faire *poignarder*. Alors je reste là, à les fixer, elle et sa haine. J’ai tenté de la comprendre, mais elle n’en n’avait pas envie. Je pense peut-être irrationnellement. Je me comporte probablement comme une gamine blessée. Mais n’est-ce pas là ce que l’on est, toutes les deux ?

Je peux croire aussi dur que du fer que ce sourire sur mon visage est dû au mépris. Au fond, bien sûr que je ne me suis jamais sentie autant trahie de ma vie.

Pourquoi sourit-elle ?
A travers ses larmes, ce sourire n'avait pas sa place. Il était trop amer, trop ironique pour paraître vrai.
Non. Il n'allait pas avec la scène.
Pourquoi est-ce qu'Ella ne s'énervait pas autant que la Rouge le désirait ?
Au lieu de ça, elle continuait à écrire sur son maudit carnet, sans daigner de lui adresser la parole.

L'atmosphère était électrique, Ella écrivait rageusement ses pensées pour les lui adresser tandis qu'Anna commençait à faire les cent pas.
Elle était en colère, haineuse, et le fait que l'Autre ne veuille même pas lui parler en face la mettait encore plus en rogne.
Il fallait qu'elle se défoule, et ne pouvant quand même pas frapper son ancienne amie, elle faisait les cent pas pour essayer au mieux de se détendre.
Lorsqu'Ella eut fini d'écrire, Anna se pencha pour lire ce qu'elle avait griffonné.



*Avoir. Un cœur.*
Un autre coup de poignard en pleine poitrine.
Ça faisait mal, si mal.
La jeune fille venait de lui annoncer qu'elle pensait qu'elle n'avait pas de cœur.
C'est pas vrai, hein ?
C'était juste une question à elle-même, car elle savait que La Voix ne ferait qu'approuver les dires de l'Autre. Mais la Rouge ne craquerait pas.
Et puis, en réalité, Ella ne lui devait pas rien.
Les deux jeunes filles s'étaient réconfortées mutuellement, et avaient passé leur Noël ensemble pour oublier le manque de leur famille.
Alors oui, elles se devaient des choses, elles n'étaient pas rien l'une pour l'autre initialement.

- Toi ? Un cœur ? Si t'en avais vraiment eu un, tu serais restée avec moi quand j'étais pas bien !

Et voilà que leur discussion revenait encore sur la même chose, c'était une boucle éternelle.
Laquelle accepterait en premier qu'elle avait abandonné l'autre ?
Sûrement aucune des deux, car elles étaient bien trop bornées pour s'avouer mutuellement qu'elles avaient toutes les deux commises des erreurs.
Mais non.
Leurs paroles, ou écrits, ne se résumaient plus que par deux mots.
Colère, et rancœur.

Je soupire, soudainement épuisée. Cette discussion m’épuise, elle tourne en rond. Anna et moi nous courons après dans un cercle vicieux. Et un cercle, ça n’a *pas de fin*. J’observe quelques secondes le visage de mon amie. Même cheveux châtains, même yeux bleus qu’en début d’année. Pourtant, tellement de choses ont changé. Je ne veux plus les croiser, il m'est insupportable de la laisser me regarder comme ça les bras ballants. Lâcher prise. Dire adieu. J'ai été incapable de la soutenir comme elle l’avait fait, mais les excuses sont bloquées au fond de ma gorge.

J’veux plus
Du poids
Du monde.

Et Anna ne semble plus tenir à moi autant que je tenais à elle. Bien sûr que non, elle me hait et ça fait trop mal. Plus que tous les *mots-cactus* qu’elle pourrait me balancer à la figure. Je ravale mes larmes. Ai-je envie d’abandonner ? Non. Mais tout m’en dissuade. Les amis sont censés comprendre. S'ils ne comprennent pas, ils doivent au moins chercher avant de tirer des conclusions hâtives. Je tente d’ignorer la douleur qui me tiraille la poitrine lorsque j’écris ces derniers mots. Ils découlent lentement de ma plume, comme pour retarder le moment fatidique. Le moment où ses yeux se poseront sur le morceau de papier. A cette seule pensée, l’air parvient plus difficilement à mes poumons et je fais quelques pas en arrière, chancelante.

Une erreur
Flottant
Dans l'ciel.



Je manque d’y ajouter « adieu », mais je fondrai pour de bon en sanglots et c'est la dernière chose dont j'ai envie. J'aimerais me précipiter dans le lac *mélanger mes larmes à l'eau glacée*. Monter sur les toits et de crier de toutes mes forces. M'enfuir dans la forêt et laisser les ronces me déchirer la peau. Sans jamais m'arrêter. Au lieu de ça, je lui montre mon carnet, et lui laissant à peine le temps de lire, je tourne les talons. En fait, je crois que je cours.

Après
Nos
Souvenirs
Noyés



Je te laisse conclure! Merci pour cette belle Danse, Plume

La colère ne semblait pas vouloir quitter le corps de la Rouge. Elle n'arrivait pas à se remettre en question. Peut-être qu'elle avait tort, mais ce n'était pas la seule. Ella l'avait abandonnée tout comme elle, elles étaient toutes les deux fautives, ce qu'elles n'admettraient jamais.

Puis une dernière phrase, blessante, mais qui ne dévoilait que la vérité.
Elles n'avaient plus rien à se dire, elles tournaient en rond à être trop têtue.
C'est plus comme avant.
*Rien n'est plus comme avant.*
La Rouge était sur le bord des larmes. Des larmes de tristesse, de colère, mais aussi de déception. Elle savait pertinemment que suite à l'apparition de La Voix, et son changement de comportement soudain, elle allait perdre des amis. Elle en avait perdu, bien trop à son goût mais ce n'était pas vraiment son choix, mais elle ne s'attendait pas à se faire laisser par une des personnes qui comptait le plus pour elle à Poudlard.
Juste déçue.
Et pourtant, les deux jeunes filles pleuraient, alors pourquoi n'étaient-elles pas capables de se parler réellement ? Sans cris, sans colère, avec de vrais paroles.
Non, elles semblaient préférer se laisser ronger par la tristesse, jusqu'à ce qu'il ne reste pour rien de leur amitié. Seulement un cœur brisé en mille éclats, qui ne laisserait qu'un vide dans leurs poitrines respectives.

De peur d'éclater en sanglots devant Ella, elle se retînt de lui attraper le bras pour la faire rester. Il ne fallait pas, c'était assumer sa faiblesse, et puis peut-être que sa camarade ne le voulait même pas.
Au revoir.
Et elle la regarda partir, à la limite de la course, son carnet à la main. La Rouge ne connaissait toujours pas la raison de ce silence, elle aurait aimé s'être calmée pour qu'Ella lui explique.
*Trop tard.*
Tout était trop tard.
Quand sa camarade fut suffisamment loin pour ne pas pouvoir l'entendre, Anna se retourna et s'affala par terre, la tête dans les genoux, avant d'éclater en sanglots.
Un jour, peut-être que tout ira mieux.