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04 sept. 2017, 09:41
« Charlie ! »  Solo 
28 décembre 2041 — dans la nuit
Chambre de Narym — Londres (Kensington)
1ère année



Le transplanage est un moyen de transport que je déteste particulièrement. Lorsque mes pieds atterrissent sur le sol, je me sens tomber en avant. Narym me rattrape souplement et me serre contre lui. Je suis si faible. La chaleur soudaine engourdit mes membres et me plonge dans une torpeur plus profonde encore que celle due à la fatigue. Lorsqu'enfin je trouve la force d'ouvrir les yeux, je remarque que l'obscurité m'entoure ; je gémis de crainte, le cœur au bord des lèvres. Mon frère remue contre mon dos et aussitôt un doux éclat éclaire le salon.

Le silence est angoissant. Il est partout et nul par à la fois ; dans mes oreilles persistent les cris mais sur ma conscience le voile du silence est lourd. Je me sens isolée et en danger. La main que pose Narym sur mon épaule me fait sursauter. Je me laisse guider vers le canapé, incapable de résister. Depuis son apparition, je ne parviens plus à réintégrer le monde, à être intéressée par mon environnement. J'aimerais m'endormir et ne plus jamais avoir à ouvrir les yeux.

L'homme s'affaire. Je reste assise sur le canapé, le dos courbé et le regard perdu dans les aspérités du mur. Sur ce mur, une chose bien étrange. Rectangulaire et noire, un point rouge clignote étrangement dans le coin inférieur. Je connais cette étrange chose dans laquelle se reflète l'éclat d'une enfant à la peau pale ; mon esprit part en quête de son nom, en vain. Le reflet me regarde. Une forme recroquevillée et déformée par la matière noire, une chose floue qui me regarde avec la même intensité que je le fais. Je me souviens que cet étrange objet ne peut se trouver que dans un seul endroit : l'appartement de Narym. Que faisons-nous chez lui ? Je n'en ai pas la moindre idée.

Je ne sais combien de temps s'écoule avant que je décide de détourner le regard. Quand je le fais, c'est pour regarder mon frère et acquiescer mollement à une question que je n'ai pas entendu. Quelques instants plus tard, apparait accrochée à sa main une tasse fumante ; je ne réagis pas, la main se débarrasse de son fardeau sur la table basse. Mon frère s'installe près de moi. Machinalement, je m'éloigne de lui.

Plus rien n'a d'intérêt, je suis si vide. Vide de sens, vide d'émotions et de vie. Comment une telle absence de vie peut-elle emplir mon esprit de tous ces éclats anciens ? Pourquoi celui-ci ? Dans le rectangle lisse et sombre se détache désormais la silhouette d'une forme calcinée, fruit de mon imagination. Je reconnais la bombabouse. Sa bombabouse. Face à cette vision ne s'éveille pas la colère que j'attendais ; seulement un détachement douloureux. Et un rappel tout aussi tiraillant de mes mains abimées, de ma pommette gonflée et de tout ce corps qui ne respire qu'au travers ces blessures. Et derrière ma vision se détache une image qui n'est plus celle de la forme misérable et blafarde de tout à l'heure. Je la reconnais, c'est mon Interdit qui se reflète là-bas, son visage ravagé levé vers moi. De son existence ne subsiste plus que son absence, douloureuse et sa présence en moi, infâme. Elle n'a jamais cessé d'être en moi, jamais. Malgré tous mes efforts pour l'annihiler.

Le corps de Narym s'interpose soudainement entre ma vision et moi. Je gémis, perdue, et me penche pour retrouver ce visage dont les traits s'estompent déjà de mon esprit. Mais lorsque mes yeux retrouvent le chemin vers le mur, plus rien ne se détache dans le rectangle obscure, si ce n'est la silhouette de Narym. Je lève des yeux hagards vers lui. Doucement, il s'approche pour m'envelopper dans une couverture chaude, faisant fi de mon mouvement de recul. Ce n'est qu'en ressentant mes membres me picoter sous la chaleur que je prends conscience que je tremblais de froid. Je serre faiblement la couverture contre moi, m'enfermant dans ce cocon doucereux qui, je l'espère, m'éloignera de Tout et surtout du vide. Mon regard se déporte sur la forme misérable de retour dans l'écran ; *c'est moi*, me souffle ma conscience. Cette vision me soulève l'estomac, je m'en détourne le cœur lourd.

D'un tour que je ne comprends pas, Narym change la surface lisse et sombre en un feu de cheminée splendide. Je ne saurais dire si les flammes sont réelles ou illusoires. Elles me happent dans leur danse flamboyante.

Nous restons un long moment ainsi, à regarder le feu. Je pense à énormément de choses et en même temps je ne pense à rien. Je me sens vide et si lourde à la fois. Mes pensées sont libres mais s'enchaînent étrangement ; je sais qu'elles sont là mais je n'arrive pas à les suivre. de temps en temps, je me réveille et me rends compte que je pense à Elle. Alors je m'enfuis de nouveau dans les flammes avec l'impression de tomber et de tomber sans fin dans un gouffre sans fond.

*


Je crois avoir pleuré. Ou dormi. Peut-être était-ce un rêve ? Je m'éveille à un moment sous l'effet d'une brusque sensation de vide. Mes yeux tombes sur le visage souriant de Narym qui me porte jusqu'à son lit ; je n'ai pas la force de résister. Je me blottis contre lui.



J'ouvre les yeux. L'obscurité m'entoure, alourdit par un brouillard épais. Je ne suis pas moi mais je me vois, là, devant. Une forme rachitique, blanche et abimée. Suis-je réellement ainsi ? A mes pieds, une forme. Hésitante, je m'approche de mon autre Moi. La forme est noire mais parfaitement distinguable dans cette brume. Toute proche de la pâle Aelle, je n'ose pas la regarder. Elle me fait peur, elle me dégoûte.

Elle bouge soudainement, je sursaute. Mon coeur se serre quand elle gémit. Lentemnet je la contourse. Le silence est douloureux, mes pas résonnent sur un sol qui n'existe pas.

J'ai peur.

La forme recroquevillée trouve un visage et en fait le sien. Je cris si fort en le reconnaissant ; je tombe en arrière dans une vaine tentative de fuite. Aodren. Aodren dont le visage tuméfié se tord en gémissant et en bavant ; il n'est plus qu'une créature sans âme. C'est moi qui l'aie détruit, je le sais. Je cligne des yeux et tout à coup, c'est de nouveau moi, là-bas, et non plus Aodren.

Je pleure, mais l'autre Aelle ne pleure pas. Elle me regard et sourit, d'un sourire horrible. Elle rit, bientôt, d'un rire d'effroi et de joie.


T'es qui ? je dis. Mais ma voix se perd dans la fumée. Alors l'autre Aelle se détourne de moi et regarde la personne qui se tient à ses côtés. Je ne l'avais pas remarqué.
Charlie.
Elle est belle, paisible. Aelle aussi. Elles se regardent et je suis jalouse. Je n'existe pas pour elles. Elles ne sont que deux et se plongent dans le regard l'une de l'autre comme si elles voulaient s'y noyer. Eloles sont proches, si proches. Plus que je ne l'ai jamais été de Charlie.

Puis soudain, Aelle disparait.
Charlie reste seule, alors elle se tourne vers moi. Je tremble devant son regard émeraude, je tremble devant sa beauté. Je me sens misérable. Elle sourit et son sourire est beau.
Fais attention, dit-elle, quand ça arrivera tu préfèreras qu'il soit le seul à être là. Elle rit ; elle parle d'Aodren. Aodren dont la forme est réapparut non loin de moi. Il pleure et ses sanglots déchirants me lacèrent le coeur. J'aimerais l'aider mais je n'arrive pas à me détourner de Charlie.

Charlie.
Elle regarde derrière moi. Sous mon regard avide, son visage se transforme. Ses yeux se remplissent de larmes, sa bouche se tord, la main qu'elle tend vers moi se recroqueville en une chose sanguinolente. Je crie :
Charlie ! Charlie, ta... ta main !

Elle ne veut pas m'entendre. Je n'arrive pas à me lever, je suis coincée près d'Aodren. Il me regarde, désormais, de ses grands yeux vert effrayants. Et sa main enferme la mienne dans un étau mortel. J'essaie, en vain, de me dégager. La chaleur augmente petit à petit. Je transpire ; Aodren sue ; Charlie fond. Elle fond ! Sa peau coule et dégringole en de grosses gouttes brules, son oeil se disloque et pend hors de son orbite. Horrifiée, je crie.

Charlie tombe et Aodren s'évapore. Je pleure en voyant le visage de Charlie s'affaisser. Je crie quand elle perd conscience. Et lorsque le brouillard se fait plus épais, lorsqu'il s'empare de Charlie et qu'il se referme sur moi en brûlant chaque partie de mon corps, je hurle.
Je hurle.
Je hurle.




« Charlie ! »

La gorge me brûle.

« Charlie ! »

Mon corps se rappelle soudainement à moi. Il bouge dans tous les sens, tentant de se défaire de la prison dans laquelle les draps l'enferment. Je suis coincée. Je panique et secoue mes bras dans tous les sens, le souffle commence à me manquer, mes yeux me brûle. Je pleure et crie des phrases incompréhensibles. Je ne reconnais plus rien autour de moi, il fait nuit, j'ai peur. Charlie fondait ! Elle fondait. Je dois l'aider, arrêter ça, faire quelque chose. Des sanglots déchirants m'affaiblissent.

« Char… Charlie ! »

Son nom s'inscrit à l'encre indélébile dans mes pensées. Je le répète, encore et encore. J'ai la sensation de retrouver un vieil ami. Un sentiment de danger me fait permuter. Je dois bouger, je dois me lever. Mais une force incroyable appuie sur mon esprit et m'enlace dans son étreinte douloureuse. Ma voix devient rauque, mes larmes m'étouffent.

Soudainement, alors que je me débats pour me dépêtrer de mes couvertures, je sens une présence près de moi. Je recule au fond du lit en criant, cessant brusquement mes pleurs. Je tapote à l'aveugle autour de moi, à la recherche de ma baguette. Je respire laborieusement, je ne sais pas où je suis mais...

« Ely. Ely, c’est moi… »

Une fois douce. Une voix d'homme ; Narym. Il se détache soudainement dans l'obscurité. Il essaie de me sourire, je crois. Je suis chez mon frère, je me souviens à présent. Alors sans prévenir, mes yeux se remplissent de larmes et je m'étrangle dans un sanglot douloureux. Je plonge la tête dans mes bras pour me dérober aux yeux de Narym. Je pleure à grand renfort de larmes et de gémissements, sentant mon cœur gonfler dans ma poitrine. Une boule dans ma gorge m'empêche de respirer convenablement. J'agrippe mes cheveux pour les tirer, me balançant d'avant en arrière. J'ai mal au cœur. Pas d'une douleur physique. C'est plus profond et ça prend toute la place. Elle frappe douloureusement à ma conscience et me laisse dans un état lamentable.

Tout m'échappe. Je n'ai de contrôle sur rien. Ma famille m'échappe, le geste que j'ai eu envers Aodren est limpide ; j'ai été d'une violence inouïe. Je me suis échappée, brisant ainsi la confiance de Papa et de Maman. J'ai utilisé ma magie contre l'un de mes frères et ai forcé un autre à utiliser la sienne contre moi. Je me suis mise en danger en allant seule dans une ville inconnue. Je n'arrive pas à accepter l'idée que Charlie me déteste.

Je ne repousse pas Narym quand il me prend dans ses bras. Il est monté sur le lit et m'a tendrement rapproche de lui, passant ses bras autour de mes épaules, enfouissant ma tête dans son cou. Il me serre fort et me berce. Il me parle, je crois. J'entends le son grave de sa voix mais je ne l'écoute pas. Je me contente de laisser mes larmes couler sur son pull. Son odeur me calme.

Je finis par me calmer de longues minutes plus tard, bercée par ses bras et sa voix. Les yeux dans le vague, je regarde la pénombre qui nous entoure, incapable de fixer mon regard sur quoi que ce soit. Les battements de mon coeur se sont apaisés mais ma frayeur est encore présente. Tout s'est soudainement rappelé à moi, tout ce que j'ai essayé d'oublier avec tant d'ardeur. Mon esprit est assiégé par les images, les visions, la douleur. J'ai la sensation de sortir d'une apnée interminable. La surface est doduloureuse. *Je veux plonger*, mais Narym ne me laisse pas, il me serre si fort que je ne peux laisser s'enfuir mon coeur. J'ai l'impression qu'avec ce seul geste, il parvient à me garder entièrement près de lui. Pourtant, il ne peut rien faire contre les images de mon cauchemar.

« C’est à cause de ce Charlie que tu t’es enfuie, Ely ? »

La voix grave de Narym ne bouleverse pas ma plénitude. Je suis épuisée, rien ne peut me forcer à éprouver de nouveaux sentiments intenses pour le moment. Il pense que Charlie est un garçon. C'est étrange de voir qu’il suffit de ne plus rien contrôler pour retrouver des choses que l’on s’interdit. Son prénom, Charlie, résonne agréablement dans mes oreilles, même si entendre de nouveau cette sonorité me blesse le coeur. Cela fait près de deux mois que je m'interdis de penser à elle par son prénom. Elle est “Elle”, “la Gryffondor” ou tout simplement rien, juste un concept, une idée dans mon esprit blessé. Je soupire en me dandinant pour me défaire de l’étreinte de mon frère. Il me laisse m’éloigner mais ne me quitte pas du regard. Je garde tout de même sa grande main dans la mienne, plus petite. Il a de longs doigts et sa paume exempte de défauts est recouverte de traces colorées, vestiges de je ne sais quel devoir d’enfant corrigé à la lumière du feu.

*Il enjolive les choses*. Oui, Narym sait que je me suis enfuis en partie parce que j'ai frappé Aodren. Il évite de le dire, peut-être ne peut-il pas l’accepter malgré son accueil ? Mon coeur se serre en pensant que peut-être il me détestait, mais qu’il s’obligeait à m’héberger par gentillesse. Aodren est son frère aussi, il l’aime comme il nous aime tous, il est aussi très proche de lui, il ne peut que m’en vouloir d’avoir fait ce que j’ai fait. Je regarde ma propre main qui jure avec la sienne. Là où celle de Narym est douce, la mienne est rugueuse, abîmée par des années de négligence et récemment par les coups. Mes phalanges sont boursoufflées, des traces de sang encore visibles, je me suis arrachée quelques ongles en griffant violemment la peau d’Ao’. Je serre mon poing inconsciemment, la douleur explose dans mes doigts. *T’as mérité cette douleur*.

Une main se pose soudainement sur la mienne. Je lève des yeux douloureux sur Narym. J'ai déjà oublié la question qu’il m'a posé. Il a pu voir toutes mes émotions passer sur mon visage, il a pu voir mes poings. Je me lève rapidement, je ne veux plus qu’il les voit. J’avais réussi à lui cacher les vestiges de ma violence, j’espérais naïvement que cela resterait ainsi. Il n’y a qu’une seule chose qu’il peut se dire en voyant cela : elle l’a vraiment fait, elle lui a vraiment cassé la gueule. Je serre la mâchoire, sentant mes yeux se remplir une nouvelle fois de larmes. Je suis épuisée.

Narym se lève et s’approche lentement de moi, comme s’il ne souhaitait pas m’effrayer. Il s’agenouille, m’obligeant à lui donner mes mains. J’essaie de résister mais je ne peux rien face à ses yeux couleurs miel. Il prend mes poings entre ses grandes mains, ouvrant un à un mes doigts meurtris. Il lève la tête vers moi, mais je ne le regarde plus. Je reste fixé sur l’image de ces mains d’enfants abîmées. Comme une certaine Rouge et Or avant lui, il pose un doigt délicat sous mon menton, relevant ainsi mon visage vers lui. Contrairement à la réaction véhémente que j'ai eu face à Charlie, réaction que je regrette encore, je ne fais rien. Je me contente de rougir sous la force du regard de Narym Bristyle. Peut-être ma Rouge et Or se vexerait-elle en voyant que je laisse certaines personnes m'atteindre, mais elle ne pourra jamais comprendre qu’elle m'a eu comme jamais personne ne m’a eut avant elle. Dans ce présent-ci, il n’y a point d’océan tumultueux face à moi, il n’y a point d’âme à décortiquer, à comprendre. Il y a juste ces yeux fraternels que je connais tant, il n’y a que ce frère qui persiste à vouloir me parler malgré mon comportement. C'est simple. Si simple.

« Ely…, » dit-il, et mon cœur s’emballe. Laisse-moi te soigner… »

Pourquoi Narym me laisse-il toujours le choix ? Il est doux alors Zak est brut, il est gentil là où Naël ne me laisse pas discuter, il est compréhensif quand Ao est moqueur, il est souriant dans ces moments où Papa et Maman sont colériques. Tous autant qu’ils sont sont ainsi parce qu’ils s’inquiétent pour moi et m’aiment, je le sais — quoi que j'ai de sérieux doutes à propos d’Aodren — mais Narym est celui qui le fait le mieux.

« Non, » murmuré-je d’une voix faible que je déteste, je veux pas que tu me soignes, j’ai pas mal. »

Ne pouvant pas baisser la tête, je détourne le regard sur la couverture froissée.

« Ne dis pas de bêtises, tu vois comme moi l’état de ta main, tu ne peux pas ne pas avoir mal…
Si, c’est le cas, lui répondis-je en haussant les épaules. T’as d’autres choses à faire, vas-y… »

Ma voix ne se montre pas aussi véhémente que je l’aurais souhaité, elle se contente d’être platonique ou au mieux pathétique. J’essaie de me libérer des mains de mon frère mais sa poigne se fait plus forte ; il ne me laissera pas partir.

« Je vais guérir ça. Avoir mal ne changera rien et tu le sais. »

Comment fait-il pour garder une voix si douce malgré son autorité ? Je lui lance un regard à la dérobée, il m’agace à insister, je peuxrefuser de guérir, non ? *Laisse-moi, s’il-te-plait, Narym…*, je ne veux pas me disputer avec lui mais ma fierté se refuse à présent de se laisser soigner.

« J’le ferai moi-même dans ce cas. »

Il ne me répond pas. Il se contente de me fixer, maintenant encore mon menton d’un seul doigt. Ce fin lien entre nous peut facilement être brisé mais je ne le souhaite pas. Il doit le ressentir, car il se rapproche plus encore et pos sa main sur ma joue.

« Narym, je… » Sa présence me bouleverse. «Laisse-moi, s’il-te-plait, j’ai besoin d’être seule… »

Je sens mes larmes se réunir, me forçant à papillonner des yeux. Un brin de colère s’éveille dans mon cœur, je me sens si faible. Il n’y a rien que je déteste plus que de pleurer devant quelqu’un, que ce soit un membre de ma famille ou un parfait inconnu. Dire que Charlie m’a sûrement vu pleurer… Je suis gênée à cette idée, même si la gêne n'est sûrement la partie la plus intéressante de notre relation. Je me demande soudainement où elle est. Je ne sais pas si elle est restée à Poudlard durant les vacances. Elle n’était pas dans le train lorsque je l'ai pris pour rentrer, mais cela ne signifie pas qu’elle n'a pas quitté le château depuis. *Est-ce qu’elle habite Londres ?*. Je n’en sais rien, je ne connais pas grand chose d’elle, je ne connaissais rien.
*C'est faux*.
Je la connais. Je ne connais pas sa date de naissance, son lieu de vie hors de l’école, je ne sais même pas si elle connaissait la Magie avant d’arriver à Poudlard. Je ne connais rien de cela, mais j’ai l’impression d’avoir vu des choses plus intimes d’elle. Elle a pu voir, elle, une partie horrible de moi, en cela elle me connait mieux que mes propres frères — cela vient de changer, me rappelle le visage tuméfié d’Aodren. Et moi, j'ai vu qu’elle était prête à sacrifier énormément de chose pour… Pour quoi exactement ? Je n’en sais rien. Mais je sais qu’elle est capable de se blesser horriblement *pour toi*, me souffle une voix que je renie aussi sec. Je ne connais pas ces détails dont doivent se délecter ses camarades de Gryffondor, mais j’ai eu un accès direct à Elle et nous partagions une chose bien plus pure qu’un dortoir dans une vieille école. *De toute façon, j’ai perdu tout ça, y’a plus rien maintenant et elle m’a oublié…*. Il est vain de penser à de telles choses. De penser à elle.

Narym accroche mon regard.

« Non, ascéne-t-il.
Quoi ?
Je te laisserai tranquille après avoir soigné tout ça/ »

Sa voix était désormais sans appel.

Il se leva sans me lâcher. *J’vais pas partir*, pensé-je avec aigreur. Il passe ses mains dans mon dos et me pousse doucement vers la porte de la chambre. J’avance donc, incapable de protester.

Nous traversons son salon pour aller dans la salle d’eau. Un salon familier, au couleur de la nuit et de la lune, avec des touches moldues qui m’ont toujours intrigué. Il est plongé dans l’obscurité. La nuit est tombée, mais le sommeil m'a quitté avant qu’elle ne prenne fin. Cela explique ma fatigue et les cernes de Narym. Je m’en veux de l’avoir réveillé.

Dans la salle d’eau, Narym m’oblige à m'asseoir sur la baignoire pendant qu’il fouille dans un placard. Il en sort quelques objets que je ne reconnais pas. Des boites aux couleurs étranges, de fins morceaux de tissu blanc qu’il me fourre dans la main, des tubes. Pas de flacons, pas de potions, pas d’ingrédients. Que compte-il faire de toutes ces choses ?

« Tu sais, marmonné-je en tripotant les compresses, je doute que ces choses moldues soient plus utiles que des potions magiques. »

Nar leva la tête et me sourit étrangement avant de se lever et de quitter la pièce. Je me demande si je l’ai agacé ; je me mords la lèvre, honteuse. Finalement, il revient et me jette une poche en cuir de dragon. Je l’attrape maladroitement. A l’intérieur, des fioles en tout genre. Je lance un sourire d’excuse à l'homme qui se moque de moi, puis me décide à fouiller dans les fioles. Je les sors une à une pour les poser sur l’évier, essayant de trouver à quelle potion correspondait chaque mélange. Narym me prend les mains et les examine. Je me laisse faire, l’esprit toujours tourné vers le contenue des fioles.

« Ta main gauche guérira rapidement, mais quelques doigts de la droite sont foulés. »

Il me dit cela d’une voix rauque et lorsque je le regardai, il détourne rapidement les yeux. Je baisse aussi les miens, sentant revenir la boule dans ma gorge. Je vois bien qu’il est difficile pour Narym de me soigner. Il sait que cette main s'est abîmée sur le visage de son frère.

« Sais-tu quelle potion permettrait de soigner tes doigts, Aelle ? » me demande-t-il soudainement.

Je lui lance un regard surpris. Il déballe une grande bande de coton. Il se débrouille si bien avec les choses moldue du quotidien que je me demande parfois s’il a réellement été élevé par nos parents. Je prends le temps de réfléchir avant de lui répondre. Je connais la réponse. Ou plutôt, je pensais la connaître. Il n’y a qu’une seule potion avec une texture pâteuse et c'est celle-ci que l’on utilise en baume.

« Celle-ci. Elle permettra de diminuer l’enflure et… Et d’apaiser la douleur.
Les potions ne sont pas si ennuyantes, n’est-ce pas ? » me nargue-t-il en étalant doucement la pâte sur mes mains.

Je lui souris, mais ne dit rien. Je le regarde s’occuper de mes mains. Je ressens une douleur aiguë à chaque fois qu’il passe ses doigts sur mes phalanges et mes articulations blessées. Après avoir étalé de façon homogène la potion, il entoure doucement mes mains dans l’étrange bande en me signifiant que cela me protégera et permettra de faire pénétrer la crème.  Puis il prend sa baguette et la dirigea vers ma main droite, celle où se trouvent mes doigts foulés.
Tout simplement, il prononce un sortilège qui me glace le cœur.

« Ferula. »

Ce sortilège que j’ai tenté de lancer sur des doigts, eux-aussi bien abîmés. Ce simple mot qui n’avait que le but de réparer mon erreur et son comportement incompréhensible.
Ferula.
Ces six lettres contiennent toutes mes émotions. Je me rappelle avec netteté ma frustration de ne pas réussir à faire quoique ce soit avec ce sortilège. Je n’ai pu soulager Charlie, comme je n'ai rien pu lui apporter de bon. Je m’accroche à la baignoire avec la force du désespoir, faisait tout pour m’empêcher de fondre en larmes et de crier, crier, crier.

« Voilà, » s’élève la voix de Narym. Et je le remercie d’éloigner les souvenirs, « Je vais t’en mettre sur la pommette. »

Je ferme les yeux quand il approche la crème de mon visage. C'est froid et désagréable. Ma main pulse sous son bandage et l’attelle qui est apparue maintient mes doigts si droit que je ne peux plus bouger les autres.

« Tu utiliseras le même flacon si tu as d’autres contusions. Et celui-ci, dit-il en sélectionnant une potion et en rangeant les autres, « pour apaiser les autres douleurs. Je vais te préparer à manger, tu en as besoin. Je te laisse te soigner, Ely. Prends une douche, si tu as besoin. Tu te rappelle du fonctionnement ? »

J'acquiesce en lui offrant un sourire que j’espère convainquant. Il quitte la pièce en m’offrant un geste affectueux. J'ai envie de me rouler en boule sur le sol. Mais puisque Narym va s’inquiéter si je prends trop de temps, je me lève et me déshabille lentement.


*



28 décembre 2041 — après-midi
Salon de Narym — Londres
1ère année



D’un oeil morne, j’observe Narym s'abîmer les yeux devant une boite rectangulaire lumineuse. De ses doigts, il tape furieusement sur une sorte de pavé noir emplit de minuscules carrés dont le bruit est insupportable. Les instruments et la voix qui s’égosillent en bruit de fond ne suffisent pas à couvrir ce bruit infernal.

Affalée sur la table du salon, un livre ouvert devant moi, des parchemins vierges recouvrant toute la surface métallisée, j’essaie sans trop d’effort de me concentrer sur un quelconque devoir. Je ne sais pas ce que j’essaie de travailler et ne m’en préoccupe pas. J’ai fini mes devoirs la première semaine de vacances, mais cela Narym n’a pas besoin de le savoir.

Je lui ai demandé du parchemin lorsque, ne supportant plus de me voir regarder dans le vide, il a voulu me mettre devant sa tévélision. Je n’ai plus l’âge de regarder les dessins ignobles devant lesquels il me plaçait petite, alors je lui ai dit qu’il pouvait bien allumer sa chose que je ne la regarderai pas. Il n’a pas apprécié que je lui parle ainsi, cela se voyait dans ses sourcils froncés, mais je pense qu’il voulait me préserver après ce que j’ai vécu, alors il ne m’a rien dit et cela m'a frustré. Il a fouillé dans toutes ses affaires moldues pour trouver les restes de parchemins qu’il avait et me les a donné. Je me suis donc attablée et depuis, je fais semblant de travailler pour ne pas l’inquiéter. Je m’en veux de réagir comme cela, surtout avec lui, mais je n'ai le goût à rien, je n'ai pas aimé qu’il me force à m’occuper.

Le souvenir de mon cauchemar est encore présent dans mon esprit.
Je ne suis pas apaisée. Je sais que Zakary rend souvent visite à notre grand frère, ils passent beaucoup de temps ensemble. A chaque bruit que j’entends en provenance du le couloir, je sursaute stupidement, m’attendant à voir Zakary pénétrer dans l’appartement. Narym m'a dit que personne ne viendrait, que tous savaient mais qu’il n’autoriserait personne à entrer. Il l'a fait pour moi, et je lui en suis reconnaissante. Mais cela me donne l'impression d'être une horrible personne, une horrible personne que l'ont veut tenir loin de sa famille.

« Ely ? »

Je sursaute brusquement, retrouvant une position d’alerte, le cœur battant. J'offre un regard interrogateur à mon frère. A-t-il remarqué que je ne travaille pas ? A-t-il compris que je lui ai menti afin d’avoir la paix ?

« Cette fille... »

Je me referme aussitôt, plongeant la tête sur mon parchemin.
Le kiosque, les cris, le froid. La folie, la colère. La folie.
Notre rencontre n’avait pas été glorieuse et je doute fortement que la fille que j'ai rencontré hier en garde un bon souvenir. Je soupire légèrement en jetant un regard à mon frère. Je n’oserais jamais lui dire que je ne me rappelle pas de grand chose.

« J’aimerai que tu lui envoies un hib…, commença-t-il.
Hors de question ! » craché-je sans pouvoir me retenir.

Il me regarde d’un air étonné, puis se lève pour me rejoindre.

« Aelle, elle t’a aidé ou du moins a voulu le faire. Nos parents ne t’ont pas élevé comme ça, alors tu dois la remercier. Et je veux aussi que tu lui envoies une lettre que je lui ai écrite. »

A ses mots, je lève précipitamment la tête vers lui. Lui écrire ? Pourquoi lui a-t-il écrit, qu’a-t-il à lui dire ? Ma colère s'éveille. Tout cela est injuste. Et idiot. Je ne veux pas lui écrire, qu’ai-je à lui dire ? Nar ne connait pas l’histoire, il ne peut pas se douter que je suis la seule à être véritablement en tort, même si j'ai du mal à me l’avouer. Il est hors de question que je m’excuse, elle n'avait pas à me dire ce qu’elle m’a dit, peu importe ce qu’elle en pensait. Quant à nos parents ? Je laisse échapper un ricanement moqueur. J’ai envie de lui dire : "et nos parents, ils nous ont élevé à nous frapper les uns les autres, Narym ? Non, donc je n’enverrai aucun hibou !”, mais il est hors de question que je le fasse. Dans un comportement enfantin, je croise les bras sur ma poitrine, avec l’espoir de faire fuir l’homme. Il n’est cependant pas professeur pour rien, et il tire une chaise pour s'asseoir près de moi. Il est hors de question que je fasse quoi que ce soit.

« J’ai rien à lui dire, marmonné-je pour m’empêcher de dire autre chose.
Ce n’est pas la question. Remercie-la de ne pas t’avoir laissé seule, me dit-il, intransigeant.
J’peux pas. Je connais pas son nom, lui lancé-je.
Aelle.., » soupire Narym. Puis il se redresse et se dirige vers un meuble, « De toute façon, je le connais son nom. Athéna Aronov. »

Mon visage se tord en une grimace dédaigneuse. Je m’empêche de répondre à Narym, de peur de me montrer virulente. Il rit. Tout simplement. Et il revient en m’imposant une petite feuille de parchemin et un vulgaire stylo moldu. Il s’éloigne en me disant de l’appeler si j'ai besoin d’aide avec ma main. Tout simplement. Je le connais assez pour savoir qu’il reviendra dans quelque temps pour récupérer la lettre qu’il pense que j’aurais écrite. Ce qui est absolument inenvisageable.

Les minutes passent sans que je ne bouge. Je rumine à propos de la fille du kiosque. Que m’a-t-elle apporté si ce n’est la colère ? Rien. Si elle ne s’était pas présenté, sous ses faux airs de bonne samaritaine, je ne me serais pas mise en colère. Elle m’a menacé ! Je veux crier ces mots à Narym, lui faire comprendre que je ne peux pas lui être redevable. Mais ce sont mes affaires et il n'a rien à y faire.


*



28 décembre 2041 — fin d'après-midi
Balcon de l’appartement de Narym — Londres
1ère année



Tremblante, j’attache les lettres à la patte que me tend le hibou. Il y en a deux. Une plus épaisse que l’autre. Une moins importante que l’autre. Je tiens l’animal dans mes mains, soudain réticente à l’idée de le laisser s’envoler. Il fait froid, sur ce balcon, mais l’air frais me fait, pour une fois, un bien fou. Il m’isole de ce frère que j’aime tant mais qui fait tout pour occuper ma solitude. Discrètement, je tourne ma tête pour regarder au travers la fenêtre du salon. L’homme est toujours en train de s'abîmer les yeux sur cette grande boite grise.

Je l’aime, mais c'est si dur de lui faire face. Je me suis retenue toute la journée de me rouler en boule pour oublier. Les douleurs de mon corps ne me permettent pas de me perdre dans mes pensées. C'est le but. J'ai dit à Narym avoir utilisé ses potions pour me badigeonner le corps, mais j'ai menti. J'ai besoin de me ressentir. Je l’aime, mais je n'ai qu’une hâte : être de retour à Poudlard pour me plonger dans la torpeur qui me guette.

Je soupire en regardant les lettres. J’ai envie de les rouler en boule et de les jeter. Mais Narym me surveille du coin de l’oeil. J’ai écrit sa fichue lettre et je n'ai pas apprécié. Voyant que je ne faisais rien, il s'est approché et a posé près de moi une enveloppe encore ouverte. Il m'a dit : « Je lui ai écrit ma lettre, et toi ? ». Je n'ai pas répondu. Il a alors eu un sourire d’une tendresse inacceptable et a plongé ses yeux dans les miens. « S’il te plait, pour moi. Je trouve que c’est la chose à faire ». Alors je me sentis pitoyable. Et cela m'a donné plus encore l’impression que je n'ai rien à faire dans cette famille. J’ai écrit la lettre parce que je ne veux pas perdre Narym. Je n’ai plus de larmes pour pleurer, mais mon coeur a encore la place pour souffrir.

Perdue dans mes émotions, j’ai fait autre chose. Une chose que j’ai peur de regretter, mais qui fait palpiter mon cœur avec tant de force que j’ai l’impression de m’envoler.
Les images sont toujours présentes dans mon esprit. Celles de mes cauchemars, celles des derniers jours. Je garde précieusement les lettres qu’Elle *Charlie* m’a écrite mais je ressens douloureusement la perte de son présent. Il me semble avoir perdu autre chose avec. J’ai eu ce besoin, juste un instant, de lui montrer mon existence et de lui dire pardon. De m’excuser, et de lui montrer que je souffre pour elle. Moi aussi.
*T’as vu Charlie ? T’as vu ? Moi aussi je souffre pour toi. Laisse-moi… Laisse-moi revenir…*.
J’ai tellement peur de sa réponse. Mais je dois le faire.
Alors je le fais.

L’hibou piaille dans mes mains. Il a un pelage brun doux au toucher et ses grands yeux jaunes me regardent avec curiosité. Le vent souffle et balaye mes cheveux ; je frissonne. Au bout de quelques secondes, je me décide à le lâcher, après un léger baiser et un murmure :

« D’abord chez les Aronov, Fehu, puis à Poudlard pour trouver… Pour la retrouver. Charlie. Vole, mon beau. »

*J’espère qu’il la trouvera*, me dis-je en regardant disparaître son ombre dans le ciel sombre de Londres.

*Charlie*.
J’aime la musique de ce prénom. J’aime me le chuchoter. Je n’arrive pas à l’éloigner de moi.
*Charlie*.
Mon cœur manque un battement à chaque fois que j’y pense.

« Charlie, chuchoté-je en levant le visage vers le ciel, Charlie. »

- Fin -