Inscription
Connexion

19 juil. 2018, 12:06
Le Cabalistique Festin des Mages  Os 
Avril 2043 - fin des vacances
Restaurant le Cabalistique Festin des Mages - Londres
2ème année


Le Cabalistique Festin des Mages n’était pas bicoque à accueillir les poivrons assoiffés ou les familles nombreuses en recherche de lieux chaleureux. C’était une salle froide et austère qui ne donnait ni envie de sourire ni envie de lever les yeux de son assiette luisante de propreté. Sous son toit affublé de mille éclats blanchâtres là où Poudlard usait de simples bougies, l’on pouvait se sentir projeté sous le feu des regards des elfes de maison jaillissants ci-et-là du sol avec, au bout de leur bras, des plateaux emplis de mets fabuleux.
Au Cabalistique Festin des Mages, la seule source de chaleur et de joie provenait de l’assiette - c’est bien la seule raison pour laquelle cet endroit fascinant semblait près à exploser sous l’affluence de sorciers plus ou moins bien apprêtés.

Nous ne faisions pas exception. Famille nombreuse, certes, mais qui avait les Gallions nécessaires afin de se payer une soirée en ce lieu qui puait le bourgeois. Zakary avait usé de cette expression en apprenant où l’on dînait ce soir ; mais il l’avait fait avec le sourire car il connaissait d’avance la merveille d’expérience qu’allaient subir ses papilles. Je le trouvai presque beau dans sa robe de soirée sombre qui lui enserrait le torse et qui s’évasait sur les jambes. A mon plus grand effroi, je m’étais trouvé une ressemblance avec ce Grand Con : ma robe sorcière était en tout point semblable et mes bottines brillantes pouvaient éventuellement être confondues avec les gros sabots qu’il portait ce soir. Papa avait tenu à me tirer les cheveux en arrière pour dégager ce joli regard sombre. Je n’avais rien dit. Aujourd’hui m’avait plongé dans une euphorie certaine qui me faisait accepter l’inacceptable.

Mon regard se dévissa d’un Zakary hilare pour se porter sur la chaise à ma droite. Non contente d’accueillir un corps inutile, elle gardait en sa forteresse de bois un tout petit figuier d’Abyssinie que je couvais de mon regard sombre. La bestiole, toute rigide et lésée de ses feuilles, m’avait été gracieusement offerte par un Natanaël brillant d’éclats dans la serre qui le voyait étudier tous les jours depuis bientôt deux années.

Le figuier m’avait attiré - il était encerclé par des plantes plus grandes que lui et il semblait alors si fort que j’ai convenu d’aller lui rendre visite. Il était beau dans sa souffrance et je crois que je l’ai aimé ; j’étais déjà, à cet instant, habitée par l'effervescence de la Faculté de Médicomagie d’Ecosse.

Lorsque ‘Naël s’est pointé dans mon dos avec son corps tout mou et sa face blanche et tremblante, j’étais prête à m’éloigner. Cet homme avait tendance à m'agacer, plus encore maintenant que j’habitais la Maison à temps plein.

« Attends, El… Aelle ! » m’a-t-il balancé de sa voix hésitante.

Je suis resté parce que lorsque j’ai regardé ses yeux noisettes, j’ai vu qu’ici il était capable de tout. C’était son Endroit.
Eux, ils m’ont volé mon Endroit : chaque jour qui passait me harassait d’envie de vomir ma chambre dans le grenier. Ma Tour n’était plus un sanctuaire, c’était une prison dans laquelle m’avait poussé Loewy, Poudlard, Charlie et même ma famille.
Je ne lui aurai pas enlevé son Endroit. Pas maintenant que je voyais sa beauté.

« Tu l’aimes bien ? » m’a-t-il demandé en me pointant la plante rachitique du doigt.

« J’sais pas, ai-je dit en haussant les épaules. Elle est moche. Mais j’crois qu’ça la rend belle. »

Ma tête était résolument fixée sur la bestiole-plante qui s’agitait discrètement, tentant de survivre au joug d’un hiver dont elle était pourtant protégée. Je n’avais guère l’envie que cet instant de Liberté, le premier depuis tant de temps, soit gâché par l’une des détestables présences de ma famille. Mon coeur a fait des soubresauts de joie dans ma poitrine toute la journée ; je les ai tant apprécié que de temps à autre, un sourire venait éclater ma face pour apparaître au monde. Merlin, j’aimais cet endroit.

« On en a plein comme ça. Durant la saison froide, les feuilles tombent alors elles nous sont d’aucune utilité parce que… »

« Parce que ses feuilles ont des propriétés pour guérir, » ais-je soufflé sans réellement m’en rendre compte, me rappelant sans effort les textes que j’étudiais.

Cet étalage de connaissances a étiré un sourire sur mes lèvres, l’un de ces sourires qui atteignent les yeux. Le Savoir j’en avais assez. A la Maison, Papa ne jurait que par cela, me rappelant sans cesse que ma troisième année dépendrait de mon apprentissage ; et Maman n’avait toujours pensé qu’à cela. Mais à cet instant, en face de cette Plante-à-demi-morte et auprès de mon frère tremblant, j’ai compris que je n’en aurais jamais assez du Savoir ; il suffisait que je quitte la Maison pour que mon coeur en tremble à nouveau.

J’ai relevé le menton pour apercevoir les iris de ‘Naël posées sur moi. Je me suis renfrogné dans l’immédiat, me détournant légèrement de lui. J’ai alors eu peur qu’il croit que je leur avais pardonné à tous.

« Propriétés médicinales, oui, a-t-il sourit d’une petite voix. Ça ne m’étonne pas que tu connaisses. »

Dans un coin de ma tête, j’ai noté le mot médicinale que je n’avais pas eu la présence d’esprit d’utiliser.

« Tu la veux ? » s’est-il alors exclamé en faisant un bon.

« Hein ? »

« Bah le figuier d’Abyssinie, est-ce que tu le veux ? Je peux te rempoter une pousse dans un pot en quelques minutes, comme ça tu l’auras à la maison. »

Sa voix avait été un mélange étrange entre l’hésitation et la force. Cela avait donné un résultat grave et profond qui m’a fait trembler. J’ai attendu que le chemin de ses mots se fasse dans mon esprit avant de regarder le figuier, me demandant si j’avais envie ou non de l’avoir près de moi. *Il se fout p’t-être de ma tête*, m’étais-je pensivement dit en regardant mon frère du coin de l’oeil.

« Tu sais quoi ? Je vais le faire. Si tu n’en veux pas, Maman le gardera ! »

Et il était parti précipitamment vers les grandes paillasses. Quand il était revenu, il s’était habillé de sa cape de protection et de ses gants en peau de dragon. Sous les railleries de mes autres frères et mon regard hésitant, il a fait ce qu’il a dit et m’a tendu un pot jaunâtre - qu’il ait voulu ou non imiter la couleur des blaireaux qui me servaient de camarades, cette couleur était tout à fait hideuse - avec un sourire fier. Je n’ai pas réussi à sourire quand je l’ai remercié du bout des lèvres avant de m’enfuir vers un arbre géant qui émettait un ronflement apaisant.

Maintenant, le figuier trônait à mes côtés, entouré dans une boule magique de protection bleue qui jurait particulièrement avec la couleur du pot. Maman m’avait demandé si je voulais qu’elle la ramène rapidement à la Maison pour ne pas qu’elle s’abîme mais j’ai refusé. Je voulais laisser le temps à la plante de profiter de sa Liberté avant qu’elle ne soit coincée, comme moi, dans cette grande baraque.

« T’as choisi, Aelle ? »

La voix jaillit sans prévenir face à moi et je relevai la tête sur un Narym tout sourire. Il avait fait l’effort d’enfiler un costume épais au tissu sorcier d’une couleur ardoise qui lui donnait un air de vieux sorcier coincé. Il lança un regard appuyé sur la carte que j’avais oublié de consulter. Je l’attrapai du bout des doigts  et regardai d’un oeil morne les images animées qui laissaient échapper un fumet plus qu’appréciable. Ce faisant, lançant un regard à la table, je pris conscience que tous attendaient ma commande ; même le tout petit elfe de maison dont je n’apercevais que les oreilles.

Ma bouche fit une moue tandis que mon esprit vide tentait de trouver un plat qui pourrait me convenir et me soustraire au regard de ma famille.

« Je… Pourquoi pas une tourte au boeuf ? »

« Tu viens au restau’ et tu prends c’que tu prends tous les jours à Poudlard ?  » me lança un Aodren hilare.

Je me penchai sur la table pour voir sa tête d’abruti qui se cachait derrière l’épaule de Papa. Ma poitrine se comprima ; ses yeux verts me caressaient l’âme et je ne pus m’empêcher de faire une grimace détestable : tout en Aodren m’irritait, d’autant plus quand, à chaque instant de la journée, le mot Poudlard ne semblait pas vouloir quitter sa bouche.

« Au moins j’joue pas, moi, » crachai-je en pensant à l’étourneau qui allait finir dans son estomac.

« Ahah ! Y’a personne qui joue aussi bien qu’toi, Aelle, » me dit-il, hilare.

Mes poings se crispèrent et ma respiration s’accéléra ; Merlin, cette journée parfaite devait-elle réellement être gachée par ce petit con ?

« Si tu bouffes pas la tête de ton piaf, Ao’, j’te jure que je t’y obligerai, » le tança alors Zakary qui, face au figuier, lança une boule de mie de pain finement ouvragée sur Aodren.

La situation se désamorça sans que Papa et Maman ne doivent intervenir.
C’est du moins ce qu’ils pensaient. Dans mes veines bouillonnait un sang brûlant qui me faisait trembler. Ce n’est que lorsque mon visage se crispa familièrement que je me rendis compte de la détente dans laquelle j’avais été toute la journée. *Espèce de sale Gobelin*. Je baissai la tête sans ne pouvoir me départir de la boule qui avait grossit dans ma gorge.

Le temps que nous parviennent nos plats, la boule s’était transformée en un brasier ardent. J’avais du mal à respirer tant ma colère et ma tristesse ne voulait pas s’apaiser ; Aodren était revenu depuis une semaine et il réveillait plus que ne l’avait fait le reste de ma famille mon envie d’envoyer mon poing dans sa sale gueule.
Je fis ramper ma main vers le figuier. Mon doigt caressa tendrement la terre fraîche sous ma peau et mon sentiment de Liberté me revint peu à peu.

L’air avait semblé souffler toute la journée. Le ciel avait été d’un bleu paisible et les quelques nuages qui passaient étaient d’une beauté à couper le souffle. Je n’avais même pas râlé quand Papa avait posé un bras derrière ma nuque pour me faire transplaner à la Faculté de Médicomagie d’Ecosse. J’avais crains ce jour passé à devoir supporter la présence de mes frères et de Papa et Maman mais lorsque j’ai chuté la tête la première dans l’herbe qui s’étendait autour des bâtiments, avait jailli de mon coeur une émotion si jouissante que j’en avais ris. J’ai plongé mon nez dans la terre pour la respirer à plein poumon et je me suis relevé sans faire attention à mon estomac faiblard : je voulais cueillir de mes yeux chaque mètres carrés de cette Liberté.

L’espace m’avait paru si grand. Infiniment grand, avec ses arbres et sa verdure, ses grands bâtiments de pierre et de verre, et l’air. L’air qui faisait s’envoler mes cheveux dans tous les sens.
Papa, Maman, ‘Naël, Aodren et Zakary sont partis devant et ne m’ont même pas regardés. Narym avait gardé ses distances et je savais qu’il m’attendait mais il y avait dans cette Attente un respect de l’intimité qui m’a fait frémir. J’étais dans un lieu inconnu, un lieu de Découverte et de Savoir. C’était la première fois que je quittais mon quotidien depuis le Grand Retour et Merlin, j’ai ressenti une vague déstabilisante s'infiltrer dans mon corps. J’aurai pu avoir peur si ce n’était pas aussi bon.

Plus la journée s’était avancée, plus la vague s’était intensifiée. J’étais prête à croire qu’elle s’installerait définitivement. J’en ai oublié sur le champ mes longues journées moroses à penser à un château qui ne voulait plus de moi et à une Charlie qui se pavanait avec à la main, une Chinoise aveugle. J’en avais finis de me dire que Poudlard et sa magie me manquait : ici c’était la même chose sans les défauts. Sans Charlie, sans Loewy, sans rien si ce n’est moi.
J’ai découvert des salles de cours immenses, des atriums plein de vie, des serres, des laboratoires à l’odeur d’hôpital qui m’ont rappelés la professeur aux cheveux de feu de ma première année, des instruments tordus et même la future chambre de Natanaël. Par dessus tout, j’ai découvert qu’existait en dehors de Poudlard des bibliothèques magnifiques avec des ouvrages si spécialisés que j’aurai pu en frémir si tant est que j’avais pu les feuilleter.

J’essayais d’oublier la crainte dans mon coeur ; celle qui me rappelait inlassablement que la journée toucherait bientôt à sa fin et que je retrouverai la Maison et la pression qu’elle exerçait sur moi.

Mon plat arriva à point nommé pour évacuer cette morose pensée. Jamais je n’avais oublié aussi vite, mais aujourd’hui était particulier. Ma tourte au boeuf était si grosse qu’elle cachait l’assiette ; une odeur de viande et de pâte s’infiltra dans mes narines et je fermai les yeux, respirant à plein poumon pour l’assimiler à mon esprit comme l’odeur des jours heureux. Sans attendre je saisis ma fourchette et mon couteau que je plongeai dans mon plat : j’enfournai une bouchée immense qui me valut un regard désapprobateur de Narym et un aboiement de rire de Zakary. Sans faire attention à eux je me laissai aller dans l’explosion de saveurs qui bientôt me renversa les sens : le boeuf était ferme sous mes dents et à chaque coup de mes molaires un jus exquis s’en échappait pour couler le long de ma gorge. La pâte était comme une couverture chaude en plein hiver. C’était l’élément dont on avait besoin pour apprécier sa nuit et ici, en l'occurrence, pour apprécier la danse qui explosait dans ma bouche.

Si je n’avais eu la hâte de remplir à nouveau mon gosier de cette exaltation, j’aurai ouvert la bouche pour remercier Papa et Maman de nous avoir mené dans ce lieu qui emplissait mes sens de Magie.

Le silence s’infiltra dans mes oreilles. Je n’entendais que le bruit de ma propre mastication et mes yeux ne voyaient que mon assiette - et de temps à autre mon verre de jus de citrouille. Personne ne parlait à notre table. Tous dégustaient son plat et pour la première fois depuis un temps qui n’avait pas de fin, j’appréciais cet instant passé avec ma famille. Je ne doute pas que sans ma tourte au boeuf, l’expérience eu été moindre.

J’approchai du fond de mon assiette. Je rassemblai l’intégralité de ce qui me restait, soit une fourchette conséquente, et, respirant un bon coup pour me préparer à apprécier, je fourrai le tout dans ma bouche et de longues secondes passèrent durant lesquelles rien ne pu franchir la barrière de l’exaltation des saveurs qui dansaient dans ma bouche.

Quand je rouvris les yeux, les discussions avaient reprises autour de la table. Je me laissai aller contre le dossier de ma chaise en avalant cul sec mon jus de citrouille dont la fraîcheur m’acheva de bien-être. Mes yeux étaient lourds. Le brouillard de la fatigue commençait à envahir mes sens lorsque la voix d’Aodren parvint jusqu’à mes oreilles :

« Oh, c’était incroyable, P’pa ! Y en a qui se sont même retrouvés face à une Acromentule ! Une Acromentule ! »

Je glissai un regard paresseux vers la chevelure brune de l’abruti que j’apercevai de ma place. Je ne sais pas de quoi il parlait mais pour ne pas changer, il n’avait aucun talent pour étayer ses propos. Je portai mon attention face à moi écoutant durant un temps - très court -  un Natanaël tremblant déblatérer tantôt sur la joie de déménager dans son placard à balais, tantôt s’effrayer de partir du nid familial. Je levai les yeux au ciel : moi je me réjouissai de son départ. Une personne en moins qui m’affligerait. 

« … et là, elle a posé ses mains sur le sol, dit Aodren d’une voix excitée, et des papillons sont sortis du cercle dans une espèce de lumière violette ! Pas aussi impressionnant que la prison de terre de Mei mais… »

Un sifflement aiguë m’empêcha d’entendre le reste ; mon coeur avait cessé de battre et mon souffle s’était bloqué dans ma gorge. Je me tournai vers Aodren et alors c’est comme si le monde entier s’effaçait pour le laisser que lui et son horrible voix qui continuait à Raconter des choses qui ne devraient pas être :

« L’autre là, Charlie (il ne me regarda même pas, Ao’. Ni lui ni personne. Avais-je donc perdu tout lien avec Elle ?), elle a même parlé à l’Acromentule, s’esclaffa le garçon en réponse à Papa, et après elle s’est retrouvée enfermé dans un cocon comme un insecte… Ça, c’était horrible. »

Pourquoi le son ne me provenait que pour me faire entendre de telles choses ? Je voulus m’éjecter de mon siège pour en demander plus, pour savoir avec tous les détails ce qu’il s’était passé. Merlin, je n’osais même pas formuler de pensées concrètes.

« Chu-jung et la serpentard étaient fabuleux à voir. J’étais pour eux moi mais pas seulement parce que Diana fait partit de ma maison, hein ! »

*Ta gueule !*
Je me fous de cette serpentard. Je me fous de cet Idiot qui a trouvé une remplaçante. Par Merlin, je ne voulais entendre rien d’autre que son prénom, encore et encore, parce que l’Histoire sortant de la bouche d’Autres était la seule chose qu’il me restait d’Elle.
La boule dans ma gorge avait réapparu, j’avais envie de vomir et de rire en même temps. La myriade de joie s’était effacée pour ne laisser que l’amère cicatrice de mon absence à Poudlard et mon coeur en hurlait sa souffrance en faisant des bonds dans mon corps.

Je regardai Aodren mais je ne le voyais pas. Il n’était qu’une bouche qui me contait des mots que je ne pouvaient comprendre.

Tally et Mei se sont ramassées mais finalement elles s’en sortent pas mal.

Et là, le Mogwai est apparu ! Je ne savais pas que c’était aussi moche.

Finalement c’est Charlie et Qionq qui s’entendent le mieux.

Je crois que le garçon est le préféré des Chinois, enfin, c’est ce qu’il se dit.

Le dragon du Doyen… Oh, j’avais jamais vu une créature si belle !

Face à moi, en un flux ardent qui m’arrivait en sens contraire, la voix de Natanaël me vrillait l’oreille droite. Zak’, Narym et Maman l’entourait et lui, il regardait ses genoux maigrelets en pleurant sur son sort. Je plongeai mes yeux dans sa tignasse et mon angoisse me secoua les entrailles. Je posai une main sur mon ventre sans réussir à faire refluer la douleur.

« J’ai peur de me sentir mal alors que je serais chez moi. Comment avez-vous fait, Nar’ et Zak’ ? Ça fait foutrement peur…, » dit Natanaël d’une voix blanche.

L’envie de lui faire bouffer sa fourchette fut si ardente que mon bras s’agita sous un spasme nerveux. Ma respiration était sifflante mais pas assez pour calmer la voix d’Aodren :

« Charlie est violente même devant toute l’école, elle a déglingué le corps de l’araignée, c’était dégueu… répugnant… »

Ni celle de ‘Naël, geignarde :

« La grande forêt va tellement me manquer. »

Alors à cet instant, le feu qui jaillit de mes entrailles fut si destructeur que je n’eu même pas l’envie de me forcer à le stopper. La seule chose que je voulais, c’était que les deux Monstres de Parole se la ferment, qu’ils me laissent oublier pour que la Joie revienne.
Mes yeux piquaient et mon corps me faisait mal à se crisper ainsi. Je me penchai en avant pour que mon Feu sorte avec toute sa puissance destructrice. Ma main droite s’accrocha avec une force effrayante à la table en bois :

« Si ça peut éviter que tu t’traînes comme un vieux, crachai-je en direction de l’abruti mouligasse, c’est une bonne chose, ‘Naël ! »

J’étais presque couché sur la table. Une mêche de cheveux tombait devant mon visage déformé par la colère et la peine. J’avais frappé Natanaël de ma voix et cela eu l’effet escompté : tout le monde se tut. Aodren arrêta de parler de chose qu’il ne devrait pas pouvoir voir et j’en fus soulagé. Je me laissai tomber en arrière en baissant le regard sur mon assiette. J’avais tout ce dont il me fallait, du silence et l’apaisement de mon feu ardent. Mon coeur, cependant, ne cessa de battre en me rappelant chacun des mots qui étaient sortis de la bouche d’Aodren.

Un glapissement me fit relever les yeux. Je tombai sur la face de Natanaël qui me figea sur place : sa peau pâle se recouvrait d’un rouge effrayant et semblait gonfler sous la colère que je ne pouvais manquer. J’ouvrai la bouche pour parler mais aucun son ne sortit. Les yeux de mon frère était deux boules de suie qui brillaient d’une colère si grande que j’en restai béate : jamais Natanaël n’avait prouvé pareil colère, même lorsqu’il m’avait retrouvé sur Aodren, à le frapper de toute ma force. Non, jamais il ne m’avait fait l’effet qu’il me fit ce jour-là.

« Si tu n’étais pas aussi insupportable, siffla-t-il d’une voix qui me fit me recroqueviller, je n’aurai pas à subir constamment ta présence ô combien affligeante, petite garce ! »

*Petite garce*. Zakary m’avait déjà baffé et donné des sobriquets désagréables, Narym m’avait déjà enguirlandé mais jamais encore l’un de mes frères ne m’avait insulté avec, dans la voix, une conviction si certaine que j’en pâlis d’effroi. Une sensation désagréable m’envahit les sens et s’infiltra dans la torpeur qui me suivait depuis trop longtemps déjà ; le poids du regret m’arracha l’âme.
Les yeux de Natanaël étaient vrillés aux miens. Je pouvais voir ses pupilles se couvrir de larmes retenues et cela m’empêcha de m’effondrer. L’homme qui était mon frère se redressa alors et pointa un doigt sur moi. Ce même doigt qui avait rempoté le figuier il y a à peine quelques heures. J’aurai aimé le haïr, comme avant.

« Si je pars, c’est parce que j’en ai marre de te voir subir toute la douleur du monde alors que tu l’as bien cherché. Si tu ne voulais pas être à la maison, tu n’avais pas qu’à agir aussi égoïstement à Poudlard ! Égoïstement et idiotement. Ouais, c’est toi l’idiote et non pas Chu-Jung. Donc moi, j’aime le Domaine mais Toi, je ne te supporte plus, même si je t’aime de tout mon coeur. Alors je vais vivre seul et être heureux. Si tu ne veux pas suivre, c’est ton problème. »

Je ne pus les retenir. Mon coeur me fit mal et les larmes s’agglutinérent dans mon regard. *Tu m’aimes pas, c’est pas vrai alors ferme-là !*. Il respirait bruyamment et moi aussi. Je crois que tous les autres nous regardaient avec effroi, mais je ne pus vérifier : j’étais coincé dans ma putain de position, à lutter pour pouvoir lui renvoyer ses mots dans la face et pour ne pas m’effondrer en larmes sur moi-même.
Mes larmes ne coulèrent pas. Elles restèrent coincés dans mes yeux. Je ne pouvais pas regarder ailleurs parce que Natanaël était beau. Il était magnifique et rouge de colère. Il était pitoyable et splendide, comme le figuier. J’eu l’impression que le frère que je regardais redevenait celui qu’il avait toujours était. Un frère plus qu’une chose molle sans profondeur. 

Près de moi, Papa souffla et posa ses coudes sur la table. Il tendit une main par-dessus les desserts et boissons de chacun pour poser une main sur le bras de son fils :

« C’est bon, tu as dit ce que tu avais à dire ? »

Mon grand frère murmura sa réponse et se déroba à mon regard en secouant la tête d’une telle façon que j’eu la sensation d’être une gamine sans importance. Papa se tourna vers moi et posa également sa main, mais sur mon épaule cette fois-ci. Il me posa la même question et, la bouche sèche, je hochai la tête.

« Tant mieux, dit-il, vous en aviez besoin. Tout le monde va bien ? »

Il s’adressait à tous les autres et tous les autres réagirent. Maman envoya une boutade à Natanaël qui parvint, sans que je ne sache comment, à s’esclaffer, Zakary me fit un clin d’oeil qui me donna envie de vomir et Narym lui donna un coup dans les coudes. Papa héla un elfe de maison et Aodren engouffra une dernière part de tarte à la mélasse.
Le temps que Maman et Papa payent le restaurant avec de bons gros gallions d’or, ma béatitude avait laissé place à une torpeur qui semblait hésiter entre la peine et la fatigue. Je ne savais pas si je devais m’effondrer de ce qu’il venait de se passer ou si je devais seulement retrouver la Joie qui avait fait de cette journée ce qu’elle était.

Je tenais le pot du figuier serré entre mes deux bras, n’ayant aucune pensée pour la propreté de ma robe ; nous étions devant le Cabalistique Festin des Mages et bientôt, chacun rentrerait chez soi. Je n’osai plus regarder Natanaël, ni personne d’autre d’ailleurs. Ses mots tournaient en rond dans mon esprit, comme s’ils étaient à la recherche de la porte de sortie qui leur rendrait leur liberté. Mais il n’y en avait pas et moi, je ne pouvais faire autrement que de ressasser cette colère qui, lorsque je voyais le visage de mon frère, me tordait le coeur d’une étrange façon.

Le poids du pot du figuier dans mes bras était réconfortant. Une branche rachitique venait caresser le bout de mon nez et je lui soufflais dessus pour que son mouvement langoureux me fasse penser à autre chose. Ce faisant, je n’entendais ni les conversations des autres ni mon propre esprit qui voulait me tuer sous ses deux courants opposés : une part de lui voulait me faire sourire et l’autre part voulait me tuer sous une peine colérique incompréhensible. Je voulais rire parce que même après l’éclat de mon frère cette journée me laissait dans un état béa jouissant ; et je voulais hurler pour faire payer à Aodren le Nom qu’il avait fait sien de sa voix *Charlie* et à Natanaël d’être si beau dans sa colère.

Je ne pus faire ni l’un ni l’autre : l’heure des adieux était arrivée. J’eu à me coltiner les étreintes de chacun, sauf de Natanaël qui se contenta d’un mouvement raide de la tête. Aodren voulut s’approcher mais je lui lançai un regard noir en lui marmonnant un : « Retourne à Poudlard ! » enfantin qui lui arracha son sourire des lèvres pour le déposer sur les miennes.

Enfin, Papa, Maman et Aodren s’en furent au Domaine et Natanaël dans sa petite chambre. Zakary échangea trois phrases avec Narym qui parurent abscontes à mon esprit qui n’écoutait pas avant de le serrer dans ses bras. Il s’approcha de moi et donna une pichenette plus amicale que moqueuse dans mon figuier avant de poser une main sur ma tête. Je me recroquevillai, ce qui le fit sourire.

« Allez Ely, ne rend pas fou notre Narym, hein ! Et prends soin de ton figuier, quitte à ne pas prendre soin de toi ! »

Il me fit un clin d’oeil. Ses mots me laissèrent perplexe. Je crispai mes doigts sur mon pot et sans que je ne sache réellement pourquoi, je hochai la tête en direction de mon grand frère qui disparut aussitôt après dans un crac sonore.

« On se retrouve tous les deux ! » me lança Narym d’une voix guillerette.

Je pliai ma nuque pour le regarder. Dans ses yeux brillait la joie de me voir l’accompagner chez lui pour la nuit et la journée du lendemain. J’étais heureuse de quitter le Domaine, mais la dernière fois que j’avais mis les pieds chez lui, c’était après avoir fuit ce même Domaine.
Je grimacai en réponse, légèrement angoissée à l’idée de me retrouver seule avec lui.

« Tu aimes toujours ta boisson à la citrouille ? »

Je reniflai et frottai mon nez avec mon épaule, imposant une torsion à ma nuque.

« Ouais. Surtout si le liquide est épais. »

« Tu veux qu’on aille au Chaudron Baveur ? Je trouve ça bête de rentrer maintenant alors que nous avons toute la soirée devant nous ! » me sourit-il de toutes ses dents.

En m’imaginant m’attabler devant ma tasse avec Narym, bercée par le son chaud du Chaudron, je pris conscience que je n’avais aucune envie de rentrer ; la journée se finirait bien assez vite. Je souhaitais qu’elle n’ai jamais de fin. De tout mon coeur.

« Oh oui ! dis-je précipitamment. Oui, j’veux… Je n’veux pas rentrer, » lui dis-je en fronçant le nez.

Son regard miel me perfora le coeur puis un rire sortit de sa bouche et s’envola dans les airs sombres de Londres. Les Moldus passaient autour de nous sans nous voir et sans voir la devanture du restaurant. Ils étaient aveugles et parfois, j’aimerai que les sorciers le soient également. 

« On va prendre une cheminée, dit Narym en posant une main sur mon épaule et en me dirigeant vers le Cabalistique Festin des Mages. Tu supportes plus facilement les cheminées que le transplanage, n’est-ce pas ? »

« Pas tellement, marmonnai-je. Mais j’tiendrai Ricke plus facilement dans une cheminée. »

« Ricke ? C’est le nom que tu as donné à ta plante ? » rit Narym en donnant une pièce à l’elfe de maison qui s’occupait des cheminées.

« Bah… Oui. Je n’peux pas le laisser sans nom, » répondis-je sur le ton de l’évidence.

« Tu as raison. »

Mon grand frère me précéda dans la cheminée et je l’accompagnai : je n’avais étrangement aucune réticence à l’idée de me coller à lui pour ne pas faire le trajet seule.

« Chaudron Baveur ! » s’exclama Narym et l’image du Cabalistique Festin des Mages me fut arrachée dans la seconde par un torrent de flammes.

- Fin -