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08 nov. 2019, 04:47
Mère, RePère  SOLO 
[ 30 JUIN 2043 ]
2 Foster Light, 1er Appartement, Whitechapel, Tower Hamlets, Londres


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Charlie Paya, 31 ans.
Sorcière, Mère de Charlie




Entre les différents meubles de l’étroite pièce, une très grande silhouette allait et venait. Enjambant maladivement la petite poubelle, contournant précisément le grand lit et observant nerveusement à travers la fenêtre-à-l’italienne. Quelques cris d’enfants lui parvenaient par intermittence, de l’extérieur, sans jamais réussir à déceler s’ils éclataient de rire ou s’ils explosaient en sanglots ; les deux émotions paraissaient confondues.

La grande femme sillonnait les couloirs de son esprit, révélés par ses nombreux pas physiques. Ses pieds ne prenaient pas consistance dans le réel, mais bien dans le tréfonds de son elle. Ainsi, au vu de son chemin parfaitement soigné, une certaine cohérence d’esprit semblait apparaître chez cette femme. Une cohérence bien illusoire, pourtant. Ses pas suivaient les mêmes lignes non pas par régularité, mais par perdition. Repasser par le même chemin, encore et encore, persuadée d’avoir raté le détail le plus important. L’obstination. Les limbes de la détresse.

Certes, il suffit d’observer la malaxation de ses mains pour saisir toute l’étendue de cette perte intérieure ; dix petites créatures se torturant entre elles, écorchant les chemins tracés pour en extraire le jus de sens. Le dévouement à l’acharnement était grand. Cette femme en donnerait des frissons à toute personne essayant de saisir l’ampleur de sa persévérance. Pourtant, cela ne l’enchantait pas ; elle aurait donné sa vie pour ne pas avoir à tourner en rond en cet instant. Dans ses pensées perdues, elle se maudissait de ses décisions passées, sans pour autant en éprouver le moindre remord. Son esprit séparait les conséquences des causes. Les causes étaient sujettes à ses pensées les plus noires, alors que les conséquences étaient celles qui devaient exister, quoiqu’il arrive. Scinder les concepts lui permettait de ne pas sombrer dans la démence, puisque sa petite conséquence, la minuscule Charlie, elle, son cœur en frappait d’amour.

Un amour étrange, excessif, dévastateur, mais enfermé dans une cage d’émeraude. Son Regard.
Un amour secret, sourd, silencieux ; qui n’avait jamais eu l’occasion d’éclore, alors que la tige était si bien formée.
Dernière modification par Charlie Rengan le 23 janv. 2020, 09:13, modifié 5 fois.

je suis Là ᚨ

08 nov. 2019, 04:47
Mère, RePère  SOLO 
oOo


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Adam Rengan, 33 ans.
Moldu, Père de Charlie




Dans les bras d’un remarquable canapé en cuir, une petite ombre s’écrasait dans le silence le plus complet. La pièce tout autour n’était pas grande, mais suffisamment spacieuse pour englober toute l’entrée de l’appartement ainsi que le salon. L’homme avachi paraissait profondément endormi, les paupières closes face au monde environnant. Pourtant, une observation légèrement plus minutieuse pouvait révéler certains détails traitres. La position de ses mains, par exemple, stratégiquement posées entre les cuisses, présentant des doigts enchevêtrés et les deux pouces discrètement relevés ; s’étendant vers le ciel de ses pensées. C’était une des manières qu’avait acquises cet homme pour s’échapper dans son esprit, une manière tétanisée de se glisser dans son propre corps.

De l’intérieur, la vision exhibait certainement une certaine forme de beauté. Pourtant, de l’extérieur, la minuscule carcasse qui le définissait n’émettait d’autre émotion que la peine. Le canapé l’engloutissait dans son entièreté, fusionnait tristement avec ses membres fébriles, jusqu’à l’altérer en une ombre ; présente, mais sans existence propre. L’homme, dans sa concentration extrême à fuir, n’était plus qu’une parcelle d’ombre d’un canapé en cuir, luisant, ciré des plus belles mains.

Ainsi, dans son altération profonde, cet homme semblait en paix ; en château résigné. Certes, l’abandon guidait ses muscles et sa quiétude, se laissant envahir par les âmes qu’il considérait comme ses amours. L’ombre vivait dans le bain de l’amour, sans chercher à remuer la surface lissée ; de peur d’en briser la quiétude, de peur d’en fracasser la baignoire. La résignation était sa forme d’Amour, se laissant porter par les vagues que ses sentiments créaient, préférant affronter l’océan nu, à la nage, que de se fatiguer à confectionner un bateau. Ainsi, l’ombre d’abandon tremblait à l’idée de se faire abandonner, l’ombre frissonnait à l’idée d’un soleil le faisant s’évaporer. La tête basse, il prenait ce risque, puisqu’aux tréfonds de lui, une petite créature cognait dans son cœur, d’amour, elle, la minuscule Charlie.

Un amour palpitant, étoilé, explosif, mais enfermé par une cage d’émeraude. L’Autre Regard.
Un amour interdit, bâillonné, transi ; qui avait replié ses pétales, alors que la fleur était si bien formée.
Dernière modification par Charlie Rengan le 23 janv. 2020, 09:13, modifié 2 fois.

je suis Là ᚨ

08 nov. 2019, 04:48
Mère, RePère  SOLO 
oOo

Whitechapel, Tower Hamlets, Londres

Charlie, 13 ans.
2ème Année


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*Seule*. Papa m’avait écoutée, il n’était pas venu me chercher. La fierté que j’en ressentais était énorme. Même s’il y avait une petite pointe de tristesse dedans. C’était un peu comme la rose de Louna, belle mais piquante.

Tss…

Je bifurquais dans une ruelle, prenant tous les raccourcis possibles, ça faisait déjà presque une heure que je marchais. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de lever les yeux sur les murs que je reconnaissais, ou les magasins colorés que je fréquentais.
Papa m’avait montré beaucoup de beaux endroits cachés dans notre quartier, et je me rendais compte que Whitechapel m’avait vraiment manqué ; surtout ses couleurs. Poudlard était foutrement moche et terne, il n’y avait aucun éclat ; alors qu’ici, même en pleine nuit je croisais des grands rubans rouge-sang, des robes bleu-saphir et des gueules bizarres, elles aussi m’avaient manquée.
Je tirais ma valise roulante qui s’était bien salie, sa couleur blanche d’origine était une blague maintenant ; j’imaginais déjà la tronche qu’allait tirer Papa. Un léger rictus me posséda.
*Tant mieux, ça va l’réveiller*. Mes pensées redevenaient tellement normales quand j’étais dans mon quartier que j’en oubliais presque les deux cicatrices de larmes que j’avais sur le visage. *Louna*. Elle n’arrêtait pas de me revenir en tête, depuis mon réveil dans le train.

Quand j’avais rouvert les yeux, le compartiment était vide. J’étais restée seule. Il y avait juste un petit parchemin sur mes genoux avec les mots de Louna qui me tournaient dans la tête depuis une heure. *Essaye-d’sourire-un-peu-ça-fait-du-bien*. Son petit mot était dans une poubelle, quelque-part à Camden. Il m’avait énervée.
*Abrutie*. Ma poitrine me faisait encore mal après tout ce qu’il s’était passé dans le train. Cette fille m’avait vraiment torturée, j’avais la profonde impression qu’il s’était passé deux jours depuis mon réveil. Le temps s’était pété la gueule face à son gris-de-merde, il rampait en pleurnichant comme un gosse.

Un puissant soupir traversa ma bouche. *Faut vraiment qu’j’arrête*. Ne plus y penser. C’était tout ce que je voulais. Oublier. Oublier que je ne détestais pas réellement Louna. Pourtant, je ne l’aimais pas, elle m’avait fait mal ; mais je ne la détestais pas. Elle n’était plus aussi importante dans mon crâne. *Oublier, bon Dieu…*. Oublier que face à Louna, pendant chaque seconde, je sentais que je perdais quelque chose de fort. Il y avait quelque chose qui se diluait entre mes doigts, qui coulait horriblement. Pourtant, j’avais essayé de serrer de toutes mes forces, mais ça ne servait à rien. Tout coulait entre mes doigts blanchis par ma force inutile. Pitoyable. Je m’étais beaucoup entrainée, pour finalement me rendre compte que je n’en avais un peu rien à foutre de Louna. *Ça. C’est ça qui m’fait mal*. Mon Sens. Où était encore passé mon Sens ? Mon bras se crispa.
J’éjectais ma valise de toutes mes forces. L’ampleur du mouvement la fit valdinguer dans les airs ; avant d’atterrir lourdement sur le sol, dérapant sur quelques mètres. Le bordel qu’elle faisait résonnait dans l’étroite ruelle. « Faut que j’me calme » soufflais-je en expirant bruyamment du nez. Il fallait que j’arrête de réfléchir. *Allez*. J’étais bientôt arrivée de toute façon.
J’attrapais la poignée de ma valise encore plus crasseuse qu’avant, et je me lançais dans les dernières ruelles à traverser.

*Droite*. Mes pas frappaient contre les pavés irréguliers. *Encore quelques mètres*. Les roulettes de ma valise faisaient un bruit monstrueux, qui se réverbérait entre les bâtiments serrés. *Là. Droite*. Je quittais les ruelles de la Grande Avenue, avec ses voitures partout, pour me plonger dans les couloirs plus étroits du quartier. *Plus qu’deux minutes*. Les secondes gravitaient autour de mon crâne qui me faisait encore un peu mal ; mais la douleur n’avait rien à voir avec celle du train, elle n’était pas sur le point d’éclater.

À cause des pavés, ma valise rebondissait au bout de mes doigts, comme si elle sautillait dans tous les sens de joie. *Gauche*. Je traversais la maison-tunnel, lui passant entre les jambes — de beaux souvenirs — puis je bifurquais une dernière fois pour arriver dans la grande place, celle de chez-moi. *Enfin*.
De tous les appartements qui étaient en face de moi, un seul brillait dans mes yeux. *Papa*. La fierté de lui avoir imposé mon avis en sachant qu’il l’avait accepté faisait encore plus rayonner le gris-moche — presque autant que celui de Poudlard — de mon chez-moi. Même s’il y avait l’Autre trainée, même si penser à mon père était douloureux et même si ma chambre me rappelait toute mon ancienne vie accomplie ; j’avais envie de rentrer chez moi. *Enfin*.

J’actionnais la machine de mon corps, huilant mes muscles vers l’avant. La fatigue et le soulagement créaient en moi une magnifique potion de Sommeil ; ouais, dormir jusqu’à vomir le sommeil. *Essaye-d’sourire-un…*. L’Autre trainée, je ne savais plus ce que j’en pensais. *Hm… Sourire*. Et si je lui souriais… Juste pour ne pas énerver Pap… *Merde !*. Je me figeais.

Mon regard était planté sur une Autre qui sortait d’un bâtiment, juste là. Mon cœur sursauta dans ma poitrine, une fois. *Toi*. Les os de mes phalanges craquèrent sous la force de mon étreinte.
Je serrais les poings pour les transformer en blocs. *C’est toi !*. Je me rappelais affreusement bien de sa gueule de putois, avec ses petites oreilles et ses yeux noirs. *J’sais qu’c’est toi !*. Je me rappelais très bien de mon crachat qui l’avait atteinte à la poitrine, et de son horrible poing dans ma gueule ; la sensation de mon corps pesant plusieurs tonnes de plus, si brusque que j’en avais perdu l’équilibre. Puis le son étouffé pendant trois petites secondes qui passèrent bien trop lentement dans mon crâne. Pourtant, je me rappelais très bien que c’était trois petites secondes. Le temps, même s’il s’était allongé, s’était décompté de la même façon dans mon esprit ; puis tous mes sens étaient revenus. La sensation du sol trop dur contre mes fesses, les cris de colère de différentes voix, le brassage entre les couleurs bordéliques et les formes chaotiques.
Je me rappelais de tout. Et ma bouche s’élargit de haine :

Hé, toi !

Mon cri fit pivoter sa tête vers moi ; ses paupières se plissèrent, comme si elle cherchait dans son crâne puant. Mon regard ne la quittait pas des yeux.
Autour de nous, il y avait deux gars assis sur la gauche et une grande femme adossée au bout de la place, vers chez moi. *Bien*. « Oui ? » me répondit-elle d’une voix insupportable, sans avoir l’air de me reconnaître. *T’fous pas d’ma gueule !*. Comme il faisait nuit, je décidais de me rapprocher avant de l’insulter ; mais ma haine était trop pressée :

Tu t’rappelles pas d’moi abrutie ?!

Trois pas, et je me figeais sur place, encore une fois.
Sa gueule surprise était à deux mètres, juste en face ; ses yeux ressemblaient réellement à ceux d’un petit rongeur. Un vrai putois sur pattes.

Oh… Charlie c’est ça…

Son visage s’affaissa totalement, mais pas de tristesse, de regrets ou de peine dans ses traits ; il y avait uniquement de la peur. *Hein ?*. Essayant de cacher mon étonnement, je lui répondis durement : « Ouais ». *Qu’est-c’qui lui arrive ?*. Elle était dix fois plus grande que moi, et vingt fois plus forte ; la peur n’avait aucune raison d’exister dans sa tronche. *C’est…*. « Je… m’excuse vraiment pour l’année dernière ». C’était foutrement bizarre. *Mais !*. Son regard était fuyant, elle jetait des coups d’œil furtifs autour d’elle. « Vraiment. Vraiment Charlie… ». Comme si elle avait peur qu’un monstre sorte de quelque part, comme s’il y avait quelqu’un qui lui tournait autour pour surveiller ce qu’elle foutait. Je me rendis compte de ma gueule tordue, alors j’effaçais directement mon expression faciale.

Désolée… Encore. *Je… COMPRENDS PAS !*. Aucun mot ne pouvait sortir de ma bouche, j’étais bloquée face à un truc sans aucun sens. Le putois se retourna, le dos rond, et s’en alla à petits pas rapides ; prenant la ruelle en direction de la Grande Avenue.
Je la suivis du regard tout le long, sans rien pouvoir dire ni penser ; essayant d’attraper ce détail qui m’échappait. Avant qu’elle disparaisse, bouffée par les bâtiments, je balayais la place du regard. Les deux gars n’avaient pas bougé — ils observaient aussi le putois — mais la grande femme adossée avait disparu. *Mais…*.
Ça n’avait aucun sens, l’autre femme n’avait aucun rapport. *J’crois*. Je renvoyais mon regard sur la fille-qui-m’avait-frappée-un-an-en-arrière, qui s’éclipsa entre les bâtiments, le visage effrayé, le regard cinglé.

Eh bah…

J’aurais préféré me prendre un autre coup dans la gueule que de voir ce spectacle gerbant de non-sens. *Bon Dieu…*.
D’une lenteur frustrée, je repris mes pas en essayant d’oublier ce qui venait de se passer. *Les Autres deviennent fous*. Et surtout les Moldus, qui abandonnaient pour rien. À Poudlard, les Autres étaient un peu plus sensés, beaucoup moins abrutis. *Bizarre…*. Il fallait vraiment que je fasse attention à moi, pour ne pas devenir tarée comme eux. *Tss…*. « Jamais ».

Je fis les derniers pas, avant de m’arrêter face au bâtiment.
Ma tête se leva en l’air pour respirer l’odeur de mon futur sommeil. *Haa…*. Cette journée était beaucoup trop tarée, j’avais vraiment besoin de dormir pour tout noyer. La porte défoncée de mon immeuble était bien là, toujours pas changée. « C’est bien… ». Je m’avançais pour la pousser d’une main, tirant la valise de l’autre. Ma tête pivota rapidement en arrière, je jetais un dernier un coup d’œil sur la place totalement vidée, même les deux gars étaient partis.

En soulevant ma valise, je traversais le seul escalier du corridor pour me planter rapidement en face de ma porte.
La même porte. Rouge vif, presque comme la nuance si compliquée du sang. *Celle-là est encore pire*. Je me trompais, le rouge de cette porte était unique, entre le vif et le vieux, comme si elle avait gagné en sagesse avec le temps. Vieille porte avec une gueule de gosse. *Ha !*. Qui hébergeait une trainée que mon père embrassait.
Un frisson de dégoût me secoua. *Avec sa grosse bouche de… dégueulasse*. Un autre frisson frappa au même endroit, faisait bourdonner mon cou. « Arrête ! ». Mon pied droit frappa contre le sol pour empêcher mon corps de se contrôler tout seul.
Je ne devais pas gâcher ce moment important, je rentrais enfin chez moi.

La texture de la porte était lisse, presque gênante sous mes doigts, mais je l’aimais comme ça. J’attrapais la poignée et la tournais tout aussi vite. La porte s’écarta, le rideau rouge s’ouvrit en me dévoilant le spectacle de chez moi.
Le canapé juste en face, l’escalier à gauche, la porte de la cuisine à droite, la porte de ma chambre juste en haut, la chambre de Papa invisible à côté, les salles de bain, l’ambiance, l’odeur et personne. *Bah…*. Ma tête passa dans l’embrasure. J’espérais entendre des bruits vomis par la cuisine en tendant l’oreille. Mes yeux s’étaient fixés dans mes orbites pour mieux écouter le moindre son. Un instant s’évapora, puis un autre. Silence. Énorme silence. *Mais…*.

Papa ?

Silence de l’enfer.
Aucun bruit, même pas venant du quartier, ce qui était bizarre pour un trente Juin. *J’lui ai dit d’m’attendre ici…*. J’avais un doute concernant ma lettre. Est-ce que c’était possible qu’il l’ait mal interprétée ? *Franchement…*. Ce n’était pas le moment de trop me casser la tête puisqu’il était sûrement dans sa chambre — en train de vérifier des papiers ou d’écrire sur son ordinateur.
Je posais ma valise juste à côté de l’entrée pour ne pas salir la maison, qui était vraiment très propre. *Trop propre*. Ça devait sûrement être l’Autre. Et tout en refermant doucement la porte, j’observais les lattes de la rambarde d’escalier, toutes réparées.
Elles n’étaient pas comme ça l’année dernière, ni toutes celles d’avant. Ça me faisait bizarre de voir cet escalier avec des formes toutes neuves, c’était comme casser quelque-chose fixée, mais en inverse : fixer un truc cassé, ne pas le laisser continuer sa route temporelle. *N’importe-quoi*. Ça ne rendait pas bien du tout.

La première marche ne grinça pas sous mon poids, mon regard vrilla vers elle. « Mais… c’est quoi c'te merde ?! ». Cette marche avait toujours grincé ! Je sautais plusieurs fois dessus, récoltant que des gémissements sourds, nuls. *Bah…*. La marche avait perdu sa voix, c’était comme si elle n’existait plus.
Relevant la tête, je décidais de me lancer vers la chambre de mon père. Aucune marche ne grinça sous mon poids, mais je n’y accordais plus d’importance, elles étaient mortes.
Quelques pas rapides me plantèrent juste en face de la porte noire. *Papa*. Elle était fermée, alors que cette porte ne l’était jamais. *Tu t’cachais…*. La poignée était froide, elle calmait ma chaleur ; mon poignet pivota.

La poubelle apparut en première à gauche, ensuite l’ordinateur, puis le lit et enfin personne. « Tss… ». Ça ne m’étonna même pas. Au fond, j’avais senti que cette chambre était vide. Si Papa était vraiment là, il serait venu depuis longtemps. *Mais où est-c’que t’es…*. Je retournais lentement mon corps en abandonnant la chambre vidée. *Pas à la Galerie, c’pas possible…*. Mes mains plongèrent dans les poches de ma robe gryffone que j’avais gardée depuis ce matin. *’a reçu mon hibou ?*.
Tête baissée, je retirais mes bottines l’une après l’autre.

Quelle journée d’merde…

J’avais envie que ça soit mon dernier soupir de ce foutu trente Juin, mon lit m’attendait, et je l’attendais encore plus. Je fourrais mes chaussettes dans ma bottine gauche que j’abandonnais au milieu du parquet.
La porte de ma chambre m’appelait, tout mon corps se traina vers mon Antre, les pieds collants de sueur sur le bois.
Je tournais la poignée lentement, et mon ancien univers se déploya.

*Que*. Mon cœur cogna fort, une fois, avant de redémarrer.
Ma langue était en train de s’assécher dans sa cavité. Toute ma chambre était en l’état dans lequel je l’avais laissée, sauf deux trucs. « Papa… ». Mon père accroupi, les bras grands ouverts avec un énorme sourire. Et l’Insolente assise sur mon lit, les mains entre ses cuisses et la tête baissée.

Charlie… murmura mon père avec une peine bizarre dans la voix.

Mais ! Tu... t’étais ! Je bégayais totalement, ma bouche parlait sans mon autorisation.

C’était à cause du sourire incroyable sur les lèvres de Papa, il n’avait rien à voir avec le ton de sa voix. *Pas faire attention à l’Autre !*. Sans réfléchir plus longtemps, je m’avançais vers ses énormes bras sans me jeter. *Ça fait tellement longtemps*. Mes doigts se posèrent contre sa nuque, j’en profitais pour fixer ses beaux yeux, avant d’enrouler mes bras autour de son cou, lentement. *Bon Dieu qu’ça fait longtemps…*. Même s’il n’était plus comme avant, Papa avait une manière de me prendre dans ses bras que j’étais sûre d’aimer pour toujours. Une couette de peau contre moi, qui me bouffait entièrement grâce à nos gabarits si différents.
Un instant, court, suffisant, puis je me dégageais de son étau.

Bonsoir.

*Louna*. Encore une voix insupportable. Encore une bouche que je voulais exploser contre un mur. Les stries de mes yeux déchiraient tout ce que je voyais, donc cette gueule baissée, là, sur mon lit. *La Peste*. Elle avait osé entrer dans ma chambre. J’avais prévu de lui sourire, vraiment, c’était réellement ce que je voulais faire ; mais voir son corps-de-perche assis dans mon Antre réveillait toute la haine que j’avais enfermée depuis mon réveil. Toutes mes veines bouillonnaient, encore une fois.

Félicitations pour l’impression que tu as donnée aux sorciers Chinois.

*Rien à foutre !*. Je me mordais les lèvres pour garder la bouche fermée, par respect pour Papa. *’vraiment rien à foutre d’tes félicitations !*. La Haine me vrillait le crâne, elle était montée beaucoup trop vite, je n’arrivais à la suivre.

Savoir que ma propre fille est l’objet de cette entente…

Je lui arrachais les membres dans mon esprit, la déboitant comme une poupée. Et je lui gueulais de ne plus jamais s’asseoir sur mon lit, ou de même rentrer dans mon Antre. PLUS JAMAIS.

Ça m’a profondément touchée.

*Touchée ?!*. Comment est-ce qu’elle pouvait ressentir le moindre toucher ?! *Non ! J’m’en fous !*. Ce monstre qui nous avait abandonnés était touché. *HAHA ! BON DIEU !*. Elle était débile ! Tellement débile que je faillis éclater de rire. La noyade de ma Haine se calmait, mes pensées sortaient leurs petites têtes d’épingle que j’accrochais avec mes filins.
J’étais la foutue marionnettiste de ma bouche monotone :

On descend.

La Peste releva la tête, sans me regarder ; cette peureuse au cœur mécanique. Je vis Papa du coin de l’œil. *Ah oui !*. Je l’avais presque oublié, il était accroupi à côté de moi ; et il ne me regardait pas non plus, mon parquet avait l’air d’être plus intéressant. *Louna*. Un poing mental fracassa cette pensée. J’agitais mes filins face à ce silence trop long : « Papa on descend ! ».
Ses yeux restaient plantés par terre, comme la marionnette de ma bouche. *Mais qu’est-ce que…*. J’avais oublié que l’air était affreusement lourd quand l’Autre trainée était proche de moi. L’air m’étouffait de ses milliers de doigts invisibles, alors j’agitais mes filins encore plus fort : « Mais Papa ! »

Peux-tu me laisser parler avec ma…

J’éjectais mes yeux sur la voix de Peste, la mâchoire serrée. « …ma… parler avec notre petite gryffonne ? ».

Quoi ?!

Mes filins avaient disparu, la prison de ma bouche était éventrée, béante face à l’Autre folle. Un mouvement arracha mes yeux de son affreuse gueule. *Pa…*. Ma bouche s’ouvrit, mais sans pouvoir sortir le moindre son. *Ça recommence*.
Mon père s’était levé. Grand, énorme, comme un mur de froid.
Les briques de son corps firent un pas, qui résonnèrent dans mon crâne sans voix. Sans filins, ma langue pouvait s’agiter autant qu’elle le voulait.

Non, je lançai ma main sur sa chemise, la serrant entre mes doigts autant que je le pouvais, reste. Son corps-de-mur s’arrêta. *Il m’écoute*. Et j’en profitais pour vriller les yeux sur la Peste qui gâchait tout. « C’est nous qui allons sortir » déclarais-je en fixant le vert-affreux de ses prunelles. Elle ne me regardait toujours pas. *Louna*. Ma mâchoire claqua. Je décidais d’appliquer ce que je disais en lâchant mon père et en me retournant vers la sortie. *Toute proche*.
Je lançais mon corps en avant. « Han ». Une grosse main me stoppa net. Je fis virevolter mon corps vers mon père. « Qu’est-c’tu… ».

Ta mère veut te parler.

Et son sourire, alors ? *Qu’est-c’que c’était hein ?!*. Un piège ?

Mais j’t’ai déj…

Charlie, me coupa mon père sans écouter mes mots. Sa voix était si dure que je refermais la bouche. *C’est injuste*. Foutrement injuste.

Je détournais mon regard, fixant le sol comme une abrutie. Le bois du parquet. *’l’est moins injuste lui*. Si tout le monde fixait des foutus parquets aujourd’hui, peut-être que je finirais par y trouver un foutu sens.
*Bordel*. Mes muscles tremblaient, j’étais en train de les contracter de toute ma puissance. Un silence de mots que tout le monde taisaient alourdissait ma tête. J’avais un pieu enfoncé dans le crâne, et il penchait, penchait, penchait.

Mon faible de père, marionnette de l’Autre trainée, passa à côté de moi. Mon crâne penchait tellement que j’aurais pu l’écorcher, mais je n’en fis rien du tout ; j’étais aussi faible que lui. La porte de mon Antre claqua.
*Merde*. Moi et la Peste, seules dans ma propre chambre. *J’dois rêver*. Je penchais si fort que j’aurais pu abattre ma puissance sur sa tronche-toute-verte, mais je n’en fis rien du tout. *Ça n’sert à rien*. Elle était encore plus faible que moi.

Je fis volte-face. *Va t’faire foutre*. Je me cassais. Si elle ne voulait pas sortir de là, c’était moi qui allais le faire.

Charlie…

N’m’appelle pas comme ça, ordonnais-je simplement en me dirigeant vers ma porte.

S’il-te-plait.

*C’est ça*. Ma main droite se tendit vers la poignée, que je tournais rapidement.

Je peux t’y contraindre.

J’eus le temps d’ouvrir la porte avant que les mots se placardent en rouge, au fond de moi. *S’cuse-moi ?*. Ma main resta collée à la poignée. *J’ai rêvé ?*. Mon cou grinça, dirigeant mes yeux vers les mots-rouges. *Bordel, qu’est-ce qui…*. Une baguette et un regard. Une arme et un miroir. *Ça fait mal*. Je connaissais déjà cette sensation, mes yeux écarquillés en étaient témoins.
Me sentir impuissante face à l’Autre-vide-de-moi, comme Louna. Ou encore pire, comme le Dragon. Je n’en avais rien à foutre de ces deux-là, et pourtant ils pouvaient me faire du mal. L’impuissance face à l’Autre-de-vide, c’était affreux.

Mes doigts lâchèrent la poignée.

Je l’avais déjà ressenti d’autre fois, cette sensation. Comme face à l’araignée, ou le Putois, ou encore d’Autres. L’impuissance de ne rien pouvoir faire pour me défendre, c’était cette sensation précise qui me marquait à chaque fois ; quant aux souvenirs d’où provenait cette sensation, ils étaient souvent floutés, troublés.

Mon corps se tourna entièrement face à ce rêve qui Osait.

Pourtant, il y avait un Souvenir qui était très fort dans toute la mélasse de cette sensation. Un Souvenir qui était gravé dans mon moi, où je m’étais sentie affreusement impuissante ; mais ce n’était pas face à un Autre, c’était ça le vrai problème de ce Souvenir.
Même si je me violentais à me mentir depuis tant de temps, le Regard de ce Souvenir-là ne sera jamais celui d’un Autre.

Ma gorge se dégonflait — contrôlée par la force de mon esprit — pour enfler ma langue.

Et avec tout ce que j’avais entendu cette année, je commençais à me rendre compte que je m’étais peut-être trompée sur ce Regard. Il n’était pas aussi populaire que ce que je pensais, ce Regard. Et encore moins aussi insensible. J’avais entendu les Autres se foutre de sa gueule, de ce Regard. Ce n’était pas juste, alors qu’Il n’était plus là.
Il fallait peut-être que j’envoie des mots, au Regard. Mais…

Le flux de ma voix caressa ma trachée, pour se déposer sur ma langue parée.

Un truc me retenait vraiment : je détestais par-dessus tout l’Impuissance.

Alors attaque-moi.

Ma phrase était très drôle, apparemment, puisqu’un sourire éventra sa gueule de merde.
Je préférais me prendre un sort que de refermer cette foutue porte. *Ose*. Mon vert était contre le sien, que je détestais autant que le mien.

Ma fille…

*Oh non*. Même sa façon de parler était insupportable. Elle me faisait penser à Madame Crown, mais sans *Attaque !* élégance.

Je ne te contraindrais jamais à rien, murmura-t-elle en détournant le regard. *Tss…*. Et en déposant son arme sur mon lit. *Mais…*. Déception. Mes sourcils se fronçaient. *Elle a décidé d’foutre sa magie partout dans ma chambre la grosse trainée !*. Je ne savais pas pourquoi j’étais déçue de ne pas avoir été attaquée, ça m’aurait soulagée de dormir un peu, peut-être. *Bon Dieu faut que j’la jarte*. Il fallait en finir.
Sans tourner ma tête ni mon corps, je pointais mon bras en arrière pour chercher le battant. *Voilà*. Et je lançais mes muscles.

La porte claqua d’une telle force que j’en avais moi-même sursauté ; la Peste aussi, ça me rassurait. Ses paupières s’étaient fermées, mais son visage se dirigea vers le mien.

J’attends, déclarais-je en croisant les bras.

Un instant s’écoula.
Mon cœur battait rapidement, mais c’était juste de la fatigue, tout mon corps était à bout de force. *Qu’est-c’qu’elle fout ?*. La Peste ne bougeait pas, encore pire qu’une statue. « Mais… ». Ses paupières s’écartèrent, faisant basculer son vert affreux sur moi. *Hein ?*. J’avais eu l’impression que ses orbites avaient beaucoup roulé, et que ses iris étaient sortis de l’intérieur de son cerveau. *Comme un serpent*. Elle avait fait un truc à ses yeux ou j’étais juste beaucoup trop fatiguée ?
Croisant mes bras un peu plus fort, je fixais le regard de cette femme qui prétendait être ma mère. Pourtant, je ne voyais rien dans son tréfonds ; je ne ressentais rien d’elle.

Elle se leva de mon lit *Enfin*, puis elle écarta son attention de moi en se dirigeant sur ma droite. L’énorme perche se baladait tranquillement dans ma chambre comme si c’était la sienne, sans la moindre gêne. *’veut vraiment que j’explose*.
Elle s’arrêta face à mon tableau blanc — remplis de notes sur mes harmoniques — et se mit à observer son contenu.
Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. *Bien…*. Et j’étais trop fatiguée pour m’énerver. *J’rentre dans ton jeu*. Mon bassin se cala sur ma jambe droite, et j’attendis.
Après mon tableau, elle alla regarder mon piano — sans le toucher, c’était un miracle. Puis mon bureau avec mes étagères. Puis mon armoire. Et enfin, elle se tourna vers moi.

Mon corps existait, mais mon esprit n’était plus là. Trop de fatigue rampait en moi.
Un sourire fendit sa gueule, encore ; puis elle me contourna, ouvrit la porte lentement, et sortit en refermant derrière elle.
Elle était partie.

J’étais restée droite, le regard fixé sur la fenêtre en face.
Un truc sortit de mes poumons pour se lancer dans ma trachée, il escalada mes tissus en courant, prenant de la force sur ma gorge pour se lancer dans ma langue ; et ma bouche expulsa le tout.
Un puissant rire fit vibrer le silence de mon Antre. « Mais-elle-est-tarée ! » bredouillais-je de mes lèvres sans pouvoir m’arrêter de rire. *C’était quoi c’te spectacle de merde ?*. Ma voix rieuse claquait contre mes tympans. Je me pliais en deux, mon estomac était douloureux de mon rire silencieux, profond. Tout mon buste était secoué par mes pensées qui rebondissaient en rire. *Oh bon Dieu !*.
J’inspirais profondément pour me reprendre ma furieuse envie de rire, mais un bruit m’en empêcha. C’était la porte d’entrée, en bas.

Les sursauts de ma poitrine se calmaient. « Ouuh… ». Je me redressais lentement, sentant la peau de mon estomac s’étirer. Mon envie de rire s’était calmée aussi brusquement qu’elle était arrivée.
*’se sont barrés ?*. Un énorme sourire ne se décrochait pas de ma gueule. Je me retournais vers ma porte pour l’ouvrir.
Les échos de mon rire pulsant dans mon buste, je sortis la tête de ma chambre. *Oh*. La tête de mon père apparut, puis son cou, puis son buste. Il montait les escaliers.
Le sourire sur mon visage diminuait un peu, mais je n’arrivais pas à le retirer complètement ; ce qui me donnait encore plus envie de rire. *Bordel faut que j’dorme*.

Ta mère est sortie.

Le sourire que j’avais un peu réussi à contrôler m’échappa en s’étirant à l’extrême. *J’comprends rien mais j’aime bien !*. J’ouvris entièrement la porte pour en sortir mon corps, sans rien répondre à mon père, de peur d’éclater de rire. Je me contentais de regarder son bleu, qui était en train de calmer toute mon envie de glousser. *Il s’est cassé comme un chien*.
Non, je n’avais plus vraiment envie de rire. Mon sourire tomba.

Qu’est-c’qu’elle t’a dit ?

*Rien*. Et même si elle m’avait vraiment parlé, je ne lui aurais rien dit. Alors ma bouche s’ouvrit sur la seule réponse qu’il méritait dans tous les cas possibles : « Rien ». Ses sourcils se froncèrent, tout comme ses traits. *Arrête, fait pas ça*.
La tristesse créée par ma réponse clignotait sur sa tronche. *Et merde…*. Il était faible, mon père, mais ce visage de tristesse me rappelait ses larmes ; et je ne voulais pas m’en rappeler.

J’te dis qu’elle m’a rien dit… soufflais-je aussi délicatement que me le permettait ma fatigue. Il baissa les yeux vers le sol, et me répondit sur le même souffle : « Ouais, j’ai bien compris… ». Son ton puait l’abandon. Il ne me croyait pas. *Non*.
Tout mon visage se bloqua. *Impossible*.
La Peste ne m’avait rien dit, puis elle s’était cassée, sachant que mon père allait venir me voir. *Non*. Elle avait tout calculé ?
C’était impossible, la fatigue me tuait.

Mon pied affreusement lourd se décolla du sol pour se poser un peu plus près de mon père. Et mes bras s’enroulèrent autour de son corps. *Dormir, juste*. Je posais ma tête contre son ventre, sa couverture de peau habillée ; c’était tellement doux.
J’éjectais l’Autre-trainée de mon crâne.

Ouais, je pouvais presque m’endormir debout.

je suis Là ᚨ