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01 mars 2020, 15:23
DES MONSTRES DANS NOS RUES
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Image C'est une maison à la façade délabrée à laquelle il manque un sérieux coup de peinture. Elle est enfoncée dans une petite ruelle qui passe elle-même entre deux autres rangées de maisons pratiquement identiques les unes aux autres. La maison est fade et sans personnalité : pas de jardin, ni même de petites décorations. Rien n'est laissé dehors si ce n'est une large poubelle et une boite aux lettres où se trouve l'adresse et le nom des habitants. Sur la façade terne est collée une affiche pétante de rouge et de blanc couverte de slogans anti-sorciers.
Either Forwel (ex Wellhister)
- Anglaise
- Moldue
- 35 ans
- Actuellement sans activité professionnelle
- Violemment anti-sorciers
- Fait partie d'un groupe de manifestants 
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Edwin Wellhister
- Anglais
- Né-moldu
- 12 ans
- Ancien élève à Poudlard dans la maison Serpentard
- Collégien (équivalent 5°)
- Avis mitigé sur la question des sorciers 
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Après la lettre de Either à la directrice de Poudlard, Edwin a été convoqué et a refusé de faire tout acte de magie, expliquant qu'il ne voulait pas devenir un monstre. A la fin de l'entre-vue, il a été décidé qu'Edwin rentrerait chez lui le 21 Janvier 2045. Il a quitté Poudlard sans sa baguette grâce à une plume comme le font habituellement les élèves nés-moldus. Le 30 Janvier 2045, Edwin a de nouveau fait sa rentrée dans une école moldue.
Dernière modification par Edwin Wellhister le 15 mars 2020, 23:05, modifié 1 fois.

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)

01 mars 2020, 22:14
DES MONSTRES DANS NOS RUES
                                                                                      ═══╗
            21 Janvier 2045    
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Depuis qu'il avait été dans le bureau de la directrice, il s'était efforcé d'éviter le plus de monde possible. Parfois, ça n'avait pas été possible mais au final il pensait avoir plutôt bien réussit. Il avait caché son secret comme il avait pu, et ça avait fonctionné. Personne n'avait été au courant qu'il partait avant que le jour J n'ai sonné. Pourquoi ? Il n'avait pas envie de devoir dire au revoir. Le monde des sorciers n'avait jamais été accueillant, il n'avait pas envie qu'on s'intéresse soudainement à lui quand il partait. Pas même ses amis. Eux, ce n'était pas pour cette raison, c'était simplement qu'il ne voulait pas leur expliquer, ni voir leur visage passer de la joie à l'incompréhension. Il ne voulait pas qu'on lui demande pourquoi il n'avait pas supplié pour rester à Poudlard, ni pourquoi il avait presque fait en sorte d'être renvoyé chez lui. Il savait très bien que, même s'il l'expliquait, personne ne comprendrait son point de vue. Ils ne vivaient pas sa situation, ils n'avaient aucune idée de comment il pouvait réfléchir et se sentir, leur expliquer n'aurait servit qu'à leur balancer des questions sans réponse dans la tête et une envie de le faire "revenir à la raison" comme s'il l'avait perdu. Alors il était partit, comme en secret, en espérant qu'on ne se souviendrait plus de lui au bout de quelques jours, comme s'il n'avait été qu'une explosion de potion en cours dont tout le monde parle avant qu'ils ne l'oublient. Il ne pensait pas revenir à Poudlard, alors à quoi bon que l'on se souvienne de lui ? Il espérait oublier tout cela, lui aussi. De toute façon, c'était fini. 

Il était rentré chez lui avec une plume, comme pour les vacances de Noël. La situation avait été tout aussi affreuse à vivre. Il se demandait bien comment certains sorciers pouvaient supporter de ne se déplacer que par ce moyen là. Lui avait envie de vomir à chaque fois, tout comme certains sorciers ne supportaient pas d'entrer dans une voiture. Pour lui, ce n'était qu'une différence de plus entre son monde et le leur. Quelque chose qui leur prouvait qu'il ne venait pas de chez eux, qu'il n'avait rien à y faire. 

Sa mère l'attendait. Son visage se fendit d'un long sourire qui faisait rougir ses joues et dévoilaient ses dents quand il croisa ses yeux après être apparu de nulle part dans son salon, sa grosse malle à la main. Le baguage claqua d'ailleurs sur le parquet quand elle le prit dans ses bras pour une embrassade presque musclée tant elle le serrait fort. Il resta droit comme un piquet, mal à l'aise, pendant quelques secondes avant de finalement enrouler les bras autour de la taille de sa mère et de plonger sa tête dans sa nuque, tout comme il le faisait avant d'aller à Poudlard. Il était soulagé qu'elle ne lui parle pas de l'incident des vacances. Il n'aurait jamais su comment se placer si elle lui avait demandé des explications, pour la simple et bonne raison qu'il n'en avait pas. Il ne savait pas pourquoi il avait pointé sa baguette sur elle, ni pourquoi il avait utilisé ce sort. Ça s'était fait tout seul, il avait eu l'impression que l'adrénaline et la peur contrôlaient son corps, sans prendre en compte l'avis de sa tête. Il n'aimait pas la peur pour ça : la perte totale de contrôle était affreuse pour lui. 

Elle posa un genou à terre pour être à son niveau et entoura son visage de ses mains après lui avoir déposé un baiser bruyant sur le haut du crâne.
- Maman est tellement heureuse de te revoir, poussin. J'ai tellement eu peur, qu'ils t'empêchent de revenir à la maison, je ne les laisserais plus jamais te prendre à moi, d'accord ? Je te le promet, plus aucun d'eux ne t'approchera, chéri. 

Elle n'attendit pas qu'il réponde pour se lever et commencer à le pousser vers sa chambre en appuyant doucement une main dans le bas de son dos, l'encourageant à avancer silencieusement. Il ne répondit pas non plus : il ne savait pas quoi dire suite à cela. Bien sûr, il avait comprit qui était ce ils dont elle parlait, il ne fallait pas être un génie pour le comprendre. Sans savoir pourquoi, ça avait fait tourner quelque chose dans son ventre, lui donnant envie de grimacer, comme s'il avait reçu un coup. Il ne savais pas pourquoi il avait été mal à l'aise d'entre ça. C'était ce qu'il avait voulu depuis le début de l'année, ce n'était pas parce que cela avait changé depuis les vacances que ça ne pouvait pas redevenir comme avant. Il était persuadé que dans quelques heures, il serait soudainement bien plus heureux, loin de ses soucis et sachant que plus personne ne pourrait lui faire du mal tant qu'il ne recommencerait pas à faire des conneries. 

Oui, il serait bientôt bien plus heureux, ça ne faisait aucun doute.

- J’appellerai l'école où tu étais l'année dernière pour t'y inscrire de nouveau. Tu es content ? Elle posa sa main sur son épaule et tourna son visage souriant vers lui alors qu'elle ouvrait la porte de sa chambre et l'aidait à poser sa valise sur son lit. Je n'ai rien touché, je sais que tu n'aimes pas quand je touche à tes affaires. Elle ébouriffa ses cheveux. 

Tout était comme avant, mais il n'arrivait pas à rire aux gestes de sa mère, à sourire simplement parce qu'elle aussi, à se dire que tout allait bien. Il pouvait seulement penser à combien il espérait que ça aille bientôt mieux. Si ça allait bientôt aller mieux, tout du moins. Il ne pouvait penser qu'à une chose, et c'était à sa décision. Est-ce que cela avait été une bonne idée de revenir ? Est-ce qu'il regretterait dans quelques jours ? Est-ce qu'il aurait été mieux pour lui de rester à Poudlard, essayer de devenir un vrai sorcier, oubliant son sang ? Qu'est-ce qui aurait fait le plus mal entre revenir et rester là bas ?

- Je n'aime pas beaucoup l'école, dit-il, parlant pour la première fois depuis qu'il était rentré. 
- Personne n'aime l'école, mais malheureusement on ne peut pas y échapper. Tu vas voir, tu retrouveras tes amis de l'an dernier et tu t'en feras des nouveaux, tu vas vite adorer d'y aller, même si tu seras toujours un peu grognon sur les cours. 
- Et si je me fais pas de copains ? 
- Il n'y a pas de raison que mon merveilleux petit garçon ne se fassent pas d'amis. Et tu auras toujours ceux que tu t'es fais avant qu'ils ne viennent te chercher, pas vrai ? Mon beau garçon, dit-elle en serrant son épaule, il te reste une semaine avant de devoir te lever très tôt le mâtin, essaie d'en profiter, tu auras tout le temps de penser à ça quand tu seras de retour à l'école. Quand il ne répondit pas, elle continua : Tu as l'air fatigué, Edwin, est-ce que tu veux faire une sieste ? En temps normal, son fils lui aurait répondu qu'il n'était plus un enfant, mais ce jour là il se contenta seulement d’acquiescer. Elle le laissa quelques secondes plus tard, mimant un baiser en refermant la porte.

Elle semblait si différente de quand il l'avait quitté la dernière fois, il était totalement perdu face à ce changement si rapide. Où étaient passés ses reproches sur sa nature de sorcier ? Ses insultes, ses mots blessants contre les sorciers ? Ses grands discours ? Elle semblait juste ne pas se souvenir de tout ça, comme si elle avait décidé d'oublier, de laisser de côté toutes les choses qui la dérangeaient. Ça ne lui ressemblait pas du tout. Et pourtant, si quelque chose n'avait pas changé, c'était sa capacité à trouver des réponses qui étaient à des années lumières de ses angoisses. 

Comment pouvait-il lui dire qu'il détestait l'école moldue, bien plus encore qu'il n'avait jamais détesté Poudlard ? Il ne pouvait pas lui expliquer ça quand elle semblait totalement sur son petit nuage, persuadée qu'il allait adoré y revenir. Il détestait l'école, les gens, les cours. Il avait du mal à comprendre ce qu'on lui expliquait, était trop lent à le faire. Ses camarades trouvaient ennuyant de se faire ralentir par un abruti incapable d'additionner deux idées et ses professeurs pensaient simplement qu'il ne faisait pas d'efforts, qu'il ne travaillait pas assez. Il avait essayé comme il avait pu, de s'accrocher, s'acharnant sur ses leçons pour les comprendre, mais ça ne semblait juste pas s’emmagasiner dans sa tête. On lui disait qu'il était nul, il se sentait nul et tout était naze. Il n'aimait pas l'école. 

Il s'allongea dans son lit après avoir défait sa malle et rangé ses affaires et son esprit se prit à dériver jusqu'à atteindre Poudlard. Qu'aurait-il fait à cette heure-ci ? Il serait allé en cours, certainement. Aurait-il été heureux, aurait-il comprit quelque chose ? Et que faisaient les autres ? Où était Harrison, en ce moment ? Se foutait-on de sa tête ou est-ce qu'elle était tranquille ? Est-ce que ses amis étaient heureux, tristes ? Les professeurs l'étaient sûrement, heureux, de ne plus avoir à se coltiner un bon à rien dans leurs cours. Ses robes de sorciers étaient cachées sous ses autres vêtements, tout comme le reste de ses affaires. Sauf sa baguette. Elle était toujours à Poudlard. Il ne savait pas s'il la préférait la bas ou s'il aurait voulu la prendre avec lui. Si quelque chose arrivait maintenant, il serait totalement sans défense. Aucun moyen de lancer un sort, aucun moyen de contacter Poudlard. Pas que cela aurait été logique, les autorités moldues auraient sûrement débarqué et il aurait été dans une mouise pas possible, tout comme sa mère et peut-être même d'autres. 

D'ailleurs, est-ce que sa mère avait dénoncé les sorciers qu'elle avait menacé de dénoncer ? C'était en grande partie pour cela qu'il était revenu : ce n'était pas un sacrifice en soit mais si revenir pouvait permettre à certains de ne pas avoir de soucis, c'était un gros plus, quelque chose de non négligeable. C'était important de protéger les autres, même s'il ne les appréciait pas forcément, il n'avait pas envie d'apprendre leurs noms dans la presse comme sorciers arrêtés. Cela aurait été déchirant de se dire que tout était de sa faute, parce qu'il avait envoyé des lettres à sa mère et qu'elle avait prit les noms qu'il y avait écrit quand la situation avait commencé à l’exiger. 

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pensé à ça, au fait que lui aussi il avait pu faire quelque chose de bien. Pour des sorciers, en plus. Ça, il ne se l'était jamais dit. Il n'avait jamais pensé pouvoir faire quelque chose de bien pour eux : après-tout, il les détestait. Après Janvier, ce n'était plus de la haine, simplement de la peur qu'il ressentait quand il était entouré de sorciers. Ils étaient tous capable de lui faire beaucoup de mal avec juste leur baguette, et lui ne savait pas se servir de la sienne, ça avait rendu toutes les journées à l'école particulièrement angoissantes pour lui. Il s'étonnait même que son cœur n'ai pas lâché, mais force était d'avouer qu'on ne faisait pas de crise cardiaque pour si peu, ni même que votre cœur sortait de votre poitrine pour un peu de stress quotidien. Il posa sa main sur sa poitrine, grimaçant légèrement quand le tissu de son tee-shirt rappa sur les plaies qu'il s'était infligé. Maintenant qu'il avait vu que sa mère allait bien et qu'elle ne semblait pas fâchée, est-ce qu'il allait enfin pouvoir dormir ? Est-ce qu'il allait arrêter d'avoir si mal, si peur, toutes les nuits ? Il avait donné à ses cauchemars ce qu'ils souhaitaient : sa peur, son angoisse. Maintenant, il fallait que ses cauchemars le laissent tranquille maintenant qu'il n'y avait plus de raisons qu'ils restent penchés sur son épaule comme des vautours. 

Il entendit de loin la porte d'entrer claquer et vit par la suite la silhouette de sa mère qui courrait dans la rue, appareil photo en main, avant de se précipiter dans sa voiture. Le véhicule démarra en trombe et il se leva, des questions pleins la tête. Qu'était-elle dont partie faire ? Son regard accrocha une affiche rouge collée sur la vitre arrière avant que la voiture ne disparaisse mais il ne réussit pas à la lire. Haussant les épaules face à ce comportement étrange, il se tourna dans son lit et se glissa dans les couvertures tout habillé, conscient que la chaleur de ses draps était quelque chose qui ne changerait pas entre Poudlard et ici : il se sentait bien plus en sécurité quand il pouvait se rouler dans une chaleur réconfortante et douce. C'était mieux que l'impression de douche glacée qu'il avait dès qu'il se levait.

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)

02 mars 2020, 13:42
DES MONSTRES DANS NOS RUES
                                                                                      ═══╗
            27 Janvier 2045   
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Il court et court après l’adrénaline, comme si s’arrêter signifiait empêcher l’air d’entrer dans ses poumons. Parfois, quand il si pose dans son lit en essayant de trouver le sommeil, il repense à Poudlard et une pierre lui tombe dans l’estomac, alors il recommence à courir pour rattraper sa vie qui s’enfuit. Au final il ne sait plus qui de sa vie ou lui fuit l’autre, il sait juste qu’il doit courir. S’arrêter permet de penser, ça fait trop mal. Une partie de lui est restée à Poudlard, il n’arrive pas à oublier tout ça. Les souvenirs le hantent, ils s’accrochent à lui. Il serait heureux dans sa situation s’il ne s’était pas passé tout ça. Il court après le bonheur, la sensation de se sentir vivant. c’est comme si, au court des derniers mois, un filtre gris avait été placé sur sa vie, faisant fondre les couleurs tellement progressivement qu’il ne s’en était pas rendu compte. Même le ciel est gris, alors il court dans la nuis, traversant les rues simplement pour sentir le vent fouetter son visage et ses poumons brûler, parce que c’est la seule chose qui fait réapparaître les couleurs. Pour se sentir vivant, tellement qu’il pouvait imploser. Cette sensation aurait dû être interdite, elle était trop euphorisante, trop dépendante. Il n’arrive plus à se sentir vivant sans, alors il court derrière. Il court comme un drogué en manque pour s’offrir ces moments de vie et il ne s’arrête jamais.

Durant la première semaine qu’il passe chez lui, il essaie la natation, la course sur piste, la boxe, l’écriture. Tout ce qu’on lui vend comme un échappatoire, mais rien n’a l’effet qu’il recherche. Tous les soirs, il attend calmement que sa mère traverse le couloir et entre dans sa chambre. A partir de là, il sait qu’elle prendra ses médicaments et qu’il pourra hurler une fois qu’ils auront fait effet sans qu’elle ne se réveille. Alors il ouvre sa fenêtre et saute. Un mètre plus bas, il se sent bien plus vivant. Il passe ses nuits à arpenter Londres, découvrant la ville sous un autre angle, celui d’une petite souris qui traverse les jardins, se faufile dans les ruelles et escalades les murets. Il marche seul, mais il sait où passer pour éviter les mauvaises zones. Il comprend dans ces moments-là ce qu’il aime tant. Le goût de l’interdit. S’il se sent si vivant, c’est parce que tout son corps traverse les barrières que se crée son esprit autant que les barrières qu’on lui inflige. Dans ces moments-là, il brise sa cage. Il n’y a plus personne au dessus de lui, il est à la fois son esclave et son maître : ce n’est plus la peur qui le domine, c’est lui qui domine la peur et c’est grisant. Quand il rentre chez lui, il oublie toutes ces sensations, il reprend son désormais quotidien qui l’étouffe tellement et la seule chose à laquelle il peut penser, c’est à combien il a hâte de recommencer tout ça.

Il veut juste se sentir libre, se sentir vraiment vivant. D’une vie qui ferait pâlir toutes les autres de jalousie, qui leur ferait envier les bouffées d’air glacées qu’il prend pour faire battre son cœur d’une toute autre façon qu’il le fait habituellement. Ça lui fait se demander s’il n’a jamais battu de la bonne façon avant. Comme s’il apprenait seulement maintenant à le faire correctement.

Comment peut-il s’épanouir dans son quotidien s’il lui manque toujours les sensations qu’il vit la nuit ? Il n’est même pas fatigué, il n’en a pas le temps dans sa course infernale. Il ne s’en laisse pas le temps. Le sommeil le fuit autant qu’il le suit, mais lui l’empêche de l’atteindre. Le sommeil signifie penser, réfléchir, cauchemarder. Il refuse tout ça, ce n’est pas la façon dont il a envie de vivre. Il veut laisser ses angoisses derrières lui, mais elles s’accrochent à ses jambes. Il les tire tous les jours derrière lui et elles deviennent de plus en plus lourde avec le temps, mais la nuit il peut les perdre dans les rues. Une fois la nuit tombée, il se fond dans le décors, il le change. La nuit, il ne peut plus voir les affiches anti-sorciers qui parsèment les rues, pas plus qu’il ne peut voir partout à la télé des images d’horreur, des reportages ou des débats. La ville s’éteint, la colère et la violence aussi. Tout est enfin calme. La mélodie du silence, seulement coupée par le ronronnement urbain, est une merveille à ses oreilles. Un paradis de calme dans une vie où tout est trop bruyant, tout le temps.

Forcément, cela devait avoir une fin. Il aurait dû retenir la leçon les premières fois. De cette façon, les choses auraient fait moins mal. Tout faisait moins mal quand on s’y habituait.

- Eh, toi là bas ! Hurle un homme alors qu’il escalade un grillage. Tous les jours il passe par là, pour partir et pour revenir. Il n’a jamais vu personne, alors pourquoi maintenant ? Il observa l’homme qui commençait à le suivre et se mit à courir alors qu’il hurlait. Reviens ici, petit délinquant !

Son cœur saute dans sa poitrine, mais là ça n’a rien d’agréable. Il remarque bien avant que l’homme ne le rattrape qu’il va le faire : il ne court pas assez vite pour s’enfuir, détaller comme un lapin. Au bout de quelques minutes, l’homme s’empara de son poignet, le faisant se stopper violemment et trébucher. Il glapit de terreur. L’autre avait un physique gentil, mais aux yeux effrayés d’Edwin, il était une montagne de colère bien violente. Et bien réelle.

- Je te tiens, petit fuyard ! Qu’est-ce que tu faisais là bas ? Tu volais ? Edwin secoua la tête, incapable de parler alors que la terreur entourait sa gorge, le faisant presque suffoquer.

Là, il avait vraiment merdé et il était totalement foutu.


L’enfant était silencieux, le dos droit mais la tête baissée, et les mains posées sur ses genoux alors qu’il était assit sur son lit. Il serrait ses articulation presque compulsivement. Seulement quelques heures s’étaient écoulées et il n’avait pas seulement l’impression de vivre un cauchemar, mais d’avoir été directement catapulté en enfer. Sa joue piquait douloureusement. Il lui semblait qu’il se souviendrait toute sa vie de la claque magistrale que lui avait donné sa mère avant qu’elle ne l’oblige à s’excuser d’avoir été un gamin idiot devant toutes les personnes qui avaient été dérangées à cause de son comportement. Ensuite, elle l’avait poussé dans la voiture. Il aurait aimé qu’elle n’attende pas avant de lui crier dessus, parce que son silence et ses regards glacés étaient encore pires. Il avait comprit durant les brèves minutes du trajet à quel point il avait merdé, vraiment. Il savait qu’il avait fait quelque chose de mal, mais il espérait qu’elle comprendrait pourquoi.

Il s’était trompé.

Il se tenait donc là, se demandant exactement à quel moment le cauchemar était devenu enfer. En ce moment et de son point de vue, sa vie était littéralement fichue. Sa mère se tenait devant lui, rouge comme si elle avait mangé un pimant et avec la même grimace qu’elle aurait eu si elle l’avait vraiment fait.

- Tu m’aurais TOUT fais ! Mais es-tu abruti à ce point là ? Imagine un instant si tu étais tombé sur un sorcier ? Il n’aurait pas hésité, il t’aurais pendu par les pieds pour te vider de ton sang ! Elle hurlait, et lui s’écrasait. Quand elle vit qu’il allait ouvrir sa bouche, elle le coupa : Et ne me fais pas ton discours pro-sorciers, tu sais très bien que j’ai raison. Je n’ai jamais eu plus honte de toute ma vie. Tu profites que je prenne des médicaments pour sortir sans mon autorisation et en plus tu rentres chez les gens, tu vas dans des rues miteuses ? Mais qu’est-ce qui a bien pu te passer par la tête gamin insolent ! J’en viens même à me demander si j’ai bien fais de demander à ce que tu reviennes à la maison, peut-être que s’ils t’avaient attaqué, tu aurais enfin compris que tu DOIS rester en sécurité, c’est à dire sans te balader tout seul la nuit tombée ! Veux-tu que je te redonne les images des attaques ? CE SONT DES MONSTRES Edwin, et bordel, quand est-ce que tu vas comprendre qu’il est temps pour toi d’arrêter de suivre leur chemin ? Quand elle vit qu’il ne répondait ni se s’excusait pas, elle laissa échapper une exclamation de colère et claqua la porte de sa chambre.

Il prit une respiration tremblante en observant les choses accrochées à sa porte trembler sous la force de la fermeture. Sa main droite se leva et il pinça plusieurs fois son avant bras. C’était pas un cauchemar, c’était réel. Il étouffa un gémissement de douleur en sentant son cœur battre trop fort sous sa peau et gratta légèrement sa poitrine alors qu’il se reculait dans le coin de son lit, s’appuyant sur le mur et ramenant ses genoux sous son menton. Il se balança légèrement en regardant autour de lui. Ses volets ouverts, mais pas assez pour qu’il puisse passer son corps, étaient retenus par une chaîne de métal. Il pouvait les fermer mais pas les ouvrir plus. Il était bloqué, incapable de reprendre une respiration pure. Il n’avait aucune chance de pouvoir partir maintenant, et il était pratiquement sûr que la clé de sa porte avait été subtilisée par sa mère.

Il était totalement impuissant, bloqué dans sa maison qui l’étouffait. Il pouvait presque sentir les murs se rapprocher pour l’écraser, comme si tout était un mécanisme destiné à le tuer ou, en tout cas, l’effrayer assez pour que son cœur lâche. Il avait tout fait foiré. La boule sanglotante qu’il était semblait essayer de se fondre dans le mur alors que d’hystériques sanglots lui brûlaient la gorge, l’empêchant de respirer correctement.

Ce qui faisait le plus mal dans tout ça, c’était ce qu’elle avait dit. Il avait tout gâché, encore une fois. Elle était folle de colère et c’était encore de sa faute, parce qu’il avait fait n’importe quoi et qu’il n’avait pas réussi à être le fils qu’elle voulait qu’il soit. Elle ne demandait pas grand-chose, pourtant, et lui était tout bonnement incapable de lui offrir ce qu’elle souhaitait. C’était normal qu’elle soit en colère.

Il essayait de rester lucide, trier le vrai du faux dans ses paroles.

Elle se demandait si elle ne devait pas le renvoyer chez lui : Faux. Elle lui avait demandé de revenir, il était là et elle semblait heureuse, elle n’avait dit ça que parce qu’elle était en colère.
Les sorciers pouvaient lui faire du mal : Vrai. Ils lui en avaient déjà fait, pas tous mais certains. Et il savait que les gens comme lui avaient déjà subit des attaques, simplement parce qu’ils n’étaient pas comme les autres.
Les sorciers étaient des monstres : ???
S’ils en étaient, en était-il un aussi ? C’était ce qu’il devenait, d’après-elle. Était-ce vrai ? Il avait vu les vidéos de l’affrontement, les photos des corps. Sa mère l’avait encouragé à tout regarder jusqu’à la fin, parce qu’elle disait qu’il devait comprendre à quel point c’était mieux pour lui d’être ici. Mais il n’en savait plus rien. Tout se mélangeait dans sa tête, les envies qu’il avait eu il y a trois mois, celles qu’il avait maintenant et celles qu’avait sa mère. Il ne savait plus discerner le vrai du faux. Toutes les informations étaient là, dans sa tête, accrochées à son crâne. Les souvenirs de Poudlard se mélangeaient avec les images de l’attaque, les paroles de sa mère avec ses pensées. Oui, les sorciers étaient mauvais, mais les moldus aussi. La directrice lui avait dit, mais pouvait-il lui faire confiance ?

Elle a menacé de te tuer, Edwin. Se souvint-il.
Il ne fallait pas la croire. Ne pas croire personne, ni lui, ni les sorciers, ni sa mère. Simplement faire comme si rien ne le dérangeait, comme s’il était d’accord pour qu’on arrête de vouloir le convaincre avec des choses qu’il ne pouvait pas vérifier. Il allait étouffer ici.

Il mit ses mains sur sa bouche et hurla, laissant échapper tout ce qui le consumait, comme il l’avait fait des mois avant à la tour d’astronomie. S’il n’était pas un sorcier, mais pas un moldu non plus… Qu’était-il ? 

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)

03 mars 2020, 00:37
DES MONSTRES DANS NOS RUES
                                                                                      ═══╗
        29 Janvier 2045 
 ╚═══                      

- Surtout, tu ne touches pas la colle, d'accord ? Sa mère prend le pinceau enfoncé dans le gros pot de colle qu'il porte dans sa sacoche et badigeonna le mur devant lequel elle les avait arrêté. Ne mets pas trop de colle, ou l'affiche sera gondolée. Elle reposa le pinceau et déroula une des affiches coincées à côté du pot avant de l'étirer et de la poser rapidement sur le mur, la lissant d'un geste expert. Fais attention à ce qu'il n'y ait pas de plis, tu devrais vite prendre la main. Ensuite, tu ne t'attarde pas et tu continue à nous suivre, d'accord ? La colle séchera rapidement. Des gestes rapides et maîtrisés. Tu as tout retenu ? Demanda-t-elle en posant ses mains sur ses épaules.
- Ouais, j’suis ok. Dit-il en hochant la tête, cachant son malaise derrière un joli sourire. Elle sourit en pressant son épaule et continua sa route, rattrapant en quelques rapides enjambées le groupe qui s’éloignait d’eux en papotant.

Son regard se perdit sur l’affiche rouge pétante qu’il avait à hauteur des yeux. Il ne la voyait qu’à travers un brouillard épais de fatigue, n’arrivait même pas à bien comprendre tout ce qu’elle impliquait. S’il se concentrait, il pouvait faire semblant, imaginer que ce n’était qu’un bout de papier comme un autre et qu’il ne faisait pas l’éloge de la violence contre les sorciers. Oui, avec un peu de poudre aux yeux, il pouvait changer de vision et tout voir comme si le monde était rose et beau. Il suffisait d’un peu d’efforts et tout était lissé, comme s’il y avait appliqué un filtre contre tout ce qui était susceptible de lui faire du mal. Il tourna les talons et rejoignit sa mère en trottinant, résistant à l’envie de tirer sa manche comme un petit enfant qui aurait peur de se perdre dans la foule.

Ils n’étaient pas bien nombreux, peut-être une vingtaine, grand maximum. Ils marchaient dans les rues depuis quelques minutes déjà, même si la marche avait commencé quelques kilomètres plus haut. Sa mère et lui n’y avaient prit part que lorsque celle-ci était passée devant leur porte, comme il était prévu qu’ils fassent. Tous les trente à quarante mètres, ils s’arrêtaient et collaient avec soin une affiche sur une bâtisse, une maison, un mur isolé, une borne ou les glissaient sous les essuies glace. Il ne savait pas vraiment pourquoi il était là, il lui semblait ne se comporter que comme un automate, sans réfléchir, simplement en exécutant les ordres que lui donnait sa mère. Au matin, quand elle lui avait demandé s’il voulait l’accompagner, il avait comprit que ce n’était pas une vraie question avec le ton qu’elle avait employé. Elle avait posé une question, pour qu’il croit que ce n’était pas un ordre, qu’il avait vu choisir, mais son regard avait été rempli de menaces silencieuses. Alors il avait tapé dans ses mains, affiché un large sourire et avait déclaré qu’il serait ravi de pouvoir l’aider, parce que c’était ce qu’elle voulait entendre, alors il lui donnait le plaisir de le faire.

Il avait comprit ce qui se passait quand elle n’était pas contente, ça finissait avec ses volets cadenassés et une interdiction de sortir de la maison, même pour aller chercher le courrier, tant qu’elle n’était pas avec lui. Il se sentait comme un animal en cage et le sentiment était pire que tous ceux qu’il avait essayé de fuir, la nuit dans les rues de Londres. Le sentiment d’étouffer et de ne pas pouvoir sortir de sa chambre, de savoir qu’il était totalement bloqué chez lui et qu’il n’avait aucun moyen de contacter quelqu’un qui aurait pu l’écouter. En ce moment, il se fichait de si les gens le comprenaient, il voulait juste qu’ils l’écoutent. Sa mère ne le faisait pas, il avait l’impression de lui parler derrière une grosse vitre qui filtrait toutes les choses qui n’étaient pas de son avis. Il voulait juste qu’on l’écoute raconter ce qu’il voulait. Il voulait dire tout ce qui lui pesait sur le cœur mais il ne pouvait pas le faire, alors ça rajoutait du poids sur ses épaules et des cauchemars dans ses nuits. Quand il passait sa nuit à courir, il n’était pas fatigué, mais deux jours et deux nuits sans courir l’avaient fatigué bien plus que toute autre chose. Il se sentait en bout de vie, comme si sa vie était un fil de trois millimètres et qu’il devait y rouler à vélo. Il se sentait juste tomber en chute libre sans jamais toucher le sol et ça n’avait absolument rien d’agréable.

Il pouvait presque entendre des grincements mécaniques alors que son bras se levait, prenait le pinceau, posait la colle puis l’affiche avant que ses jambes ne reprennent leurs mouvements. Il ne pensait pas vraiment, il était juste vide. Quel genre de personne était-il pour participer à ça ? Qu’ils soient sorciers ou pas, qui méritait des affiches comme celles-ci ? Tout le monde aurait été assez fort pour dire non, pour se lever contre sa mère pour lui expliquer son point de vue, mais quand lui n’en avait pas, que pouvait-il faire ? Il ne voulait pas participer à tout ça, en bien comme en mal, il voulait juste qu’on arrête de l’emmerder à toujours le forcer à choisir entre les moldus ou les sorciers. Entre sa naissance ou le don qu’il avait. C’était pas possible, peut-être qu’il était juste idiot ou incapable de se décider, mais il ne pouvait pas choisir. S’il devait être totalement honnête avec lui même, il se dirait que c’était parce qu’il était un froussard qui n’arrivait pas à faire face à toutes les conséquences de ses actes. Parce que tout était de sa faute dans cette histoire, et il essayait juste de cacher tout ça derrière de jolis sourires qui n’atteignaient jamais ses yeux. Il avait choisit d’aller à Poudlard, d’utiliser un sort sur sa mère pour finalement retourner chez lui. Il s’était dit que tout s’arrangerait s’il rentrait, que plus personne ne le blesserait, qu’il n’aurait pu à avoir peur des sorciers, de la magie et que sa mère lui pardonnerait. Au final, tous ses soucis s’étaient arrangés, il ne s’attendait juste pas à ce qu’ils aient leurs remplaçants. 

Est-ce que c’était beaucoup mieux de régler ses soucis pour en avoir d’autres au lieu de simplement garder ses anciens soucis ? Il n’avait plus peur de la magie, mais elle lui manquait presque. La terreur de devoir jeter un sort, de se sentir comme un monstre, tout ça ne lui manquait absolument pas, mais il ne pouvait s’empêcher de penser à quel point les escaliers moldus n’avaient aucune saveur, ni que les tableau ne bougeaient pas, tout comme il n’y avait pas de lac ni de tour d’astronomie. Il n’avait jamais imaginé que quelque chose de Poudlard aurait pu lui manquer tellement tout son être avait été focalisé sur les mauvaises choses. Il en avait oublié les bonnes et elles se rappelaient à lui au pire moment. Il s’attendait à se lever le matin dans des draps émeraudes et à attendre que ses camarades ne se lèvent pour se lever à leur suite, tout comme il s’attendait à une envolée de hiboux tous les jours au déjeuner. Rien de tout cela n’arrivait et ça le laissait avec un étrange goût de pas fini dans la tête. Il ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas simplement revenir à la normale, ni pourquoi Poudlard et la magie le suivaient encore. Il avait tout foutu à la benne quand il était partit, il en avait été certain, alors pourquoi est-ce qu’il retrouvait tout ce qu’il avait jeté ? Il voulait juste redevenir un gamin normal qui n’était pas déçu parce que le monde était terne, mais un gamin qui vivait juste sa vie comme il le sentait, qui fumait quand on lui proposait et qui s’amusait à refaire le monde.

S’il avait vraiment pu refaire le monde en un seul vœu, il aurait fait celui d’être un sorcier, un vrai. De ne pas être né moldu, de n’avoir jamais été dans ce monde et d’avoir toujours été un génie en magie. Il ne rêvait plus que de ça : être normal. Ici ou là bas, il s’en foutait maintenant. Il se fichait du combat entre les deux mondes, ça lui avait déjà bien assez pourrit la vie. Être normal, ça ne voulait pas dire grand-chose pour la majorité des gens mais pour lui ces mots s’illuminaient en néons rouges et blancs dans l’obscurité de sa chambre ou dans le vide sous ses paupières.

La question tournait toujours dans sa tête. Qu’était-il ? Il ne pouvait pas se proclamer sorcier alors qu’il avait ces affiches dans les mains, pas plus qu’il ne pouvait se proclamer moldu s’il fouillait dans le fond de son armoire et retrouvait ses bouquins de magie. Il était perdu, il comprenait rien à ce qui lui arrivait et il voulait juste se remettre à courir, parce qu’il sentait qu’il en avait plus besoin que jamais. Simplement arrêter de penser, courir après tout ce qui pouvait lui faire oublier. Mais il n’avait plus le droit de courir et il se demandait si cela n’avait pas signé son incapacité totale à produire un vrai sourire. Pas un de ces espèces de mensonge bien caché qu’il avait perfectionné devant son miroir, mais un vrai sourire qui l’aurait rendu heureux. Il savait même plus ce que c’était de l’être. C’était con, trouvait-il, comme les pires choses restaient tellement plus longtemps dans la mémoire, gravées dans la chaire que celles positives. Lui aurait aimé que ce soit l’inverse mais il avait aussi comprit que la vie lui mettait de gros stops, même s’il savait pas pourquoi. Il imaginait juste que chacun devait avoir un quota de trucs de merde qui arrivaient avant de pouvoir être enfin heureux. Mais cette pensée ne le faisait que devenir jaloux des autres qui avaient tout ce que lui n’avait pas. Il n’avait jamais été jaloux auparavant, il se foutait des choses qu’il n’avait pas tant qu’il profitait de celles qu’il avait, mais là il se sentait prêt à sauter sur n’importe qui qui aurait semblé heureux pour l’engueuler, lui expliquer qu’il n’avait pas le droit de sourire, qu’il fallait pas le faire parce que le monde était en train de s’écrouler. Il voulait que tout le monde soit aussi triste que lui pour qu’ils voient enfin que ce n’était pas qu’un caprice de gosse, quelque chose qui passerait si on y faisait pas attention.

Il s’arrêta devant une affiche colorée. Qui aurait posé ça là ? Et alors que les vidéos des affrontements et les photos des corps circulaient encore ? La paix entre les sorciers et les moldus. C’était ça que demandait l’affiche, il pensait quelle faisait presque pitié. De la pitié pour un bout de papier, il aurait tout vu. Qui que soit la personne qui avait posé ça là, elle se trompait lourdement. Ils ne pourraient jamais vivre ensemble. Si lui aussi avait pensé à un monde où les deux sociétés seraient unies, il avait vite balancé cette idée dans la pile des irréalisables. Ils n’avaient pas la même culture, pas les mêmes façon de penser, de faire les choses. Et, plus encore, les sorciers avaient quelque chose que les moldus n’accepteraient jamais, et c’était la magie. Lui pensait que c’était quelque chose de totalement égoïste. Une partie du monde n’acceptait pas que l’autre ait des pouvoirs en plus que eux n’avaient pas. Bien sûr, c’était plus profond que ça, mais lui trouvait que ça résumait bien pourquoi ils ne pourraient jamais faire la paix. Il renifla, s’approcha de l’affiche et d’un mouvement violent, l’arracha d’un coup.

On avait bien souvent vu que les gens acceptaient pas les différences, c’était pas maintenant que ça allait changer, surtout après les attaques, d’un côté comme de l’autre. C’était foutu, ça avait trop mal débuté.

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)

15 mars 2020, 22:27
DES MONSTRES DANS NOS RUES
                                                                                      ═══╗
        13 Février 2045   
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Les dernières semaines avaient été relativement calmes, si l'on oubliait ses jours d'école. Dès qu'il y était revenu, un gamin lui avait fait tout un discours philosophique sur l'harmonie, résultat, il y avait pensé toute la soirée et se l'était pourrie pour rien. En plus ce cela, ça lui avait collé des emmerdes aux chaussures mais à force de coups et de gueulantes dans les couloirs, les gens le laissaient relativement tranquille. Il ne se faisait pas de films : il n'avait pas d'amis, les gens ne l'aimaient pas et le lui faisaient bien comprendre, mais tant qu'il ne se laissait pas faire, de façon générale il n'y avait pas beaucoup de personnes qui osaient venir le voir pour lui en foutre sur la tronche. Il en avait parlé avec sa mère et même si elle avait plus été du genre à l'engueuler parce qu'il se battait, elle avait finalement comprit et soignait les égratignures avec soin. Il avait tu l'incident avec l'autre élève : pour elle, son fils avait des emmerdes parce qu'il n'avait pas les mêmes facilités que les autres. Si Edwin avait eu le malheur de lui avouer qu'il avait aidé un sorcier, elle l'aurait pendu par les pieds en espérant que ça lui remette les idées en place. De plus, pour rien au monde Edwin n'aurait avoué avoir aidé un sorcier, parce qu'il en avait honte et qu'il savait très bien que cela avait été une mauvaise idée, vu comment les choses avaient tourné par la suite. 

Il était toujours quelque peu paumé sur la question des sorciers, il ne savait pas s'il fallait tous les détester ou pas, ou s'il fallait vraiment être contre eux ou pas. En clair, il ne savait pas si les affiches qu'il collait avec sa mère tout les week-end reflétaient sa pensée ou celle d'un autre. Il était tout de même bien plus du côté des moldus pour le coup, mais il préférait encore rester relativement extérieur au conflit. Il n'avait pas assez de données. Il ne se documentait pas beaucoup aussi, les premières images des morts qui avaient tourné lui avait retourné la tête, ça l'avait choqué pour des heures à se demander s'il était comme les monstres qui avaient fait ça ou pas. Le problème, c'est que tout s'était passé quand il n'était pas sur Londres, ou alors le jour même de sa venue, alors ça l'avait moins touché, parce qu'il avait vécu les choses en retard. Toutes les images paraissaient étrangement impersonnelles : on ne savait rien de ces gens là, ils n'étaient qu'un nom, un visage. Un corps. 

Son portable vibra une fois, puis deux, puis ne s'arrêta pas et il grogna dans son lit. Qu'est-ce qu'ils foutaient encore ? Lui il ne voulait que faire une sieste, parce qu'il était totalement malade et qu'il profitait de ne pas aller en cours pour une fois pour dormir tout l'après-midi. Il essuya son nez sans grâce avec sa manche de pyjama avant d'attraper son portable en grognant. Les notifications qui se bousculaient sur l'écran eurent vite fait de le réveiller. Il se redressa dans son lit à la vitesse de la lumière et balaya l'écran pour avoir accès aux vidéos. Tout de suite, c'était beaucoup plus affreux que toutes les autres images. Bien plus que les cadavres, ou que les gros titres qui parlaient de tel ou tel meurtre. Là, il avait toute la scène, il vivait la chose parce que ça s'était passé le mâtin même et, plus que tout, il n'avait pas seulement un nom et un visage, ce bonhomme, il avait aussi une famille qui postait sur les réseaux, demandant des informations, si quelqu'un avait vu le père, le mari qu'il était. Ou avait été, en tout cas. Edwin penchait plus pour la seconde option : qui que soit ce sorcier, le collégien peinait à imaginer qu'il l'aurait laissé en vie ou que le fait de l'embarquer comme ça ne lui aurait pas fait de mal. Il observa la photo de cet homme, puis la tronche de sa femme et de son gosse. Désespérés. Et ça lui fit mal au cœur. Tout d'un coup, tout avait beaucoup plus de sens : Oui, les moldus avaient dégommé du sorcier, mais ces enfoirés avaient commencé, en se battant, en affichant ouvertement à Poudlard que les moldus ne valaient rien. Sans les sorciers, ce mec serait rentré chez lui, au soir. Sans les sorciers, y'auraient pas eu de cadavres, qu'ils viennent d'un camp ou de l'autre. S'ils avaient été assez intelligent pour rester dans leur monde comme ils le faisaient depuis des années sans se mêler de leur monde, rien de toute cela ne serait arrivé. 

Cette seule vidéo montrait à elle seule ce que Edwin ne serait jamais : un sorcier. Il n'avait jamais voulu l'être, avait pensé que cela pouvait le protéger de sa mère, mais au final, la seule chose qui aurait pu faire du mal à sa mère, c'était la magie. Les sorciers, toujours. Que les sorciers. Des monstres.

- Maman ! hurla-t-il depuis sa chambre. Il sauta de son lit, embarquant presque les couvertures avec. MAMAN ALLUME LES INFOS ! URGENCE !

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        14 Février 2045   
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- MORT AUX SORCIERS ! Hurle en cœur une petite partie de la foule. Quelques uns sont assez silencieux, levant juste des pancartes où est placardé le visage du disparu et parlant ensemble. A BAS LES SORCIERS !

Il ne sait pas si la famille est parmi les manifestants, honnêtement, ils sont beaucoup trop pour qu'il puisse même reconnaître des gens : il est accroché à sa mère mais s'il la perdait de vue ne serait-ce qu'une seconde ou si sa main et la sienne n'étaient pas fermement accrochées, il aurait été embarqué dans la foule. Des centaines de milliers d'inconnus marchant tous ensemble pour un seul but, une seule personne. Les manifestants prennent toutes la largeur de la route, si quelqu'un voulait passer en voiture ça lui serait impossible. Sa mère et lui ont déjà manifestés, mais plus des manifestations à comité réduit. Simplement des marches pour coller des affiches. Là, les gens hurlent, agitent leur pancartes, parlent entre eux. C'est une toute autre ambiance. 

Lui, pour une fois, il ne se sent pas comme paumé dans un truc qu'il comprend pas : il a choisit d'être ici. C'est lui qui a poussé sa mère a participer à la manifestation, parce qu'elle ne voulait pas qu'il rate l'école un autre jour, autant qu'elle ne voulait pas prendre le risque de le perdre dans la foule. Des angoisses de maman qu'il avait balayé d'une main en lui foutant encore et encore la vidéo sous le nez, en lui demandant, lui suppliant presque de participer à la manifestation parce que c'était important, et que pour une fois il voulait se sentir engagé dans ces histoires : il voulait pouvoir faire quelque chose d'utile, même à son échelle, même si ça ne changeait pas grand chose, une personne de plus ou de moins. 

Sa présence entre ces personnes, à hurler pour la libération, ou la mort injuste d'un moldu, c'était un doigt d'honneur à tous les sorciers. Un défi. Quelque chose qui disait "Vous n'êtes plus rien pour moi, observez ce que vous avez créé". Parce qu'il se pensait comme ça : il avait été embarqué par la magie, c'était elle qui l'avait poussé à détester les sorciers. C'était les sorciers qui poussaient les moldus à la haine, pas les moldus qui le faisaient tout seul. Ces enfoirés. Il hurlait sa haine à tout ces gens, il les détestait de toutes les fibres de son être. Tout en lui hurlait contre eux, contre leur nature et par conséquent, contre la sienne. Ces cris, cette pancarte qu'il agitait, c'était renier cette partie de lui, parce qu'il s'en foutait, il la détestait autant qu'il haïssait les autres sorciers, autant qu'il avait haït Harrison et autant qu'il avait souffert d'être à Poudlard. Chez les moldus, en cet instant, il se sentait bien plus complet. La haine, c'était un sentiment qui le transportait bien haut. Il avait l'impression que plus personne ne le trouverait plus jamais faible et que personne ne le ferait plus jamais souffrir sous prétexte qu'il était un né-moldu, parce qu'il n'avait plus aucun rapport avec. Et il en était content. 

Fini les heures à se morfondre, à se demander qui faisait quoi à Poudlard, si ses amis pensaient encore à lui, s'il avait fait le bon choix en rentrant chez lui. Fini la panique à chaque fois qu'un hibou viendrait vers sa chambre, que sa mère ne le découvre. La prochaine fois qu'un piaf s'approcherait, il lui balancerait ses bouquins à la tronche. Il n'avait plus d'amis : à quoi bon être ami avec des gens qu'il ne verrait plus et qui, de toute façon, étaient du mauvais côté ? Il se fichait de ce que les gens faisaient à Poudlard, il ne s'y intéresserait plus. Qu'ils brûlent tous en enfer, ces sorciers. Au soir, il brûlerait ses manuels, il les foutrait au feu pour l’alimenter sans avoir à dépenser une seule bûche de bois. C'était pas un sorcier, c'était pas un monstre. La directrice, elle avait dit n'importe quoi, les monstres, ça avait à voir avec la magie. C'était elle qui avait foutu en l'air toute sa vie bien rangée, tout son monde bien rangé. C'était pas un sorcier, ça en serait jamais un parce que ce monde que les sorciers proposaient, il était affreux. 

- Que Dieu bénisse Adrian Roberts !

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)

25 avr. 2020, 19:29
DES MONSTRES DANS NOS RUES
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11 Avril 2045
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Ça avait commencé doucement depuis l'incident avec Infini, ça avait tellement été progressif qu'il n'avait rien remarqué. Ça lui était tombé dessus sans qu'il puisse l'éviter parce que les chaînes avaient eu le temps de se développer autour de ses pieds, le collant au sol pour qu'il ne puisse rien éviter. Il n'y avait pas de formule magique, rien pur lui éviter de s'en prendre plein la gueule. Ça s'était écrasé sur lui et il n'avait rien vu. Ça avait été douloureux. Le ciel lui était tombé sur la tête et même si on l'avait prévenu des dizaines de fois que ça finirait par arriver, il n'avait pas pu prévoir. C'était peut-être ça le pire : qu'il ai été persuadé que ça arriverait, mais qu'il avait trop regardé l'intégralité de la chose pour pouvoir apercevoir les petits détails. Il y en avait eu pleins pourtant, des centaines. La façon dont on s'éloignait de lui dans les couloirs, dont on le regardait, l'insultait. Ça avait empiré à chaque fois que des sorciers passaient au info, à chaque fois qu'il participait à une manifestation, à chaque fois qu'un moldu balançait le nom de quelqu'un pour sorcellerie. Le monde qu'il avait tellement essayé de fuir gagnait du territoire dans sa tête en lui marchant sur les pieds. Sur le coup, il s'en était foutu. Les gens l'évitait et lui il ne voulait pas leur parler, alors c'était bénéfique. Leurs insultes n'avaient aucune âme et il se disait bêtement que ça se terminerait bientôt, qu'ils comprendraient que ça ne lui faisait rien et qu'ils trouveraient autre chose. Bien sûr que non.

C'était peut-être pour ça qu'il en avait parlé à personne ? La honte de ne pas avoir vu ou la honte de ne rien faire ? Honte qui s'était rapidement transformée en une puissante rancœur envers la personne qu'il croisait dans les miroirs. Il était en colère contre lui, contre les autres, contre tout. C'était infernal et il n'arrivait pas à être autre chose qu'en colère, tout comme ça avait été le cas à Poudlard. Et puis cette honte c'était transformée en une violence, en une agressivité qu'il ne pouvait pas contrôler et qui explosait tout le temps. Alors il parlait encore moins de ce qui se passait, autant parce qu'il ne trouvait pas ça important que parce qu'à partir du moment où il avait commencé à rendre les insultes, il était devenu autant coupable que les autres. Il n'était pas une victime, il n'en serait jamais une parce qu'il ne laisserait personne le prendre pour un petit truc faible. Il allait bien, il irait toujours bien parce que c'était ce que les autres voulaient entendre. C'était ce que les autres voulaient voir, alors c'était ce qu'il montrait. On le voyait comme un pauvre con, qui n'arrivait pas à calculer ou à écouter en cours, alors il ne faisait rien pour montrer une image de lui différente. Ce serait top long, trop compliqué et c'était plus facile de juste devenir ce qu'on pensait de lui. Ça faisait moins mal que d'essayer de changer les choses. Tout faisait moins mal que d'essayer d'être quelqu'un de meilleur et que les autres n'aient pas envie de vous cracher à la gueule. C'était le bordel dans sa tête, même pour lui alors il comptait pas sur les autres pour comprendre ce qu'il s'y passait si lui-même n'y arrivait pas.

Au final, une fois qu'il avait accepté qu'il ne serait qu'un insecte pour tous les autres, sa vie avait presque été facile. Bien plus simple que quand il essayait de penser tout seul. Il participait aux manifestations de sa mère - enfin jusqu'à-ce que ça le rende malade et qu'elle décide de le laisser à la maison quand il faisait une crise de larmes pour ne pas l'accompagner, le ventre noué et le cœur brûlant - collait des affiches, ne foutait rien en cours parce que tout était trop ennuyant, trop lent et que personne ne s'intéressait à ses résultats. Une vie normale d'adolescent normal anti-sorcier. Seulement, s'il avait été certain de l'être il y a quelques semaines, sa résolution se brisait petit à petit. Il fuyait toutes les discussions que sa mère avait sur le sujet, baissait les yeux quand il croisait une affiche, persuadé que s'il arrivait à ne pas y penser, tout ça disparaîtrait. Naïf, encore. C'était devenu une routine, sa routine à lui de compter les dénonciations, celles qui n'en étaient pas et celles qui en étaient et de se demander si oui ou non une attaque avait encore eu lieu. Une routine de faire attention dans la rue, d'avoir peur que quelqu'un reconnaisse le né-moldu qui était rentré chez lui, qui avait fait cette connerie en plus de toutes les autres. Ça n'avait rien amélioré, ça avait tout foutu en l'air. Il ne voulait pas être un sorcier, ça n'avait pas changé, mais il n'aurait jamais dû rentrer chez lui, parce qu'il comprenait maintenant qu'il en était un et que ça changerait jamais, qu'importe qu'il apprécie ou accepte la chose. Il était un sorcier entouré de moldus, un gamin entre deux mondes qui se cassaient la gueule mutuellement. Un gamin à côté d'un ravin qui ne avait pas si la meilleure idée était de s'y jeter où de s'accrocher au bord alors qu'on lui brisait les doigts un à un.

Il avait fait une putain de connerie et elle était irréparable maintenant. Même prendre la place de Harrison, à nettoyer le sol à la moldu aurait été préférable comparé à la merde dans laquelle il était. Avant de baisser les bras et de le laisser retourner chez lui, Loewy lui avait dit que certains sorciers étaient des monstres mais que c'était tout pareil chez les moldus. Il ne l'avait pas cru, il s'était dit qu'elle mentait. Qu'ils mentaient tous, ces foutus sorciers, sauf qu'elle n'avait pas menti. Il y avait des monstres dans les rues, des monstres partout. Moldus, sorciers, ils se valaient, se mélangeaient. Il y avait des monstres partout et lui il était un enfant qui cachait ses pieds sous sa couette en attendant que ses parents viennent ouvrir le placard pour vérifier que personne n'était caché dedans. Sauf que les adultes, avec lui, ils ne faisaient pas ça. Quand il parlait, qu'il disait, hurlait que ça allait pas, que rien n'allait jamais, les professeurs lui disaient qu'il ne faisait pas assez d'efforts. Sa mère tapait sa cuillère en bois sur ses bras avant de reprendre sa cuisine en ronchonnant à quel point son fils avait eu le cerveau déconnecté par les sorciers.

C'était toujours la faute des sorciers, tout le temps. Si on l'insultait, si il pleurait la nuit, s'il n'arrivait plus à courir devant la vie, après elle et qu'il se laissait traîner comme un boulet. La faute aux sorciers, parce qu'il était du côté des moldus. Alors quand on le prit par surprise un soir après l'école pour le traîner devant les bâtiments détruits en lui expliquant que c'était de la faute aux sorciers, aux gens comme lui - parce que ses camarades étaient certains qu'il était un sorcier, et ils avaient raison, tout comme ils avaient raison de le penser parce qu'il ne réagissait pas - il mit la faute sur le dos des sorciers quand sa mère lui demanda où il avait eu les bleus. Et quand, le onze Avril, il rentra chez lui avec le cœur oublié quelque part entre l'école et le trottoir, il espéra très fort que sa mère ne reviendrait jamais, parce qu'il n'avait pas envie de foutre la faute de ça sur les sorciers. Mais elle était revenue alors qu'il était enfermé dans la salle de bain, à compter les bleus, à se demander pourquoi sans que personne ne puisse, ne veuille lui répondre, il n'avait pu dire qu'une seule chose. En voyant son visage rouge de haine, contre lui peut-être, il n'avait pu gémir qu'une chose à travers ses larmes, et ça avait été C'était un sorcier. J'te jure c'était les sorciers.

Les sorciers parce que c'était ce qu'elle avait envie d'entendre, que c'était la seule chose qu'elle aurait accepté d'entendre. Elle n'aurait jamais accepté d'écouter le récit de son gamin tabassé par des moldus, parce que tout devait toujours être de la faute des sorciers. Et s'il lui avait dit que ce n'était pas de la faute des sorciers, tout aurait été de sa faute. De sa faute parce qu'il avait provoqué les autres, parce qu'il avait envoyé le premier coup, parce qu'il avait fait sa magie bizarre. De son point de vue, ça aurait été tout ça. Ça n'aurait pas été de la faute des autres, ça n'aurait pas été un de ses camarades qui avait collé le premier coup, qui lui avait craché dessus en premier. La faute des sorciers ou la sienne, mais jamais celle des moldus.
Alors s'il pleurait dans son lit, à se poser des questions auxquelles il n'aurait jamais de réponses parce que tout le monde s'en foutait, c'était la faute aux sorciers. La faute aux sorciers d'avoir transformé les moldus en monstres, ou peut-être la faute des moldus pour avoir été les monstres bien avant, mais ça personne ne l'entendrait ici.

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)

05 sept. 2020, 22:31
DES MONSTRES DANS NOS RUES
16 Mai 2045

Leur appartement se trouve au troisième étage et Edwin le déteste. Il déteste beaucoup de choses, mais surtout que personne ne se bouge pour reconstruire sa maison. Il n'est même pas certain que cela va être fait parce qu'il a beaucoup entendu sa mère parler avec son amie que cela leur ferait du bien de bouger, de changer d'habitations pour apporter d'autres changements. Il n'a pas envie de déménager, l'épreuve des quelques semaines chez la copine de sa mère ont déjà été assez compliquées pour qu'il n'ait pas à gérer en plus de ça la déception de ne pas retourner dans sa maison, dans sa chambre avec ses souvenirs. Mais il est obligé de la suivre, même si l'appartement est minuscule, même si les voisins du haut font du bruit et même s'il manque la moitié des meubles. Sa mère ne peut pas payer, et il peine à garder le commentaire sarcastique qu'il a tellement envie de lui faire sur le fait qu'elle pourrait payer si elle cherchait un travail au lieu de manifester pour des conneries toute la journée. Il ne le dit pas, mais il en a très envie, et si elle le regardait dans les yeux, elle pourrait voir à quel point sa colère augmente de minutes en minutes. Il ne sait toujours pas la gérer, et personne ne l'aide à le faire. Ça l'arrange, parce qu'il se sent vivant quand l'adrénaline monte en flèche dans ses veines et quand il sent son sang bouillir. Il a vraiment l'impression de sentir tout son corps quand il est en colère et ça lui donne l'impression d'exister à nouveau malgré le fait qu'il se sente disparaître petit à petit. Il n'a pas l'impression que quelqu'un se soucie vraiment de lui dans toute cette histoire. Il a Infini et les lettres qu'il reçoit encore parfois, mais ce n'est pas vraiment ça. Après-tout, il sait que ses amis ne le voient que comme ce qu'il accepte de leur montrer, et il ne sera jamais avec eux comme il est tout seul. Ça lui pèse, parce qu'il a l'impression de ne jamais être le vrai lui, et en même temps il n'a pas envie de leur montrer tout ce qu'il leur cache. Il veut garder pour lui sa souffrance, ou la façon dont il fait la guerre au monde entier comme si c'étaient devenu les seules choses qui ne sont à personne d'autre qu'à lui.

Il ne se sent pas voulu quand il est chez lui ou au collège. Il a juste l'impression qu'il fait partie du décors et qu'il pourrait tout aussi bien disparaître que ça ne dérangerait personne. Il n'en parle pas, cependant, parce qu'il imagine très bien que personne ne veut l'entendre faire, et que personne ne se souciera de ses problèmes parce qu'ils ont tant à gérer. Quand il essaie d'en parler à sa mère, c'est ce qui se passe. Elle lui dit qu'elle ne peut pas gérer tout ses petits ennuis d'enfant, parce qu'elle a tant à faire, tant à gérer et à penser. Il ne trouve pas que ce qu'il vit ne soit que des petits ennuis, mais elle n'est pas du même avis alors il fini doucement mais sûrement par se convaincre que ce n'est rien et qu'il est juste paranoïaque. Il a l'impression que tout le monde veut lui faire du mal, ou que personne ne pense à son bien-être et il ne sait plus si c'est la vérité ou s'il est le seul à penser tout ça, que ce n'est que son cerveau bizarre qui change tout. Il n'a plus envie d'être faible, il veut être comme tous les autres garçons qu'il croise ou qu'il voit dans les films : fort, dur et froid. Il n'y arrive pas, et qu'importe ce qu'il peut faire, il se retrouve toujours plus ou moins à pleurer, caché dans son oreiller pour que personne ne l'entende. Parler de ce qu'il ressent est compliqué, et on ne l'écoute pas. C'est juste douloureux pour rien, et il est certain que ça finira par passer. Ou pas, mais il a fini par s'habituer à tout ça, si bien que les insultes et les coups le frôlent comme s'il avait une carapace. Enfin, c'est ce qu'il s'oblige à croire quand il cache ses larmes. S'il se persuade qu'il va bien, il finira par aller bien, c'est comme les gens qui sont persuadés d'être malades et qui finissent par en développer les symptômes sans avoir la maladie. C'est peut-être un peu plus compliqué avec les sentiments, mais il finira par y arriver. Entre-temps, il a juste a être fort et à faire comme si rien ne lui faisait mal. Petit à petit il se détache de lui, de son cœur et de son esprit. Au début c'est un peu bizarre d'avoir l'impression de juste suivre son corps, mais il finit par s'habituer à la sensation d'être vide.

Un jour il ira bien, mais ce n'est pas prévu pour le moment. En attendant, il a juste a faire semblant d'y croire encore, et qu'il ne pense pas à ce qu'il se passerait s'il ne se réveillait pas un matin. Il ne trouve plus de rôle à ses journées, pas de but quand il se lève le matin et la réalisation de ne rien faire d'important le tue à petit feu. Parfois même, quand il s'endort, il prie très fort pour ne pas se réveiller le matin, parce que cela lui éviterait les journées ennuyeuses et douloureuses et les souvenirs incessants de ses cauchemars qui le transforment en fantôme.
Edwin passe la porte de sa « maison » en silence, déposant -ou plutôt jetant sans grâce- son sac dans sa chambre dont la porte donne presque directement sur l'entrée. Il n'a pas envie que sa mère sorte de sa chambre, parce que si elle est à l'appartement, il ne veut pas la voir. Il sait qu'il la déçoit, parce qu'elle lui montre bien. Elle lui dit aussi, mais il a l'impression de devenir sourd. Ou totalement fou, quand elle change d'émotion toutes les dix secondes, à lui crier dessus un instant avant de faire comme si de rien n'était la seconde d'après. Il ne comprend pas, et ça le perd.

Il gratte son bras, comme à son habitude depuis qu'une tache s'y est formée. Il la déteste presque autant que son nouveau chez-lui, parce qu'il sait d'où cette brûlure vient, et il sait qu'elle ne partira pas. Il n'a aucune envie de garder une trace si concrète de l'incendie, de la connerie du monde, mais il n'a pas le choix. Dans cette océan de violence où il est constamment jeté, il n'a toujours pas apprit à nager et il ne sait plus remonter à la surface quand un vague l'écrase. C'est une véritable tempête dans laquelle il est plongé, et il boit la tasse sans pouvoir rien faire. Au final, il devient la violence qu'il voit, et même s'il s'en rend compte et qu'il se déteste pour ça, il ne sait pas comment faire pour empêcher tout ça. Ça arrive et l'arrêter n'est pas de son ressort. Ce n'est celui de personne, ni même du Ciel qu'il a tant imploré. Aux grands maux, les grands remèdes et même s'il n'a jamais été croyant et qu'il s'en fiche, il a eu l'espoir que cela pourrait l'aider quand il est passé devant une messe un dimanche. Ça ne fonctionne pas, rien ne fonctionne. Il n'y croit pas assez pour que cela puisse être utile, et il n'a pas la force de donner son espoir à une divinité quelconque quand il n'en a même plus assez pour lui-même.

Il claque sa langue sur son palais bruyamment, déjà saoulé, quand il capte du mouvement dans le salon-cuisine. Il passe rapidement, la capuche de son sweet cachant une bonne partie de son visage. Il a juste envie de manger quelque chose et d'aller s'enfermer dans sa chambre minuscule aux murs ternes et délavés. Ce n'est pas parfait, c'est même tout l'inverse mais c'est déjà mieux que de supporter un énième discours de sa mère, qui ne tarde pas à arriver.

- Tiens-toi droit Edwin, tu n'es pas un sauvage, et retires-moi cette capuche quand tu es à l'intérieur. Il souffle en s'exécutant, et sa mère poursuit : Et avec joie et bonheur, arrêtes de souffler quand je te parle.
- Oh c'est bon, qu'est-ce que ça peut te faire d'abord siffle-t-il, de mauvaise humeur.

Elle n'apprécie pas la remarque et s'approche rapidement de lui pour l'empêcher de remettre sa capuche quelques secondes plus tard, tirant dessus et récoltant un couinement de surprise de son fils qui tressaille fortement. Elle ne semble pas le remarquer alors qu'elle lui tire son couvre-chef d'un geste sec. Edwin se décale d'elle, dégageant la main qui était auparavant appuyée sur son épaule.

- Me touches pas fait-il d'un ton cassant, les yeux lançant dans poignards pour cacher la boule d'angoisse qui est soudainement montée jusque dans sa gorge, rendant sa voix rauque.
- Pardon ? Alors mon coco, tu vas tout de suite te calmer parce que j'apprécie pas du tout ta façon de me parler. Je suis ta mère, tu me dois le respect, et j'vais pas te laisser me parler comme à un chien.

Il plisse les yeux, la colère débordant par tous les pores de sa peau. Il n'a pas passé une bonne journée, il n'en passe jamais, mais là les remarques de ses camarades ont fait mouche à chaque fois, et il est à bout de nerfs, alors pour une fois il n'a aucune envie de s'écraser pour empêcher une nouvelle dispute.

- Tu m'respectes pas, pourquoi moi je dois l'faire ?
- Quoi ? Elle rigole sarcastiquement et Edwin déteste ce son. Oh c'est vrai, mon pauvre enfant, je suis tellement une mauvaise mère. Elle fait semblant de souffrir, posant sa main sur son cœur. Faut que j'pleure maintenant ? Il déteste quand elle fait ça, quand elle le rend misérable en quelques gestes. Tu me parles mal, alors ta bouche tu la fermes bien, parce que tu connais rien au respect mon pauvre.

Il soupire, passant à côté d'elle, le verre d'eau oublié depuis longtemps, espérant pouvoir s'enfuir avant que ça ne parte en cacahuètes. Malheureusement, elle lui attrape le bras.

- Tu crois aller où, là ? Ah ça y est, parce que monsieur est pas content, je dois me taire ? Mais ça fonctionne pas comme ça, qu'est-ce que tu crois ? Qu'il suffit que tu fasses la gueule pour que je te laisse passer tout tes caprices ?
- Je t'ai dit de me lâcher ! Dit-il plus fort en tirant son bras pour se défaire de sa prise, la panique dévorante revenant au galop, mais elle ne le lâche pas. C'est même tout l'inverse, ça main se resserre sur son bras et ça n'aide en rien à la colère presque hystérique qui se développe rapidement en lui alors qu'il secoue son bras pour qu'elle le lâche.
- C'est pas ça la vie Edwin ! Tu respectes personne, t'en fais qu'à ta tête, t'as des mauvaises notes, tu fais n'importe quoi, j'en peux plus de subir toutes tes conneries !
- Lâches-moi tu m'fait mal ! Siffle-t-il en frappant sa main pour qu'elle le lâche enfin, se reculant de quelques pas quand il se dégage. Elle rigole à nouveau.
- Moi je te fais mal ? Mais tu mélanges tout, tu sais pas c'que c'est la douleur.
- Parce que toi tu sais peut-être ?

Il y a un silence de plusieurs secondes et Edwin se dépêche de le combler avant qu'elle ne se remette à parler, conscient que c'est sa seule chance d'en placer une.

- J'aurais jamais dû revenir à la maison. Fit-il, simple déclaration qu'il regrette dès qu'elle quitte ses lèvres.

Il n'a pas eu envie de dire ça, mais c'est sorti tout seul parce que c'est si sincère. La phrase le surprend, et il ouvre de grands yeux en voyant le regard de sa mère s'assombrir.

- Tu... chuchote-t-elle dangereusement n'as aucune idée de tout ce que j'ai fait pour toi. Tu n'as aucune idée de combien je fais des efforts, de combien j'essaie de t'aider, de te guérir de tout ça ! Tu n'es jamais reconnaissant, toujours égoïste à toujours vouloir plus que ce que tu peux avoir ! Elle crie maintenant, la voix sourde et tout le corps tendu, et le son l'agresse alors qu'il recule de quelques pas supplémentaires. Un courage débile s'empare de lui, c'est maintenant pour lui balancer à la gueule tout ce qu'il veut lui dire, il le sait.
- JE VEUX PAS DE TOUT CA hurle-t-il brusquement. Je veux pas de ce que tu fais, je veux pas être comme toi et je voudrais jamais ! JE SUIS PAS COMME TOI ! JE SUIS UN SORC-

Le bruit de la claque est assourdissant et c'est ce qui le fait réaliser qu'elle vient de le frapper. Encore une fois, mais cette fois-ci elle n'a pas fait comme si de rien était, ce n'est pas un coup de cuillère sur les doigts quand il mange mal, ou pas, ce n'est pas ses ongles qui s'enfoncent dans sa peau quand elle le tient et ce n'est pas non plus un coup d'épaule. Ce n'est pas un bleu qui apparaît quand elle le serre trop fort, c'est délibéré, et ça n'a rien de caché. Il en reste sonné quelques secondes, suffisamment pour perdre le fils de ce qu'elle dit quand elle commence à le secouer. Il a mit son cerveau sur off. La douleur éclatante dans sa joue ne le fait même plus capter autre chose que ça, en fait, il n'arrive pas à se concentrer sur autre chose, comme s'il n'était pas certain que ce soit vraiment arrivé. Il a mal, plus au cœur qu'au corps, mais peu importe. Il cligne quelques fois des yeux, sentant sans vraiment le faire les larmes qui coulent sur ses joues. Il est faible, il a vécu pire coup avec les gens du collège, mais c'est sa maman. Il a vécu pire douleur, mais c'est sa maman. C'est sa maman qui vient de le frapper comme il en a tellement peur depuis des semaines, parce qu'elle n'est plus douce avec lui et que ses gestes sont emprunts d'une agressivité qu'il ne lui a jamais connu. C'est sa maman qui vient de le frapper. Parce qu'il n'est pas comme elle, parce qu'il est en colère et qu'il lui a crié dessus. Parce qu'il est un sorcier et qu'elle ne peut pas l'accepter. Les insultes font mal, bien sûr, ses remarques incessantes aussi, mais cette claque vient de briser quelque chose en lui. Elle ne l'a jamais frappé si ouvertement, et jamais si fort. Le pire, c'est qu'il se rend compte qu'il ne lui en veut pas vraiment. Il est plus en colère contre lui-même de ne pas être assez bien pour elle, de ne pas faire assez bien les choses. Il n'est pas en colère contre elle, il est terrifié. Quand il reprend contact avec la réalité qu'il n'avait pas l'impression d'avoir quitté, il souhaite ardemment devenir sourd pour ne plus rien entendre de toutes ses critiques qui font si mal. La colère, son amie si fidèle, revient rapidement au galop.

- …. MONSTRES ! TU NE FAIS PAS PARTIE D'EUX ! TU ES MON FILS, JE T'AI FAIT JE SAIS CE QUE TU ES ET TU N'EST PAS UN MONSTRE ! Regardes les choses en face ! Je n'accepterais jamais que mon fils face partie de ces terroristes violents, de ces dépravés ! Tu n'es pas comme ça !

Il se débat violemment, hystérique. Il griffe, mord, se débat et sa mère hurle, griffe et frappe. Il a mal, autant parce qu'elle est violente que parce qu'il lui fait mal. Il est affreux, il se sent affreux et il veut juste s'enterrer sous sa couette pour pleurer. Au final, il finit par se défaire de ses bras, se débattant comme un animal sauvage et hurlant tout aussi fort qu'elle.

- JE SUIS UN SORCIER ! C'est pas ma faute, j'ai jamais voulu ça, mais c'est pas ma faute, j'ai rien fait de mal !
- Et l'incendie ? Finit-elle par siffler, meurtrière.
- Quoi ? Fait-il d'une voix blanche, figé sur place alors que tout en lui s'évapore. Et il se sent à nouveau vide.
- Notre maison qui a brûlé, je sais que c'était eux, j'en suis sûre. Qu'est-ce que tu leur as dit ? Qu'est-ce que tu as fait Edwin !
- M-m-mais j-je...
- REPONDS-MOI ! Qu'est-ce que tu as fait ? Tu n'as pas la moindre idée de ce que cette maison représentait pour moi, tu te fiches de tout ce qui ne t'appartiens pas, mais tu aurais pu me tuer Edwin ! TU AURAIS PU TOUS LES DEUX NOUS TUER. Son fils fait trois pas vers l'arrière, encore une fois, blanc comme un linge.
- C-C'était pas moi
- Menteur !
- C'ETAIT PAS MA FAUTE hurle-t-il, avant de se répéter encore et encore.

Il ne se rend pas compte du nombre de fois qu'il dit ça, il se perd dans ses larmes. Il a peur, il est terrorisé. C'était pas sa faute, pas vrai ? C'était pas lui qui avait mit le feu, c'était pas de sa faute si elles étaient arrivées, c'était pas de sa faute. Et puis, après quelques instants à hurler, il change de phrase.

- C'était à cause de tes affiches de merdes qu'elles sont venues et qu'elle on tout foutu en l'air ! C'était TA faute, TA FAUTE TA FAUTE TA FAUTE A TOI ! JE TE DETESTE !

La seconde claque n'est pas une surprise, il s'en doutait. En fait, il se doutait déjà qu'elle le frapperait un jour, et maintenant que c'est vraiment arrivé, il ne croit plus vraiment qu'il mérite qu'elle ne le fasse pas. Il se sent si mal, si mal d'être comme il est. Il se dit que s'il était comme elle le voulait, tout irait bien, mais il ne peut pas et ça fait mal. Il a mit tant de temps à ne plus se briser en deux, essayant d'oublier qu'il était un sorcier, que maintenant il n'arrive plus à faire machine arrière. Il est un sorcier, il le sait, et il a comprit que le monde n'est pas tout noir ou tout blanc. Et surtout, il a comprit que le monde des sorciers ne sera jamais pire que le monde moldu, avec sa maman. Il s'en veut vraiment d'avoir laissé tombé le seul endroit où il a pu se sentir aimé par des gens, soutenu par des amis. Ça n'est jamais arrivé à Londres, et ça n'arrivera pas, il le sait maintenant. Même si on lui a reproché son sang, il y avait toujours quelqu'un pour s'en foutre. Ici, non. Sa mère ne passera jamais par dessus son avis des sorciers, qu'il soit son fils ou pas. En fait, c'est encore pire, décide-t-il. C'est encore pire parce qu'elle le déteste surtout pour être son fils et être un sorcier. Il est un échec, un enfant qui ne sera jamais normal, qui ne marchera jamais sur le chemin qu'elle emprunte pour lui. Un gamin qui n'entrera jamais dans sa vision de la normalité, d'une vie de famille heureuse et épanouit. Il ne sait pas comment il a pu croire si fort en l'illusion qu'elle lui montrait de leur vie, mais maintenant qu'elle s'est brisée, il peut voir nettement qu'ils n'ont jamais été une famille heureuse, ou en tout cas, qu'ils ne le sont plus depuis longtemps. Cela avait commencé par sa maladie, quand elle avait été trop faible pour faire quoi que ce soit. Il avait prit le rôle qu'un enfant ne doit jamais avoir, ou du moins pas avec ses parents. Ils sont censés s'occuper des gosses, les apprendre à grandir à leur rythme. Elle ne l'avait pas fait, et il avait été balancé tout de suite dans un monde qu'il ne comprenait pas, et qu'il ne comprend toujours pas d'ailleurs. Il ne sait même pas comment comprendre parce qu'il n'y a pas de manuel.

Un lourd silence prend place après, et il n'ose pas le briser. Il ne regrette pas ce qu'il a dit, parce que c'est vrai. Il la déteste presque autant que lui, et pire que tout, il la déteste pour avoir fait de lui ce qu'il est. Il s'est souvent demandé ce qu'il aurait fait dans une autre famille, mais il n'en a qu'une et il ne peut pas changer. Même si c'est de la merde, il faut qu'il se l'avoue. Il la déteste et qu'elle soit sa mère n'arrange rien. C'est encore pire, comme elle déteste encore plus qu'il soit sorcier parce qu'elle est sa mère, lui ne peut plus supporter l'idée que sa maman est une de ces folles qui veulent tous les exterminer. Il aurait voulu que les moldus ne les découvrent jamais, parce qu'il est certain que sa haine aurait été moins prononcée.

- J'aurais préféré qu'on se rend pas compte que la maison brûlait. Finit-il en chuchotant, avant de partir s'enfermer dans sa chambre

Il aurait préféré oui, même si ça signifiait que tout s'arrêtait pour eux deux à ce moment là. Ce n'est pas quelque chose qu'il devrait penser, et il sait qu'il n'a pas le droit. Mais il s'en fout, il se fiche des règles maintenant. Elles ne sont bonnes qu'à lui faire du mal, tout le monde n'est bon qu'à lui faire du mal.

Il se couche dans son lit, et il pleure. Il n'arrête pas de pleurer, même quand le soleil tombe et qu'il se rend compte qu'il devrait peut-être fermer ses volets. Il n'arrête que lorsque ses yeux sont secs et rouges et que plus une seule goutte ne peut en sortir. Il se sent asséché, mais il a l'impression d'avoir encore tant de choses à pleurer qu'il finit par sangloter sec, le corps replié sur lui-même alors que son estomac se soulève sans bruit. Il ne sent plus rien, il ne capte pas les couvertures autour de lui ou la façon dont sa poitrine se sert dans sa poitrine. Lui qui pensait toujours que les sentiments étaient une connerie, il a suffit de quelques mois pour se rendre compte que cela faisait plus mal que n'importe quoi d'autre, et il ne peut plus avoir mal. La vie ne prend pas en compte sa douleur et en rajoute toujours plus, tellement qu'il a l'impression d'étouffer et de devenir fou. Il respire tous les jours, mais il oublie comment faire dans ces moments là. Sa respiration est saccadée, et parfois il arrête d'aspirer pendant une bonne minute avant de recommencer à le faire, paniqué. Il regrette chaque mot qu'il a dit assez vite, pas parce qu'il ne les pensait pas mais parce qu'il sait que maintenant rien ne sera plus pareil. Il a vidé son sac, il lui a craché à la gueule tout ce qui le ronge depuis des mois et elle ne va pas l'oublier. Il pensait que ça lui ferait du bien, mais c'est tout l'inverse, et maintenant il a l'impression de devoir porter un fardeau en plus de tout ceux qu'il avait déjà.

Il veut remonter le temps, dire à son lui du passé de ne pas croire à la lettre, de la jeter, que ce n'est qu'un canular. Il veut que tout revienne comme avant quand il ne voyait pas tout ce que sa mère faisait de mal, au moment où il avait l'impression qu'elle était la vérité complète et parfaite et qu'il ne vivait que selon ce qu'elle disait. C'était mal, c'était faux mais ça ne faisait pas mal parce qu'il n'avait jamais remis en question tout ça. Maintenant qu'il le fait, il se sent un peu soulagé de pouvoir vivre tout seul, mais il ne sait pas comment faire face à tout ça. Il n'était pas préparé à vivre tant de choses, personne ne l'est jamais vraiment complètement, de toute façon. Il veut que les choses s'arrêtent, que les horloges cessent de fonctionner pour lui laisser le temps de mourir et de revivre après, de penser ses blessures au lieu de s'en refaire par dessus. Il sent qu'il a des cicatrices. Elles ne se voient pas, mais elles sont bien là et il ne peut pas voir autre chose qu'un gâchis monumental quand il se regarde dans le miroir.

Tout est de sa faute.
Il a quitté Poudlard, il a fait le fier devant la directrice quand elle lui a demandé si c'était vraiment ce qu'il voulait parce qu'il pensait que ça arrangerait les choses. Et puis les sorciers étaient des monstres. Il s'en était persuadé, mais maintenant il savait que c'était des conneries et les siennes étaient impossibles à réparer. Il fallait faire avec les conséquences de ses actes, une bonne leçon sur le fait de faire attention à ce qu'on fait. Il aurait voulu l'apprendre autrement.

Il fait semblant de dormir quand sa mère entre doucement dans sa chambre, des heures après, mais les larmes qui recommencent à couler sur ses joues l'empêchent d'être crédible.

- Tu sais Edwin, je fais tout ça pour toi. Je sais que tu n'es pas comme eux. Tu es mon fils, et même si tu es un peu perdu en ce moment, je t'aime. Ce n'est pas grave ce que tu fais, je sais que tu ne voulais pas, que c'est parce qu'ils te manipulent. Je ne vais pas te laisser tomber, on va travailler très fort tous les deux et tu finiras par aller mieux. Je ferais tout ce qu'il faut pour que tu puisses guérir, que ce ne soit plus qu'un vilain souvenir. Elle caresse doucement ses cheveux, et il a peur. Il a peur de la façon dont elle change d'avis, de comment elle lui parle, doucement, comme si elle l'aimait vraiment. Ces histoires de sorciers te montent à la tête, mais je te laisserais pas devenir fou, c'est juste une mauvaise passe à traverser, mais tu vas guérir.

Une maladie. C'est ce qu'il est pour elle : un malade, un fou. Elle veut le guérir, mais il ne peut pas l'être. Ce n'est pas un truc qui change avec quelques médicaments, et il le sait. Au final, il n'a même plus envie de faire comme s'il n'avait pas de magie en lui, parce que c'est la seule chose de bien qui lui reste. La seule chose qui lui donne un peu d'espoir, parce qu'il ne sait pas de quoi est capable cette magie, de quoi sont capables les sorciers et ça lui laisse tout le loisir d'espérer beaucoup de choses. C'est un monde qu'il n'a pas apprit à connaître et où il a vraiment envie de se réfugier si ça peut le sortir de tout ça. Il n'y croit pas vraiment, mais c'est la seule chose qu'il lui reste et que personne ne pourra jamais lui prendre, parce que ça fait partie de lui. C'est la seule chose à laquelle il fait des promesses quand sa mère lui parle comme ça. Il sait qu'elle le manipule, il s'en rend compte mais ça ne l'empêche pas d'être faible face à ça. Ça ne l'empêche pas de l'écouter et ça n'empêche pas ses mots de fonctionner.

Il se sent coupable pour tout ce qu'il a fait, ou ce qui n'est pas de sa faute. Il se sent de trop et il a envie de disparaître dans son matelas pour être certain qu'elle ne lui fera plus jamais de mal. Personne ne va l'écouter, personne ne va l'aider parce qu'il ne peut pas vraiment en parler à quelqu'un d'autre. Il n'a pas envie non plus, c'est trop honteux. Elle lui fait avoir honte de ce qu'il est, de ce qu'elle fait alors qu'il sait que ce n'est pas de sa faute.

D'une certaine façon, même en voulant faire tout l'inverse, en faisant tout ce qu'il peut pour ne pas lui donner ce qu'elle veut, elle obtient toujours tout. Elle fait exactement ce qu'elle veut de lui, et ça lui fait peur.

Il ne veut plus être comme ça. Il observe les autres et il est jaloux, il voudrait leur balancer à la gueule tout ce qu'il se passe dans sa tête, ses peurs, ses angoisses. Il voudrait que quelqu'un s'asseye à côté de lui pour l'écouter parler de ses cauchemars, que quelqu'un soit là quand il hurle la nuit, qu'on lui chante une berceuse. Il veut tout ça, et bien plus. Il veut de l'amour, des contacts et des câlins, tout ce que les autres garçons font semblant de ne pas vouloir. Il n'est pas un des héros principal d'un film qui arrive à faire face à tout, qui est fort et vaillant. Il n'est que lui, et ce n'est pas assez. Il veut être comme les autres, il ne l'est pas. Il veut être joyeux, il ne l'est plus. Il veut que tout aille bien, ce sont des conneries. Il n'a jamais cru aux Happy Ending de toute façon, et sa vie n'est pas un Disney à la con. C'est la vie réelle, le vrai monde et il est pourrit jusqu'à la moelle, c'est une vaste blague et il se fait piéger à chaque coin. C'est un labyrinthe interminable et sans fin où il se perd tout le temps, à ne rencontrer que des culs de sacs. En quittant Poudlard, il a juste essayé de tricher en montant la haie pour voir la sortie et pouvoir la retrouver plus facilement, mais au final il est tombé et il s'est cassé la cheville. Maintenant la sortie semble inatteignable et il n'a de toute façon plus envie de l'atteindre. Il ne veut plus rien faire, il veut juste continuer à subir sa vie, à être en spectateur parce que tout ce qu'il essaie ne fonctionne jamais, alors ça ne sert plus à rien d'essayer, au final. Ça n'a jamais servit à rien d'autre qu'à tout empirer.

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)

06 sept. 2020, 21:13
DES MONSTRES DANS NOS RUES
17 Juin 2045

Les semaines passent, les jours, les heures et les minutes sans qu'il ne donne de l'importance à grand chose. Il n'a plus l'impression de vraiment faire quelque chose du temps qu'on lui donne, juste de le laisser passer. Rien ne change dans son quotidien. Le harcèlement, les coups, les insultes qui glissent sur lui et le rendent morose, son appartement grisâtre, les manipulations, l'agressivité. Tout est devenu son quotidien, il s'y est presque habitué. Il ne peut pas dire qu'il l'a fait totalement parce que cela fait toujours mal, mais il supporte chaque journée sans rien dire. Enfin, il supportait sans rien dire. Il sait qu'il a fait une grosse erreur quand il en a parlé à la psychologue de son école, mais sur le coup, quand il s'était effondré, elle avait été là. Il n'avait pas pu s'empêcher de tout lui déballer, parce qu'elle avait montré tout ce qu'il n'avait jamais voulu qu'on lui offre. Une oreille attentive, de la gentillesse, des paroles réconfortantes. Il ne sait pas si elle a fait semblant pour le faire parler ou si elle se soucie vraiment de lui. Dans son cœur, il espère vraiment qu'elle le fait parce qu'elle vient de lui redonner une petite dose d'espoir qu'il veut garder précieusement, comme une étoile. Il veut croire qu'elle va l'aider, qu'elle va le sortir de là et qu'il va aller mieux. Il ne lui a pas dit pourquoi sa mère était comme ça, pourquoi ses camarades le sont aussi parce qu'il n'ose pas avouer sa condition de sorcier à quelqu'un d'autre. Il ne sait pas quel avis est le sien sur la question, et la porte de sortie qu'elle lui propose est trop importante pour qu'il ne pense qu'une seconde à se la verrouiller juste pour ça. Ça ne le dérange pas de mentir encore et toujours, il n'arrête pas de le faire, et ça lui est bien égal parce qu'il a pu lui dire tout le reste et elle l'a écouté en tenant sa main dans la sienne quand il n'arrivait plus à l'empêcher de trembler. Elle a été là, et pendant quelques secondes il s'est plu à imaginer que sa mère pourrait réagir comme ça. Qu'elle pourrait l'aimer, et écouter ses problèmes au lieu de les rejeter sans plus de cérémonies avant de lui donner la faute sur les siens.

Il se sent léger d'une manière qu'il n'a pas ressenti depuis longtemps, mais en même temps il a un peu peur. Il sait que sa mère va finir au courant, parce qu'il a donné son accord à la psy pour qu'elle la contacte. Une histoire de médiation, d'extérioriser leurs soucis pour aller de l'avant. Il n'y croit pas trop, mais il veut faire des efforts. Cette bouée qu'il vient de jeter à la mer c'est tout ce qu'il ne sera jamais capable de faire pour sa mère, pour lui aussi. Un dernier effort avant un abandon total, parce que si ça ne fonctionne pas, il ne saura plus quoi faire. Il n'a jamais parlé de tout ça à personne, même à Infini à qui il n'a donné que des bribes d'idées sur comment il allait. On dit toujours que parler aux gens ça change les choses et qu'il faut s'exprimer pour régler ses soucis, et même s'il n'y croit pas, il ne peut pas s'empêcher d'espérer que cette fois-ci ça va fonctionner, parce que la femme qui l'a écouté pendant des heures lui a promis tellement de choses.

Alors il est vite rentré chez lui pour ne croiser personne qui aurait pu ruiner sa journée et il est monté directement dans sa chambre quand il a vu que sa mère n'était pas à la maison, trop excité pour manger quoi que ce soit. Il pense à tout ce qu'il se passera quand ça ira mieux, à comment il ne se détestera plus. Il tournoie autour de son miroir, s'observant sous toutes les coutures, presque comme s'il cherchait à dire adieu à son corps trop imparfait. Il ne s'aime toujours pas, ça n'a pas changé. Il trouve toujours qu'il a trop maigri, que la brûlure sur son bras le dégoûte et que sa poitrine est toujours aussi laide avec ses cicatrices, mais ça va changer. Il espère vraiment que ça va changer. Il essaie d'imaginer le jeune homme qu'il sera quand tout ça aura disparu et comment lui et sa mère iront bien. Ils déménageront dans un appartement plus grand et mieux agencés, et elle s'excusera d'avoir été violente. Il pourra enfin lui parler de ses peurs et de ses angoisses, et elle l'écoutera avec attention avant de le prendre doucement dans ses bras pour lui chuchoter à l'oreille qu'elle l'aime, qu'elle est là et qu'elle ne laissera plus personne le blesser. Jamais plus. Elle va changer et ils vont devenir vraiment heureux pour une fois. Sa condition de sorcier ne la dérangera plus, elle lui posera des questions sur ce monde qu'elle ne comprend pas et que lui peine à faire, et elle le conseillera pour devenir une meilleure personne, pour suivre ses rêves et ses envies. Il deviendra quelqu'un de bien, parce qu'il ne trouve pas que c'est le cas pour le moment et il arrivera enfin à canaliser sa colère. Il est sur un petit nuage et glousse de bonheur dans sa chambre, les compteurs d'énergie à bloc alors qu'il laisse redescendre son haut de pyjama sur son torse. Il commence presque à faire nuit et sa mère n'est toujours pas rentrée, il se demande ce qu'elle peut bien faire. Peut-être qu'elle parle à une de ses amies ou qu'elle songe à quitter une de ses associations contre les sorciers. Peut-être même qu'elle cherche une maison ou qu'elle...

- EDWIN ELWOOD FAITH WELLHISTER hurle une voix depuis l'entrée avant que sa mère ne débarque dans sa chambre.

Ses yeux sont vitreux et elle tangue. Il n'a pas besoin de plus pour comprendre qu'elle est éméchée, et il ne lui faut pas plus longtemps pour sentir ses espoirs se briser à nouveau. La peur revient au galop, comme si elle ne l'avait pas quitté mais qu'elle avait juste fermé sa bouche quelques secondes, préparant un plan pour l’assommer à nouveau. Ces temps-ci, elle est bien plus puissante que la colère qui ne se montre plus devant sa mère. Devant elle, il n'y a plus que la terreur pure et dure de savoir qu'elle pourrait faire absolument tout ce qu'elle voulait de lui parce que personne ne l'en empêcherait, et qu'il ne pourrait pas se défendre non plus. Ce n'est plus comme en Décembre, il n'a plus sa baguette sur lui et sa magie ne se manifeste pas pour l'aider, qu'importe combien il la supplie de le faire. Parfois, il a l'impression de ne pas être un sorcier, même s'il sait qu'il en est un parce que la magie ne l'aide jamais comme elle devrait le faire. Peut-être parce qu'elle non plus ne pense pas qu'il le mérite, ou peut-être juste que c'est lui qui l'empêche de réagir parce qu'il est tellement persuadé de mériter tout ce qui se passe, tellement que si on lui demandait, il avouerait tout en demandant pardon comme il l'a fait tant de foi, seul dans la nuit devant les étoiles. Elles ne lui pardonnent pas non plus, et il ne peut presque plus les voir de sa fenêtre.

Il se fige devant sa mère alors qu'elle se rue vers lui, sauvage et les yeux fous, encore plus quand elle l'agrippe par les épaules. Il oublie comment bouger ses membres ou comment détourner les yeux de la forme chiffonnée de sa maman. Il ne peut pas s'empêcher de penser qu'elle est comme ça à cause de lui, et soudain le fait d'avoir parler à quelqu'un ne lui procure plus aucun bien-être, c'est même tout l'inverse quand il se rend compte que c'est ça qui l'a mise dans cet état là. Il aurait dû se taire. Quand elle l'appelle comme ça, ce n'est jamais bon signe. Surtout quand elle a bu, parce que quand elle est comme ça elle ne vient généralement pas le voir et reste juste dans sa chambre alors qu'il l'écoute pleurer à travers la porte. Parce que quand elle boit habituellement, ce n'est pas de sa faute. Le fait qu'elle vienne le voir montre que cette fois-ci, c'est tout l'inverse et qu'elle n'est pas prête à le lâcher, l'agrippant jusqu'à enfoncer ses ongles dans ses épaules alors qu'il échappe un gémissement piteux entre peur et douleur.

-TU TE FOUS DE LA GUEULE DU MONDE elle n'a pas baissé le ton, et il s'écrase comme il peut en rentrant sa tête dans ses épaules. Qu'est-ce qui s'est passé dans ta tête pour que tu ailles raconter toutes tes conneries à une psy ! Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Dans quelle merde tu m'as mise ! Elle n'attend pas qu'il réponde, se rend-il compte, elle l'engueule juste. A cause de toi j'vais avoir les services sociaux au cul ! ON VA T'ENLEVER A MOI TU COMPRENDS ? Des gens vont venir et t'emmener loin de moi parce que tu es un menteur ! Un menteur égoïste qui ne pense qu'à lui et qui dit n'importe quoi dès qu'il n'est pas content !

Elle se met à pleurer, crisant des dents et lui il n'arrive plus à réfléchir normalement. Ce n'est pas un menteur, il n'a dit que la vérité à la dame à qui il a parlé. Il a dit ce qu'il ressentait, ce qu'il voulait et ce qui lui faisait du mal. Il n'a pas menti, c'est faux, ce n'est pas un menteur. Il ne ment pas. Il ne ment pas.

Pas vrai ?

- Je ne comprend plus elle hoquette mais sans défaire sa prise avant de se remettre en colère. J'ai TOUT fait pour toi ! Je t'ai élevé, nourri, éduqué et c'est comme ça que tu me remercies ! TU ES INGRAT ! COMMENT TU VEUX QUE JE FASSE MOI ? Tu ne me parles jamais, je ne sais jamais ce qui ne va pas et tu parles à des gens qui ne font pas partie de la famille ! Pourquoi ?

Il ne répond pas, il n'arrive plus à parler et ça l'énerve encore plus, il le voit dans ses yeux. Il voit la haine totale et inconditionnelle, il voit l'incompréhension, le dégoût.

Il reprend le contrôle de ses jambes et donne un violent coup d'épaule pour qu'elle le lâche avant qu'il ne se précipite sur le côté. Elle attrape son col pour le tirer vers elle et le mouvement le fait hoqueter violemment alors que la peur se change en cris et en coups en tout sens. Elle aussi frappe, elle aussi crie mais il ne capte rien de ce qu'elle dit. Il sent ses mains sur lui, ses bras douloureux ou les coups qu'elle lui donne dans les jambes alors qu'il se débat comme un animal sauvage. Les gestes parlent beaucoup plus que les mots alors il n'a plus besoin de l'écouter pour comprendre ce qu'elle ressent, ce qu'elle a le droit d'exprimer alors que lui doit se taire. C'est ça le pire dans tout ça : elle lui donne son avis, l'oblige à penser la même chose qu'elle mais elle ne l'écoute jamais parler. Quand il essaie de lui expliquer ce qui ne va pas, elle finit toujours pas changer la conversation pour lui faire des remarques, se plaçant comme la victime. Elle oublie toujours ce qu'il essaie de lui dire, partant du principe qu'il n'est jamais venu vers elle alors qu'il n'arrête pas d'essayer de le faire. Elle n'écoute rien de ce qu'il a à dire, elle ne voit aucune des bouteilles qu'il envoie à la mer pour un peu d'aide. Elle ne voit qu'elle, et que les défauts qu'elle lui trouve mais elle oublie tout le reste. Il sait que cette soirée ne va pas différer des autres, qu'elle ne se trouvera aucune faute et que demain elle fera comme si rien de tout ça ne s'était passé, comme elle le fait depuis si longtemps maintenant. Elle continuera de vivre sa vie habituelle et elle ira bien alors que lui n’arrêtera pas de penser à tout ça, qu'il n'arrêtera pas de s'en vouloir pour tout ça et surtout pour ne pas arriver à faire comme elle. Elle passe à travers tout ça comme si ça n'était pas important, comme si elle lui avait juste fait une remarque parce qu'il avait mangé trop de bonbon et que ça n'avait rien changé à leur vie, mais lui il ne sait pas faire ça. Pour lui, c'est trop important, trop douloureux pour qu'il n'y pense pas toute la journée et toute la nuit, pour qu'il ne s'en veuille pas, pour qu'il ne se sente pas mal, incompris et inutile.

Quelque part dans l'enchevêtrement de bras et de jambes, il sent qu'elle frappe son visage en envoyant ses bras dans son espace proche, sans grâce et sans prendre en compte ce qui se trouve autour d'elle et il la pousse violemment dans le couloir. Elle frappe le mur avec un bruit sourd et il profite de quelques instants de répit pour se balancer vers la porte alors qu'elle encaisse encore ce qu'il vient de faire, trop sonnée pour l'empêcher de partir. Pourtant, elle ne prend que quelques millisecondes avant de commencer à lui courir après, mais il a de la chance cette fois-ci : tout ses gestes sont lents et mal assurés et il n'a aucun mal à se précipiter dans la cage d'escaliers, frappant l'épaule d'une voisine sortie de son appartement à cause des cris sans faire exprès. Il ne lui faut qu'un regard pour comprendre qu'elle ne va pas l'aider. Elle l'observe fataliste, comme si tout ce qui se passait ne la concernait pas, ou qu'elle pensait que ce n'était pas à elle de faire quoi que ce soit puisque ça ne la concerne pas. Ça brise quelque chose en lui, encore. Il se demande comment il fait pour tenir encore debout, comme un vase qu'on a brisé tant de foi mais toujours réussi à réparer. Il est fracturé de partout et il fuit, mais il tient encore. Il aurait préféré que le vase finisse à la poubelle directement parce que ça lui aurait évité beaucoup de choses.

Sa voisine ne l'aidera, la psy ne l'a pas aidé. Il est tout seul, et il va devoir le comprendre à un moment où à un autre, il s'en rend compte. Il ne peut pas compter sur les autres pour se sortir de sa merde parce que personne ne va bouger son cul de son fauteuil pour aller marcher dans la boue et le sortir de l'endroit où il s'enfonce. Avec toute la mauvaise foi du monde, il se dit que de toute façon il n'a besoin de personne et qu'il est parfaitement capable de tout gérer tout seul, même s'il se rend compte que c'est un des nombreux mensonges dont il se persuade.

Edwin descend les escaliers quatre à quatre, manquant plusieurs fois de tomber alors que ses pieds nus claquent contre la pierre et s'écorchent. Il est sûr qu'un de ses ongles est cassé vers le milieu, et ça fait mal mais il s'en fout. Il doit juste s'en aller, très vite et très loin. Les trois étages qui le séparent de la rue lui semblent durer une éternité alors qu'il ne pense qu'à être le plus rapide possible. Sa mère a arrêté de crier, pour ne pas alerter les voisins mais ses chaussures claquent dangereusement sur le sol et le son se répercute dans sa tête comme une rumeur infernale et dont il serait incapable de se défaire. Un air de musique caverneux, violent et qui n'annonce que la fin du film. Ce n'est pas comme dans un dessin animé, personne ne sort de son appartement pour voir ce qu'il se passe, les lumières ne s'allument pas parce que tout le monde s'en fout. Dans un quartier comme ça, les cris sont habituels et de toute façon, les gens sont égoïstes en ville, il l'a remarqué assez vite. Ils ne s'intéressent qu'à leur existence parce qu'ils n'ont pas de temps pour celles des autres.

Il saute hors de l'immeuble et sème sa mère en quelques mètres, sautant dans le jardin d'une maison éteinte, épuisé et les jambes mortes mais sans s'arrêter de courir. Au final, il ne s'effondre qu'entouré des poutres noircies du cadavre de sa maison. La fondation est dangereusement branlante, mais il se rend compte que ça n'a aucune importance. Tant mieux si sa maison s'écroule sur lui, au moins il aura été entouré de quelque chose de bien une dernière fois. En sécurité parmi les décombres carbonisés qui sont à l'origine de sa descente aux enfers directement par le ravin au lieu d'emprunter les escaliers.

Il se roule dans un coin, glacé par le froid de la nuit qui ne l'épargne pas, écoutant le bruit de la ville à travers son sang qui bat dans ses oreilles. Il doit savoir ce qu'il se passe, si sa mère arrive, si n'importe qui arrive. Personne ne doit le voir comme ça, parce qu'il est misérable. Il a sûrement taché son pyjama, et pire encore mais il s'en fiche totalement. S'il meurt de froid personne ne s'en souciera vraiment. Peut-être que s'il a de la chance, on le pleurera une heure ou deux mais la vie continuera très bien sans lui.

La douleur qu'il ressent n'a rien à voir avec les ecchymoses ou les coupures, c'est une agonie pure et dure qui se situe quelque part entre ses deux poumons. Il la connaît trop bien, et il sait qu'il n'a pas d'autre choix que d'attendre parce que qu'importe combien de fois il a essayé, il ne peut pas l'arracher et la jeter dans un fleuve. Ça ne fonctionne pas comme ça.

"T'a Smaug sur son tas d'or et t'as Edwin sur son tas de rédacteurs" - Isaac Powell
Edwin Wellhister (16 ans, quatrième année)