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17 juin 2020, 19:45
Rendre les armes  OS 
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Narym Bristyle, 30 ans
Professeur des écoles
Grand frère d’Aelle



14 janvier 2045
Appartement de Narym (Londres, Kesington)



Elle est si belle dans sa robe bleue. Le tissu épouse les formes de ses hanches et retombe fluidement sur ses longues jambes. Il s’aime à la regarder quand elle parle sans se rendre compte qu’elle entortille autour de ses doigts l’une de ses longues mèches blondes. Elle finit toujours, à un moment ou un autre, par se raisonner et ranger soigneusement cette même mèche derrière son oreille. Et elle sourit, d’un petit sourire qui fait exploser sa fossette, celle de droite. Son nez se retrousse et sa bouche se tord en une moue boudeuse : c’est à ce moment-là qu’elle le prend sur le fait tandis qu’il la regarde d’un air un peu perdu, subjugué comme depuis le premier jour par le naturel de ses gestes et la beauté de ses traits.

Il la grave dans sa peau, l’enregistre dans ses souvenirs. Il veut se souvenir de sa façon de se lever de sa chaise en rassemblant pudiquement ses jambes, du son cristallin de son rire, de ce regard qui peut se faire aussi malicieux que tendre. Il veut se rappeler que lorsqu’il l’a regardait, il était toujours fasciné par la manière qu’avaient ses cheveux de rebondir sur ses épaules, comme s’ils étaient une sorte de créature indépendante qui la suivait où qu’elle aille. Il veut se souvenir de la timide envie à laquelle il n’a jamais succombée, celle de passer ses doigts dans ces longues mèches pour en sentir la douceur et la légèreté. Surtout, il veut se souvenir de la justesse de ses paroles, de ses mots poétiques et un brin bourgeois, du ton de sa voix quand elle le rappelait à l’ordre et de son sourire quand elle le faisait rire. Il ne veut pas oublier combien il se sentait comblé quand il était près d’elle, embaumé de son parfum parisien. Il ne voulait même pas oublier tous ces instants manqués, ces baisers qu’ils n’auront jamais, ces détails qu’ils ne découvrirons jamais l’un de l’autre, ces promesses à demi-murmurées quand la nuit les poussait à se confier qu’ils ne pourront jamais réaliser. Il ne voulait pas oublier qu’il l’aimait, qu’elle l’aimait, mais qu’ils n’avaient jamais été assez courageux pour se l’avouer.

Il peut supporter qu’elle l’oublie, mais lui crèverait s’il devait l’oublier.

Sa tristesse l’étouffe. Elle enserre sa gorge, malmène son coeur qui n’a jamais appris à résister à une telle attaque. Narym se lève pour trouver un peu de courage. Il laisse son verre de vin sur la table et s’éloigne de quelques pas, écoutant d’une oreille lointaine la voix de son amie qui lui parle, encore, des horreurs que subit le monde ces derniers jours. Il s'adosse contre le dossier du canapé et force un sourire à danser sur ses lèvres tandis qu’il laisse son regard couler le long du visage de la femme.

Il a enfreint la Loi, se rappelle-t-il en la regardant.
Un jour de printemps les a vu, Gaëlle et lui, se promener sur les sentiers de Hyde Park. Une balade en amoureux s’était-il dit. Une balade parfaite pour avouer à demi-voix, encouragé par les affres de la nuit et l’alcool qui courait dans ses veines, qu’il était Sorcier et qu’elle était Moldue. Qu’elle avait rit ce soir-là, enchantant son coeur et son âme, avant de comprendre qu’il n’y avait aucune malice dans son discours, seulement une vérité qu’il ne pouvait plus lui cacher : il est un sorcier. Cela fait dix ans que Narym côtoie le monde moldu et il a toujours su résister à l’envie de Parler. Sauf ce soir-là parce que cette fille le rendait fou et qu’il voulait qu’elle le connaisse tel qu’il est réellement.

Gaëlle n’a pas pris peur quand la folie a commencé à guetter les deux mondes, quand le Secret Magique s'est effondré. Elle n’a pas eu peur parce que Narym lui a parlé du monde Sorcier, qu’elle le connait lui et qu’elle lui fait confiance. Mais l’absence de peur n’empêche pas l’éclosion de l’horreur. Et la jeune femme ne cesse de lui montrer l’horreur qui attriste ses jolis yeux bleus, la terreur que lui inspire une potentielle guerre, sa difficulté de se retenir d'apaiser les craintes de sa famille en leur parlant du Monde Interdit. Et face à ce tableau de crainte, Narym tremble de la vérité qui s’impose à lui : Gaëlle est en danger avec lui presqu’autant que lui-même et sa famille sont en danger quand il est avec elle.
Tout cela parce qu’un beau soir de printemps il n’a su résister à l’élan de son coeur amoureux qui lui chuchotait qu’il pourrait conquérir cette femme en lui avouant sa grande vérité.

Un petit rire le fait revenir à lui. Il lève la tête qu’il n’avait pas eu conscience de baisser et tombe dans le regard amusé de Gaëlle. Elle plie correctement sa serviette et la pose sur la table avant de se lever. D’un geste souple de la main, elle lisse le tissu de sa robe puis glisse vers Narym sans se départir de la beauté qui habille ses lèvres.

« Tu rêves, Narym ? »

Sa voix avait la consistance d’une rivière. Étonnamment grave pour une aussi frêle jeune femme, mais aussi douce que l’écoulement de l’eau.

« Non, je songe. »

Il installe un sourire factice sur ses traits, laissant son coeur papillonner. Ses yeux enregistrent les moindres gestes de la femme qui se dresse face à lui, grande et fière derrière son sourire mutin.

« Et à quoi songez-vous, jeune homme ? »

Il aimerait l’embrasser pour goûter à la douceur de ses lèvres. C’est idiot, n’est-ce pas ? Il ne fera pas cela. Il n’a aucune raison de faire cela. Le monde est en guerre et lui pense à embrasser la femme qu’il aurait dû embrasser il y a deux ans déjà. Non, il ne fera pas cela. Non pas parce qu’elle pourrait le repousser, il sait qu’elle n’en ferait rien, mais parce qu’il lui serait impossible après cela d’éloigner la jeune femme de sa vie. Et il doit l'éloigner, c'est nécessaire. Il ne doit pas côtoyer de moldus en dehors du cadre professionnel, pas tant que la vie sera aussi terrifiante. Et même s’il a confiance en elle, il ne peut prendre le risque de mettre sa famille en danger. Les autorités moldues se feraient un malin plaisir de venir casser du sorcier s’ils venaient à apprendre l’existence de l’un d’eux vivant caché dans leur monde depuis plus de dix ans. Alors, silencieux, Narym regarde Gaëlle sans limite, plongeant dans ses yeux pour y puiser force et courage.
Il est temps de passer à l’action.

Il se redresse et s’éloigne du canapé. Gaëlle le regarde passer. Narym la contourne pour atteindre la table. Il sent son regard sur lui tandis qu'il débarrasse leur dîner.

« A demain, répondit-il enfin d’une voix faussement légère. Demain, je dois arriver tôt à l’école pour aider un élève. »

Ce ne sera pas la première fois. Gaëlle n'a d’ailleurs aucun mal à le croire, mais sa moue déçue lacère le coeur de Narym. Autant que de voir l’éclat dans son regard fondre comme neige au soleil. Il aurait pu se damner pour ramener un sourire sur ses lèvres. Mais il fait celui qui n'a rien vu et s'empare des verres pour les amener à la cuisine.

« Je veux être en forme. Les nuits sont courtes, ces derniers temps, » lance-t-il de la pièce voisine.

Il en profite pour prendre appui sur le plan de travail le temps d’apaiser les battements frénétiques de son coeur abîmé.

« Je vais te laisser, alors…, » murmura Gaëlle en déposant leur deux assiettes non loin de lui.

Il faudrait être fou pour ne pas entendre dans sa voix l’hésitation qui lui murmure : j’ai envie de rester, invite-moi à rester. Tout à coup, Narym prend conscience que la jeune femme doit espérer depuis le début que la soirée s’éternise, alors que lui savait depuis plus longtemps encore que cela n’arriverait jamais. Il se retourne en repoussant sa culpabilité. Elle est là, à le regarder sans restriction. Il lui sourit doucement.

« C’est mieux, oui. »

Il n’y met pas les formes. Pas de malheureusement ou de tu me manques déjà. A quoi bon ? Ce qu’il ressent est de toute façon trop fort pour les mots. Il ne peut parler de la douleur qui pulse dans son coeur, ni même de la rage qui fait tourbillonner ses pensées. Il n’y a aucun mot à mettre sur l’amour qui coule dans ses veines et qui va finir par le faire s’embraser.

Il ne peut que sourire quand Gaëlle lui offre sa grimace des grandes occasions. Son sourire des mensonges, celui qu’elle adresse aux parents qu’elle ne supporte pas à l’école ou à la directrice pour laquelle elle n’a aucune amitié. Ce soir, cette grimace cache très mal sa frustration.

Narym la suit docilement dans la pièce principale et l’accompagne jusqu'à la porte. Elle attrape son long manteau noir et s'en drape, serrant la ceinture autour de sa taille. Elle enveloppe autour de son cou une écharpe blanche et dépose sur sa tête un bonnet assorti. Ainsi habillée, il ne reste d’elle que sa moue boudeuse et la déception dans son regard. Il s’approche, se penche pour lui ouvrir la porte. Elle recule juste assez pour lui éviter de se perdre dans son odeur et il lui en est reconnaissant.

Face au couloir qui s’affiche désormais devant eux, ils hésitent, comme toujours. L’un d’eux se penchera-t-il sur l’autre pour offrir le baiser qu’ils attendaient tous les deux ? Plongé dans le regard de la femme, Narym sait exactement ce que celle-ci pense : ce soir, c’était à lui d’oser. Il le lui doit bien. Mais il n’en fera rien. Il se penche sur elle pour déposer un baiser sur sa joue, l’ignorant tandis qu’elle retient sa respiration. Il apprécie la douceur de sa peau et la chaleur qui irradie de son corps. Puis, alors que Gaëlle amorce un mouvement de recul pour s’en aller, Narym fait glisser dans sa main la baguette qu’il garde caché dans le revers de sa manche. Il la pointe entre les deux yeux de Gaëlle qui s’écarquillent de surprise. Il détourne le regard pour ne pas voir la crainte s’afficher sur le visage de la femme et rassemble sa magie, sa concentration et toute sa volonté.

« Oubliettes, » murmure-t-il.

Le regard écarquillé de Gaëlle se fait lointain et une expression rêveuse remplace l’interrogation qui déformait ses traits. Narym peut presque voir dans ses jolis yeux les souvenirs de toutes leurs discussions concernant le monde sorcier disparaître. Cette vision lacère le coeur de Narym, le fait suffoquer. Voilà, il vient de se détruire ; jamais il n’acceptera que la femme l’aime sans le connaître réellement, jamais il ne pourra la côtoyer en lui mentant effrontément. Alors il ne la laissera pas l’aimer et ne la côtoiera plus. Pour sa sécurité, pour la sienne et celle de sa famille.

Les instants suivants lui paraissent incroyablement longs et terriblement courts à la fois. Il raccompagna la blonde jusqu’au pied de son bâtiment, la dépose dans un taxi pour être certain qu’elle rentrera chez elle et enfin remonte s’enfermer dans son appartement. Et alors seulement il libère les larmes qui barbouillent sa vision. Il se laisse tomber au sol, secoué de terribles sanglots. Un temps infini passe avant qu’il ne trouve la force de se lever, et un temps plus long encore pour qu’il puisse transplaner sans danger.

Un craquement plus tard il apparaît dans le tout petit appartement de Zakary qui se lève en trombe pour accueillir son frère dont le visage exprime l’angoisse qu’il ressent tout au fond de son coeur

- Fin -