La sensation d'être tombée dans un gouffre sombre et étroit. Je suis au plus bas et malgré cette oppression, je ne parviens pas à m'en sortir ; les parois sont lisses et glissantes. Je n'ai aucune prise pour remonter à la surface.
Sans que je m'y attende, une main tendue, sortie de nulle part, brave l'obscurité et m'apporte le semblant de lumière que j'attendais : l'espoir. Je saisis cette aide salvatrice et m'y cramponne comme si ma vie en dépendait. Elle me tire vers le haut, me hisse petit à petit hors de ce trou. Après de longs et pénibles efforts, je revois enfin les couleurs qui décrivent le monde. Les mêmes qui m'ont semblé fades pendant de longs mois. Puis mon regard se pose sur le sourire rassurant qui m'accueille. L'enfer est enfin terminé. Je me sens libérée de cet étau jusqu'au moment où ce sourire chaleureux et angélique se transforme en un rictus pervers et sadique. Plus aucune once de bienveillance n'y est décelable. La panique s'empare de moi. Mes ongles tentent désespérément de se planter dans la chair de ce que je pensais être mon sauveur. Je ne veux pas tomber. Je ne veux pas sombrer de nouveau et être dans l'obligation de me recroqueviller au fond de ce trou. Je veux retrouver la lumière perdue. Mais la prise autour de mon poignet se desserre et la mienne ne tiendra plus longtemps. Je le vois me sourire avec cet air mauvais alors que moi je le supplie de m'aider. Puis plus rien. La lumière s'éloigne de moi et le noir refait surface. L'oppression à laquelle je pensais échapper s'empare de plus en plus de moi et un cri déchirant s'échappe de ma poitrine tandis que mes doigts s'écorchent contre les parois, tentant vainement de stopper la chute.

J'ouvre difficilement les yeux. Ma bouche est pâteuse et un goût affreux de sang s'y diffuse. Je me redresse lentement et, une fois assise, j'agrippe le drap qui entoure mon corps et éponge mon visage inondé de larmes. Encore et toujours ce même rêve depuis que je suis seule.
Je pose une main désespérée sur mon front, ferme les yeux pour me ressaisir et passe mes doigts dans mes cheveux roux pour les remettre en place. Un long soupir se fait entendre avant que je ne me décide à poser mes pieds nus sur le sol froid de la chambre. D'un pas lent je me dirige vers le bureau et m'y installe. J'ouvre un tiroir et en sors un nécessaire à écrire. Il fallait que je lui écrive, que je lui raconte ce que je vivais. Il fallait que je me délivre de toute cette tristesse. Je le ferai exister à travers mes lettres.

Je trempe une fois, puis deux, la pointe de ma plume dans l'encrier noir. J'appuie mon front contre ma main et commence à coucher les mots sur le parchemin.

15/02

Coucou Edward,

Cela fait déjà plusieurs jours (je ne sais même plus combien à vrai dire) que je n'ai plus de nouvelles de ta part. Juste après l'attaque j'ai été soignée par des médicomages avec Marlon et Erin et personne n'a été capable de me dire où tu étais. Les jours suivants j'ai donc passé des heures dans les rues de Londres pour recueillir des témoignages sur les événements. Mais rien... La plupart des habitants évoquaient des jeunes avec des pétards, des explosions de voitures (surprenant quand il n'y a aucune carcasse calcinée tu me diras...) et dans le pire des cas une intervention de la police contre des terroristes. J'avais pensé mettre un avis de recherche aussi mais je me suis ravisée. Ce n'était pas vraiment ce que l'on aurait pu appeler une bonne idée et j'aurais été bien idiote de le faire. Malgré tout je poursuis mes recherches, de façon moins intense à cause de ma santé, certes, mais quand même. Rassure-toi, je ne suis pas malade ! Il faut simplement que je me ménage et toute cette inquiétude n'est pas bonne pour la grossesse. J'ai quelque chose à t'annoncer d'ailleurs Ed. Je l'ai appris juste après l'attaque, une fois hospitalisée au moment des examens pour savoir si tout allait bien : nous n'allons pas avoir un seul enfant. En réalité, je suis enceinte de jumeaux. Ils vont visiblement bien et je prends soin d'eux mais tu comprendras que je dois être doublement vigilante. En tout cas cette nouvelle m'a ravie et j'espère qu'il en sera de même de ton côté. Par contre ça veut aussi dire deux fois plus de prénoms à trouver...

Je marque une pause et jette un regard par la fenêtre dont je n'avais pas tiré les rideaux. Il fait si noir dehors.
Mes yeux se posent ensuite sur le lit défait et l'absence de corps masculin. Un long soupir sort de ma bouche et je reprends ma rédaction.

Teddy... J'essaie de garder la tête haute mais franchement ce n'est pas simple. Tu me manques horriblement et ne pas avoir de nouvelles... C'est juste affreux en fait. Je ne sais pas quoi faire, je suis dans le flou total. Chaque fois que je m'endors, j'espère te trouver à mes côtés le lendemain matin. Pourtant au lieu de ça, je fais le même cauchemar où je tombe dans un gouffre sombre et je me réveille en sueur, seule. Je ne sais pas ce que tu fais, et encore moins où tu es mais j'espère de tout cœur que tu vas bien. J'y crois en tout cas.

Je t'embrasse fort,
Diane.

Je relis une dernière fois la lettre, la plie et la range au fond du tiroir de gauche. Impossible pour moi de l'expédier puisque je n'avais aucune adresse. Alors, à défaut, je la garderai le temps qu'il faudra.

La nuit avait été horrible. La soirée encore pire. Cet appartement me rappelait tant de souvenirs mais il fallait que je vienne, juste au cas où.
Je m'apprête à partir mais avant ça, j'ai une dernière chose à faire dans cette chambre.

26/02

Salut Edward,

C'est de nouveau moi. Bientôt un mois tu te rends compte ? C'est à la fois si rapide et si long. Les jours se ressemblent et je commence à désespérer de te revoir, un tout petit peu seulement.
Comme tu peux t'en douter, mes recherches n'ont en fin de compte mené à rien (sinon je ne serais pas là à t'écrire). J'ai fait ce que j'ai pu pour continuer... Ce n'est pas facile d'être seule et encore moins lorsque le monde autour de toi semble ne plus y croire. Difficile de garder espoir dans ces circonstances. Mais rien n'est encore perdu, pas vrai ?

Tu sais, hier soir j'ai vraiment craqué. Je n'en peux plus d'être dans cette ignorance constante à ton sujet. Je ne fais qu'attendre ton retour. Et qu'est-ce que je fais si tu ne reviens jamais, je deviens quoi moi au juste hein ? Je ne veux pas élever ces deux enfants seule, je n'en aurai pas la force.

A mesure que j'écris, des larmes s'échappent de mes yeux et viennent s'écraser sur le papier. Je tamponne délicatement les taches qu'elles ont créées avec le côté de ma main pour éviter que la lettre ne se déchire.

Je voulais partager ces moments de ma vie avec toi Ed. On était censé les passer à deux, pas chacun de notre côté comme maintenant... Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que tu restes au lieu d'utiliser le portoloin ? On aurait tous pu fuir et rien de tout ceci ne serait arrivé, jamais tu ne m'aurais été enlevé... Si c'était à refaire, je n'hésiterai pas une seconde à t'empêcher d'aller en bas.
D'ailleurs je ne suis pas la seule à remarquer ton absence, Ewok semble aussi la ressentir (je m'occupe de lui comme il faut, ne t'en fais pas).

Je t'aime Edward. Je t'aime sincèrement. Et depuis ce jour j'ai l'impression que je ne te l'ai pas suffisamment dit et que je n'ai pas assez profité des moments que l'on avait ensemble. J'aimerais tant pouvoir revenir en arrière et te sentir une nouvelle fois contre moi. Tout me manque : ton rire, ta chaleur, tes taquineries, la sonnerie de ton réveil le matin. Je ne veux pas perdre ces instants, je veux continuer de les vivre avec toi. Je ne veux pas te perdre Edward. S'il te plaît.

Je t'attendrai,
Diane.

Une fois de plus, je place cette lettre avec sa consœur : dans le tiroir.

Deux jours à peine se sont écoulés depuis que j'ai écrit ma dernière lettre pour Edward. Il faut à présent que j'en rédige une nouvelle mais, cette fois-ci, elle ne lui sera pas adressée. Je dois prévenir sa mère de ce qui est arrivé à son fils. Du moins des maigres faits que j'ai en ma possession.
Je m'installe donc au bureau et prends plusieurs feuilles de parchemin, de quoi utiliser du brouillon avant d'être pleinement satisfaite par la teneur de la lettre.

Mardi 28 février 2045.

Chère Deryn,

J'espère que tu vas bien. Je n'ai pas l'habitude de t'envoyer des lettres, du moins pas de cette façon, mais il était plus que nécessaire que je le fasse. Je préférerais t'écrire dans d'autres circonstances, vraiment, mais j'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer. Tu m'excuseras, je ne peux pas entrer dans les détails de l'affaire ; à la fois pour ta sécurité et pour celle de bien d'autres personnes encore.
Voilà. Fin janvier, il y a eu un incident dans lequel Edward a disparu. Je n'ai pas souhaité t'en informer tout de suite pour ne pas t'alarmer mais le temps s'allonge et il fallait que je te prévienne. Je n'ai aucune information à son sujet depuis cette date et j'ai eu beau chercher comme j'ai pu, je n'ai rien trouvé. Actuellement je ne sais pas où il se trouve, ce qu'il fait ni même s'il est en bonne santé. Ma seule certitude c'est qu'il se trouvait à Londres au moment de sa disparition. Je ne veux pas envisager le fait qu'il soit ... - tu m'as comprise - mais la situation était loin d'être maîtrisée à ce moment-là et cela reste donc une éventualité malgré tout... Je suis vraiment désolée de n'avoir rien pu faire pour empêcher cet événement.

Sur une note bien différente, je dois te faire part d'une autre information : nous n'attendons pas un mais deux enfants, des jumeaux. Nous n'étions au courant de rien et je ne l'ai appris que récemment. Edward ne le sait donc pas. Cette annonce est un peu inutile en regard de la précédente mais je la trouvais importante malgré tout.

Deryn, dans le cas où tu recevrais des nouvelles le concernant, n'importe quoi - même la chose la plus insignifiante qui puisse exister sur Terre - préviens-moi immédiatement, s'il te plaît.

Nous pouvons discuter de tout ceci de vive voix si tu en ressens le besoin.

Affectueusement,
Diane.

Contrairement aux deux précédentes, je glisse la lettre pliée dans une enveloppe que je m'empresse de timbrer. J'y inscris ensuite l'adresse galloise et la place dans mon sac pour l'envoyer dans la journée.