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25 juil. 2020, 16:56
Dream a little dream of me
RUBY, 11 ans
30 août 2044 9h16
Demeure des Miller
New Cavendish Street, quartier de Marylebone, Londres


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•••

La sonnerie de l'entrée retentit dans toute sa maison. Presque aussitôt, je sais que je dois me sentir comme chez moi, ici.

Je me racle la gorge, replace une mèche qui s'était échappée de ma tresse derrière mon oreille et tapote mes pommettes pour les rougir. *Comme s'il ne faisait pas assez chaud*. Maman dit que les pommettes rosées sur une peau claire sont ravissantes, et je veux bien la croire, alors je m'exécute sous son œil attendri. Sa main posée sur mon épaule me rend joyeuse, mais pas autant que le visage qui apparaît derrière une porte désormais entrouverte.

« Pearl ! »

Je me défais de l'étreinte de Maman et me jette sur ma meilleure amie, enserrant de mes bras son corps frêle. Si je pouvais, je la ferais tournoyer comme dans ces films que Maman regarde, mais je n'ai pas assez de force. Le simple contact de nos deux peaux me fait tellement de bien, comme toujours à vrai dire. Son menton calé sur ma clavicule, j'ai l'impression que rien ne pourrait nous séparer. *Mais rien ne pourrait...*.

« Ruby, chuchote la rousse, tu m'as déjà tellement manqué. »

Il faut dire que nous nous sommes vues quatre ou cinq jours auparavant, mais pour deux petites filles qui s'apprécient, le fossé est énorme. *Tu m'as manqué, moi aussi, tu sais*.

« Et tu vas tellement me manquer pendant ces longs mois...

Oh, ne pense pas à ça, veux-tu ? je la gronde, doucement. Profite, plutôt. On en parlera plus tard. » je finis de lui murmurer, passant mes doigts dans sa courte chevelure.

Sans comprendre nos messes basses, Maman nous observe, rictus maternel en coin. Derrière sa fille, Mrs Miller apparaît dans l'embrasure de la porte. Je la vois radieuse face à Maman, qui lui sourit en retour. Les deux s'apprécient beaucoup, et elles ne manquent jamais une occasion de bavarder autour d'une tasse de thé chaud. J'imagine que c'est ce qu'elles feront, une fois qu'elles nous auront laissées toutes les deux, à nous occuper pour l'après-midi.

« Eileen ! s'exclame la mère de Pearl. Entrez donc, ne restez pas dehors, il fait frais à l'intérieur. »

Charlize Miller est une belle femme, inutile de le nier. Même si je trouve Maman plus jolie. Mais elle dégage quelque chose de solaire *pour une moldue*, qui pousse sûrement les gens à l'apprécier. Elle a légué sa crinière de feu à Pearl, qu'elle recoiffe maintenant de sa main, prise au dépourvu. Puis, avec un geste gracieux, Charlize nous enjoint de la suivre. J'emboîte le pas à Pearl, qui me jette un regard ravi.
C'est ainsi que nous pénétrons au treize, New Cavendish Street, chez les Miller.

•••


« Veuillez excuser mon mari, commence Mrs Miller sur un ton qui ressemble à celui de la confidence, il est très occupé dans son bureau... Il en sort rarement, d'autant que la rentrée approche et... »

À ces mots, je sens Pearl à ma droite détourner le visage et porter sa main à sa paupière. *Oh, Pearl...*. Je plonge mon regard dans le sien lorsqu'elle fait volte-face et observe avec compassion ses yeux. Ils sont maintenant rougis, tout prêts à déborder. Naturellement, je saisis sa main et la presse contre la mienne.

« Bref, je ne vous importune pas plus longtemps avec ses problèmes. Du thé ? » demande Charlize, rayonnante.

Maman acquiesce, comme toujours, et nous passons dans leur salon, décoré avec goût. Pearl nous fait asseoir sur des canapés que je juge plutôt confortables, d'autant que le velours rouge me plaît comme à chaque fois. Mais je me sens coincée dans cette pièce qui me promet d'interminables minutes d'attente. Mon envie dévorante de partager quelques instants avec Pearl, et seulement Pearl, devra attendre. Je contiens mon énervement. *Je n'ai pas le temps d'attendre !*. Toute la fin de mon mois d'août fut un compte à rebours permanent. Comme si je n'avais pas assez de pression sur les épaules. Les pleurs dissimulés de Pearl, je les connais aussi. Spontanément, depuis mon fauteuil, je lui adresse un autre de mes sourires qui se veulent rassurants. *Ça ira* j'aimerais lui répéter, encore et encore.
Bien sûr, je reste polie, bois mon thé en levant l'auriculaire et ponctue les anecdotes illimitées de Mrs Miller par des « Ah ! » ou des « Vraiment ? » admiratifs. Faussement admiratifs, parfois, même si j'apprécie de tout mon cœur Charlize Miller. Il me faut jouer le jeu si je veux être libérée de cet étau de bonnes manières au plus vite.

Pearl se lève soudain de son canapé, à la vitesse d'un sortilège. Le silence fige nos mères, qui la regardent toutes deux avec un drôle d'air. La rousse paraît soudain prendre une teinte plus blanche encore, elle devient toujours comme cela lorsque l'anxiété lui monte à la gorge. *Pearl, c'est une fausse dure à cuire*.

« Je, euh, désolée. Je voulais savoir, Maman, si on... pouvait aller au Square ? Ruby et moi, euh, toutes les deux en fait ? Je veux dire, là, maintenant ? »

Ses mots bringuebalants me font sourire et m'attendrissent terriblement. J'aurais sûrement fait de même avec une pointe d'assurance supplémentaire si nous avions reçu les Miller à Primrose Hill. *Quoique*, le thé n'aurait pas duré aussi longtemps ; il n'y a que Charlize pour l'éterniser. Pearl tourne son visage vers moi et j'agite la tête en signe d'approbation, l'encourageant à continuer.

« Le thé était très bon, hein, rassure-toi... Mais j'aimerais bien profiter un peu de Ruby, avant qu'elle ne parte... » termine-t-elle, le regard fuyant face à sa mère. *Elle a dit profiter* je pense, *elle a compris*. Rien que pour cela, je suis fière de ma meilleure amie, au fond.

« Ma chérie, réplique Mrs Miller, un air soucieux sur le visage, tu aurais dû me le dire plus tôt ! Bien sûr que vous pouvez y aller, il n'y aura pas grand monde à cette heure. Elle sourit, amène, puis détourne son regard vers Maman. Et puis, Eileen et moi trouverons bien de quoi nous occuper sans nos filles pour nous materner !

Allez, filez ! » acquiesce Maman, rieuse.

Me délestant de ma tasse d'Earl Grey presque vide, je n'en finis plus de sourire à mon amie. Pearl m'agrippe par le bras et m'entraîne vers le vestibule. Elle m'ouvre la porte et c'est avec une révérence, doublée d'un air pompeux, que je la remercie, « très chère amie. » .




fin.

these violent delights have violent ends