Shreya jeta un œil au parchemin qui se trouvait devant elle, et soupira bruyamment. La fillette apprenait en effet doucement à lire. Elle pouvait déjà se débrouiller, concernant les mots et les phrases simples mais s’attaquait à présent a des paragraphes entiers, un peu plus élaborés. Il fallait bien avouer que ce n’était pas une de ses activités favorites, et qu’elle préférait grandement courir dans le jardin, jouer à cache-cache dans le manoir, ou encore voler avec son père, quand elle en avait l’occasion.

Ah voler… Du haut de ses six ans, elle était déjà passionnée par ce sport. Aucunement effrayée par le vide et les hauteurs, elle suppliait constamment son père de l’emmener en balade sur son balai, en attendant d’être assez âgée pour que sa mère accepte qu’elle en ait un a elle seule. A cette pensée, son regard se remplit d’envie et elle se mit à imaginer ce que ce serait lorsqu’elle irait à Poudlard… Assister aux matchs de Quidditch serait extraordinaire, et y participer, peut-être, encore plus !

Mais elle devait encore attendre quelques années… Dire que Priya avait fait sa rentrée près de deux mois auparavant… Priya, l’ainée des cousins Varma, avait en effet pris le train en septembre et depuis, elle semblait vivre un conte de fée au château. Du moins, c’était ce que ses lettres à toute la famille suggéraient. Enfin, si l’on oubliait l’incident avec Nicolas Schovajsa, qui avait grandement perturbée la jeune fille. Mais elle s’en remettait doucement et s’accommodait de plus en plus vite à la vie à Poudlard. De quoi faire mourir d’envie ses cousins les plus jeunes…

Shreya soupira à nouveau longuement et se prit un regard noir de sa cousine Neha, qui avait le même âge qu’elle. Qu’elle ne remarqua même pas, trop prise dans ses pensées. Poudlard… Ce lieu qui renformait tant de mystère, ce lieu ou tous les enfants de sorciers attendaient impatiemment de pouvoir aller, ce lieu qui était tant magique tout simplement. Peu importe la maison qu’elle intègrerait, elle savait qu’elle s’y plairait assurément et que ce château deviendrait rapidement sa seconde maison.

Pour la énième fois, un soupire s’échappa de sa bouche. Cette fois-ci, Neha tapa bruyamment sa main contre la table et s’exclama, agacée :

« Tu veux bien arrêter et te mettre à lire tranquillement s’il te plait ? Moi non plus ça ne me plait pas d’être enfermée alors qu’on pourrait jouer dehors mais tu sais que Mr. Walsh ne nous lâchera pas tant qu’on n’aura pas fini nos exercices !

Kylan, le fils d’un très bon ami de Raj du même âge que les deux cousines et qui par conséquent suivait les cours du précepteur Mr. Walsh avec elles, se mit alors à pouffer.

- Tout doux Neha ! On croirait entendre ta mère, avec ses leçons de morales.

En entendant ses mots, Shreya ne put s’empêcher d’éclater de rire, oubliant que sa cousine, contrairement à elle, était d’une susceptibilité atroce. Mais c’était vrai, Neha avait une fâcheuse manie de reprendre les habitudes, les façons de parler, de sa mère, lui donnant l’air d’une gamine trop frigide pour son âge. L’expression de la concernée changea brutalement, passant de contrariée a furieuse, et elle rougit fortement tandis que ses yeux se plissaient.

- Vous… vous êtes trop méchants ! Et ma maman ne fait pas que prêcher des leçons de morales !

Kylan comprit qu’il l’avait vexée, et arrêta de rire, voulant ménager la susceptibilité de son amie. Cependant, Shreya, elle, n’avait pas tous ces états d’âmes, et se fichait royalement des pleurnicheries de Neha. Elle savait qu’elle se calmerait bientôt, n’étant pas rancunière. D’ailleurs, heureusement qu’elle ne l’était pas, sinon cela ferait bien plusieurs années que les deux cousines ne s’adresseraient plus la parole, avec toutes les disputes, toutes les bagarres, que Shreya provoquait, parfois sans le vouloir, parfois pour justement mettre sa cousine hors d’elle.

Alors qu’elle s’apprêtait à en rajouter une couche, la porte s’ouvrit et Mr. Walsh entra. Il s’approcha de la table des trois enfants, et en voyant les yeux rouges de Neha, comprit que les enfants n’avaient pas exactement passe les dernières minutes à lire attentivement les textes qu’il leur avait donné.

- Que se passe-t-il encore ? demanda-t-il, le ton sévère.

Donovan Walsh, d’origine irlandaise, travaillait à présent pour la famille Varma depuis environ huit ans. Ayant initialement été engagé afin d’aider à l’éducation de la jeune Priya, alors que celle-ci était âgée de 4 ans, il avait finalement servi de précepteur pour tous les enfants Varma, dès que ceux-ci atteignaient l’âge de trois ans jusqu’à qu’ils partent pour Poudlard.

Il était, ce n’était pas peu le cas de le dire, un homme très patient. Il en fallait, après tout, de la patience, pour supporter cette bande d’enfant, qui ne cessait de s’agrandir, en les éduquant le mieux possible.

Alors, évidemment, il était habitué à toutes les sortes de coups qu’ils étaient capables de se faire entre eux, ou s’ils étaient un peu plus déchainés, à lui. Rien d’anormal, si on y pensait, pour une dizaine d’enfants vivant sous le même toit et n’ayant pas vraiment d’autres contacts avec le monde extérieur. Il était aussi habitué à devoir consoler l’un, punir l’autre, après une dispute, ou parfois carrément guérir une cheville foulée et faire disparaitre d’autres traces de chute, provenant d’un vol en balais non autorisé qui avait mal tourné.

C’était sûr, ce n’était pas ce pourquoi il avait signé. L’homme, qui touchait presque à la quarantaine, avait fait ses études à Poudlard comme chaque sorcier britannique, dans la maison Serdaigle. Cependant, venant d’une famille assez modeste, il avait dû chercher un petit boulot dès sa sortie de l’école, pour espérer financer ses études supérieures. Cependant, même au bout de quelques mois, il avait dû se résigner… C’était impossible. Le maigre salaire qu’il gagnait chez Fleury et Bott ne lui permettait même pas de faire des économies, puisqu’il était aussi rapidement utilisé pour nourrir sa famille qu’il était gagné.

Et puis un jour, la roue tourna. Il tomba par hasard sur Raj Varma, qui était dans la même année que lui, à Serdaigle, lorsqu’ils étaient encore à Poudlard, et celui-ci lui apprit que son frère ainé recherchait un précepteur pour sa fille. Il avait sauté sur l’occasion et depuis, n’avait pas regretté une seule fois son choix. C’était un travail bien payé, et il était sûr que lorsque dans quelques années le dernier enfant de la famille s’envolerait pour Poudlard, il obtiendrait une lettre de recommandation solide et aurait rempli son CV.

Mais à part le côté professionnel, c’était aussi un travail où il s’épanouissait et évidemment, un travail qui n’avait pas de routine ! Chaque jour était diffèrent, chaque jour il avait affaire à un enfant Varma en particulier, chaque jour il devait déployer une nouvelle technique d’apprentissage. C’était enrichissant. Il avait découvert sa vocation le jour où il avait mis les pieds le premier jour au manoir, le cœur battant à mille à l’heure lorsqu’il avait parlé pour la première fois à Priya Varma avant qu’elle ne lui confie sa fille unique (à l’époque).

Oui, il ne regrettait absolument pas. Même lors des jours comme celui-là…

- Que se passe-t-il encore ? demanda-t-il, le ton sévère.

Neha ne répondit pas, reniflant toujours, mais les deux autres se lancèrent un regard hésitant. Donovan les connaissait assez pour savoir qui était responsable des pleurs de la première et il soupira. Ces deux cousines allaient le rendre fou, à force… C’était incroyable de voir à quel point elles se comportaient comme chat et chien, même après plusieurs années ! Il allait devoir sévir…

- Quand je vous demande de lire des textes, je m’attends à ce que vous le fassiez. Pas à ce que vous créez une scène de drame… Shreya, je n’en peux plus…

Il fut alors interrompu par Neha, qui semblait s’être calmée.

- Je peux aller me rincer le visage ?

- Bien sûr, viens avec moi, on va sécher ces larmes et ramener ton sourire d’ange. Kylan, Shreya, je vais vous séparer puisque vous ne semblez pas pouvoir vous concentrer. Allez Kylan, tu viens aussi avec moi. Shreya, tu lis les textes attentivement d’accord ? Je reviens te voir dans une demi-heure.

Il lui lança un regard entendu, et tourna les talons, verrouillant la porte, suivit par les deux enfants. Cependant, il ne vit pas le regard furieux que lui lançait la jeune Varma laissée derrière et ignorait ce qu’il venait de provoquer.

A présent enfermée dans la pièce, et seule qui plus est, la fillette pouvait laisser éclater sa colère.

Comment osait-il ? Elle n’avait rien fait de bien méchant, ce n’était pas de sa faute si Neha était trop sensible et pleurait pour un rien ! Elle n’était pas si innocente, elle l’acceptait, mais de là à la séparer de Kylan… Elle serra les poings pour s’empêcher de pleurer. De rage. Elle était sûre que Neha profiterait de la situation pour s’attirer les faveurs des adultes, encore une fois… Et Kylan qui n’avait rien dit pour la défendre ! Ce n’était pas comme si elle avait fait pleurer Neha toute seule…

Oui, la petite Varma était tout simplement hors d’elle… Et une idée dangereuse se mit à germer dans son esprit. Puisqu’elle allait de toute manière être punie, ayant été jugée coupable sans explications par le professeur, et qu’apparemment son partenaire de toujours avait été déclaré innocent par les beaux yeux de Neha, rien ne l’empêchait de continuer à en faire voir de toutes les couleurs à Mr. Walsh. N’y avait-il aucun moyen de s’échapper et rejoindre le jardin en douce ?

Son regard se mit à parcourir la pièce. Une très belle pièce, la salle d’étude du manoir… Les murs étaient recouverts d’une tapisserie ancienne et élégante, aux armoiries des Varma, que Nandini avait pris soin d’amener avec elle en quittant l’Inde. Elle portait donc les motifs orientaux et faisait la fierté de la grand-mère de Shreya. Ensuite, plusieurs commodes emplissaient l’endroit, contenant divers objets de décoration, et quelques vieux services en argent ou or que plus personne n’osait utiliser mais qu’on gardait tout de même en souvenirs… Sur deux des quatre murs se trouvaient des fenêtres. D’un côté, elles étaient immenses, et larges, aux bordures en or, et étaient plus décoratives qu’autre chose. Elles n’étaient d’ailleurs jamais ouvertes.

Cependant, de l’autre côté diamétralement opposé, elles étaient beaucoup plus petites, faciles d’accès… et entrouvertes. Shreya sourit et se mit à réfléchir à un plan d’action. Elle se trouvait au rez-de-chaussée. Si elle arrivait à grimper jusqu’à la fenêtre, et qu’elle sautait, elle ne devrait pas se faire trop mal. Dans le pire des cas, elle s’en sortirait avec une cheville foulée… Rien de bien nouveau pour la demoiselle, en soi.

Elle saisit donc une chaise, la poussa jusqu’à la fenêtre, et sans plus tarder, grimpa dessus. Elle luta plusieurs minutes contre la vieille fenêtre, qui, on devait bien l’avouer, commençait à rouiller, et réussit finalement à l’ouvrir totalement. Victoire ! Une once d’hésitation surgit dans son esprit. Sa mère allait la tuer… Mais bon, ce n’était pas comme si elle fuguait ou quelque chose du genre ! Elle allait simplement jouer dans le jardin. Techniquement, il n’y avait rien de mal à cela.

L’image de Neha pleurnichant dans les bras du précepteur acheva de la convaincre du bienfondé de ses actions. Sans un regard pour ses textes de lecture, elle inspira profondément, s’assit précautionneusement sur le rebord et… sauta.

Tandis que les textes prenaient mystérieusement feu derrière elle et que tous les objets en verre explosaient bruyamment…

Rekha était une femme forte. Il le fallait bien, pour avoir épousé Raj Varma et être capable de gérer la pression qui allait avec ce nom. Et puis, ses enfants lui donnaient également du fil à retordre. Shreya, surtout… Sa fille était la prunelle de ses yeux et elle l’aimait tendrement mais des fois, elle se disait que cette enfant avait bien besoin d’une sérieuse correction. Notamment lorsque Mr. Walsh vint la trouver pour lui dire qu’elle s’était échappée de la salle d’étude. Elle s’y était évidemment précipitée, pour en effet trouver la pièce déserte… A l’exception des parchemins en feu qui flottaient au beau milieu de la pièce.

- Qu’est-ce que cela signifie, Mr. Walsh ? s’exclama-t-elle, éberluée.
- Je ne pourrais vous le dire, Mrs. Varma, retorqua-t-il immédiatement, avant de s’interrompe et de se rapprocher des textes. Merlin ! Il s’agit des textes que j’ai donné à étudier à votre fille…
- Mais alors… poursuivit Rekha, ses yeux s’agrandissant sous le choc.

Sa fille venait d’accomplir son premier signe de magie. Et un signe de magie très particulier, en plus… Non seulement elle avait réussi à enflammer les parchemins, mais également à les faire flotter au milieu de la pièce, et cela inconsciemment ! Elle se mit à rire, tout doucement. Plus le temps passait, plus Shreya la surprenait !

- Mais c’est merveilleux ! s’écria-t-elle, alors. Nous devons la retrouver !

Toute sa colère s’était envolée. Quelle mère pourrait rester énervée après un tel évènement ? Shreya venait de prouver qu’elle allait devenir une sorcière très douée et surtout, venait de découvrir son élément de prédilection. Le feu… Le même qu’elle, a vrai dire. Elle sourit de nouveau, en imaginant la tête que ferait son mari en l’apprenant. Ou mieux, la réaction qu’aurait ses belles-sœurs. Surtout Trisha. La fille de celle-ci, Neha, avait depuis quelques mois déjà accompli son premier signe mais il était loin d’être aussi spécial que celui de son enfant. Voila de quoi lui remettre les pieds sur terre ! Il ne fallait pas croire que les quatre belles-sœurs de la famille ne s’appréciaient pas… Bien au contraire, elles s’entendaient très bien et leur belle-mère en tirait une grande fierté. Mais évidemment, chacune souhaitait le meilleur pour ses enfants et une légère compétition s’était installée, après quelques années.

Le précepteur hocha alors la tête et lui assura qu’il ferait le nécessaire. Après tout, il connaissait Shreya quasiment aussi bien qu’elle… Et il ne portait pas de sari, ce qui rendrait ses recherches dans le jardin beaucoup plus rapides et efficaces que si elle s’en chargeait elle-même. Et effectivement, a peine une vingtaine de minutes plus tard, une Shreya rougissante et boudeuse se présentait devant elle… Visiblement Mr. Walsh n’avait pas juge bon de lui dire que tout était pardonne. Cependant, même en sachant qu’elle était en tort, sa fille ne perdait pas de sa superbe. Elle se tenait le dos droit, le menton levé et regardait sa mère dans les yeux sans aucune crainte. Rheka eut un demi-sourire. Elle était la digne de fille de son père, à seulement six ans…

- Je crois que nous devons parler…
- Je ne m’excuserai pas ! Ce n’était pas juste, je ne devais pas être la seule à être punie ! retorqua-t-elle, coupant la parole à sa mère.
- Ce n’est pas de ça que je veux parler ! dit Rheka, haussant légèrement le ton.

Cela surprit suffisamment la gamine pour la contraindre à se taire et à écouter.

- N’as-tu pas vu ce que tu as fait aux parchemins de Mr. Walsh ? s’enquit-elle en riant avec indulgence.

Shreya ouvrit grand les yeux, en secouant négativement la tête et cela acheva de convaincre sa mère qu’elle ne l’avait effectivement pas fait exprès. Elle était simplement en colère et sa magie s’était libérée.

- Ma chérie, ton premier signe de magie ! Le premier signe montrant que tu seras une grande sorcière ! Les parchemins sont en feu et ils flottent toujours au centre de la pièce ! »

A ces mots, l’expression de l’enfant changea immédiatement et elle éclata de rire, pleurant en même temps, avant de se précipiter dans les bras de Rheka, qui était évidemment tout aussi émue. Elle était si fière, si fière d’elle… Et elle savait que Raj le serait tout autant, si ce n’est plus. Des sa naissance, ils avaient place tellement d’espérance en cette petite. Aujourd’hui, elle leur avait donne raison. Aujourd’hui, c’était le commencement de la longue et belle lignée de choses extraordinaires que Shreya ferait dans sa vie de sorcière. Rekha le savait, elle le sentait.

Oh oui, elle était si fière…