« Pourquoi tu l'as tué alors qu'il t'a rien fait ? »

La voix résonne dans l'air brûlant, et seul le silence lui répond tandis que Thalia dévisage ouvertement celle qui lui fait face. Ses yeux perçants fouillent la face enfantine et sérieuse de l'Autre, cherchant une raison à sa Présence. *Qu'est c'qu'tu fous là ?* L'Autre, sous le poids de son regard, se mord distinctement la lèvre inférieure puis relève le menton et la fixe dans les yeux. Ah ! Immédiatement, un léger amusement se forme dans l'Esprit de la fillette, vite remplacé par la fureur d'être interrompue. Mais la gamine-intrus qui lui fait face a l'air déterminée. Elle veut une réponse.
*Elle va en avoir une* 'tite conne. Elle avait pas l'droit d'la déranger.

« – Qu'est c'que tu fous là, gamine ?
– J'voulais explorer. Et j'suis pas plus une gamine que toi. »

L'autre sourit toujours d'un air joyeux, un peu sévère tout de même. *Dégage* Elle veut être Seule. Seule dans son jardin, dans son Domaine. Même ici, les Autres viennent la déranger.

« – Comment tu t'appelles ?
– Fous moi la paix.
– P'pa dit que c'est méchant d'insulter les gens. Comment tu t'appelles, tueuse d'arbres ? »

La plus petite croise les bras sur sa poitrine, la défit en souriant toujours. Ce sourire au coin des lèvres insupporte Thalia, nourrit la colère qui s'étend en elle. *Dégage* Mais l'Autre reste là ; elle ne bouge pas.

« – Ne m'appelles pas comme ça. Et fous moi la paix.
– Nan. J'suis bien là, j'veux pas bouger, tueuse d'arbres.
– NE M'APPELLE PAS COMME ÇA, PAR MERLIN ! »

*Idiote* Par Merlin, c'que cette gamine était ennuyante. Mais personne, aucun Moldu, ne jurait comme ça. P't'être que la Jaune venait de révéler l'Existence de ses semblables au Monde entier. *Ah !* Ce serait bien fait. Ses semblables. Ils étaient tous sauf ses semblables ; ils avaient tué sa mère. *J'les Déteste* Elle détestait beaucoup de monde. Peut-être trop.

« – Par Merlin ? Oh ! Toi aussi t'en es une, alors ? Hein, t'es une Sorcière ?
– Ouais, j'suis une sorcière. Plus grande que toi, en plus. Alors dégage, sinon j'te lance un sort.
– T'as pas l'air très douée, pourtant, tueuse d'arbres.

*QU'EST C'QU'ELLE A DIT ?* Comment l'Autre pouvait savoir ? Est ce qu'elle l'avait observée ? *'spèce de gamine insolente* La colère montait, montait. Arrivait à sa gorge, traversait ses lèvres. Fusait sur l'Autre.

« – DEPUIS COMBIEN D'TEMPS T'ES LÀ, GAMINE ?
– J'sais pas. 'pas compté., sourit la petite en rigolant.
– Qu'est c'que tu fous dans mon jardin ? Qui t'es, d'abord ?, dégueule Thalia.
– Ah ! J'm'appelle Kate Lawrence. Mes parents ont déménagé y'a trois jours, et j'suis v'nue dans ton jardin parce que c'était joli., gazouille l'enfant avec sa voix chantante. Oh ! Et puis, j'suis passée par dessus la barrière. J'ai déchiré mon tee-shirt, faudrait l'enl'ver votre barrière. »

Elle désigne son haut, troué par une longue estafilade dans le tissu ; sa peau est visible à travers l'entaille. *Comme l'Arbre* L'Autre a vu l'Arbre-Flux. Elle l'a vu le blesser, elle l'a vu pleurer. La Jaune la hait, la hait parce qu'elle n'a pas à être là et qu'elle l'exaspère avec sa voix et ses manières d'enfant innocente.

« – C'est une propriété privée. C'est chez moi. Et-tu-n'as-pas-à-espionner-les-gens !
– Pfff... J't'ai pas espionné. J'y peux rien si j'me suis perdue. Et du coup, comment tu t'appelles ?
– Thalia Gil'Sayan. Et maintenant que je t'ai donné mon nom, gamine, dégage ! »

Elle a fini par céder. Bien sûr. Comme d'habitude. Et, au vu du sourire malicieux qui grandit au coin des lèvres de l'autre, Kate, celle-ci s'y attendait. *'doit avoir l'habitude d'faire chier les gens* Pfff... Un autre regard en coin vers l'Arbre-Origine et ses yeux commencent à la piquer de nouveau. Non. Elle se force à expirer calmement. Lentement. *Ne-pas-pleurer* Pas devant cette gamine idiote.

La gamine idiote en question la fixe d'un air intrigué. Sans doute a t-elle remarqué les yeux mouillés de Thalia. *'tain...*, songe celle-ci. *Faut vraiment qu'j'arrête d'pleurer comme ça* Elle se dégoute. C'est pitoyable, comment elle est. Ce qu'elle est.

« – Euh... Qu'est c'que t'as ? murmure la petite.
– Rien. Vas-tu te décider à me laisser tranquille ? crache Thalia.
– Honnêtement ? Non, réplique la gamine. Par contre, tu commences à être moins vulgaire. C'est cool.
– Tu m'soûles, vraiment, Lawrence. J'ai..., commence t-elle.
– Tu as ? questionne l'Autre.
– B'soin d'être seule. Alors fous moi la paix, s'te plait. »

En silence, la Poufsouffle observe la réaction de l'Intrus. Celle ci se mordille les lèvres, trépigne, et finit par baisser la tête, sans un mot. *'m'soûle* Elle veut vraiment que l'autre dégage ; elle va finir par devenir violente. La rage l'envahit, et la peur aussi, parce que la gamine l'a vu, tout à l'heure. Pleurer, abandonner. Comment pourrait-elle la respecter, après ça ? Faire ce qu'elle lui demande ?
Finalement, la gamine prend la parole, fixant toujours ses bottines.

« Euh... Et bien... En fait... Tu... Tu peux me ramener chez moi ? souffle t-elle. Je suis... vraiment perdue... »

*Ah* La jeune Gil'Sayan doit tout de même admettre qu'elle s'attendait à tout, sauf à ça. Ben tiens. Of course, c'était sur elle que ça devait tomber. Pile au mauvais moment. *J'en ai marre...* Pourquoi ? Elle veut juste s'allonger et se laisser aller, pleurer tranquillement ; et elle va se retrouver à devoir escorter cette fillette insupportable. Parce que, si elle veut que l'Autre la laisse tranquille... C'est le seul moyen. Visiblement.
Elle soupire avant de déclarer en serrant les dents :

« – Suis moi, je t'emmène chez moi. J'sais pas où t'habites.
– Oh ! Merci beaucoup, tueu... Thalia, sorry, s'exclame la gamine.
– Et pas un mot. M'fais pas ch... m'dérange pas. J'suis pas d'humeur, précise Thalia d'une voix froide.
– Prom... Nan, en fait, on verra, persiste Kate. »

La Jaune serre les poings, contient sa colère. Se contente d'adresser un signe du menton à Lawrence, puis commence à marcher d'un rythme soutenu. Bien fait pour la petite, elle ne ralentira pas.

Il lui faut une dizaine de minutes pour rejoindre la Maison. Elle a bien choisi son coin d'entrainement, même si l'entrainement a fini complètement raté. Les arbres s'espacent peu à peu, et la Maison, le centre du Domaine des Sylves, apparait. Elle la contourne, pousse la porte de derrière, celle qui passe par le jardin.

« – Voilà, c'est chez moi.
– Mer..., commence la plus petite.
– Thalia ! s'exclame une voix. »

*'tain* Son père. Elle a pas prévenue qu'elle allait dans l'jardin ; elle va se faire engueuler. Mais quand son paternel apparait, il a un grand sourire aux lèvres et en voyant Kate, sa joie s'agrandit.

« – Tu es là, Thalia ! commence t-il. Mmmh... Kate je suppose ? C'est bien que tu sois là, tes parents sont dans le salon.
– Mes... mes parents ? s'étonne la fillette.
– Que... qu'est c'que ses parents foutent là ? s'étouffe Thalia.
– Tsss... Sois polie, s'il te plait, la réprimande Érik. »

*Ouais c'est ça* L'avantage de s'engueuler avec son père était qu'il était plus gentil, cherchant à se réconcilier. Sauf que ça ne marcherait pas comme ça. *J'le déteste* Mais elle se force à afficher un sourire gentil, et questionne :

« – Où est Sky... et Shaina ?
– Partis faire des courses et chercher des trucs dans leur ancien appartement, je crois, répond son père.
– Ah... »

Si son demi-frère n'est pas là, la Poufsouffle va devoir se farcir une longue conversation entre adultes. Et avec la gamine idiote, en plus. *'tain* Elle arrive dans le salon, la petite juste derrière elle.

« – Bonjour jeune fille ! sourit une femme.
– Thalia, je présume ? poursuit un homme.
– Euh... Oui... Vous êtes les parents de Law... Kate ?, hasarde la Jaune.
– C'est ça ! Nous voulions nous présenter et puis..., commence la femme.
– Il parait que tu es une sorcière, jeune fille, finit son mari.
– Euh... Oui, murmure la petite.
– Hum... Nous aussi... Et notre petite Kate aussi. Et... elle ne connait personne de son âge..., fait le père de la gamine.
– Ils se demandaient si tu ne pourrais pas lui apprendre quelques trucs ! sourit Érik. Lui parler de Poudlard, et tout !
– Que... Quoi ? s'étouffe Thalia.
– Ça te ferait du bien, tu le sais. Et je ne te demande pas ton avis. »

La rage éclat, soudainement. Elle se précipite dans l'escalier, entre dans sa chambre et claque la porte brusquement. *J'EN AI MARRE !* Elle les hait ! Tous ! Les adultes, qui ne lui demandent pas son avis et la forcent à faire des trucs qu'elle déteste. Aider Lawrence... Jamais d'la vie.

Oh non. Elle n'aidera pas cette petite gamine idiote.
Jamais.

Elle attrape son carnet, griffonne quelques Mots, n'importe quoi.

« Murmures Etouffés
À jamais Ravalés.

J'te dis "Aide moi"
Pourtant tu peux pas.

Alors tu fais rien
Et j'attends
Désespérément.

Laisse Moi
Autre Insignifiant.
Laisse Moi
Dans le Néant. »

Pff... Naze. Ses yeux courent sur les lignes précédentes. L'encre qui coule sur le papier.

Quelqu'un pousse la porte. Entre. La gamine referme immédiatement le livre ; se tourne vers l'intrus.

« – Ka... Lawrence. Dégage.
– Qu'est-ce que tu as ? »

La voix auparavant ferme de la petite était désormais douce et interrogative. Elle avait avancé sans même que Thalia ne s'en soit rendu compte, et en un instant, une main chaude se posa sur l'épaule de la Jaune. *Arrête* Ne la touche pas. Ne l'approche pas. Ne sois pas contaminée par son Être dégueulasse, gamine innocente.
La jeune fille se dégage d'un geste brusque, un mouvement de recul et de peur. *'m'touche plus jamais* Elle hait ça. Elle hait le contact. Et puis elle a peur ; peur de cette gamine à la face si douce. Ses longs cheveux noirs flottent derrière elle, soyeux. Pas comme les siens, lisses et emmêlés.

« – Qu'est-ce que tu as ? »

Seul le Silence répond à l'Autre ; un Silence Profond et Fermé. La Poufsouffle tapote de ses doigts la couverture du Carnet, fermé et posé sur son bureau. Les yeux curieux de Ka... *Lawrence* se pose sur lui ; Lawrence, pas Kate. Le nom de famille permet de prendre du recul, de faire comme si l'Autre n'était pas une personne.

« – Qu'est-ce que c'est ? Ton journal intime ? questionne la plus jeune en avançant la main vers l'objet.
– Ne-le-touche-pas ! s'étouffe Thalia. *Danger* Elle déglutit, fixe l'Autre dans les yeux et continue, une moue de dégout sur le visage : Nan, c'pas mon journal intime, c'est naze les trucs comme ça.
– Eh, c'est bon, j'retire ma main, t'énerve pas ! s'exclame la gamine. Alors c'est quoi ?
– Rien, termine Thalia.
– C'est forcément quelque chose. Et ça ressemble à un journal intime.
– Très bien. Ça s'appelle un carnet. Et maintenant Lawrence, dégage ! »

Le visage de la gamine se tord tandis qu'elle lance l'Ordre à la face de l'Autre. Lawrence est restée trop longtemps ; elle l'a trop accaparée. Maintenant elle doit obéir, enfin. *Va t'en*

« – Non. Tu ne m'as pas encore dis ce qu'il y avait..., murmure la petite.
– Parce qu'il n'y a rien, réplique la Jaune.
– Faux, nie Lawrence. Pourquoi t'es partie en claquant la porte ?
– Tu veux vraiment savoir, gamine ? s'énerve la sorcière. Hein, tu veux vraiment savoir ?!
– O... Ou... Oui..., bégaye la plus jeune.
– Parce que tu m'soûles, voilà ! Parce que j'ai vraiment pas b'soin de d'voir m'occuper d'une idiote comme toi ici, et encore moins dans c't'école de merde ! gueule l'enfant.
– Mais ton père a dit qu'tu l'ferais... Et c'est vraiment une école de merde, Poudlard ? questionne Kate.
– J'le f'rais pas. Ou p't'être, si j'ai rien à foutre, répond Thalia. Une école de merde ? Oh non ! Tu vas adorer, petite Autre ignorante et insouciante que tu es. Mais moi, j'déteste.
– T'es bizarre, Thalia Gil'Sayan..., commence la petite.
– J'sais ! Maint'nant, fous moi la paix ! s'exclame t-elle.
– T'es bizarre, Thalia Gil'Sayan..., répète l'autre. Mais je crois que j'aime bien ça... »

*Qu...* Le cerveau de la gamine par en vrille ; son Coeur bat beaucoup trop vite pour que sa poitrine puisse la supporter. Elle va exploser. Elle va vraiment exploser. *Non-ne-dis-pas-ça-Lawrence-petite-gamine-débile-ignorante-comment-oses-tu-dire-que-tu-m'aimes-bien-alors-que-tu-ne-me-connais-même-pas* Elle l'a contaminé. Voilà, c'est fait, elle l'a contaminé. Sa seule Pensée, désormais, est celle ci : j'espère qu'elle va pas réaliser à quel point ce Monde est merdique. Noir, sombre. À quel point la petite fillette que Lawrence est inutile dans ce Monde. À quel point leurs Vies, à tous, ne sert à rien.

Mais l'affolement et la compassion dégagent bien vite, repoussés par la colère. L'Autre voit la fureur envahir ses yeux, ses membres, petit à petit, et recule. S'enfuit presque. Et, juste avant de refermer la porte, lance une dernière phrase :

« – J'trouverais pourquoi t'es si bizarre. »

*Et merde*
Son corps tout frêle s'effondre sur le lit et les larmes balayent ses Pensées en coulant. Lavent son malheur. Mais dès que les gouttes amères sont passées, les problèmes reviennent. Et tout est comme avant. Exceptée Ka... Lawrence.

Elle ne veut pas la contaminer plus.
Elle ne veut pas lui faire plus prendre conscience.
Elle ne veut pas que l'Autre comprenne pourquoi elle est si bizarre.
Parce que sinon l'Autre deviendra comme elle.
Et sa Vie de bonheur sera gâchée.
À jamais.

Alors elle va l'éviter.
Elle ne veut plus la voir.
Plus jamais.