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28 nov. 2018, 22:07
 solo   Irlande   Limerick  La famille Sangblanc
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Coeur de neige



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Juillet 2036



Rien ne laissait présager que le grand domaine au nord de Limerick abritait une des plus anciennes et plus nobles familles de sorcier français. C’était un manoir comme il y en avait cent, en Irlande. Ses murs, hauts et percés de grandes fenêtres, étaient d’un gris cendreux et rappelaient aux irlandais les falaises du Moher. Il était encerclé par une grande haie aux tons verdoyants, quelques arbres poussaient en son intérieur. L’enceinte était fermée par un portail en fer forgé, ce dernier gardé par deux gargouilles respectivement placées sur ses piliers de pierre. Un chemin de petits graviers blancs menait aux châteaux, longé par des cyprès habilement taillés. Un autre bâtiment se dessinait de l’autre côté du manoir, bien moins imposant que ce dernier. C’était une volière à hibou, accueillant tous les oiseaux porteurs de message pour les Sangblanc.

Une petite elfe de maison descendait gaiement ses escaliers, portant dans ses bras maigres une petite boîte en bois qui contenait les lettres de la volière. Ses grands yeux noisettes pétillaient de joie. Allait-elle apporter de bonnes nouvelles à ses maitres ? Sa joyeuse marche jusqu’au manoir fut stoppée brutalement par un choc. Un choc frontal qui l’a projeta au sol et déversa les lettres tout autour d’elle. Elle mit un moment à se relever, ses bras égratignés par les petits cailloux sur lesquels elle s'était lamentablement écrasée. Ses yeux globuleux se posèrent alors sur un jeune garçon aux boucles blanches qui poursuivait une petite fille qui hurlait. Le garçon riait aux éclats.

«- Monsieur Thomas doit faire attention ! lança l’elfe de sa voix aiguë. Il ne doit pas embêter la petite Alice !

Le petit garçon s’arrêta net, laissant de l’avance à sa petite sœur qui fuyait. Il tourna ses yeux d’argent sur l’elfe qui rassemblait ses lettres.

- Je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi, esclave ! Reste à ta place ou tu seras punie !
- Si le maître le surprend à faire du mal à Mademoiselle Alice, Monsieur Thomas aura de gros ennuis !

Thomas se désintéressa de l’elfe. Il observait le parc, à la recherche de sa petite sœur qui avait profité de l’intervention de leur serviteur pour se cacher. Le parc était grand, peuplé d’arbre, de buisson, de fleur. Elle pouvait être partout.

- Vilaine Cracmolle ! cria Thomas en regardant tout autour de lui. Vilaine Cracmolle! Où te caches tu ? J’ai une potion à te faire goûter ! Je me demande ce que peut donner une potion d’enflure sur toi ! Allez, Alice !

Le parc était silencieux. Seul le vent dans les arbres animait la flore. Un sourire mauvais se dessina sur le visage cruel de Thomas. Il glissa ses mains dans son dos, et prit une grande inspiration avant de s’écrier de sa voix la plus enjouée :

- Oh, Père ! Vous êtes revenu avec des chocogrenouilles? Alice sera ravie !

Peu de temps après, la petite fille aux boucles blanches quitta un buisson aux fleurs rouges, ses yeux d'argent pétillants de gourmandise. Elle se mit à trotter jusqu’à Thomas, cherchant son père du regard. Aussitôt, il sorti sa baguette de sa poche et la pointa sur Alice en lançant « Repulso! ». Le petit corps de sa sœur fut projeté en arrière et atterri dans un buisson quelques mètres plus loin. Thomas éclata de rire alors que les pleurs de sa sœur montait dans le jardin. Soudain, Thomas entendit un son qu’il aurait reconnu entre cent. Son rire se stoppa net, comme si un seau d'eau glacé venait d'être déversé sur sa tête : son père venait de transplaner dans son dos. Thomas eut à peine le temps de s’armer d’un sourire doux, et innocent. Sa baguette glissa rapidement dans sa poche, alors qu'il se retournait pour voir son père. Monsieur Sangblanc était vêtu d'un costume trois pièces, une mallette à la main.

- Peut-on savoir ce qui te fait rire, fils ?
- Oh, bonsoir Père ! Alors, des criminels sont derrière les barreaux grâce à vous ?

Monsieur Sangblanc ne répondit pas, ses sens affolés par les pleurs de sa cadette. Sa mallette glissa de ses doigts. Il accouru vers sa fille, toujours coincée dans un buisson. Alice lâcha un déchirant « Papa » en tendant des bras vers lui. Sa robe bleu pastel s’était prise dans les branches, sa longue chevelure blanche également. Il entreprit de la dégager, passa ses mains sous ses aisselles et l’arracha de sa prison de feuilles et de bois pour la serrer dans ses bras. Alice était secouée par des sanglots et, malgré la présence de son père, son coeur était meurtri.

- Thomas ! Rugit monsieur Sangblanc. Rentre immédiatement ! Et que je ne te croise pas jusqu’à demain ou crois moi que ce n’est pas dans un buisson que tu atterriras mais dans la cave ! »

Le jeune garçon déglutit et regagna le manoir sans un mot. Les larmes d’Alice coulaient dans le cou de son père, les yeux de ce dernier pointé sur le manoir. Son regard était dirigé vers une des fenêtres du rez-de-chaussé.
Elle regardait vers eux, une coupe de vin rouge à la main. Son regard était neutre. Cruellement neutre.

Sixième année RP - 741B47
Étudiante à Beauxbâtons depuis Janvier 2046
Fondatrice du MERLIN

17 mars 2019, 18:39
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Pensées froides



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Juillet 2036



«-Tu ne peux pas te comporter comme ça avec elle, Renesmée !

La voix rauque et puissante de Dorian Sangblanc retentissait dans tout le manoir, rompant le silence de la nuit naissante. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas été si en colère. Les deux elfes de maison des Sangblanc, profitant habituellement de la nuit pour entretenir la maison, étaient restées dans leur quartier. Il aurait été mal venu d’épousseter les tableaux pendant que les maîtres se disputaient à en faire trembler le manoir.

- Je n'ai rien fait ! rétorqua Madame Sangblanc avec force.
- Et c'est bien ce que je te reproche ! Par la barbe de Merlin, tu es sa mère ! Comporte toi comme telle, au moins lorsque je suis absent !
- Sa mère ? J'en suis à me poser la question !

Alice avait passé ses jambes au travers de la rambarde de bois qui donnait sur le rez de chaussé. Elle écoutait, ses petites mains cramponnées à la barrière. Ses grands yeux d’argent étaient dirigés vers la double porte qui donnait sur le salon, d’où s’échappait la lumière, et la dispute de ses parents. Des larmes silencieuses coulaient le long de ses joues rosies par les émotions de la journée, et cette dispute n’était pas pour arranger les choses. Alice avait beau être très jeune, elle comprenait ce manque d’amour dont elle était victime. C’est le genre de chose que tout le monde comprend aisément.

- Comment peux-tu dire une chose pareille ! rugit Dorian.
- Cela vient de toi ! Cela vient forcément de toi !
- Tu ne vas pas recommencer !
- Nous n'en n'avons pas dans ma famille !
- Tu en deviens ridicule ! Comment fais-tu pour ne pas rougir de ton incommensurable irrationalité !
- Je suis rationnelle ! Au nom de tous les astres, mais ouvre les yeux ! C’est une cracmolle !

Cracmolle. Toujours cet horrible mot. Il lui provoquait de terrible maux de ventre, comme si son corps lui même souffrait à son écoute. Sa mère avait honte d’elle. Alice le savait. Jamais elle ne l’enlaçait. Lorsqu’il fallait l’endormir, elle se contentait d’une petite tape sur le coin de son oreiller. Jamais elle ne la regardait dans les yeux.
Jamais.
Ce manque d'amour, appuyé par le mépris de son frère ainé, la dévorait à petit feu. Son père limitait la casse en poussant son affection à son apogée. Il aimait sa fille, et sa fille l'aimait plus que sa propre existence. A chaque blessure infligée par l'abandon de sa mère ou la haine de son frère, il était là pour la panser. Qu'adviendrait-il de la fille Sangblanc si le père disparaissait ?

- Alice, tu devrais déjà être au lit. Tu n'as pas besoin d'entendre ça...

La petite fille sursauta. Trop obnubilée par la dispute de ses parents, elle n'avait pas entendu la porte s'ouvrir dans le couloir. Elle n'avait pas non plus entendu les pas dans son dos. La voix était douce, comme une caresse sur sa joue humide. C’était celle du frère trop souvent oublié aux profits du reste de la fratrie.
Le garçon vint s’asseoir aux côtés de sa sœur. Il était grand, du haut de ses onze ans. Ses cheveux blancs, habituellement bien peignés, étaient en bataille. La dispute l'avait certainement soustrait à son sommeil, déjà tourmenté par la rentrée des classe approchant.

- Jacob, toi aussi tu crois que...

La voix de la fillette se mua en un murmure douloureux. En parler, c'était trop. Beaucoup trop. Ça lui brulait la gorge, ça lui piquait les yeux. Ça faisait beaucoup trop mal. Elle ne voulait plus en parler, la réponse lui faisait trop peur. Et si lui aussi le pensait, finalement ? Alors ça voudrait vraiment dire qu’elle était cette chose horrible que sa mère craignait qu’elle soit. Ça rendrait réel tous ses démons nocturnes, tous ses terribles rêves où elle se voyait seule, isolée, loin de sa famille. Loin de son monde. Forcée à vivre parmi ceux des villes et des villages. Forcée à être ce que tous les siens repoussaient.

Pour toute réponse, Jacob vint glisser son bras autour des frêles et tremblantes épaules de sa petite sœur pour l'attirer contre lui. Alice se senti envahie par une vague de chaleur, celle du réconfort, celle de la joie, celle de l’amour. En l'absence de son père, c'était Jacob qui veillait sur sa sœur, du moins quand il le pouvait. Aussi souvent qu'il le pouvait. Lui le petit sorcier à l'aurore de ses belles années d'école. Lui le chevalier blanc qui se dressait face au Mal pour la protéger elle, la petite chose informe. Cette sale petite tâche sur le beau tableau Sangblanc. Cette petite fille si répugnante.
La chaleur s’enfuit, laissant place à un froid lancinant qui se mit à l’étreindre comme un serpent enserre sa proie. Une petite plainte douloureuse s’échappa d’entre ses lèvres pâles alors que ses paupières se refermaient sur ses yeux.

- Moi, je crois que tu n’es pas une cracmolle, lui glissa Jacob, couvrant ainsi une partie de la dispute qui reprenait au rez-de-chaussée. Je crois que tes pouvoirs se manifesteront quand ce sera le moment.

Il croyait. Ça lui était facile, lui qui s’apprêtait à rejoindre Poudlard, lui qui avait une jolie baguette. Lui qui n’avait jamais souffert de savoir à quel monde il appartenait. Lui le sorcier. Il ne comprenait pas ce qu’elle pouvait ressentir, et personne ne le pouvait. Ils étaient tous sorciers. Ils appartenaient tous à cet univers duquel elle était exclue.
Alice inspira longuement, sa respiration tremblante. C’était trop pour elle, trop qu’elle ne puisse supporter. La journée avait été éprouvante, tant physiquement que mentalement. Elle n’avait même plus la force de pleurer, et pourtant elle le voulait. Car cela faisait du bien. Car c’est en pleurant qu’elle réussissait à s’endormir, comme chaque soir. Mais cette fois, elle n’y arrivait pas. Ses larmes restaient emprisonnées dans sa poitrine, se transformant petit à petit en poison. Il fallait que ça sorte. C’était trop douloureux.

- Mais moi je veux vite être une sorcière, murmura péniblement la fillette.
- Tu en es une. Tu es ma petite sœur. Tu seras une sorcière très talentueuse. Mais il faut te laisser du temps, car les pouvoirs d’une grande sorcière ne se montre pas en un claquement de doigt. Le dragon prend des années avant de devenir grand, majestueux et puissants, alors que le petit rat des champs...

La fillette lâcha un petit rire cristallin. Alors Thomas n’était qu’un petit rat ? Et elle, un dragon ? C’était joli. Jacob avait toujours été doué pour trouver les mots qui font du bien. C’était un gentil garçon.
La dispute faisait rage au rez-de-chaussée, mais cette fois Alice n’écoutait pas. Elle essuya ses larmes du revers de sa robe de chambre sous le regard de son frère. Après s’être relevé, il attrapa sa sœur par les aisselles pour la remettre sur ses pieds.

- Maintenant, files te coucher petit dragon. Demain sera plus beau qu’aujourd’hui, je te le promets. »

Ses lèvres se déposèrent sur le crâne de sa sœur, avant que cette dernière ne trotte à sa chambre, ses tresses rebondissant sur ses épaules.

Demain était un autre jour, mais serait-il vraiment meilleur que le précédant ? Rien ne le prédisait jamais. Il fallait espérer. Il fallait y croire et ne jamais céder au défaitisme. Ennemi cruel des beaux sentiments. Ami cher de la haine.
Dernière modification par Alice Sangblanc le 03 mars 2020, 17:43, modifié 1 fois.

Sixième année RP - 741B47
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30 mars 2019, 00:23
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Larmes et dignité



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Septembre 2037



Le bois claqua sur ses doigts tendus. L’opalin avait prit une couleur violacée peu agréable à l’œil, et douloureuse. La fillette retenait un gémissement entre ses lèvres, une énième fois depuis que ça avait commencé. De ses yeux d’argent s’écoulaient des larmes forcées au silence, car jamais sa mère n’aurait accepté le moindre sanglot. Il était inutile de recevoir une correction supplémentaire.
Madame Sangblanc se tenait face à elle, passée dans une longue robe verte, droite, stricte. Ses longs cheveux, à l’instar de sa fille, étaient domptés en un chignon serré. Le crâne d’Alice lui était douloureux tant sa crinière étaient tirée.

« - Cette fois, tache de réussir. Concentres toi au lieu de penser aux idioties dont toi seule à le secret. Je ne te demande pas la lune.

Madame Sangblanc lui rendit sa propre baguette en lui plaquant dans les mains. Les doigts douloureux d’Alice s’emparèrent à nouveau de l’outil de torture de sa mère. Il fallait réussir. Il fallait absolument réussir.

La journée avait pourtant bien commencé. Alice, comme à son habitude levée aux aurores, avait partagé le petit déjeuné avec monsieur Sangblanc. Ils avaient rient, ils avaient parlé de tout et de rien et, surtout, ils avaient passé du temps ensemble. Un temps qui était précieux à l’un comme à l’autre. Et puis, après un baiser pour son enfant, il avait quitté le domaine familial pour rejoindre le ministère, comme chaque matin. Le sourire d’Alice s’était alors mué en une grimace d’inconfort à l’idée de passer la journée avec sa mère, comme chaque journée. Depuis que Jacob avait rejoint Poudlard, madame Sangblanc s’était mise en tête de « réveiller » la magie de sa Cracmolle de fille, bien évidemment dans le secret de son époux. Alors, elle avait remplacé les leçons ennuyeuses mais sans douleurs de Rita par les siennes. Alice n’apprenait rien, à ses leçons là. Seulement ô combien la fillette était ridicule, repoussante, sans talent et haït. Ô combien sa propre mère avait honte d’elle.

Debout dans la bibliothèque du manoir, encadrée par les immenses étagères pleine à craquer de livres. Alice tenait la baguette entre ses doigts. Elle était concentrée, oh oui elle l’était. Ses doigts étreignaient la baguette avec une telle volonté, une telle rage de réussir ... mais rien. Rien ne se produisait, pas même un crépitement, pas même une étincelle. Rien.
Le visage de Madame Sangblanc fut traversé par une énième grimace de colère froide. À nouveau, elle arracha la baguette des doigts de sa fille.

- Tends tes doigts, ordonna t-elle sèchement.
- Mère je fais tout ce que je peux ! couina Alice. Je me concentre, je vous le jure !
- Pas assez. Tu as forcément une once de magie en toi ! Et tu vas la réveiller ! Tends tes doigts !
- Non !

Alice recula d’un pas, son corps butant alors dans la table derrière elle. Le regard bleu de sa mère devenait plus dur, bien plus dur.

- Non ? répéta t-elle, sa rage contenue
- Non... ma magie est encore trop petite ... comme le dragon, elle va grandir ...
- Cesses de raconter des bêtises. Il n’y a aucune magie qui soit « trop petite ». Tu es seulement une bonne à rien. A présent, tes doigts, Alice !

La fillette secouait sa tête, comme si ce simple geste pouvait repousser sa mère. Ses paupières se refermaient sur ses yeux, comme si sa mère pouvait ainsi disparaître. Mais elle s’emparra de son bras, et la força à regrouper les doigts. Et puis, de sa baguette magique, elle frappa leurs bouts d’un geste sec et furieux. Puis elle frappa encore une fois. Puis encore. Puis encore. Puis encore. Un cri plaintif jaillit enfin des lèvres d’Alice. Encore un coup, encore un cri, puis un pleure. Et encore un coup. Et encore un cri. Et encore un coup.

- Renesmée, éloigne toi d’elle !

Alice tressailli en entendant la voix, sa voix. La poigne de sa mère disparu aussitôt. Des pas avançaient furieusement vers eux, Alice reconnaissait le son des chaussures de son père sur le parquet. Les yeux toujours clos, Alice pleurait, pleurait, pleurait. Elle entendait son père hurler contre sa mère, comme le déchaînement des flammes d’un dragon. Il était revenu. Combien de temps est-ce que ça avait duré ? Des secondes Des minutes ? Des heures ? Elle ne savait plus, elle ne voulait pas savoir.
Les mains de son père s’emparèrent de ses hanches pour la soulever et la plaquer dans ses bras, les siens s’enroulèrent aussitôt autour du cou de son père. Il parlait, Alice n’entendait plus. Elle était devenue sourde, car c’était son échappatoire à ce qui se passait. Aveugle et sourde, baladée dans les bras de son père comme un fardeau. Comment faisait-il pour continuer a supporter le sang qu’ils partageaient ? Comment faisait-il pour la serrer dans ses bras sans jamais chercher à l’étrangler ? Comment faisait-il pour ne pas la haïr ?

Monsieur Sangblanc déposa Alice sur ce qui semblait être un sofa. D’abord timidement, elle ouvrit un œil, puis l’autre. Elle était dans sa chambre, assise sur son lit. Tout autour d’elle, les affaires volaient. Livres, jouets, vêtements, poupées, figurines, tout ce qu’elle préférait lévitait. Jenny, la petite elfe de maison, guidait le tout dans une grosse malle. Ses grands yeux globuleux étaient éteints, elle qui aimait tant sourire affichait une mine accablée.

- Alice, Alice regarde moi. Regarde moi, ma chérie. Je t’en prie, Alice.

Les yeux larmoyants de la fillette se posèrent alors sur ceux de son père. Il était agenouillé devant elle, ses mains toujours posées sur les hanches de son enfant. Il n’y avait plus aucune fureur dans sa voix. Seulement... de la peur, de l’inquiétude.
Une de ses grandes mains glissa jusqu’à celle de sa fille, meurtrie par les coups de baguette. Le bout de ses ongles était rougi, sa peau gonflée, violacée. La douleur lui revint comme un coup de fouet. Mais il n’y avait plus de larme à pleurer. Il n’y avait qu’une brûlure au fond de sa gorge.
La fillette baissa les yeux, secouée par quelques sursauts. Son père referma la main blessée de sa fille dans la sienne. Sa respiration était lourde, furieuse.

...je ne suis bonne à rien...

C’était un murmure, une plainte presque inaudible. Le dernier soupir de l’espoir d’une Cracmolle qui se croyait sorcière. C'était terrible, car elle y avait cru. Elle avait cru pouvoir un jour se promener fièrement sur le Chemin de Traverse en quête de son matériel scolaire pour Poudlard. Elle avait cru pouvoir un jour brandir sa propre baguette magique. Elle ne demandait qu'à être sorcière.
La main libre de son père vient épouser sa joue humidifiée par les larmes. De son pouce, il caressait sa peau. Au moins, lui était là. Il ne l'abandonnait pas. Pauvre homme régit par ses instincts paternels, lié à une fillette repoussante et inutile.

- Une Sangblanc ne pleure pas. Une Sangblanc se bat, quoi qu'il arrive. Alors relèves la tête, Alice. Sois grande, sois digne. Tu es une Sangblanc, seulement une Sangblanc. Tu comprends ?

Sangblanc. Seulement une Sangblanc. Un nom pourtant sorcier, ce qu'elle n'était pas. Ce qu'elle ne serait jamais. C'était une maigre consolation, mais il avait raison. Alice acquiesça faiblement, ses grands yeux boursoufflés dans le vide.

- Aides Jenny à préparer ta malle, dit-il en déposant un baiser sur le crâne de sa fille. Prends ce qui te plait, prends tout ce qui te fera plaisir. Tu pars pour chez Grand-Père.

Grand-Père ? Alice glissa ses yeux sur son père. Tout allait trop vite. Cette décision, aussi réjouissante aurait-elle pu être, était improbable et suscitait plus d'interrogation que de joie. Mais aucune question ne fut formulée par les lèvres d'Alice. Sa gorge était trop sèche, son esprit trop embrumé par ... tout ça. La fillette allait partir, là était tout ce qu'elle comprenait et voulait comprendre.

- Je redescend parler à ... je redescend, ajouta t-il en se relevant. Jenny, emportes là dés que possible, et reviens aussitôt.
- Bien, monsieur.

Monsieur Sangblanc déposa un dernier baiser sur le crâne de sa fille, bien plus long qu'à l'acoutumé. Il voulait dire des choses, bien des choses, trop de choses. Des choses qu'il gardait secrètes, des choses qu'Alice ne devait certainement pas savoir. Des choses qu'elle ne voulait de toutes façons pas savoir.

- Je t'aime, n'en doute jamais... nous nous reverrons vite, je te le promets.

Ce furent ses derniers mots, lâchés comme une ultime promesse. Il quitta alors la chambre d'Alice, laissée sur son lit, morne, vide.
Jenny termina de remplir la malle de la fillette sans que celle ci ne l'aide. Mais à présent, il était temps de partir. Pourquoi, pour combien de temps, Alice l'ignorait. Ce qu'elle savait, c'est que c'était nécessaire pour elle, peut-être même vital. Dans son esprit fertile se dessinait de nombreuses scènes, toutes plus terribles les unes que les autres. Sa mère lui brisant les doigts à force de la frapper. Sa mère lui jetant des sorts terribles. Sa mère. Sa mère. Sa mère. Seulement sa mère.

- Mademoiselle, il faut y aller... Nous nous occuperons de vos pauvres doigts chez Monsieur votre Grand-Père.»

Alice se releva enfin de son lit et rejoint la petite elfe de maison. Le regard de cette dernière sur sa jeune maitresse était désolé, si désolé. Avait-elle entendue les cris d'Alice ? Était-ce elle qui avait été cherché son père ? Alice le saurait-elle seulement un jour ?
La petite main de l'elfe vint se saisir de celle indemne de la fillette, l'autre posée sur la grosse malle. L'instant d'après, toutes trois avaient disparues, laissant derrière elle une chambre d'enfant vidée de toute la joie de vivre généralement présente.


Sixième année RP - 741B47
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