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12 déc. 2018, 23:29
 Europe  Un Terme est une Ouverture  Solo 
Ils étaient déjà dehors, à l’attendre, plus excités qu’elle-même par la révolution qui se dessinait devant elle. Elle devait quitter la demeure mais n’y parvenait pas, pensant à tout ce qui serait désormais derrière elle. Sa main lâche était posée sur la poignée de la porte alors qu’elle songeait que bientôt elle devrait pénétrer une Bulle inconnue. La jeune fille ignorait ce qui était dissimulé, quelle serait la zone tangente qu’elle pourrait espérer reconnaître avec celles dans lesquelles elle avait jusqu’alors évolué. Et surtout, la plus grande réserve qu’elle gardait en elle concernait la fin définitive des entrevues régulières organisées depuis des années avec son Précepteur. Lui qui n’avait jamais défailli, qui avait toujours représenté le support parfait en toutes circonstances. Les larmes remontaient en surface alors qu’elle se remémorait le dernier instant partagé avec lui. Sa mission était arrivée à terme, avait-il dit. Chioné avait appris tout ce qu’elle pouvait de lui, et l’école prendrait la suite. Il devait être la préparation à Beauxbâtons, former l’enfant au mieux pour qu’elle trouve sa place dans l’Académie. Elle avait oublié cela, n’avait pas vécu cette expérience comme intermède mais comme Instants à part entière. Elle ne voulait pas que ça s’arrête, elle ne voulait pas que bénéficier de l’enseignement sorcier officiel l’arrache à tout. Les adultes l’avaient laissé à l’intérieur, certainement au cas où elle souhaiterait s’imprégner de ce lieu connu avant de le quitter pour plusieurs mois, mais le Souvenir de la fillette était ailleurs. Ce ne pouvait être la fin. Ce ne devait être la fin. Aristide avait témoigné l’intention de se retirer loin de son domaine en Angleterre, il n’avait pas dit où, la sorcière n’était pas informée des projets qu’il comptait accomplir au loin, dans un Ailleurs.

La Vraie Ancre qui vous tient, ce n’est pas forcément celle qui est toujours là, car si présente qu’elle est, vous pourrez l’oublier. C’est celle dont vous redécouvrez toujours la Présence et dont vous savez que la disparition créera une Béance impossible à combler. Ses parents, elle y pensait à peine alors que l’idée de la séparation la prenait, ils seraient toujours autour d’elle, continueraient à tisser la relation en dépit de la distance par les mots, les gestes. Toute marque pouvant être déposée sur l’être cher. Celui dont elle avait peut-être entendu la voix pour la dernière fois sans avoir été avertie explicitement que c’était l’ultime, sans réaliser qu’elle aurait dû goûter et apprécier ce qui ne s’offrirait plus à elle, il partait. L’enfant a beau se débattre et crier de pensée « Reviens » sur le rivage, il est rarement entendu. L’action pleinement inutile n’existe pourtant pas. En une action est transmise une Énergie, une implication qui n’est pas gratuite. La jeune Ajax se précipita sur le secrétaire, tira un papier et un graphite. Partant du centre, elle dessina un motif, qui prenait ensuite de l’ampleur en toutes directions. Pour la première fois pareille construction graphique était émise, conduite par son bras. Elle savait qu’il comprendrait. Espérait aussi qu’il recevrait, qu’il poserait son regard et laissera son cœur si étrange, insondable et impénétrable être pris de quelque émotion. Son message et sa signature était entremêlés. Ce Flocon de Neige, c’était elle. L’enfant disait ainsi à Aristide qu’elle ne disparaîtrait pas de ses côtés s’il l’acceptait. Que jamais lui ne s’effacerait, il l’avait forgé et elle n’oublierait pas ses origines, que les premiers barreaux de l’échelle grâce auxquelles elle s’élevait avaient été apportés par son Hüter.

Le papier fut plié en origami et attaché à la patte d’un oiseau à qui Chioné exhorta de se faire messager de ces traits qui devaient essentiellement parvenir à monsieur Dante, où qu’il mène sa route actuellement. Consciente qu’elle n’aurait pas de retour, elle tenait à lire le silence qui suivrait certainement pour les années à venir et comptait sur la surgescence d’un signe lui apprenant la bonne réception de son envoi. Un jour avait-il dit, il reviendrait de son exploration. Il avait supposé que l’enfant l’aurait déjà oublié. Ces paroles provoquantes avaient-elles été prononcés pour forcer une protection forte et passionnée de la Mémoire ? L’enfant ne pouvait laisser un suspens au bord de cette attente et construisait ce pont, ce fil tenu qui tiendrait lors de l’entière et interminable latence à venir. Une fine pellicule grise s’était posée sur le côté de sa main. La sorcière souffla alors uniformément sur cette poudre qui se dispersa dans l’air. Les traces ne devaient être physiques, une capsule de pensée devait figer et cristalliser l’image à immortaliser. Son fébrile message en vol, elle avait l’impression d’avoir fait quelque chose empli de sens, qu’elle pouvait quitter cette demeure sans ressentir le tiraillement de l’abandon.

La porte claqua, elle était prête à affronter ces seuils nouveaux. Le couple Ajax la voyant arriver montrèrent dans l’éclat de leurs yeux qu’ils étaient compréhensifs, ils s’étaient bien aperçus qu’à mesure que le temps de côtoiement s’était allongé, la fillette avait de plus en plus apprécié cet être froid aux premiers abords qu’était Aristide, et que le laisser s’éclipser pour des projets personnels qu’il s’imaginait entreprendre alors que Chioné serait accaparée par Beauxbâtons était une idée qu’elle avait de toute évidence bien du mal à admettre. Par respect pour son indépendance, elle finirait certainement par penser à lui, à comprendre qu’il pouvait souhaiter avoir des aspirations propres et profiter d’une disponibilité nouvellement acquise. Dans toute la portion de trajet partagée avec Azalée et Martial, l’enfant demeurera dans un mutisme méditatif, ne souhaitant parler plus avant de ce qui la traversait. Durant les quelques heures qui suivirent elle fut plongée dans le monde des Songes dont elle ne sortit qu’au signal d’une embardée et d’une annonce, en français, que la destination était atteinte. Un garçon aux traits fins à l’air tout à fait affable qui portait un effet sur lequel elle crut déchiffrer quelque chose comme Ophis. Le Serpent. Des fragments remontant à quelques années d’un tronc écailleux piégé dans la glace lui revinrent, accompagné des mots magiques apportés par son Baume qu’elle considérait encore comme irremplaçable. Le regard qu’elle jeta à ce futur élève fut certainement riche d’indéchiffrables émissions silencieuses, il n’eut pas le temps de s’interroger car cette mystérieuse fille aux cheveux blancs s’était vite fondue entre les ombres.

La sorcière n’avait pas vraiment eu conscience de ce qu’il s’était passé, de ces déplacements de l’Allemagne à la France effectués dans la journée l’ayant menée en ces lieux. Elle était entourée par une foule de gens, ce à quoi elle n’était pas le moins du monde accoutumée. Alors qu’elle traversait les colossales portes menant à l’élégante construction architecturale, elle perçut des notes jouées. Lentes, solennelles à leur entrée, puis qui se resserrèrent avant de s’adoucir. La fin, le Terme qui hantait Chioné peinant à voir cette expression conclusive venait d’être déverrouillé par le pouvoir de ce qui marque un commencement de voies et voix. L’Ouverture.