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17 déc. 2018, 23:26
.Emily.
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Il vint, en cette fin de Décembre, un froid vent qui balayait les vitres des maisons y laissant une buée blanchâtre, seule preuve de la chaleur qui habitait ces bâtisses. Pas les fenêtres de voisinage, le feu des cheminées éclairait les sombres allées que le soleil de mâtinée n'atteignait pas encore de ses douces ondes de lumière et de chaleur hivernale. Les reflets orangés des flammes dansaient sur les reflets des vitres comme l'eut fait une bohémienne, bougeant son corps pour en dévoiler les délies et la souplesse, telle une lionne comme pour appâter entre ses longs membres ses faibles proies qui, en cette période de l'année, se trouvaient esseulées. En effet, entre les famille souriantes et pleines d'un bonheur dont la cause n'était pas dévoilée, quelques être vagabonds emmitouflés dans de bonnes couches de vêtements regardaient le temps faire son œuvre, tentant vainement de trouver compagnie qui ne les fausserait pas dès que le jour fut levé. Rares étaient ces gens mais, toujours présents où qu'on allait, il leur était presque impossible de passer inaperçus. Âmes égarée dans ce dédale de rues pavées.

Une faible neige recouvrait les manteaux des passants mais l'endroit, large et vaste, était comme immunisé de cette tache de pureté, comme s'il était lui-même conscient de la présence malheureuse qu'il était pour les quelques riverains. Les pierres, parfaitement sculptées dans cette pierre blanche et sans défauts aucuns, semblaient sortir du décors vide du lieu telles de fantomatiques silhouettes abandonnées par la présence aimée de la vie et du battement régulier de l'organe vital qui pompait le sang, travaillant à cette tache chaque seconde pour transmettre la rougeur de la vie aux pommettes blanches des corps en porcelaine des poupées  avec lesquelles le destin jouait, les faisant danser comme à sa guise sur la mélodie lente de la vie. Synonymes d'une perte, elles paraissaient irréelles pour toute personne ne sachant pas la douleur qu'était le fait de perdre quelque chose, et pourtant, elles se détachaient du paysage pour s'élever bien plus haut que la verdure qui essayait de reprendre ses droits, montrant avec magnificence qu'elles étaient là et ce qu'elles représentaient. L'endroit, vide de toute présence vivante ne le fut pas bien longtemps quand, de loin, on eut entendu les graviers d'un chemin qu'on foulait d'une démarche lente, comme pour en apprécier chaque pas. Les respirations des deux individus se firent bientôt entendre et remarquer par un petit nuage qui s'effaça dans la seconde.

Les doigts fermement entourés autour du bras de l'adulte à ses côtés, la main de l'enfant est blanche d'effort, plus que ne l'est le reste de son corps. Elle ressemble à une de ces personnes qu'on ne connaît que de loin et qui, pourtant, nous intrigue par leur singularité. Son visage de poupée ne montre rien et rien ne semble contrôler ses mots et ses gestes, comme si la marionnette avait brisé ses fils. Le destin ne la contrôle pas mais elle vit quand même. Certains diront qu'elle est admirable pour cela mais la croyance populaire est et sera toujours qu'elle est étrange, bizarre, stupide de ne pas être comme les autres, de ne pas passer inaperçue dans la mer de corps qui se bousculent dans les villes. C'est une tare, un fardeau qu'elle a choisit elle-même de porter sur ses frêles épaules mais qu'elle n'accepte pas pour autant complètement. Une part d'elle veut quitter ses fils mais l'autre s'y accroche comme au dernier rempart entre la vie et la mort. Elle est perdue, elle ne comprend pas bien ce qui se passe dans sa tête mais une chose est sûre : elle n'est pas comme les autres. C'est une Anormale. Bonne ou mauvais chose, tout dépend du point de vue, mais elle a l'air de se ficher de ce que pense les autres. Elle a sûrement raison, cela n'apporte qu'ennuis et peine.

L'adulte l'emmène jusqu'à une jolie pierre. Celle-ci n'est pas décorée de fleurs comme les autres, elle est là depuis trop longtemps maintenant, le temps a fait son effet et elle a été oubliée, n'étant plus qu'un vague souvenir dans les esprits de ceux qui s'y sont un jour intéressés.
Il pose son genoux à terre et s'excuse longuement à la stèle mortuaire de ne pas être venue la voir plus longtemps. La petite enfant, quand à elle, reste à l'écart à quelques pas de là.
Le silence est brisé seulement quelques secondes après cela.

« Elle s'appelait Emily.
-... elle se racle la gorge, c'est un beau prénom.
-Vous vous seriez très bien entendues, j'en suis sûr. Elle aimait la musique, comme toi, était passionnée par l'histoire. Elle aurait fait quelque chose de bien, elle en avait les moyens et l'envie.
-Et quel â...
-Elle avait 15 ans, quand ça s'est passé.
-Quand ?
-En 2038. J'étais son professeur.

Elle ne peut pas quitter du regard la petite tombe devant elle. Elle est attirante, ses doigts la démangent, ils veulent toucher cette surface froide pour ressentir jusqu'à la dernière émotion que cette Emily a ressentit.

-Elle l'a voulut ?
-Non ! Se rendant compte du hurlement poussé, il abaissa un peu sa voix, elle n'aurait jamais voulu ça. Elle était heureuse, elle adorait la vie.
-Et comment elle est....
-Accident de voiture. Il n'a pas regardé, elle s'est simplement retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. »

Elle peut imaginer ce que l'autre a ressentit. En fermant les yeux dans ce silence, elle peut sentir la terre battre sous ses pieds, l'énergie de la vie l'entourer et faire un creux autour de la tombe, comme si elle était hors du temps. En se concentrant, elle peut même sentir la respiration de la morte, ses cris désespérés, les hurlements qu'elle pousse pour qu'on la sorte de là, de ce cercueil de bois poli où elle n'a jamais voulu atterrir, contre rien au monde. Elle peut sentir les joies, les peines. Elle peut tout sentir jusqu'au plus profond de ses cellules, jusqu'au plus profond de sa tête. Une plainte qui résonne entre les murs de son esprit, qui lui parle, qui la supplie.

Aide-moi.....
Aide-moi....
Aide-moi...
Aide-moi..
Aide-moi.
Aide-moi !

Et elle ne peut pas l'aider. Parce qu'elle n'est pas comme elle, qu'elle ne le sera pas avant très longtemps.

Sauve-moi.....
Sauve-moi....
Sauve-moi...
Sauve-moi..
Sauve-moi.
Sauve-moi !

Et elle ne peut pas la sauver. Parce qu'elle ne peut pas la sortir de là, elle ne peut pas faire repartir son cœur putréfié. Elle ne peut pas forcer un souffle à passer la barrière de ses lèvres.

Pourquoi moi ?
Pourquoi moi ?
Pourquoi moi ?
Pourquoi moi ?
Pourquoi moi ?
Pourquoi moi ?

Et elle ne peut pas lui répondre. Parce qu'elle non plus, ne comprend pas. Elle ne sait pas pourquoi, elle ne sait pas comment et elle ne saura probablement jamais. Parce qu'elle n'est pas cette force supérieure qui gouverne le monde.

Elle ne sait pas jouer à Dieu. Elle ne veut pas jouer à Dieu. Parce que Dieu n'est pas là pour elle. Que Dieu ne le sera jamais. Il a ses préférés et elle n'en fait pas partie. Elles n'en font pas partie, ni elle, ni Emily.

Emily qu'elle n'a jamais connu.
Emily qu'elle aurait aimé connaître.
Emily qui n'a pas choisit.
Emily qui n'a pas voulu.
Emily qui ne voudra plus jamais.
Emily.
Emily.
Toujours Emily.

Comme une berceuse silencieuse, ce nom semble tanguer dans sa tête, l'endormir de sa présence bienveillante. Cinq lettres, trois syllabes. Quinze ans de vie.

Elle aurait aimé jouer à Dieu.
Une fois.
Cette fois-là.

Emily qu'elle ne peut pas comprendre, qu'elle aurait aimé comprendre. Emily qu'elle ne peut qu'imaginer.

Avec ses jolis yeux bleus brillants de joie.
Ses joues rougies par la vie.
Ses amours, ses peines, ses joies.

Emily.

Avec ses yeux vides, ternes, bouffés par les vers.
Ses joues dont il ne reste rien que les os des pommettes.
Son ennui, sa tristesse, sa confusion.

Emily.

Qui la regarde de l'autre côté de sa tombe. Qui n’existe plus et qui pourtant est là, encrée sur sa pupille. Tatouée sur la rétine.

Emily.

A travers qui on peut voir.Transparente.
Elle est morte. 
Et pas toi.
Toi tu as voulu.
Elle non.
Toi tu as prié.
Elle non.
Toi tu ne mérites pas.
Elle si.

Elle hurle. Elle gueule à s'en déchirer les cordes vocales. Et Loïk ne comprend pas. Il ne comprend pas parce qu'il ne pense pas comme elle. Parce qu'il ne la voit pas.
Il ne voit pas Emily.

Elle hurle parce qu'elle vit. Elle a son cœur qui bat.
Elle hurle parce qu'elle comprend.
Emily lui a montré.
Vivre c'est bien.
Chérie la Vie.
Ne la gâche pas.

Emily ne comprend pas. Elle ne trouve pas juste qu'elle ne vive plus alors que l'autre si. L'autre qui ne veut pas le faire, respire alors qu'elle, qui a tellement aimé le faire ne le fait plus.
Elle a froid.
Il fait noir.

Le bruit des sirènes.
La douleur.
Le rouge.
La voiture qui s'en va.
Aidez-moi.
Sauvez-moi.
Pourquoi ?
Ils n'y arrivent pas.
C'est trop tard.
Elle veut pas mourir.

Et Cassiopée pleure. Cassiopée hurle.
Cassiopée ne sera jamais comme Emily.
Pourtant elle veut essayer.

Elle veut faire ce qu'Emily n'a pas pu faire.

Elle veut vivre.

Moi ? Je n'fume pas, je n'bois pas, mais je M.L. Chacun son truc.
Mascotte Officielle des Crochets d'Argents, laissez passer s'il vous plait.