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23 avr. 2019, 10:13
 os  l’Homme et l’Animal
L’Homme et l’Animal

Dans la pièce sombre, à peine parsemée de touches claires, l’homme se dit qu’il n’aurait jamais dû venir ici. Son supérieur lui avait dit de se rendre à ce rendez-vous et le journaliste n’avait pas pu renoncer, car cela l’aurait empêché par la suite de gravir les échelons de cette boîte où « l’information est plus rapide que toi, alors rattrape-la », tel était son slogan. Il ne pouvait donc pas se désister et allait devoir entendre deux vieux fous aux idées démoniaques débattre sur l’Homme et l’animal. Rien que la pièce ne lui donnait pas envie, la poussière formait des amas grossiers sur les chaises où les culs graisseux des vieux allaient s’asseoir, les rideaux crasseux filtrait la lumière, diffusant une lumière jaunâtre sur le parquet moisis. Autrefois, seulement autrefois, la pièce aurait pu être belle, d’une époque néoclassique sûrement, s’était dit le journaliste, partant dans une fouille minutieuse de ce qui aurait pu faire la gloire de ce lieu pourri. Il regrettait déjà d’avoir emmené le fils d’un de ses amis, ce Roman allait bien s’ennuyer durant la séance. Son regard se reportât à plinthes, mais le jeune homme ne put aller plus loin dans ces investigations, déjà il entendait des pas. Et à peine les deux vieux entrés dans la pièce, le journaliste vit, aux regards haineux que se lançaient les intervenants, que ça n’allait pas être un partie de plaisir, et qu’il aurait pu attendre un peu pour son augmentation.

Alors il commença, posant son microphone au coin de la table, il réécrira son article au propre le lendemain, après une bonne nuit de sommeil.

« Hum (il fallut se racler la gorge), nous avons aujourd’hui avec nous deux spécialistes de l’Homme et ses relations avec les animaux. Le docteur Enèßdéhape (il dut s’y prendre à deux fois pour le dire le mot avec le double « s » allemand) venu d’Allemagne nous exposera son point de vue, et face à lui, l’anglais et docteur Kokoladomi (il eut du mal à prononcer correctement le nom, il avait oublié un « ko »). Je vous rappelle le thème du jour : « L’Homme et l’animal, à pied d’égalité ? » À vous messieurs. »

Et pendant qu’il avait parlé, le journaliste avait observé les vieillards. L’allemand avait, avec surprise, conservé ses cheveux blonds vénitiens, il était même l’archétype de l’aryen, le canon emblématique du sauveur allemand, ses yeux étaient bleus. Quant à ses habits, il s’agissait d’un costard cravate qui n’avait pas vu le soleil depuis longtemps, une sorte de rigueur folle ressortait de cet homme. Mais l’autre, l’anglais, ne faisait pas mieux, il ressemblait plus à Davy Crockett qu’au chic homme d’affaire anglophone que la publicité britannique mettait en avant, sa veste débraillé était comme couverte de mousse, l’homme était sans conteste un écolo, un vrai de vrai qui vivait parmi les ratons-laveurs.

Et ce fut justement Raton-Laveur, enfin, le docteur Kokoladomi, qui commença. Avec un ton que l’on pourrait décrire comme froid.

« Vous savez, durant ma vie… »
« Ta vie ? Parce que tu appelle ça une vie ? Non mais ça alors ! »

Et dès le début, le journaliste s’énerva. Le Lave-vaisselle (mauvais jeu de mot de la part du journaliste, mais le jeune homme ne pouvait pas le surnommer Bosch non plus) venait de couper la parole à Raton-Laveur. Quant est-ce que ça allait enfin pouvoir commencer sans disputes infantiles !?

« Oh ! Vous deux ! Faudrait penser à vieillir un peu et à vous comportez comme des personnes éduquées. Je vois bien que c’est pas la joie entre vous, mais pas la peine de lancer des piques à chaque phrases. »

À croire que le message était à peine passé, les deux vieux avaient un air peiné, mais se jetaient toujours des regards inamicaux. Alors Raton-Laveur repris la parole.

« Bref, comme je le disait, dit-il avec un regard appuyé vers Lave-vaisselle, durant ma vie j’ai connu bien des choses. Et de ces choses, ce qui m’est arrivé de mieux, était, sans aucun doute, ma rencontre avec Mère-Nature... »

Il fit alors une courte pause qui se voulu mystique.

« J’avais presque la vingtaine et je ressemblait beaucoup à d’autres jeunes pleins d’espoir. Et comme tous ceux-là, je me suis pris la vie en pleine poire alors que je devais la croquer à pleine dent. Les impôts, la paye à la fin du mois, le loyer. Et comme tous, je me suis brisé, et ça m’a amené à la Nature. Par un concours de circonstances étrange et favorable pour moi, je me suis retrouvé en tente dans une forêt claire et peu connue. Vous trouverez ça bizarre mais ça m’a fait un bien fou : l’abandon de la technologie, les quartes éléments purs, et surtout, la relation avec les autres. Quand je dis les autres, il s’agit évidemment des animaux, j’étais seul durant mon … (il chercha le bon mot) périple. J’ai pu entreprendre d’observer les animaux, comprendre les façons de faire, leurs comportements. Et j’ai découvert quelque chose de surprenant : l’écosystème sans l’homme est une merveille, les abeilles butinent les fleurs pour assurer la pollinisation, c’est un cycle continu dans lequel les intervenants évoluent au fur et à mesure de leurs besoins. Et tout ceci, sans l’homme, car l’homme détruit tout sur son passage, l’atmosphère se meurt, les écosystèmes sont détruits à cause du dioxyde de carbone qui vient polluer les plantes et les fleurs, les abeilles sont elles ensuite touchées, puis plus de plantes à manger, les herbivores et les insectivores meurent, et c’est le tour des carnivores ne trouvant rien à manger de viable qui s’éteignent à leur tour. J’en ai conclu que l’Homme, dans la situation dans laquelle il est actuellement, est véritablement un poison pour tous les écosystèmes, pour la Terre, et donc pour lui-même. Et même en se référant à la littérature ancienne, l’on peut retrouver ce symbole de destruction. Tenez, allez lire cet extrait de “Les Tragiques”, du roman d’Agrippa d’Aubigné, où les deux enfants se battent les seins de leur mère. À l’époque, pour les humanismes, il s’agissait d’une représentation de la guerre de religion, mais aujourd’hui, à plus grande échelle, l’on peut facilement voir en la mère la Terre. C’est d’ailleurs de cette façon que les Grecs l’appelaient : la Mère Nourricière ou bien Gaïa. Et pour les deux jumeaux, les enfants ennemis, il peut très bien s’agir de deux hommes d’affaires sans scrupules, je n’irai pas jusqu’à affirmer ce que je vais dire, mais je peux également donner des noms à ces hommes d’affaires, qui seraient d’ailleurs d’anciens présidents lors de la guerre froide, mais je ne veut pas que mes paroles me posent problème, alors, je ne dirait rien de plus. Bref, pour en revenir à ces deux hommes, ils veulent à tout pris battre l’autre et cela quitte à détruire ce qui les nourri, la Mère Nourricière, la Terre. Et pour vous faire une bref conclusion, j’ai été bien long je m’en excuse, je pense que l’Homme, tel qu’il est aujourd’hui, n’a rien à faire sur Terre et qu’il devrait sérieusement songer à douter de ses soi-disantes « bonnes actions ». Je terminerai tout de même par une note d’espoir, une citation qui est de moi : « Certaines personnes ne peuvent concevoir qu’ils sont la solution à leurs problèmes. Ils ont besoin d’apercevoir un miracle étranger à eux. Alors que la solution est ancrée dans leur âme. » A vous de cherchez votre miracle. »

Ce long monologue laissa le journaliste pantois, il avait été tellement absorbé par les dires de Raton-Laveur et de son mystérieux charisme qu’il aurait été prêt à quitter son vieil appartement, son boulot et sa perruche pour aller s’installer dans une forêt du Luberon, tant pis pour l’augmentation. Un vrai retour au source, et le journaliste aurait suivit le fameux docteur Kokoladomi jusqu’au bout du monde si on ne l’avait pas interrompu en pleine rêverie : Lave-vaisselle avait parlé.

« « Et l’humain, par sa nature, se dit unique. Mais le seul fait qui le rend unique est en fait son point de vue. Sa vision des choses à partir de lui-même, si l’humain voyait la vie d’un point de vue externe, il n’aurait plus rien d’unique, car nous sommes trop nombreux pour ne se focaliser que sur une seule personne. Ce qui rend unique l’Homme, c’est le point de vue qu’il a sur lui-même. » Les paroles pleines d’un optimiste candide de mon confrère sont bien belles, mais comme le démontre ma citation, c’est de son point de vue, et seulement de son point de vue que la nature a besoin de personne pour se développer. De mon point de vu à moi, et à plein d’autres… »

« Des autres ? Vous vous êtes tous mis d’accord pour ravager la… »

Et voilà que ça recommençait, quand c’était pas l’un, c’était l’autre. La vieillesse leur tapait sur les neurones. Le journaliste du à nouveau couper la parole à Raton-Laveur.

« Hum hum. Votre séjour à la nature vous aurait fait oublier les règles de la civilité ? À vous docteur Enèßdéhape. »

Ce dernier exultait de voir son cher confrère se faire réprimander et repris alors la parole, revenant sur les points de vue.

« Selon mon point de vue et celui de bien d’autres (il insista sur le « bien d’autres »), c’est justement sans la nature et tout ces animaux (il prononça le mot « animaux » avec un certain dégoût dans la voix) que l’Homme pourrait vivre sans soucis, des villes entières et modernes. Imaginez ! Les animaux sont des transmetteurs, bien qu’ils ne s’en rendent pas compte, et ils nous transmettent les pires maladies ! Le moustique par exemple a contaminé bien plus qu’un pays entier, des milliers de morts à cause d’une espèce d’animal. Les chiens ont la rage, les criquets ont envahi l’Égypte dans le passé, les requins vous bouffent tout cru, les ours sont si imposants et féroces que l’on ne peut pas accéder à leurs territoires ! Ces animaux sont de vrais fléaux. Et en plus de ça, ils sont incapables de la moindre pensée, comme le dit Blaise Pascal dans “Pensées”, « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connait misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. » et par suite logique, un animal ne se connaît pas misérable. « Pensée fait la grandeur de l’homme. » et l’on est grand par rapport à ceux qui n’ont pas de pensées, tel que les animaux. Voyez, c’est Blaise Pascal qui l’a dit. Et, avec un peu d’imagination, regardez un monde sans animaux, où les robots font tout ce qu’il y a de nécessaire pour manger, l’on créé des la viande in-vitro, les champs de blé, de légumes, de fruits son semés. Plus besoin de la nature ! Les robots qui filtreront l’air pollué avec encore plus d’efficacité que les arbres ! Le plastique sera recyclé en usine. Alors enfin, enfin nous pourrons nous reposer. Car l’humanité a trop longtemps attendu le septième jour. »

Whaou, le journaliste s’était à nouveau laissé emporter par le récit utopique de Lave-vaisselle. Il mis du temps à mettre au clair dans sa tête les récits totalement opposés des deux antagonistes. Et au moment d’éteindre son microphone, son doigt était posé sur le bouton, le journaliste pris la parole :

« La justice est l’équilibre entre ce qui est bon ou mauvais,
Un monde juste est alors un monde où il y a autan de bien que de mal,
Un homme juste est alors à la fois bon et mauvais,
Que dire de la justice ? »

D’où venait cette phrase ? Le journaliste ne le savait pas, ça venait du plus profond de lui et de ce que venait de dire les deux docteurs. En tout cas, les deux visions des vieux se regroupaient en un seul point et il allait pouvoir y réfléchir lorsqu’il allait écrire son article. Alors son doigt se enclencha la fin du microphone. La séance audio était fini. Quelques « merci et au revoir » furent échangés avec beaucoup de politesse, à croire que prendre la parole face à l’autre permettait de calmer ses envies meurtrières. Le jeune homme quitta enfin, presque avec regret la pièce sombre qui l’avait fait rêver par deux fois. Et de retour chez lui, exténué, il s’allongea dans son canapé en réfléchissant à son après-midi. Les docteurs avaient à la fois tort et raison : un monde sans hommes ne serait pas bon et un monde sans animaux ne serait pas mieux, mais si l’on trouvait un équilibre, la disparition du CO2 grâce aux prouesses technologiques et à la nature. En tout cas, il avait eu raison de faire attendre sa promotion, car cette après-midi avait été d’une richesse incroyable. Il se redressa alors, empoigna son ordinateur, ouvrit son éditeur de texte et écrivit son titre : « L’Homme et l’Animal ». Il passa alors un temps fou à écrire, mais ses doigts glissaient avec rapidité et fluidité sur les touches du clavier, comme s’ils étaient animés par une quelconque folie. Et après quelques heures de travail acharné, le journaliste avait finit son article en beauté car le paragraphe qui allait clôturer son article était aussi mystérieuse et philosophique que l’étrange après-midi que le journaliste avait vécu : « Sans Mal, pourrait-on définir le Bien ? Et sans Bien, aurait-on du Mal ? Faut-il donc à tout prix faire ce qui est bien ? Où tout cela ne dépend que de notre point de vue ? »

Et tout cela, était resté dans la tête du petit garçon qui avait écouté avec grand soin les deux orateurs magistraux, fallait-il faire tout cela « pour le plus grand bien » ?

6e Année - 17 ans - transgenre - Dynastie Blackbirds