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03 sept. 2019, 18:26
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Mes jambes tremblent. Par Merlin, je ne sais même pas ce que je ressens. Une fois, il y a si longtemps maintenant, Aodren m’a parlé de Charlie. Je l’ai haïs pour cela, je l’ai haïs par Merlin. Il m’a dit des choses horribles. Des choses qui m’ont fait mal. Aujourd’hui, il ne me fait pas mal. Non. il fait juste s’agiter mon coeur. Il réveille juste une colère qui n’a pas tellement de force. Il me rend seulement malade de gêne et d’horreur.

Avec un grognement, je me rassois dans mon fauteuil. Ainsi, c’est comme si mes frères me soumettaient. Je détourne mes sourcils froncés et croise les bras sur ma poitrine. Le silence est pesant. Zakary finit par s'asseoir lentement et il amène Aodren avec lui. Ils n’ont cesse de me regarder et moi je n’ai cesse de braquer mon regard sur la cheminée. Ma respiration s’apaise quelque peu. Mais l’horreur, elle, reste bien présente dans le secret de mon crâne. Je pense aux mots de mon frère. Vous avez l’air de bien être amies, non ?
Non, Aodren.
Ce n’est pas mon amie.
Ce n’est rien du tout. Et surtout pas une amie.
C’est juste Thalia. Dont la présence m’est aussi agréable que celle de Zikomo le soir.

« On est pas amies. » Je prends une inspiration profonde. « Et tu sais rien du tout. »

« Ok… »

Je lance un regard en coin à Aodren. Il a l’air penaud. Il trifouille les manches de son pull. Zakary me regarde et son air désapprobateur me fait froncer les sourcils.

« Qu’est-ce qu’y a ? » craché-je d’un air renfrogné.

« Elle est comment ? » demande mon grand frère en s'enfonçant dans le canapé.

La question me prend au dépourvu. Je regarde l’homme d’un air un peu idiot. Je cligne des yeux sans savoir que répondre. Aodren a arrêté de s’agiter et il regarde Zakary comme si une corne lui avait poussé sur le front. Je dois avoir à peu près la même tronche.

« J’t’ai dit qu’on était pas amie ! J’m’en fous d’comment elle est ! » Je soupire exagérément et toise mon frère avec ce que j’espère être un regard insolent.

Zakary se contente de me regarder. Je déteste quand il fait cela. Je sais qu’il joue. Je ne sais pas à quoi exactement, mais je le sais. Je m’enfonce dans mon fauteuil, l’air sombre. Le coeur palpitant, j’écrase ma lèvre entre mes dents. Un fin sourire apparaît sur les lèvres de l’homme. Près de lui, Aodren se la ferme et j’en viens presque à le regretter, lui et sa naïveté qui l’empêche de jouer avec moi.

« Tu t’en fous peut-être, sourit Zakary. Mais pas moi. Alors, elle est comment cette Thalia ? »

Mon coeur est un traître. Il s'accélère dans ma poitrine. Et ma mémoire est pire encore : elle me rappelle l’air que Thalia a sur le visage quand elle vient discrètement me rejoindre à la bibliothèque. Celui qui me force à toujours l’accepter près de moi.

« J’en sais rien du tout, » marmonné-je entre mes mâchoires serrées, le regard résolument tourné vers la cheminée.

« Tu n’en sais rien, répète Zakary. Bon. Aodren doit le savoir, lui, puisqu’il vous a vu. » Je me tords le cou pour regarder Zak. Son sourire me rend hors de moi. Il me jette une dernière oeillade avant de se tourner vers Aodren qui se fait tout petit. « Alors Aodren, elle est comment cette Thalia ? »

Le garçon ouvre la bouche mais ne dit rien. Ma bouche s’est tordue en une grimace de colère et son regard fait l’aller-retour entre notre frère et moi. J’espère que je l’effraie. S’il dit la moindre chose, je lui explose sa tronche d’abruti.

« Et bien ? Aodren, tu peux me le dire puisqu’Aelle veut pas. » Zakary me lance un regard sévère. « Tu peux bien refuser de parler, mais t’as pas le droit de décider de ce que veulent dire ou non les autres. »

Après un dernier regard, Aodren prend timidement la parole. Sa voix est si hachée qu’il me semble qu’il va s’étouffer. Si seulement il pouvait s’étouffer.

« Elle est à… à Poufsouffle, dit lentement Aodren. Et elle est en seconde année, je crois. » Mes sourcils n’ont jamais été aussi froncés. Je me tourne carrément de l’autre côté des abrutis qui osent être mes frères et je me promets de ne rien dire, de ne pas intervenir, de ne pas rentrer dans le jeu de Zakary. « Elle a de long cheveux noirs et sa peau est super blanche. »

*Pfff, il dit n’importe quoi*, me dis-je dans ma tête, même si je sais que j’ai tort. Les informations qu’il livre à Zakary me glacent le sang. Il connaît tant de chose sur elle. Il n’a pas menti alors. Il nous a vu. Il sait. Il sait quoi ? Pas grand chose après tout, il n’y a rien à savoir.
Sauf le baiser. Le rouge envahit mes joues à se souvenir. *Ne pense pas à ça !*, m’exhorté-je avec sévérité. Ce n’est absolument pas le moment.

« Ses yeux ? » demande Zakary. Je ne le regarde pas, mais je devine qu’il est tourné vers moi.

Je déteste ça, par tous les Mages, je déteste qu’ils parlent ainsi d’elle. Comme s’ils avaient le droit ! Il ne la connaisse pas. Pouvoir la décrire ne donne pas à Aodren le statut nécessaire pour parler d’elle devant moi. Il n’a pas le droit de me faire ça. Il n’a pas le droit de m’arracher mon secret. Il n’a pas le droit de l’exposer à Zakary. Et, par Merlin, il n’a absolument aucun droit de parler d’elle !
Dernière modification par Aelle Bristyle le 11 oct. 2019, 18:06, modifié 3 fois.

03 sept. 2019, 18:26
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
« Je ne sais pas, répond Aodren doucement. Je l’ai jamais approché. »

Vert. Ils sont verts. Et noirs. Et profonds. Et déstabilisants. Ils sont toujours très fixes quand ils me regardent. Si elle insiste trop avec ce regard, je finis toujours par baisser la tête. Non pas parce que je suis gênée, mais parce que je n’aime pas qu’elle me donne l’impression de lire en moi. Je déteste ça. Les yeux de Thalia, ils me rendent étranges. Ils me font penser à des choses que je n’aime pas. Comme le fait qu’elle connaît peut-être trop de choses de moi qu’elle pourrait utiliser comme elle le veut. Ou comme le fait que je ne suis pas la seule qu’elle regarde comme ça, c’est certain.

« D’accord. Aelle ? » Je frémis, mais je ne réponds pas à Zakary. « Aelle, tu veux continuer ? »

Je retiens mon cri avec beaucoup de mal. A la place, une boule douloureuse me tord le ventre.

« Va t’faire voir, » dis-je d’une voix amorphe.

« Ah. Pourtant, y’a que toi qui peut me dire si elle est gentille. Parce que tu sais pas ça toi, non ? Si elle est gentille ou pas ? »

« Non, répond Aodren. Je sais pas du tout, mais elle ressemble un peu à Aelle, elle est toujours un peu… renfermée. »

*Ferme-la !*
Je me retourne d’un bloc, l’air furibond. Mon sang me fouette les veines et la colère dégueule de ma bouche.

« Elle est pas du tout renfermée ! Tu comprends rien du tout alors ferme-la un peu s’tu veux pas qu’on parle à ta place sur Qu… sur… sur les gens qu’tu fréquentes ! »

« Elle est quoi alors, si elle est pas renfermée ? me fait Aodren en se penchant vers moi, toute timidité envolée. Hein ? Tu peux m’le dire ça ? Parce qu’à t’entendre on dirait juste qu’tu la connais pas, c’te Gil’Sayan ! »

Je me lève, les poings serrés.

« Elle est réservée ! » Je crie. Ma voix résonne dans la maison. Elle tremble, je l’entends. Comme mes poings. Comme mes lèvres. Je respire difficilement. Je ne veux pas qu’il parle d’elle, je ne veux pas qu’il dise n’importe quoi. Je la connais mieux que lui. Même si je ne sais pas grand chose sur elle. Aodren ne sait rien. Il ne sait pas qu’elle est gauchère, qu’elle range toujours trop bien ses affaires sur la table quand on révise, qu’elle n’aime pas que je m’étale de partout, qu’elle me voit jamais quand on se croise dans le couloir, qu’elle a toujours un livre sur elle, qu’elle n’aime pas le bruit, qu’elle n’aime pas plus les Autres que moi, qu’elle a les lèvres super douces, qu’elle dit souvent des trucs incompréhensibles, que son regard est parfois insupportable, qu’elle n’est pas aimé à Poufsouffle, qu’elle adore la magie, qu’elle n’a pas peur de…

« Et puis elle aime pas les gens, dégueulé-je pour arrêter le flot de mes pensées. Voilà ! » Je croise nerveusement les bras sur ma poitrine, ma colère se dissoudant au rythme des battements de mon coeur.

« D’accord, » me dit doucement Zakary. Il sourit. « Et… Tu passes du temps avec elle, alors ? »

Il me regarde avec la sincérité qui l’a toujours caractérisé. Il n’y a rien d’autre sur son visage. Ni la moquerie, ni le jeu. Seulement de l’intérêt. Ce Zakary-là ressemble plus au Zakary de mes courriers que jamais. Je hausse les épaules malgré moi, le coeur serré.

« Parfois, ouais. Quand on étudie. Ou... Enfin, voilà. Parfois. Comme ça. C’est tout. »

« C’est cool, » me fait Zakary avec un grand sourire. Il se reprend quand je lui jette un regard sombre : « Ce que je veux dire, c’est que j’suis content si tu t’es fait… Si t’as fait des rencontres. C’est tout. Je suis content. »

Je le déteste.

« Tu me parleras d’elle dans tes courriers ? »

Aodren me regarde de travers, mais pas méchamment. Comme s’il hésitait quant à la tête à porter devant moi. Zakary semble décidé à l’ignorer, alors je fais de même. Je hausse une nouvelle fois les épaules et lance un regard hésitant au Bel Abruti.

« Pas sûr, » marmonné-je. Puis, pour garder sauver les apparences : « J’pense pas. »

Mais Zakary semble avoir compris quelque chose dans mes mots, car il me sourit soudain et décroise les bras qu’il gardait serré contre son torse. En soutenant son regard noisette, je me fais la réflexion que ça me ferait plaisir de parler de Thalia dans mes hiboux. Après tout, je parle bien d’elle à Zikomo, non ? Pourquoi pas à Zakary ?

Les sourcils froncés je me lève et récupère le livre qui traine par terre, les pages retournés par la chute. Je le ferme et le cale dans mes bras. Je jette un dernier regard sombre à Zakary ; je lui en veux. Et en même temps, je suis heureuse. C’est débile, n’est-ce pas ? Pourquoi je serais heureuse de parler de Thalia ? De toute façon, ça sert à rien d’en parler. C’est cool les moments qu’on passe ensemble et alors ? C’est pas comme si ça m’apportait quoi que ce soit dans la vie.

Avant de m’en aller, je me poste devant Aodren. Le garçon dresse le dos devant mon regard et je le toise un instant sans ne rien dire. Puis, d’une voix froide et tremblante je lui assène : « La prochaine fois que tu insistes, j’t’envoie un sortilège en pleine poire, c’est clair ? »

Je n’attends pas sa réponse. Je m’enfuie dans l’escalier jusqu’à ma chambre. Tout là-haut, une fois la trappe refermée, une fois seule, je m’assoie sur le parquet et pose la tête entre mes genoux. Mon coeur palpite. Je me demande pourquoi, Merlin, pourquoi je ne suis pas en colère contre Zakary et Aodren d’avoir insisté pour que je parle de Thalia ?
Je suis tellement pitoyable de ne jamais passer du temps avec d’autres personnes qu’ils doivent absolument en parler lorsqu’enfin je partage mon temps avec quelqu’un, c’est ça ? Je leur faisais pitié en restant seule et ils pensent que puisque je parle enfin à quelqu’un je ne serais plus un cas désespéré ? C’est à ça qu’ils doivent songer, c’est certain. A leur petite soeur étrange qui ne parle jamais à personne et qui s’est enfin fait une amie. Se demandent-ils si elle finira comme Lisbeth ? La comparent-ils à Charlie ? Ao est-il content que ce soit Thalia et non pas la Gryffondor ?

Je pousse un grand soupir et m’allonge sur le sol de ma chambre. Tout en haut sur le plafond les poutres qui soutiennent le toit me narguent. Elles aussi me font songer à Poudlard. Je n’ai pas envie de penser à Poudlard. Je pose un bras en travers de mon visage et ferme les yeux.
Je ne veux songer à rien.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 15 oct. 2019, 17:51, modifié 2 fois.

03 sept. 2019, 18:30
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
« Elle me dit tout plein de chose, maintenant, je suis trop content ! Je crois qu'elle aime bien se confier à moi. »
(Zakary à Narym)


Dimanche 27 décembre
La Tour, Domaine Bristyle (Worcestershire)
3ème année


Au premier étage de la Tour, entre le palier et le couloir menant à la chambre de Papa et de Maman, se trouve un épais tapis décoré d’étranges volutes colorées. Il occupe tout le parquet disponible et les immenses bibliothèques qui habillent les murs règnent sur lui comme d’immenses spectres. Il n’y a guère que l’immense vitre, celle qui éclaire les volées d’escalier et qui donne sur l’avant de la maison, pour disperser leurs ombres. Et seule la silhouette des marches transpercent l’espace de part en part. Si l’on oublie les étagères qui croulent sous les livres et grimoires, il n’y a dans la pièce que deux fauteuils confortables et une table basse. Je ne suis assise sur aucun d’eux. Je préfère amplement me vautrer sur le tapis, le ventre plaqué contre le sol et le buste soutenu par mes avants-bras.

La lumière faiblarde du soleil a percé la couche des nuages et m’éclaire presque tendrement. Devant moi sont étalés des parchemins et des manuels ; je fais mes devoirs. La rumeur des discussions me provient du rez-de-chaussée. Narym et Natanaël sont rentrés chez eux il y a quelques heures, mais Zakary est encore là. J’entends sa grosse voix qui s’esclaffe et qui conte je ne sais quelle aventure. Il a toujours quelque chose à raconter, Zakary. Aodren aussi, songé-je en l'entendant rire. Il n’y a guère que Maman pour être plus discrète. Papa n’est pas là. C’est très rare que ce soit lui l’Absent et Maman la Présente. Une urgence quelconque l’a rameuté au Dôme Libre. Il rentrera bientôt, contrairement à Maman qui, lorsqu’une urgence l’appelle loin de la maison, ne revient de l'hôpital que très tard dans la nuit.

Penser à Papa me rappelle la proposition que j’ai faite à Peers avant de partir : il faut que je pense à trouver des photos de la librairie de Papa. Peut-être les montrerais-je à Peers à mon retour. Ou peut-être pas. Je repousse ces pensées, m’efforçant d’ignorer le malaise que l’idée de mon retour au château produit toujours.

Je me remets au travail. J’ai écrit cinquante centimètres de parchemin pour le cours de métamorphose et au vu de toutes les idées qui grouillent dans ma tête et tout ce que j’ai déjà annoté sur mon brouillon, je suis bien partie pour dépasser les quatre-vingt-dix demandés. Comme toujours.
J’étais heureuse de m’éclipser pour me mettre — enfin — au travail, cet après-midi. Me pencher sur mes devoirs m’a toujours apaisé et cette fois n’y fait pas exception. Je me suis oublié avec bonheur dans mes recherches et dans ma rédaction sérieuse. Lorsque Nar est venu me dire au revoir, rapidement suivit par Natanaël, j’ai été surprise de voir que tant de temps était passé depuis que je m’étais installé sur mon tapis. Le temps est toujours rapide lorsque les études m’appellent. C’en est presque frustrant.

Les voix au rez-de-chaussée se font plus fortes. Zakary s’en va-t-il ? Va-t-il monter me dire au revoir ? Je grimace légèrement, peu désireuse d’être interrompu en pleine rédaction. Je jette un coup d’oeil par la vitre que j’aperçois entre deux marches ; il est encore bien tôt pour que mon aîné s’en aille : n’a-t-il pas dit qu’il aiderait Aodren à peaufiner je ne sais quel sortilège ? Je tends l’oreille et ne m’apaise que lorsque les bruits s’éloignent. Je devine que tous se sont déplacés dans la véranda ou ailleurs dans la maison. Bientôt, plus aucun bruit ne m’est perceptible de là où je me trouve. Un sourire traverse mes lèvres ; je serais tranquille encore un moment.

Je finis mon devoir de métamorphose sans que rien ne vienne me déranger. J’ai vaguement entendu la porte du sous-sol s’ouvrir, signe que Maman est descendu travailler dans son laboratoire. Quant à mes frères, sans doute sont-ils sortis. Le calme est limpide dans la maison. Ma respiration est le seul son qui remplit l’espace. Je roule mon parchemin et le pose dans un coin. Je me redresse enfin, mes membres hurlant de mécontentement. Je m’étire avec un soupir d’aise, fière de mon travail. Je fais quelques pas dans la pièce pour dégourdir mes jambes.

Puis soudain, alors que j'observe la pièce, une pensée traverse mon esprit : *Zikomo connait pas c’t’endroit !*. Depuis que je suis revenue à la Maison, je n’ai que peu parlé au Messager des rêves. Déjà, parce que je suis bien trop prudente : personne ne rentre dans ma chambre sans mon autorisation, mais si je me mets à parler sans raison, quelqu’un finira par débarquer. Ensuite, parce que je n’ai guère eu le temps. Si Zikomo a découvert ma chambre avec énormément de plaisir, il n’a pas caché sa curiosité quant au reste de la maison. Je n’ai pas eu besoin d’insister pour lui ôter l’idée de la tête : il est assez prudent pour  refuser de lui-même de se balader à la vue de tous. Mais j’ai envie, tout comme lui, de lui montrer mon chez moi ; je veux qu’il découvre cet endroit, la Tour, qui est mon lieu préféré dans toute la maison.

Hésitante, je tends l’oreille. Quel risque y a-t-il d’invoquer Zikomo ici ? Personne n’est dans la maison et si quelqu’un se décide à venir, je l’entendrais arriver avant même qu’il ne pose un pied sur l’escalier. Le coeur rendu fou par la perspective de parler à Zik’, je plonge une main dans ma poche pour en sortir le talisman. A peine ai-je le temps de m'exhorter à la prudence que ma décision est prise : une petite boule lumineuse sort du talisman et Zikomo apparaît devant moi, sur le tapis.

Mon coeur bat à toute vitesse dans ma poitrine. Un sourire tremblant sur les lèvres, je m’accroupi devant la créature. Le petit renard regarde autour de lui et ses oreilles s’aplatissent sur ses oreilles en découvrant la pièce qui l’accueille.

« Aelle, ce n’est pas ta chambre, » me dit-il d’une voix craintive.

10 sept. 2019, 16:24
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
« Je sais, souris-je. C’est la Tour ! Je t’en ai parlé ! »

Je suis si excitée que je dois me concentrer pour réussir à parler à voix basse. Je trépigne d’impatience de tout raconter sur ce lieu à Zikomo. Mais le petit ne partage pas mon enthousiasme. Il pose sur moi un regard sérieux et ses petits yeux me font instantanément regretter ma décision. Et si quelqu’un nous surprend ? semble vouloir me dire son regard.

« T’inquiète, chuchoté-je malgré tout en m’approchant. Y’a personne. M’man est au sous-sol et Zak et Ao sont dehors. Tu vois, y’a qu’nous. »

Il regarde autour de lui avec méfiance et hésitation. *Il va vouloir rentrer*, me dis-je dans le secret de ma tête. J’en suis persuadée. Déjà, mon excitation retombe, remplacée par la crainte que l’on nous découvre. Mon idée était idiote. Une moue me déforme le visage. C’est bon, vais-je dire, on s’reparle ce soir dans la chambre, s’tu veux. Mais à peine ai-je le temps d’ouvrir la bouche que le petit renard s’éloigne de moi en un improbable bon pour atterrir sur l’une des étagères. Je me redresse, surprise, et quand il se tourne vers moi un air mutin a remplacé son inquiétude. Un sourire réjoui me déforme le visage ; il reste.

« Je veux bien que tu me fasses visiter, s’il-te-plait, » me dit-il de sa petite voix.

Je me mets aussitôt sur mes pieds, surexcitée. Comme il en a pris l’habitude (sans mon accord, cela va sans dire), Zikomo vient s’installer sur mon épaule. C’est étrange de le voir si près de moi, mais de ne rien sentir. Pour une fois, ce n’est pas à lui de parler ; il enroule son épaisse queue autour de ses pattes et me regarde d'un air sérieux. Je me redresse, prenant mon rôle à coeur. Je me déplace dans la pièce pour qu’il ne perde pas une miette du spectacle.

« On n’appelle pas cet endroit et l’étage au-d’ssus la “Tour” parce qu’on est dans une tour, commencé-je à raconter en liant mes mains derrière mon dos, mais parce que Papa dit qu’la lecture nous permet d’nous élever. »

« Il a raison, » intervient le renard, sage.

Je le foudroie du regard.

« Ne m’interrompt pas ! »

Ses moustaches frémissent : « Tu m'interromps toujours quand je parle. » Si Zikomo était humain, sans doute m’aurait-il fait les gros yeux. Mais il ressemble à un regard et il a toujours l’air trop sérieux.

« Ouais, mais moi c’est pour poser des questions censées… Donc, la Tour, c’est Papa qui l’a créé. Il dit toujours que… »

Merlin, je n’ai jamais autant aimé parler que depuis que Zik partage ma vie. Avec les Autres, c’est désagréable, mais avec lui je ressens toujours un bonheur immense qui me tord le coeur. Il me donne envie de rire, il me donne envie de pleurer, de lui raconter tout ce que je sais pour ne serait-ce que m’assurer qu'il ait toujours la curiosité de rester avec moi. Il a toujours des questions à me poser et mieux encore : il a toujours des choses à me raconter ; sur Uagadou, sur le temps passé, sur la magie, sur les personnalités qu’il a côtoyé (pas trop à ce propos, je n’aime pas croire qu’il a été aussi proche d’un Autre qu’il l’est de moi). Quand la prudence nous le permet, nous restons des heures tous les deux. Parfois, on ne parle même pas. Mais ce n’est pas grave, je n’ai pas besoin de parler avec lui. J’ai juste besoin qu’il soit là. Parfois, je le regarde et je me dis que je suis bête. Qu’il est exceptionnel et que Nyakane finira par revenir. Elle me le prendra en me remerciant d’avoir pris soin de lui et elle l'emmènera loin de moi. Peut-être est-ce la seule chose que Zikomo attend : savoir pourquoi il est obligé de rester à Poudlard tenir compagnie à une gamine qui ne sait pas grand chose du monde et qui finit toujours par l’envoyer se faire voir. 

Zik, il ne se met jamais en colère. Même quand je lui dis qu’il n’est qu’un idiot. Même quand je l’insulte d’abruti. Même quand je lui cri de dégager. Il se contente de s’en aller et quand je le rappelle le lendemain, il me demande si je vais mieux. Zik, il est mieux que tous les Autres réunis. C’est le seul qui Sait et qui comprend ce que je suis. Est-ce que ça veut dire qu’il est le seul à m’aimer ?

24 sept. 2019, 20:18
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 

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Zakary Bristyle
27 ans


L’homme monte les marches deux à deux. Le soleil s’est couché et le bout de son nez est engourdi. Zakary ne se réchauffe pas : dans dix minutes tout au plus, il sera chez lui. Il avale les dernières marches qui le séparent du premier étage, se souvenant avec nostalgie de toutes les années qu’il a passé dans cette maison. Avant d'atteindre le palier, il tente de calmer les battements frénétiques de son coeur. Il a refusé qu’Aodren monte avec lui pour dire au revoir à leur jeune soeur. L’homme a balayé la déception du garçon d’un geste du bras : il veut passer un peu de temps avec Aelle, sans tous les autres. Mais c’est avec crainte qu’il monte la rejoindre, car il n’est que trop habitué à faire face à son comportement lunatique.

Non sans honte, il se stoppe sur le palier. Sur la pointe des pieds, il jette un coup d’oeil à l’étage. Un sourire s’affiche sur ses lèvres lorsqu’il aperçoit l’enfant accroupi dos à lui, occupée à fabriquer il-ne-sait-quoi. Une idée terrible remonte alors des abysses de son esprit ; il n’y résiste pas. Zakary ne peut jamais résister aux idées idiotes que lui soumet sa conscience ; il les aime bien trop pour cela. Trépignant, il s’apprête à bondir dans la pièce pour surprendre Aelle. Il sait pourtant que l’idée est mauvaise. Qu’Aelle est susceptible. Qu’il va l’agacer. Mais il ne peut pas s’en empêcher ; et le comportement d’Ely, ces derniers jours, ne l’a-t-il pas convaincu qu’elle est désormais moins renfermée ?

Qu’importe sa conscience ? L’homme va mettre son plan à exécution. Il n’y a qu’une chose qui l’arrête : un murmure aussi discret que le vent. Il se fige dans l’escalier, se levant sur la pointe des pieds pour regarder ce que trafique Aelle. Il tend l’oreille.

« … et la tapisserie est une idée de Narym qui en avait marre que la pièce soit si glauque. » Zakary jette un oeil sur la tapisserie qui fait face à l’escalier et donc à lui ; elle représente une forêt, un fleuve qui la traverse et un bateau qui tombe magiquement du haut vers le bas, à l’infini. « Moi j’trouve pas qu’c’est glauque, continue Aelle, au contraire. »

Fronçant les sourcils, Zakary grimpe les dernières marches et apparaît sur le palier. La réaction d’Aelle est instantanée : elle sursaute et pousse un cri. L’homme ne peut désormais plus se cacher. Il affiche un sourire pour cacher son trouble.

« A qui tu parles ? » demande-t-il en se tordant le cou pour apercevoir ce que l’enfant cache.

Il ne voit rien, si ce n’est le visage blafard de la jeune fille qui le regarde avec ses grands yeux sombres. Elle attrape quelque chose devant elle et le fourre dans sa poche. Aussitôt, elle se lève. Elle a l’air bouleversée et coupable, mais Zakary ne lui en fait pas la remarque.

« Rien du tout, s’écrit-elle. Tu veux quoi ? »

L’homme s’approche, regarde autour de lui et ne voit rien de suspect dans la pièce.

« T’étais bien en train de parler, non ? demande Zakary. Tu faisais quoi ? »

07 oct. 2019, 08:55
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Aelle rougit. Par Merlin, avant il adorait la faire rougir. Inexorablement, elle finissait toujours par s’énerver. Mais aujourd’hui, il ne veut pas qu’elle se renferme. Il grimace légèrement et se force à sourire pour ne pas la brusquer. En réalité, il se fout de ce qu’elle cache. Mais il aurait bien aimé, pour une fois, qu’elle se confie à lui. Comme dans ses lettres. Ne lui a-t-elle pas fait comprendre une fois — peut-être en septembre ? Il ne s’en souvient plus — qu’elle était malheureuse ? Il a tout fait pour la réconforter. Et si elle n’en a jamais reparlé, il a cru comprendre qu’elle lui en était reconnaissante. 

« Je dirais rien, insiste l’homme, promis. »

Elle hésite. Sa lèvre disparaît, écrabouillée par ses dents. Elle fait toujours cela quand elle hésite. Le seul moyen de comprendre cette enfant a toujours été l’observation. Sans cela, impossible de saisir ce qu’il se déroule dans sa tête. Zakary connaît Aelle. Il devine ses pensées. Et souvent, il joue avec. Il aime bien la titiller. Ces dernières années, c’était pour la faire sortir de son état insupportablement sombre. Il voulait qu’elle explose, qu’elle crie, qu’elle frappe. Tout plutôt que d’afficher son air noir qui ne parlait que trop bien de la colère qu’elle ressentait. Et il y arrivait, Zakary, à la faire sortir de ses gons. Il la détestait alors, car il était incapable de ne pas s’énerver à son tour — il lui était insupportable de la voir crier sur la famille comme un chien enragé. Mais Aelle a changé. Et Zakary n’a plus envie de la faire crier, ni même de la détester. Non, il veut la serrer contre lui et lui dire combien il aime.

Quand Aelle fronce les sourcils, Zakary comprend qu’elle n’hésite plus. Son coeur se voile en constatant que même après ces mois à échanger des hiboux quasiment toutes les semaines, elle le repousse encore.

« Je t’ai dit que c’était rien ! »

Elle sert les poings. On dirait un petit animal en colère. Zakary ne fait rien pour cacher sa grimace de déception ; la douleur est trop forte dans son coeur pour qu’il la repousse. Et il est trop sincère pour cacher quoi que ce soit, même à Aelle.

« Soit, » dit-il difficilement.

Puis il se tait, car les mots le démangent : tu ne me fais pas confiance ? veut-il crier. Oui, il veut crier. Lui aussi est prompt à la colère. Mais il se contrôle et un silence inconfortable s’installe entre eux. Quand Zakary trouve le courage de regarder sa soeur, il la trouve les bras croisés sur sa poitrine et la tête baissée vers le sol. Il n’a rien à dire et le temps continue sa course, étirant derrière lui la pression désagréable de la gêne. Un soupir pourfend l’air. Il provient de l’enfant. L’homme retient la remarque sarcastique qui lui vient à l’esprit quand Aelle fait un pas vers lui. Le regard de la fille est sauvage, mais sa bouche est entrouverte, comme si elle voulait parler sans pourtant trouver les mots pour le faire. Zakary la regarde sans moufter : qu’elle cherche donc ses mots, ça lui fera les pieds. 

« Je… T’es v’nu me dire au revoir ? » marmonne l’enfant.

Mauvaise question ! hurle la tête sournoise de l’homme. Qu’elle continue donc ses efforts pour lui faire oublier son odieux mensonge ! Zakary aurait pu s’en vouloir de jouer à l’enfant, mais le fait est qu’il est sincèrement blessé du manque de confiance d’Aelle. Cette dernière finit par lever les yeux au ciel. Cela déstabilise son frère. Il oublie trop souvent qu’Aelle aussi commence à le connaître. Elle perd son air perdu timide. Elle gonfle les joues et harasse son frère d’un regard noir.

22 oct. 2019, 16:40
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
« Bon bah au r’voir, ok ? »

Sa voix tremble. Zakary grimace en direction de l’enfant.

« Bon c’est bon, d’accord. Je m’en fous si tu veux pas me dire. » Sa voix se déverse. Il abandonne. Il ne s’en fout pas réellement. Mais il ne veut pas se fâcher avec Aelle. « Je viens te dire au revoir, en effet. »

Il quitte sa position de statue et s’approche de l’enfant. Il soupire doucement : c’était bien plus facile quand ils se trouvaient à des centaines de kilomètres l’un de l’autre et qu’il avait le temps de peser les mots qu’il lui écrivait.

« C’est cool de te voir, » souffle-t-il néanmoins, repoussant la rancoeur qui ne le lâche pas.

« Ah ouais ? » fait Aelle et il sent qu’elle aussi ressent de la rancoeur.

Ça y est, lui dit sa conscience, elle te teste. Zakary reconnaît le regard noir avec lequel le sonde Aelle : elle veut démêler la vérité du mensonge. Un sourire transparaît malgré lui sur ses lèvres ; sa soeur ne se rend même pas compte que son amour pour eux est visible dans ses paroles et ses gestes. Zakary se demande, encore une fois, comme il a fait ces dernières années pour croire que sa soeur les détestait réellement. C’est pourtant flagrant qu’elle recherche constamment une preuve de leur amour ! (et qu’ainsi, elle prouve le sien). L’homme fait quelques pas dans la pièce, observant les dos des livres l’air de rien.

« Tu m’as manqué, dit-il d’une voix légère. Et ça me fait plaisir de passer du temps avec toi. »

Il jette un regard à l’enfant : elle le regarde sans réagir. La confiance de l’homme manque de s’ébranler. Il se le cache, mais son coeur bat à mille à l’heure dans sa poitrine. Il aimerait qu’Aelle le ressente pour qu’elle comprenne à quel point il est sincère. Mais elle ne dit rien et Zakary se sent obligé d’insister — sa sincérité aurait de toute façon finit par l’y obliger.

« Ça te dérange si je reviens demain ? »

Depuis quand demande-t-il, par Merlin ? S’il veut revenir, il reviendra ! Mais le regard d’Aelle s’éclaire.

« Mais… Tu travailles ! » s’exclame-t-elle.

« Pas le soir, » répond son frère en souriant largement.

« Bah… S’tu veux v’nir tu peux. » Elle baisse la tête. Ce n’est pas la réponse que Zakary attend. Elle le sait. Il sait qu’elle le sait. Elle finit par lui jeter un regard noir derrière ses cils. « Je veux qu’tu r’viennes demain, » avoue-t-elle finalement entre ses dents serrés.

Les mots semblent lui être arraché de force, pourtant ils font sourire Zakary comme un fou. Son coeur rebondit dans sa poitrine et le bonheur fait brûler son sang dans ses veines.

« Super ! » s’exclame-t-il et même la grimace excédée de sa soeur à laquelle il vient de soutirer cet aveu ne saurait lui enlever sa joie.

Plus tard en transplanant chez lui, Zakary se remémore avec bonheur cette conversation. Les échanges avec Aelle sont un combat perpétuel. Lui, sang-chaud, a toujours du mal à ne pas réagir au quart de tour, à ne pas forcer Aelle à être aussi sincère que lui. Mais ce soir, il n’a pas eu besoin de se retenir — pas trop, du moins — car Aelle était aussi contente que lui d’être là où elle était. Il en est certain ; il l’a ressenti.

04 déc. 2019, 10:22
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Oser aimer


Mardi 29 décembre 2043
Domaine Bristyle (Worcestershire)
3ème année



En quittant le bureau, j’adresse un sourire à Stalbeck. La femme me regarde toujours avec insistance lorsque je m’en vais ; ses lunettes sont alors basses sur son nez et elle me surveille par dessus les verres. Mais je sais que ce n’est pas tant de la surveillance que l’assurance que je quitte la pièce en sûreté. Malgré moi, j’ai fini par comprendre ce qu’elle voulait réellement. J’ai arrêté de la détester. Et malgré moi, j’ai cessé de lui faire croire que je la détestais.

Un jour, lors de l’une de mes visites qui ont fait suite à mon renvoi du château, je suis resté toute la séance le nez collé à la fenêtre, à regarder les enfants jouer dans le parc enneigé. Comme la toute première fois où je suis venue, je n’ai pas dit un mot. Rien du tout. Et Stalbeck n’a pas essayé de me parler. Pas même pour me rappeler la Règle des Deux Questions, l'Accord que nous avions établi il y a si longtemps. Elle s’est contentée de s’occuper dans son coin. Lorsque j’ai voulu quitter le bureau, elle m’a arrêté pour me demander pourquoi je n’avais pas parlé. Je me souviens avoir pensé que c’était une question débile et que si elle voulait savoir, elle n’avait qu’à poser la question plus tôt. Je n’avais pas l’intention de répondre, mais c’est là qu’elle m’a rappelé la Règle. « Une question, Miss Bristyle. J’en ai droit au moins à une. » Je ne pouvais pas aller contre ces mots, nous avions scellé un pacte elle et moi. Alors je lui ai répondu que je la détestais et que je ne voulais plus la revoir, voilà pourquoi je n’avais pas parlé. Cela faisait quelques semaines que j’étais rentré à la Maison et c’était l’une des premières fois où j’étais autorisé à quitter le Domaine pour faire autre chose que d’aller au Dôme Libre ou à Sainte-Mangouste.
Je n’en pouvais plus.
De tout.
Et Stalbeck a toujours été un très bon défouloir. Alors je lui ai gueulé ces mots et je me suis barré. La semaine suivante, j’ai bien été forcée de retourner à son bureau. A peine arrivée qu’elle a parlé. C’est rare. D’habitude, elle attend que je m’installe, que je prenne mes aises. Elle m’a dit : « Je ne pense pas que vous me détestiez, Miss Bristyle. » Moi, je n’ai rien dit. Il n’y a pas mieux qu’une psychologue pour faire la conversation, je l’ai bien compris. Et cela n’a pas manqué. « Je pense que vous préférez que ceux qui vous entourent pensent que vous êtes en colère plutôt que triste. Et quelle meilleure façon de tromper les gens que leur dire qu’on les déteste ? ». Nous n’avons jamais plus évoqué cet épisode, mais j’ai bien saisis qu’elle avait compris que je ne la détestais pas vraiment. Bien plus vite que moi. Moi, c’est venu plus tard. Avec le temps et les séances, j’ai arrêté de lui mentir. Pas toujours. Parfois, je lui dis des énormités, juste pour… Je ne sais pas.

Je ne sais plus pourquoi je viens ici. Je me souviens seulement que Papa me répète à chaque fois que cela me fera du bien. Et moi, je lui dis que je n’en ai pas besoin, que je ne veux plus y aller, que j’en ai marre. Mais je finis par y retourner, car je n’ai pas le choix. Et je ne regrette jamais. Je ne suis pas bien sûre que cette Stalbeck ait réussi quoi que ce soit avec moi ; je pense seulement que l’on s’habitue à tout. La semaine dernière, je pensais n’avoir rien à dire et pourtant nous avons parlé toute la séance. Elle a tout de même finit par en appeler à notre Accord pour que je réponde à ses questions désagréables, elle le fait toujours. Elle ne m’a pas parlé de Charlie. A vrai dire, nous n’avons pas parlé de grand chose. C’était agréable.

Je laisse le secrétaire m’accompagner vers la cheminée. Je ne l’ai jamais aimé, lui et son petit regard nerveux. Il me fourre une poignée de poudre de cheminette dans les mains et se poste devant moi pour être sûr que je disparaisse comme il faut. Avant, Papa m’accompagnait à mes séances. Il attendait dans la salle d’attente que je sorte. Mais cela fait quelque fois qu’il me laisse me débrouiller. C’est bien mieux ainsi. Je lance un regard goguenard à l’homme qui me regarde avec son air pincé et jette la poudre en criant : « Domaine Bristyle ». Aussitôt, les flammes m’emportent.

J’atterris maladroitement dans le salon, la gorge en feu et les yeux plissés. Papa m’accueille avec un grand sourire ; il pose ses documents sur la table et secoue sa baguette vers moi pour me débarrasser de la suie qui recouvre ma cape violette. Je marmonne un remerciement avant d’envoyer ladite cape rejoindre l’entrée. La maison est calme. Maman travaille et Aodren doit être dans sa chambre. Je vais jusqu’à la cuisine attraper une friandise dans le bocal qui trône sur une étagère. Papa ne dit rien, mais je sais qu’il finira par me poser des questions. Je reviens vers lui et prends place dans un fauteuil.

08 déc. 2019, 18:30
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Je fais référence, dans ce texte et ceux qui suivront, à un moment qui s'est déroulé avant les vacances de Noël entre Aelle et Herminie Peers. Le RP en question étant chez les Poufsouffle, il n'est pas disponible mais peut l'être sur demande. Pour résumer : suite à une conversation, Aelle a dit qu'elle montrerait à Herminie des photos du Dôme Libre, la librairie de son père. 

« Tout va bien ? me demande l’homme en tisonnant la cheminée. Ta séance s’est bien déroulée ? »

Je hausse les épaules. Je n’aime pas parler de là-bas. A vrai dire, je n’aime pas tellement penser à ce qu’il s’y passe non plus.

« Normal, » marmonné-je en grignotant mon Fondant du Chaudron.

Papa se contente de me sourire avant d’en revenir au feu. Je le regarde, songeuse. C’est peut-être le moment. Celui de lui parler, celui de lui demander. J’attends de le faire depuis que je suis rentrée. A vrai dire, le premier soir j’y ai pensé toute la soirée mais tout le monde était là et je ne voulais pas qu’ils me posent des questions indiscrètes. Je n’avais pas envie d’entendre des « Tu t’es fait une amie ? » ou encore des « J’espère qu’elle te supportera » ou tout autre phrase débile et mensongère. Alors je n’ai rien dire. Et les jours passant, je n’ai pas trouvé la force de le faire. On était tous si bien, et c’était si agréable d’oublier Poudlard et ses habitants, si agréable de n’être qu’Ely, si agréable de jouer au quidditch ou aux échecs avec mes frères. C’était bien trop agréable pour que je gâche ce moment en parlant de Peers. D’ailleurs, je n’ai pas envie de gâcher cet instant-là non plus, mais j’ai fait une promesse et je ne veux pas la briser. Je ne le peux pas.

« Dis, P’pa ? dis-je mollement en regardant mon Fondant. T’sais y’a une fille à Poudlard qu’a son père qui est libraire. »

Pas le temps de réfléchir à la façon dont je peux amener le sujet. Autant être directe, ce sera plus facile. De toute façon, s’il refuse, je sais où il range toutes les photos de la famille. Ou j’irais dans son bureau. Je sais que trône sur sa table un cadre dans lequel nous posons tous devant le Dôme Libre.

« Ah ? » répond Papa en retournant s'asseoir sur le canapé. Il me regarde en souriant, les jambes étalées sur la table basse devant lui. Il a l’air serein. « Comment est-ce qu’il s’appelle ? Peut-être que je le connais. »

« J’pense pas, marmonné-je. C’est un moldu. »

« Et le nom de sa librairie ? »

« Mh… » Je m’en souviens parfaitement. L’Aquarium. Et je me souviens très bien également de la proposition de Peers de venir visiter l’endroit avec mon père. « L’Aquarium. Mais c’est pas là. Enfin, c’est euh… Sur l’île de Guernesey. »

« L’Aquarium, répète pensivement Papa. Le nom me plait. » J’éprouve face à ces mots une brusque jalousie. Sans savoir pourquoi. « Tu penses qu’il a choisi le nom pour la théorie de l’aquarium de Foster Garfield ? Tu sais, celle qui affirme que dans le monde il n’y a que deux dire… »

Je grimace en interrompant Papa : « J’connais bien la théorie d’Garfield, P’pa, c’est bon. » Et je ne l’aime pas du tout et Papa le sait pertinemment bien. Le léger sourire qui s’affiche sur ses lèvres me le prouve. Je n’ai jamais aimé cet homme, Foster Garfield. Il ne sait pas enlever les œillères qui l’empêchent de voir le monde dans son ensemble. Et comme l’abruti qu’il est, il pond des théories aussi grosses que son ignorance. Je soupire. « L’Aquarium, c’est parce que… Peers a dit que là-bas quand il pleut beaucoup c’est comme si on était sous l’eau. »

Mon coeur se soulève. Voilà, je l’ai dit. C’est impossible que Papa ne me demande pas de qui je parle. Je baisse les yeux sur mes mains pour ne pas voir le regard qu’il va bientôt me lancer. Mon coeur bat à tout rompre dans ma poitrine. Merlin, ce que je n’aime pas parler de moi.

« Peers ? me demande Papa. Tu veux me dire qui c’est ? »

Il a la voix douce et soyeuse. Il parle doucement. Je sais qu’il va attendre, désormais. Papa, il attend toujours. Il attend que je décide de parler. Il attend que je choisisse mes mots. Il attend que mes pensées prennent forme. Parfois, il ressemble beaucoup à Stalbeck. Je déteste ça.

« Tu r’ssembles trop à Stalbeck, c’est chiant, » grogné-je en engouffrant le reste de mon Fondant.

Je mâche en regardant par la fenêtre à côté de la cheminée. Le vent qui fait souffler les arbres est bien plus intéressant. Mais le rire de Papa me force à me retourner. Une moue agacée s’inscrit sur mon visage, mais je me garde bien d’exprimer ma colère face à Papa. Il ne me laissera pas faire, lui.

« Miss Stalbeck, tu veux dire ? dit-il pour me rappeler la marque de respect que je suis censé lui devoir. Et au lieu de chiant, tu pourrais dire agaçant, par exemple. »

Je grogne et hausse les épaules. Le regard de Papa est sévère, mais je vois bien que son sourire n’est pas prêt de quitter ses lèvres. Pour qu’il me lâche, j’acquiesce et alors son sourire se fait plus grand. Merlin, qu’il peut-être aga… Chiant, quand il le veut. 

10 janv. 2020, 18:50
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
« Pourquoi est-ce que je lui ressemble ? »

« Bah ! fais-je en haussant les épaules, j’sais pas. » En fait, je sais très bien. J’aurais dû me taire. « C’est juste que t’es trop… Attentif. C’est tout. Et euh… Alors, Peers ? »

Merlin, Aelle ! Je suis idiote. Papa se redresse et me lance un regard curieux. Merlin, pourquoi ai-je dis cela ! Je me fourre moi-même dans une position qui ne me plait pas.

« Oui, Peers, souffle Papa en hochant la tête. Cette personne a un prénom ? »

Cet homme a le chic pour poser des questions inutiles. « On s’en fout, grogné-je. Elle s’appelle Herminie, voilà. Et puisque tu vas d’mander, elle est à Poufsouffle, elle aussi. »

Je regarde les mains que Papa croise devant lui pour éviter de tomber dans son regard. Déjà, je sens mes joues devenir rouge. Je me demande si Papa me regarde avec pitié. Je sais combien il aimerait que je sois plus comme Aodren à parler de tous mes amis, à raconter mes frasques, à montrer combien ma vie est remplie d’Autres et d’animations. Mais je ne suis pas comme ça, moi. Je n’aime pas les Autres, moi. Je ne suis pas comme eux, comme mes frères. Ni même comme Papa et Maman. Même Maman aime plus les Autres que moi. Même elle se débrouille mieux que moi dans la vie. Moi, je ne suis que cette pauvre enfant qui s’est faite virer de Poudlard parce qu’elle a insulté un invité, je ne suis que cette enfant qui n’a personne. *Sauf Thalia*. Thalia. Penser à elle me réchauffe légèrement le coeur. Et la douce voix de Papa qui s’élève près de moi suffit à dégeler le reste de mon palpitant.

« Je suis content de le savoir, souffle-t-il. Et donc… Euh… Comment tu l’as connu ? »

Je hausse les épaules, le regarde par dessus mes cils ; il a l’air normal. Mais Papa est un adulte, il sait mentir.

« Bah j’ai… Euh… » Comment répondre à cette question sans parler de Pagowk et sans devoir avouer que les Autres me sont si douloureux ? « J’ai trébuché sur sa valise et… Voilà, elle s’est mise à m’parler. »

« Et elle est gentille ? »

Mais c’est quoi ces questions débiles ? Je jette un regard courroucé à Papa qui me regarde d’un air penaud. On s’en fout qu’elle soit gentille ou non ! Ce n’est pas du tout de cela dont je veux parler. Pourquoi Papa parle-t-il de choses aussi débiles alors que je lui ai dit que son père était libraire ? Voilà qui aurait dû l’occuper suffisamment.

« Mais P’pa ! geins-je. C’est pas important ! » Je soupire. « C’est pas c’que j’voulais te dire ! J’voulais parler d’son père libraire ! »

« Ah ! » Il se redresse sur son siège, passe une main dans ses cheveux sombres. « Et bien parlons de son père libraire, » me dit-il en me lançant un sourire désarmant.

Je le regarde d’un air interdit avant de reprendre : « Euh… Ouais. Donc euh… J’lui ai parlé du Dôme Libre et elle m’a dit qu’son père bah… Comme c’est un moldu, il peut pas v’nir voir. » Je laisse passer quelques secondes pour trouver mes mots. « Et j’lui ai dit que j’ramènerais des photos pour qu’elle les file à son père. Pour… Tu vois, pour qu’il découvre la librairie, quoi… J’sais pas trop pourquoi j’ai dit ça… Mais enfin… » Je devrais me taire. « J’sais que t’as plein d’photos, et puis ça fera de la pub, et puis… » Je me tais, enfin, et baisse la tête sur mes doigts qui jouent avec le bout de ma robe de sorcière.

Mon coeur bat désagréablement dans ma poitrine. Je me sens me liquéfier. Qu’est-ce qui m’a pris de demander ça à Papa ? J’aurais dû aller chercher les photos de moi-même et tout aurait été bien plus simple.

« J’ai plein de photos du Dôme Libre ! s’exclame Papa en se levant sous mes yeux ébahis. Tu veux qu’on aille fouiller dans les albums ? Je te dupliquerais celles qui te plaisent et tu pourras les donner à Herminie. Cela te convient ? »

Son enthousiasme me laisse béate. Mais je ne devrais pas, n’est-ce pas ? Après tout, c’est de Papa dont il s’agit. Papa est toujours heureux lorsque cela concerne sa librairie. Et Papa ne pose jamais plus de questions indiscrètes que nécessaire.

« Euh… Ouais… Ok. »

Je me lève à sa suite. Seul son grand sourire heureux me force à le suivre. Il s’engouffre dans les escaliers menant aux étages, babillant joyeusement des albums que Maman et lui tiennent depuis qu’ils se connaissent. Il ne s’arrête de parler que lorsque nous nous retrouvons tous deux avachis dans les fauteuils de la bibliothèque de la Tour, au premier étage, une pile d’albums posée sur la table devant basse. Là, mon coeur qui s’emballe dans ma poitrine me force à parler. Et je ne sais pas si c’est mon espoir qui me pousse à m’exprimer ou la promesse qui me lie à Peers.

« Elle… Elle… » Merlin. J’en perds mes mots. Papa me regarde avec curiosité. Moi, je reste bouche bée, incapable de savoir comment formuler mes pensées. Il faut que Papa me souffle : « Oui ? » pour que je me décide à dégueuler ma phrase, le regard baissé sur les photos qui me sourient : « Elle m’a… Nous a invité. J’veux dire… A v’nir voir… L’Aquarium. »

Je sens mes joues se recouvrir du rouge de la honte. Je ne sais même pas si je veux y aller, dans cette librairie. Je sais seulement que je suis perdue et que j’aimerais, juste pour cette fois — promis ! — que Papa décide à ma place. Ce n’est pas trop demandé, non ? S’il décide à ma place, je pourrais dire que c’est de sa faute si Peers décide tout à coup de ne plus vouloir que je vienne. Je pourrais dire : j’m’en fous, c’est mon père qui m’avait obligé à v’nir, de toute façon et cela me rassure beaucoup d’avoir une porte de sortie.

Les yeux de Papa me transpercent. Je n’avais jamais remarqué à quel point ils étaient sombres, ses yeux. Pourtant, son regard n’est jamais noir. A chaque fois que je le regarde, c’est comme si je regardais la Maison. Je me sens bien, je me sens en sécurité. C’est un peu idiot, mais c’est ainsi. Alors, tandis que je le regarde, mes muscles se détendent et j’ai le sentiment grandissant que tout ira bien, même si Peers me rejette.

« Tu veux y aller, à l’Aquarium ? »

« J’sais pas, » réponds-je en haussant les épaules. Quelle importance ? « C’est quand même cool, les librairies. » En fait, ce qui est cool, c’est qu’elle m’ait proposé de venir, n’est-ce pas ? *C’est débile*. Mais ça me fait plaisir.

« Nous verrons ça en temps voulu, me dit Papa, mais moi je serais ravi de t’accompagner. » Bêtement, sa réponse finit complètement de m’apaiser. je lui offre même un sourire, à mon Papa. « Bon, on s’y met ? »

Oui, nous nous y mettons. Quelques temps plus tard je remonte dans ma chambre, tenant précieusement dans mes mains trois photos que j'ai déjà plaisir à partager. Je les range soigneusement dans mes affaires tout en sachant que le plus dur ne sera pas de parler des photos, bien d'oser aller trouver Peers. Déjà, je me dis qu'elle a oublié notre conversation. Mais très vite, cette affaire s'embourbe dans le quotidien de la Maison. Ici, je n'ai pas besoin de penser à Poudlard. Non, je peux seulement être. Et je n'ai jamais été si bien avec Papa, avec Maman, même avec mes frères. Je ne veux rien d'autre, absolument rien d'autre.