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06 août 2019, 16:29
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
T'as oublié que j't'aimais ?

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Mardi 22 décembre 2043 — 11 heures 30
Chambre d’Aelle, Domaine Bristyle (Worcestershire)
3ème année



J’enfile une robe de sorcière violette par dessus mon pyjama ; elle me tombe jusqu’aux pieds, si bien que personne ne verra les têtes colorées des veaudelunes qui parsèment mon vêtement de nuit. J’ouvre le rideau et le jour jaillit dans ma chambre. Il est tard, mais je n’éprouve aucune honte à me lever à cette heure-là. C’est pourtant inhabituel, même pour un jour de vacances, et je ne me souviens même plus de la dernière fois où je me suis levée aussi tard. La nuit a été aussi agréable que la soirée. J’ai si bien dormi qu’aucun rêve n’est parvenu à me réveiller. Désormais, l’heure du déjeuner approche. Zak’, Narym et Natanaël doivent déjà être arrivés. Je m’étonne que Papa ne soit pas venu me réveiller.

Je me penche pour récupérer sous mon lit mes chaussons abandonnés la veille, puis attrape ma baguette sous mon oreiller. Je jette un regard nostalgique au livre que j’ai pris hier soir dans la Tour ayant me coucher ; *j'le finirais ce soir* me rassuré-je.
J’allais m’en aller lorsqu’un bruit provenant de l’échelle sous la trappe menant à ma chambre m’arrête. Je me fige, curieuse de savoir qui vient me rendre visite. Puis je songe à l’heure et grimace fugacement en m’approchant :

« C’est bon P’pa, j’suis levée, » dis-je d’une voix grincheuse.

J’attrape la lanière attachée à la trappe et soulève cette dernière à bout de bras. Je me penche par dessus l’échelle dévoilée qui mène aux étages inférieurs avant de me reculer précipitamment pour laisser entrer mon bien étrange visiteur.

« C’est pas papa, » dit celui-ci en pénétrant dans ma chambre, un léger sourire peint sur le visage.

« Natanaël ! m’exclamé-je, surprise, qu’est-c’que tu fous là ? »

L’homme fait quelques pas, se tordant la nuque pour ne pas se cogner au plafond. Il jette un regard circulaire autour de lui, avisant ma valise débordant de vêtements, ma petite bibliothèque bien rangée et mon coffre en bois à demi-ouvert. Je me souviens alors que la dernière fois que nous nous étions retrouvés tous les deux dans ma chambre, c’était quand il m’y avait enfermé, après que j’ai eu balancé mon poing dans la figure d’Aodren — et plusieurs fois. Gênée, je baisse la tête, triturant nerveusement ma baguette.

« Je suis arrivé il n’y a pas longtemps, répond enfin ‘Naël. Tout le monde est déjà en bas. Zak’ s’est mis aux fourneaux. »

Sa voix est douce et grave. Pas seulement grave comme Zak’ et pas seulement douce comme Narym ; il a quelque chose de différent. Aujourd’hui, il parle lentement et doucement, comme s’il avait peur de casser quelque chose. Il n’a cesse de regarder autour de lui. Son sourire ne quitte pas ses lèvres. Merlin, qu’il m’est étrange de le voir dans ma chambre.

« Ok, murmuré-je sans savoir que dire. J’allais descendre t’façon. »

T’avais pas besoin de monter, en d’autres termes. Mais j’ai la gorge bien trop sèche pour parler plus que nécessaire. Natanaël hoche la tête d’un air je-m’en-foutiste et s’approche de mon coffre pour attraper ma peluche, Calmar le calmar, qui traîne dessus ; il la fait tourner dans ses grandes mains, son sourire s’agrandissant. Je me renfrogne légèrement, agacée qu’il se moque de moi même dans ma chambre.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 13 août 2019, 15:23, modifié 2 fois.

07 août 2019, 09:19
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
« Il est trop mignon, dit-il avant que je n’ai pu dire quoi que ce soit. C’est cool que tu l’ais gardé, moi j’ai jeté toutes mes peluches en arrivant à Poudlard. »

Il repose Calmar sur le coffre et se tourne vers moi.

« Pourquoi t’as fait ça ? C’était pas des Calmars, c’est pour ça, » lui dis-je.

« Ahah ! rit mon frère, ça doit être pour ça oui ! »

Je grimace un sourire, secrètement incapable de comprendre la raison de ce ton enjoué. Mais cet éclat a au moins l’utilité de me détendre et j’arrête de faire rouler ma baguette entre mes doigts. Natanaël vient de se pencher pour regarder au travers la fenêtre lorsqu’un cri s’échappe des ses lèvres. Un grand sourire sur les lèvres, il pointe son doigt vers Ricke :

« Il est là ! » s’exclame-t-il d’un air ébahi en se penchant sur mon figuier d’Abyssinie.

« Bah… Oui, fis-je. J’allais pas l’laisser à Poudlard. »

Et je l'avais hier à la gare, aurais-je aimé ajouter, si j'en avais eu le temps.

« Sûr’ment pas, non ! » s’exclame-t-il.

Il caresse les tiges nues de toutes feuilles de Ricke et hume son odeur. Il va même jusqu’à planter un doigt dans la terre et le renifler.

« Tu fais quoi ? » demandé-je, sourcils froncés.

« Je regarde s’il va bien, me répond ‘Naël d’une voix enjouée. Et il va bien ! Tu as vu comme il est beau ! Il n’a pas la même tête qu’au printemps dernier bien sûr, mais si tu t’approches tu peux voir que ces pe… »

« S’tu crois que j’suis pas capable de m’en occuper, tu peux dégager ! » braillé-je tout à coup en posant un regard rageur sur l’homme.

Ce dernier se redresse. Je me serais bien foutu de son air ébahi si je n’étais pas si en colère. Je n’en reviens pas qu’il vienne me trouver dans ma chambre juste pour vérifier que Ricke soit bien vivant ! Il me prend vraiment pour une idiote ! Et dire que j’ai cru qu’il était venu pour moi.
‘Naël balbutie quelques mots, son regard se perdant entre moi et Ricke, avant d’enfin réussir à sortir une phrase correcte :

« J’suis pas du tout là pour ça, Aelle. »

Sa petite voix, que j’écoutais avec bonheur il y a une minute tout juste, me débecte. Je fronce les sourcils, laissant ma colère transparaître jusque dans mes poings fermés.

« C’est ça, ouais ! dis-je d’une voix pleine de rancoeur. A d’autres ! » Je lui lance un dernier regard avant de m’éloigner. « J’descends. Et toi aussi ! T’as qu’à récupérer Ricke s’tu veux, j’m’en fous d’lui ! »

13 août 2019, 16:45
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Image
Natanaël Bristyle
22 ans


Elle s’en fout.
Je ne sais pas ce que je pensais en venant ici. Elle m’a pourtant parlé de Ricke un nombre incalculable de fois dans ses quelques lettres, ces derniers mois. J’ai fini par croire qu’elle aimait sincèrement cette petite plante que je lui ai offert en avril. M’a-t-elle menti ? Moi qui pensais m’aider du figuier pour me rapprocher d’elle. *Je ne suis qu’un idiot*. Elle  s’éloigne de sa démarche boudeuse. Sa colère est palpable et je me sens comme un enfant face à elle. Comme si elle allait se transformer en monstre ou quelque créature hideuse de mes cauchemars de gamin. Comme avant, mon coeur bat trop vite. Ça fait longtemps. Longtemps que je n’ai pas pris peur face à Aelle, longtemps que je ne me suis pas retrouvé figé devant elle et sa colère.
T’es l’adulte, j’essaie de me dire, rappelle-toi comme tu l’as mouché en avril. Mais mes pensées concrètes sont les dernières à parvenir à se frayer un chemin dans mon pauvre esprit tétanisé.

Elle se tourne vers moi. Ses yeux noirs me lancent des éclairs. Par Merlin, je crois qu’elle n’a jamais eu conscience de sa ressemblance folle avec papa quand elle a cette tête ; elle me fait presque aussi peur que lui. Au moins, papa n’est que peu souvent plein de cette rage bouillonnante. Je soupire indistinctement, m’efforçant d'apaiser le rythme fou de mon coeur. J’suis l’adulte, je me répète, c’est pas une gamine qui va t’faire flipper. En fait si, c’est une gamine de quatorze ans qui me fait flipper, mais je m’efforce à surmonter ça. Comme m’a appris Nar’ ; c’est pas si compliqué que cela, n’est-ce pas ?

« Eh ! lancé-je d’une voix bien trop grave. Tu… Tu vas m’laisser parler ? »

Par Morgane, pourquoi dois-je être aussi pitoyable ? Parfois, j’envie l’aisance avec laquelle le reste de la famille échange avec Aelle. Même Ao’ y arrive mieux que moi, désormais ! Alors que je reste incapable de savoir quoi lui dire, quoi faire pour l’apaiser, quoi faire pour la comprendre. *J’la comprendrais jamais*. Elle me regarde de son regard méchant et je dois faire un effort exponentiel pour ne pas lui crier de cesser de faire sa sale gosse ou pour ne serait-ce que m’empêcher de me figer comme un idiot. Au lieu de cela, je baisse la tête sur Ricke.

« J’suis monté pour prendre de ses nouvelles, c’est tout. » C’est un mensonge, mais elle n’a pas à le savoir. Je sais bien que Ricke va bien, Aelle est loin d’être négligente. Mais c'était un excellent prétexte pour avoir une discussion agréable avec ma soeur. Je me suis lourdement trompé, semble-t-il. « Je te fais confiance pour bien t’occuper de lui, dis-je en lançant un regard à Aelle. Et j’ai pas du tout l’intention de le récupérer. »

Elle garde ses sourcils froncés, mais je vois bien qu’elle réfléchit. Elle mâchonne toujours sa lèvre dans ces moments. Je retiens mon sourire rassuré quand enfin la colère semble quitter son visage. Mon dieu, pourquoi doit-elle être si lunatique ?

« C’est vrai ? » demande-t-elle doucement, me jaugeant de son regard sombre.

« Bien sûr ! dis-je en exagérant ma conviction. T’es bonne en botanique et t’as tout ce qu’il faut po… »

« Mais non, m’interrompt-elle en roulant des yeux. C’est vrai que tu… M’fais confiance ? »

19 août 2019, 10:32
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Elle touche le pot de Ricke du bout des doigts, échappant ainsi à mon regard. Son visage est figé en une expression de fierté qui me fait penser à maman. Cette fois-ci, je ne peux retenir un petit sourire réjoui. L’accompagne une joie que je peine à accepter tant la situation me paraît fragile. Avec Aelle, il faut s’attendre à tout.

« Oui, » murmuré-je d’une voix maîtrisée. Je regarde par la fenêtre pour ne pas la gêner avec mon regard. Aussitôt me suis-je détourné qu’elle a braqué le sien sur moi, je l’ai senti. « T’es ma soeur, c’est normal, non ? »

Mon coeur bat follement dans ma poitrine. Je ne sais pas ce que je suis en train de vivre, peut-être suis-je d’ailleurs en train de rêver, mais c’est un moment important. J’ai l’impression que l’enfant me teste et que tout le reste de ma vie se déroulera en fonction de ma réponse. Comme si Aelle détenait les clés de notre relation ; comme si elle allait décider, là maintenant, de si elle m’accordait son respect et son amour. Toutes ces pensées secouent mon esprit et font virevolter mon coeur. Je n’aime pas ça. Oh, Merlin, je n’aime pas cela du tout ; me sentir si faible, comme un jouet dans les mains d’Aelle. Pourtant, je n’échangerais ma place pour rien au monde parce que je crève d’envie de serrer cette enfant dans mes bras pour lui dire combien je l’aime — malgré toute ma rancoeur.

Elle me regarde, ne dit rien. Ses joues sont rouges. Elle mâchonne ses lèvres. C’est à moi de parler, encore. Ça doit être un privilège de grand frère.

« T’as prouvé que tu pouvais avoir ma confiance, Aelle. »

Mon ton est trop sérieux, je grimace. Elle va se vexer, elle va m’insulter, elle va partir ! Mais elle se contente de pencher la tête sur le côté et de me demander d’une voix neutre :

« J’ai fait ça ? »

« Ouais, je réponds. Quand t’étais à la maison cet été, puis aussi dans tes lettres. » Je rigole nerveusement, me penche sur la plante pour échapper à son regard. « En dehors du fait que t’es assez intelligente pour t’occuper d’une plante et tout le reste, je pense que t’es plus… Un peu plus… » Les mots se perdent dans mon esprit. Je panique, priant de toutes mes forces pour qu’elle ne m’interrompt pas. Mais les Forces ne m’écoutent pas.

« Négligente ? » murmure-t-elle.

« Non ! » m’exclamé-je en m’approchant d’elle. Merlin, mais où va-t-elle chercher toutes ces idées ? Je cherche à croiser son regard. « Par Merlin, absolument pas Ely, au contraire. Je voulais dire responsable. J’te trouve plus responsable. Alors ne… T’en fais pas, j’te fais confiance. »

*Pour ça au moins*, songé-je, ayant en tête toute mon incapacité à accorder ma confiance en son comportement bizarre quotidien.
Un petite sourire se dessine sur son visage. Un léger sourire qui défracte toutes mes pensées et me laisse aussi mou qu’idiot — ce sourire, il m’est destiné. Il est juste pour moi, il est sincère, il dévoile ses dents, il brille, il me dit qu’elle me croit, il me dit qu’elle aussi me fait confiance, il me dit que je suis super heureux tout à coup, il me dit tout un tas de trucs que je suis prêt à croire.
Je souris à mon tour, d’une grimace énorme qui doit bien me déformer le visage.

« Alors, me dit-elle de la voix de celle qui veut cacher ses joues rouges de gêne, qu’est-c’que j’peux voir si j’m’approche ? »

Il me faut quelques secondes avant de comprendre de quoi elle me parle. Tout sourire, je me penche avec elle sur Ricke et lui montre le bout de ses longues tiges rachitiques.

« Tu vois, ce petit truc là ? Et bien ça montre que ce printemps tu auras de magnifiques feuilles ; ça veut dire qu’il est en forme. Mais tu peux aussi le voir en… »

Je continue mon discours passionné, heureux de partager cela avec Aelle qui doit déjà connaître la moitié de ce que je raconte. Pourtant, elle ne dit rien et se contente de hocher la tête, agrémentant mon discours de « mh » concernés. De temps en temps, je la regarde du coin de l’oeil. Je crois qu’elle a réellement changé. Ce n’est pas qu’une passe, qu’une image, ou que sais-je encore. Non, je crois qu’elle a changé. Ou peut-être est-ce moi qui ait changé ?

21 août 2019, 16:00
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Alors comme ça, c’est encore possible ? 


Vendredi 25 décembre 2043
Domaine Bristyle (Worcestershire)
3ème année


« Ao’, le pu-tain de souafle ! » braillé-je à l’abruti qui baye aux corneilles, le nez tourné vers le ciel.

Ledit abruti, après un instant d’étonnement, se jette en avant et fonce vers le sol. J’ai honte de détourner les yeux, le coeur à l’envers, en le voyant accélérer pour rattraper le souafle. Lorsqu’il remonte en pointe vers le ciel, mes épaules se décrispent.

« Ton langage, Aelle, » râle une voix derrière moi.

Je secoue la main en direction de Narym qui garde nos poteaux de fortune. L’homme me jette un regard d’avertissement qui ne me fait pas peur. Je sais que son attention est davantage tournée vers Aodren et l’ambiance est trop festive pour qu’il me sermonne sérieusement. A chaque fois que nous jouons au Quidditch à la Maison c’est la même chose : Aodren fait flipper tout le monde avec ses acrobaties. Il est sans conteste le meilleur d’entre nous et ne se cache pas pour nous le prouver.

« Prépare-toi à t’ram’ner, lancé-je à Narym entre mes dents crispés, c’ui-là il va passer ! »

Je me penche sur mon vieux balai et rejoins maladroitement Aodren qui fait un tonneau pour éviter Natanaël. Narym nous rattrape et à nous trois, nous fonçons vers l’ennemi, représenté par trois vieux poteaux fabriqués avec des objets hétéroclites et gardés par un Zakary survolté. Ao’ me lance le souafle que je rattrape du bout des doigts et, les mains serrés autour du manche de mon balai, le coeur battant comme un fou, je traverse le jardin à toute allure. Je vais tout droit ; il n’y a aucune fioriture dans ma façon de voler : je ne fais pas de pirouettes, je ne m’élève pas trop haut, je ne descends pas trop bas, je reste bien droite pour éviter de tomber. Je suis meilleure en tant que gardienne, mais aujourd’hui c’est Narym et Zak’ qui ont le rôle — en plus de celui de poursuiveur.

Je grimace en avisant ‘Naël devant moi. Un sourire carnassier aux lèvres il avance vers moi, penché sur son balai comme le grand malade qu’il est. Je sais ce qu’il veut faire : me forcer à envoyer la balle. Il a tort, je suis certainement celle à laquelle il aura le plus de facilité à arracher le souafle. Je me force à foncer vers lui sans me détourner. Ao, pour une fois, est silencieux. Il vole dans mon sillage. Cette stratégie, il la connait par coeur. C’est lui qui l’a mise en place. Il sait ce que je vais faire.

Il n’y a que cinq mètres qui me séparent de Naël désormais, le vent me souffle dans les oreilles et m’assèche les yeux. Ma main est moite autour de la balle et je sens mes jambes trembler au-dessus du vide. Je me penche légèrement et accélère. Je m’apprête à lancer la balle dans les airs, au-dessus de ma tête, lorsqu’un cri déchire l’air.

« Aelle, attention ! »

J’aperçois Naël sur ma droite *hein ?* qui fonce sur moi. Je fais un écart qui me déstabilise et me rattrape maladroitement, manquant de faire tomber la balle. Au-dessus de moi, l’ombre de Zak me guette. Je marmonne une insulte entre mes lèvres serrées ; je ne l’avais pas vu. Je freine brusquement et Natanaël me tombe dessus, sorti de je ne sais où, ses doigts écartés pour m’arracher la balle. L’air s’engouffre dans mes poumons lorsque je prends une inspiration paniquée ; je regarde frénétiquement autour de moi et ne vois ni Ao, ni Narym.

« Et merde, » crié-je, paniquée à l’idée de faire perdre la balle à mon équipe.

Je plonge en avant et évite la main griffue de ce malade de Naël. Zak est dans mon dos et s’approche de moi. Son regard est noir lorsque je me tourne vers lui. Soudainement je prends une décision irréfléchie : je jette de toute mes forces la balle derrière moi en fermant les yeux, prête à me prendre un Zakary éberlué en pleine poire.

« Expulso ! » entendis-je derrière moi.

Le bruit de détonation me force à me retourner. Narym se trouve là, baguette braquée devant lui. La balle, expulsée par son sortilège, vole par dessus le jardin et dépasse la limite du terrain. Zak passe au-dessus de moi à toute vitesse pour la rattraper, aussitôt suivit par un Aodren surexcité. Quand je tourne la tête vers Narym, je rencontre son regard penaud : la magie est interdite sur le terrain, c’est l’une de nos règles. Pourtant, un grand sourire éclaire mon visage et j’éclate de rire. Mon frère me rejoint dans mon éclat et marmonne un : « J’crois qu’on a un peu paniqué… » qui nous rend hilares.

25 août 2019, 13:20
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Natanaël débarque à toute vitesse. Il lance un regard sévère à notre grand frère.

« T’as triché, Narym ! » s’exclame-t-il.

« Mais non, dis-je pour le défendre, il a juste de la ressource, c’est tout. »

« Ouais bah c’est de la triche. C’est d’la triche ! » hurle-t-il en direction des deux garçons qui se battent pour récupérer le souaffle. Aucun d’eux ne l’entend.

« Il a raison, Aelle, intervient Narym sans cacher son sourire. Le point va pas compter. »

Je grogne une réponse dans sa direction, occupée à regarder le combat de coq de mes frères. Ao a de l’avance, mais Zak le talonne.
Lorsque nous avons débuté le match, j’ai essayé de convaincre mes frères d’autoriser l’utilisation de la magie. Natanaël a utilisé l’interdiction de Papa et Maman pour refuser, Aodren a argué que ce n’était pas fairplay et Narym a dit qu’Aodren et moi seront défavorisés par notre niveau. Il n’y a guère que Zakary pour m’avoir soutenu, mais lui et moi ne sommes arrivés à rien : ils ont refusé. Cependant, Narym joue aussi bien au Quidditch que moi, ce n’est même pas étonnant qu’il ait cédé à l’envie — et qu’il ait paniqué en voyant mon lancer minable.

Un cri m’éloigne de mes pensées. Zakary a rattrapé la balle et fait demi-tour à toute vitesse. Aodren beugle comme un fou et Narym éclate de rire à côté de moi. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe jusqu’à ce que le premier nous dépasse à toute allure ; la baguette qu’il tient dans sa main et le sourire moqueur qu’il affiche veut tout dire. Natanaël ne dit plus rien, il ne pense même plus à reprocher l’usage de la magie : dressé sur son balai, il fonce en direction de Zak pour le soutenir et faire gagner son équipe. 

« Mais bougez vous ! hurle Aodren en passant près de nous. Merde, ils vont marquer ! »

Narym amorce un mouvement vers l’avant, mais c’est trop tard. Aodren n’a pas le temps d’arriver sur place que Zakary fait passer la balle dans l’anneau. Le silence retombe sur notre terrain improvisé et personne ne fait mine d’aller chercher le souafle qui rebondit sur le sol. Nous nous regardons en chien de faïence, Narym penaud sur son balai, Zakary avec son sourire fier, Natanaël qui retient son rire et Aodren avec son air survolté. Moi, j’affiche une grimace qui décrit la surprise qui me fige.

C’est Aodren qui brise le silence en premier.

« Vous êtes malades ! crie-t-il en volant vers Zakary. On avait dit pas d’magie et toi t’a lancé un accio sur le souafle ! »

« Et Narym l’a expulsé, j’avais pas l’choix, » se défend l’homme sans se départir de son sourire.

« D’ailleurs, pour quelqu’un qui était contre l’utilisation d’la magie, j’t’ai trouvé un peu trop magique, Nar, » maugréa Natanaël.

« Je sais, j’ai paniqué, » sourit Narym en ayant la présence d’esprit d’afficher un air contrit.

« C’était pas cool du tout, les interrompt Aodren. C’est pas du Quidditch, ça, c’était du n’importe quoi. C’est pas du tout comme ça qu’on gagne, d’ailleurs vous avez pas gagné. On compte pas l’point, y’a pas moyen qu’on compte ça ! »

« Bien sûr qu’on l’compte ! s’exclame Zak, manquant de tomber de son balai sous le coup de la révolte. Le jeu c’est aussi être capable de gagner et on a prouvé qu’on l’était. Alors le point, il est à nous. T’as le droit de faire ton mauvais perdant mais ne nous enlève pas ça. »

Zakary est de mauvaise foi et il le sait très bien. Je l’observe par dessus mes cils et quand je remarque le coup d’oeil complice qu’il me jette mon coeur s’envole dans ma poitrine. Je détourne les yeux, gênée mais secrètement heureuse qu'il fasse attention à moi. 

27 août 2019, 06:31
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Aodren s’étouffe de colère — mais il n’est pas vraiment en colère, il s’amuse, comme les autres. Comme moi. Narym affiche un grand sourire et regarde la dispute comme si de rien n’était, comme s’il n’était pas à l’origine de tout cela.

« J’suis pas un mauvais perdant ! s’écrie Aodren. On avait dit pas d’magie alors l’utilisation de la magie c’est de la triche. De la triche ! On est d’accord, Nat ? »

Ledit Natanaël affiche un air perdu avant de prendre lentement la parole :

« Certes, dit-il. De la triche. » Il regarde Zakary qui soulève les sourcils dans sa direction. « Mais en même temps… »

« Natanaël…, gronde Ao’ en guise d’avertissement, t’as pas intérêt à… »

« En même temps c’était super cool, non ? C’était bien joué et… et… »

Il se tait. Même lui tremble quand Aodren joue à l’arbitre.

« Mais vous avez gagné, c’est pour ça qu’t’es plus contre, idiot ! Si c’est nous qu’avait gagné tu serais super fâché ! »

Sur ma gauche, Narym acquiesce d’un air concerné. Je le soupçonne de ne pas du tout être concerné et de s’amuser de la situation, mais à vrai dire je n’ai aucune idée de ce qu’il se passe dans sa tête. En réponse à notre frère, Natanaël affiche un sourire bien trop provocateur pour être innocent qui fait éclater Zakary de rire et qui amène sur mes lèvres un sourire que j’ai bien du mal à retenir.

Je me sens bien.
Je n’ai jamais été aussi bien.
Poudlard est loin, les Autres sont loin, le monde est loin. La Maison ne m’a jamais paru aussi belle et ses occupants également.
La veille, nous avons fêté Noël et je me suis couchée ivre de bonheur. C’était comme avant. Les rires, les discussions, les sourires. C’était comme lorsque je n’avais pas toutes ces pensées idiotes qui me torturaient. La musique, la magie, l’instant présent. J’ai passé la soirée à les regarder un à un, à écouter les conversations futiles, à rattraper le temps perdu (c’est la première fois que je comprends cette expression, le temps perdu, et que je la ressens si douloureusement), à parler de je-ne-sais-quoi, à manger, à m’enivrer du moment.

C’était un Noël comme je les aime. La fête n’a pas vraiment grand intérêt pour moi. Les deux années précédentes, elle a même été une torture. Je n’y ai jamais vu autre chose que la perspective d’un bon repas et d’une montagne de cadeaux. Avant, ça voulait également dire que la mère et le père de Maman risquaient de passer la soirée avec nous — cela n’amusait jamais personne, moins encore Narym qui était toujours en colère de les voir (fait très étonnant venant de l’homme le plus calme que je connaisse), mais Papa disait que c’était important et que Noël était une fête familiale —, mais ils ne sont pas venu depuis des lustres. Avant, ça voulait dire que je devais me coltiner ma famille durant une soirée entière et que je ne pourrais pas lire, apprendre, savoir. Avant, Noël ne voulait rien dire du tout.
Mais cette année, j’ai attendu ce jour avec impatience. Je voulais revoir Zakary que je n’avais fait qu’apercevoir le temps d’une soirée lors de mon retour à la maison ; je voulais croiser son regard et voir un sourire apparaître sur ses lèvres. Je voulais le voir parler de ce que je lui avais raconté dans nos lettres. Je voulais le voir se rappeler de tout ce que je lui avais dit et qui n’avait pourtant pas grande importance. Je voulais me nourrir de tout cela, de sa présence, de celle de Narym et de tous les autres. Je ne voulais même pas travailler, même pas lire. Je n’ai d’ailleurs avancé aucun devoir depuis que j’ai quitté Poudlard — je n’ai pas eu le temps entre Papa, Maman, Naël qui voulait toujours me parler, Aodren qui était *un peu* moins insupportable, Zakary que j’aime et Narym, fidèle à lui-même. 

28 août 2019, 06:30
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
La soirée est passée aussi vite que les jours précédents. Le moment où Natanaël m’a remise à ma place comme une enfant car je lui aurais mal parlé n’a pas besoin d’être rappelé, l’instant où Zakary a trop insisté pour que je raconte mes mois loin d’eux non plus, pas plus que ma colère face à Aodren qui a rappelé à tous que j’avais été expulsé du château (« En même temps t’es pas un modèle de retenu, on sait tous pourquoi Loewy t’a viré ! »), ni même la jalousie meurtrière qui m’a empoigné le coeur quand Maman a dit à Ao combien elle était fière de lui. Tout cela n’a aucune importance, car lorsque je sonde mon coeur je ne ressens qu’un bonheur fiévreux qui me donne envie de ne jamais m’arrêter de sourire.
Je ne veux plus jamais retourner à Poudlard.
Je ne veux plus jamais me lever seule.
Je ne veux plus jamais ressentir le manque de ma famille.
Je ne veux plus jamais me sentir étrangère dans ce grand château.

Je reviens à l’instant présent lorsque les cris d’Ao font vriller mes oreilles. Il essaie de parler plus fort que Zakary qui jacasse sans s’arrêter. L’un insiste pour que le point ne soit pas compté et l’autre crie des mots qui ne veulent rien dire.
Finalement, je ne suis pas la seule que Zak emmerde. Ce constat me fait plaisir.
Narym finit par parler et comme d’habitude tout le monde l’écoute :

« D’un point de vue purement objectif, il ont le point, Ao. Attends avant de crier ! Si j’avais pas lancé le sort, ‘faut bien avouer qu’ils auraient attrapé la balle et qu’ils auraient gagné. »

« Mais on en sait rien, » s’étouffe Aodren en ouvrant de grands yeux.

« Et on ne peut pas le savoir, alors on a qu’à reprendre là où on a triché, non ? C’était Aelle qui avait le souafle. »

Tous les regards se braquent sur moi et je me redresse, terriblement gênée. Le fait que je me sente exactement là où je dois être n’enlève en rien la sensation désagréable d’être au centre de l’attention. *Arrêtez d’me mater !*, aurais-je aimé beugler.
Mais je ne dis rien et Zak vient à mon secours. *C’est con, comme idée*. Certes. Il ne vient pas à mon secours. Il intervient, plutôt.

« Bon, d’accord, râle-t-il. Mais on autorise la magie à partir de maintenant, ok ? »

Ah, enfin une idée intéressante. Je me penche en avant, le sourire aux lèvres, lorsqu’Ao s’exclame :

« Hors de question, c’est pas fairplay ! »

« Mais on s’en fout ! interviens-je en bravant son regard vert. C’était plutôt marrant, j’trouve... »

J’avoue du bout des lèvres, un sourire timide habillant mon visage.
En fin de compte, tout le monde tombe en accord avec moi. L’instant me paraît d’une folie incroyable (« Aelle a raison, on s’est éclatée ! » / « J’suis d’accord avec la p’tite soeur, moi. » / « Ça c’est carrément vrai ! » / « Bon… Va pour la magie, alors… ») ; j’en reste béate et figée. Tout le monde prend la direction du milieu du terrain et moi je ne bouge pas.
Je les regarde s’éloigner en prise avec mon coeur qui s’étouffe dans ses battements. Avec mon coeur qui se soulève car le bonheur est trop grand pour être statique : c’est la première fois depuis *toujours ?* un temps infini que mes frères *tous mes frères, pas juste Narym* sont d’accord avec moi. Zakary ne m’a même pas envoyé une pique pour m’énerver. Aodren ne m’a même pas envoyé dans les roses. Natanaël ne m’a même pas regardé avec le dégoût détestable qui le rend si sincère. Narym n’a même pas eu besoin de mentir pour se ranger de mon côté.
Je crois que c’est la première depuis longtemps que je me sens vraiment leur soeur.

Dernière modification par Aelle Bristyle le 04 sept. 2022, 12:13, modifié 1 fois.

03 sept. 2019, 18:26
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
« Raconte pas n’importe quoi, va. Et puis c’est pas tes affaires ! En plus, elle m’a rien dit du tout à propos de ça.

— Ouais bah c’est normal puisqu’elle dit jamais rien. Mais j’étais là-bas, moi. J’te dis que je l’ai vu. Elles sont super proches ! Enfin, aussi proche qu’Aelle peut être de quelqu’un. »
(Zakary et Aodren)



Samedi 26 décembre 2043
Domaine Bristyle (Worcestershire)
3ème année



Le week-end, Narym, Zak et Natanaël délaissent leur appartement pour rester avec nous. Ils récupèrent leur chambre, font du tapage le soir en veillant, mangent toutes les brioches, s’incrustent dans les conversations, posent des questions indiscrètes. Je crois que cela ne me dérange pas. C’est bon d’entendre les rires traverser la Maison. J’arrive à me concentrer, même lorsque mes quatre frères jouent à crier. Ils me tournent autour parfois et arrivent à m’arracher à ma lecture — que mes cadeaux de Noël m’ont forcé à reprendre.
Aujourd’hui, cependant, je me sens lourde. Un peu comme si je n’avais pas assez dormi. Je me suis réveillé la tête pleine de pensées, la tête pleine de Poudlard. Je me suis surprise à penser à Fleurdelys et me demander ce qu’il faisait. Je me suis surprise à songer à Ebony et à me demander si elle pensait à moi. Je me suis surprise à me rappeler Charlie et à me détester pour cela. Je me suis même surprise à penser à Thalia et à ne pas vouloir la détourner de mes pensées. C’est sans doute pour cela que je suis actuellement assise dans ce fauteuil au salon, la jambe passée par dessus le dossier, un livre quelconque dans les mains, à regarder par la fenêtre le ciel blanc d’hiver, les yeux dans le vague. Sur ma droite, Zakary et Aodren jouent à un jeu de cartes explosif sur la table. Le bruit infernal me berce, mais m'empêche cette fois-ci de lire comme je le souhaiterais. J’aimerais ne pas penser à Poudlard. Cela me force à imaginer mon retour et, par l’amour de Merlin, il n’y a pas de pensées plus déprimantes et effrayantes que celle-ci. Il n’y a que la lecture qui puisse m’empêcher de penser et je n’arrive pas à lire. *Hier, le Quidditch m’a empêché d’penser* ; je rejette la pensée en bloc : c’était exceptionnel.

« Tu rêves, Ely ? »

Mon coeur rate un battement et je me tords la tête pour regarder Zakary. Il me jette un regard en biais, concentré sur sa partie de carte. Face à lui, Aodren ne nous accorde aucune attention. Je hausse les épaules et me concentre de nouveau sur mon livre.

« Non, » je réponds distraitement.

Zakary n’insiste pas et bientôt, mon regard se perd de nouveau dans le coton du ciel. Est-ce que je rêve ? Non, mais je pense trop. C’est étonnant, car à Poudlard je n'avais pas l’impression de penser autant à Poudlard. Je pensais surtout à la Maison, à mon envie de revenir, à ma crainte de revoir Zak, à mon envie de le revoir. Mais maintenant que je suis à la Maison, je pense à Poudlard. A mon manque d’envie de revenir, ses habitants, Nyakane, mes cours, mes devoirs que je n’ai pas commencé. Thalia. Gabryel. Un soupir s’échappe de mes lèvres ; le château prend trop de place. Je n’ai pas besoin de penser à lui ici, ni même de penser à ses habitants. Les choses ne seront pas différentes si je continue de penser à Thalia ou même à ce fichu Fleurdelys ou même à Ebony ou même à toutes les autres personnes de cet endroit. Rien ne sera différent du tout. Je laisse tomber ma tête contre le dossier de mon fauteuil, un énième soupir traversant la barrière de mes lèvres. Étonnant, car ces soupirs ne ralentissent en rien la marche insensée de mes pensées.

« Tu soupires, Aelle. »

Je grogne. Zakary, encore.

« Et alors ? » marmonné-je en enfonçant ma joue dans la paume de ma main.

Une explosion retentit, Aodren insulte Zakary et ce dernier éclate de rire. Je pense être tiré d’affaire, mais quand le bruit des cartes cesse de remplir la pièce, je devine que c’est mal connaître Zakary. Une chaise racle contre le sol et je me tends, persuadé que ce Bel Abruti va venir me trouver. Une ombre me surplombe bientôt et je tourne la tête, les sourcils déjà froncés.
*Qu’est-c’que…*
J’ouvre la bouche, surprise de voir Aodren se dresser devant moi. Son visage est trop sérieux, Aodren n’a jamais un visage aussi sérieux. Il m’observe sans un mot. Je lance un regard à Zak, resté assis sur sa chaise, qui me fait comprendre en un geste qu’il ne sait pas plus que moi ce que fait Aodren.

« Quoi, Aodren ?  » soupiré-je.

Haussant les épaules, le garçon se laisse tomber dans le canapé. Avec un froncement de sourcils, j’observe Zakary se lever et se placer à ses côtés. Tous deux me regardent, mais leur expression est différente ; Aodren semble hésitant et Zakary perdu. Je referme mon livre, soudainement excédée.

« Tu vas parler, ouais ? » râlé-je.

Aodren se penche en avant, son regard vert se voilant de quelques sentiments qui me sont tout à fait inconnus. Zakary perd son sourire, son regard passant de lui à moi.

« Ou peut-être que tu devrais pas parler, justement, » fait-il lentement.

Cet homme est trop sincère. La mise en garde de ses paroles est même perceptible par moi, ce n’est pas peu dire. Je me ferme davantage, hésitant entre paraître inquiète ou agacée.

« Accouche ou dégage, Ao’ , » lui jeté-je sans éprouver le moindre remord lorsqu’une grimace vient déchirer son visage de jeune homme.

Ses mains trifouillent ses manches. Il est nerveux. Même Zakay l’a remarqué. Et pour une fois, ce dernier ne me fait aucune remarque sur mes paroles acerbes. Il est vrai que ces derniers jours, il ne m’a pas dit grand chose. Même quand c’était à lui qu’elles étaient destinées ; il se contentait de me sourire étrangement, comme s’il savait que derrière l’acidité de mes mots se cachait *rien du tout* autre chose. Mais en cet instant, il ne me sourit pas, trop accaparé par Aodren comme il l’est. Ce dernier prend d’ailleurs la parole. J’aurais préféré qu’il se la ferme.

« Tu penses à Thalia Gil’Sayan ? »

Mon coeur s’affaisse tout au fond de mon corps. Cette chute est si violente, ma surprise est telle que je me fige, béate, le regard écarquillé. Zakary lâche un juron et pousse durement notre frère. Cherche-t-il à me défendre ? Peu importe, mon esprit sonne l’alarme tandis que le doux visage de l’enfant *Thalia* se dessine dans ma tête. Sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit, la chaleur envahit mes joues. Le sourire qui s’affiche sur les lèvres d’Aodren me rend folle.

« J’en étais sûr, tu penses à elle, » s’exclame-t-il.

Je me lève précipitamment, mon livre dévale mes jambes et tombe sur le sol. Zakary me regarde d’un air inquiet, une main encore passée autour du bras de notre frère pour le malmener.

« Ferme-là !  » braillé-je, la colère prenant possession de mes membres.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 07 oct. 2019, 19:09, modifié 1 fois.

03 sept. 2019, 18:26
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 
Je ne suis pas réellement en colère. Je suis paniquée. Je suis surprise. Je me sens salie. Comment peut-il savoir pour Thalia ? Que sait-il ? Qui lui a dit ? Pourquoi Zak semble-t-il également au courant ? Est-ce qu’il veut se moquer de moi ? Est-ce qu’il se moque de moi ? C’est Thalia qui est allé lui parlé ? Mais pourquoi y serait-elle allé ? Que lui aurait-elle dit ? Et pourquoi ?
Aodren se lève, les mains levés devant lui en signe d’apaisement. Mais je ne veux pas m’apaiser moi, mon coeur bat à tout rompre dans ma poitrine et je n’arrive pas, nom de Merlin, je n’arrive pas m’empêcher de rougir comme je le fais.

« Calme-toi, désolé, dit précipitamment mon frère, j’veux pas t’embêter ou quoi, je veux juste savoir c’est tout. Pas pour me moquer, juste pour discuter, comme ça. »

Zakary semble tout petit dans son canapé. Lui qui est si grand habituellement. Il nous regarde à tour de rôle, comme s’il assistait à un match de Quidditch. Son air est réservé. Pour une fois, j’aurais voulu qu’il ait sa fougue habituelle ; il aurait pu éloigner Aodren et ses questions débiles.

« Parc’que j’te demande des trucs sur Quétrilla, moi peut-être ? Non ! J’le fais pas, alors t’as intérêt à t’la fermer ! »

Zakary ouvre de grands yeux et échange un regard avec Aodren. Je comprends mon erreur lorsque je remarque le sourire de ce dernier qui s’agrandit. J’ouvre la bouche pour me contredire, me rattraper ou quoi que ce soit d’autre pour arracher la tête de mon frère, mais il ne m’en laisse pas le temps.

« Alors tu compares ta relation avec Thalia avec celle que j’ai avec ma petite-amie ? me demande-t-il, hilare. Ma petite-amie ? C’est comme ça qu’vous vous app… »

« Ao, tais-toi ! »

Zakary se lève, mais je vois bien qu’il a un air joueur. Je vois bien qu’il n’est pas si mécontent qu’il veut le paraître. Et je sais bien que j’ai l’air coupable avec mon air effaré et ma bouche ouverte et mes joues rouges et ce souffle qui commence à me manquer. Comment pourrais-je avoir l’air autrement ? *Y croit qu’c’est ma... * Je rejette la pensée en bloc. Il ne croit rien du tout. Il ne sait rien du tout. Il ne fait que trouver des réponses qui n’existent pas dans mes mots qui ne veulent rien dire. Voilà. Je me dépatouille tant bien que mal avec mes pensées ; j’essaie de paraître en colère moi aussi. Je me grandis, je croise les bras sur ma poitrine. Mais je crois que j’ai seulement l’air terriblement gênée.

Je trouve la force d’affronter le regard de mes frères. Aodren ne sourit plus, mais cela n’est dû qu’à la poigne de Zakary qui a enroulé sa main autour de son bras. Quant à ce dernier, il me regarde avec ses sourcils foncés et ne fait rien pour cacher son intérêt. Je tourne la tête vers la véranda qui se découpe quelque part derrière eux.

« J’ai absolument aucune… relation avec Gil’Sayan. »

*Je mens, je mens, je mens*, répété-je en litanie dans ma tête. Bien sûr que je mens. Même mon coeur se serre en constatant la force de mon mensonge. Même mon regard se détourne, honteux, lorsque je me rappelle de ces longues heures passées en compagnie de la jeune fille. De nos silences, de nos regards, de nos paroles, de nos instants, de son cadeau, de son étrangeté, du… Rien du tout. Je regarde mes frères en essayant de paraître sûre de moi alors que je ne suis rien du tout. Aodren ne sourit plus, il parait même en colère.

« Ça, c’est pas vrai. »

« Ao…, » commencé-je, menaçante. Mais Zakary m’interrompt. Un petit sourire déforme sa voix quand il parle.

A contre coeur, je le regarde. « Aelle, pourquoi tu veux pas nous le dire ? Tu n’es pas obligé, mais si tu as une… amie on aimerait bien savoir. Comme quand je te parle de Lounis ou de Susan. Tu te souviens ? »

J’ai envie de lui arracher son air bienveillant qui le fait ressembler à Narym. Il me regarde comme si j’allais exploser ou faire je-ne-sais-quoi d’horrible. Et il ose parler de ce que l’on se raconte dans nos courriers devant Ao ! Ce sont nos échanges, nos moments ! Aodren n’a pas besoin de savoir ça. Et surtout pas besoin de savoir que j’aime quand Zakary me parle de ses amis (même si déteste Lounis d’être si proche de lui). Ce crétin d’Aodren, il secoue la tête comme si c’était à lui que Zak avait posé sa question.

« Il a raison, on a juste envie d’en savoir plus. Tu sais, je sais déjà que tu passes du temps avec Gil’Sayan. »

Mon coeur s’arrache de son socle et roule jusqu’au fond de mon être. *Tais-toi ! Mais tais-toi !*. Mais le garçon continue, sourd à mes suppliques : « Je suis pas aveugle, je vous vois parfois genre à la bibliothèque ou dans la Grande Salle. Vous avez l’air d’être bien amies. Non ? »
Dernière modification par Aelle Bristyle le 09 oct. 2019, 18:32, modifié 2 fois.