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12 août 2019, 21:37
 Inverness   Solo   RPG++  Keir au Caire
Fin juillet 2044

« C’EST TROP NUL ! »

Jeanie faisait les cent pas dans le salon en effleurant dangereusement tous les objets trop près de son va-et-vient. Au bout d’un énième passage, un vase japonais tangua lorsque la petite fille bouscula une commode. Blaine, son père, qui assistait à la scène, ferma les yeux quelques secondes pour oublier ce qu’il venait de voir et tenta de calmer la tempête humaine.

« Jeanie. Nous n’y pouvons rien. Tu sais mieux que moi que nous traversons une période délicate en ce moment. Tu as pu le voir de tes propres yeux à l'école. »

Voyant qu’elle écoutait à peine et continuait à tournoyer dans le salon en fulminant, le père Catanach attrapa Jeanie par le bras lorsqu’elle passa devant le fauteuil victorien sur lequel il était assis pour l’empêcher de bouger. L’enfant planta un regard haineux dans celui de son père. Il ne s’en offusqua pas, sachant qu’il ne lui était pas adressé.

« Il est inutile que je te réexplique pourquoi c’est ainsi, tu sais que… ,commença-t-il doucement.
- MAIS C’EST INJUSTE !
- Oui, ça l’est, reprit calmement Blaine, mais, Jeanie, nous ne pouvons absolument rien y faire ! Tu comprends ? »

Non, elle ne voulait pas comprendre. La Gryffondor se dégagea d’un coup sec et reprit son manège incessant avant de crier :

« Je les DÉTESTE ! Ils ont TOUT gâché ! »

Blaine se redressa tout en suivant sa fille du regard. En d’autres circonstances, il aurait sévèrement réprimandé Jeanie et se serait même énervé devant son comportement odieux. Mais la lettre qui gisait sur le parquet du salon l’empêchait d’en vouloir à sa fille.

Depuis avril, la famille Catanach avait projeté de passer le mois d’août au Caire, en Égypte, dans le but d’y passer des vacances mais aussi pour permettre à Trinity de rencontrer des marchands de papyrus magiques. Néanmoins, depuis la récente arrivée au pouvoir d’un sinistre Conseil des sorciers, tout voyage à l’étranger devait être justifié et enregistré auprès de l’administration sous peine d’emprisonnement. Cette décision avait constitué un premier obstacle au projet de la famille qui n’avait pas désespéré pour autant. Les parents de Jeanie avaient donc écrit un courrier au service responsable des voyages à l’étranger en tentant de justifier leur projet par des raisons professionnelles, l’impossibilité de confier les enfants (qui étaient davantage des adolescents) à quelqu’un d’autre pendant un mois et par l’utilité de leur faire découvrir d’autres cultures. Cette façon de faire, bien trop honnête, ne fonctionna pas et ce malgré l’entretien parfait durant lequel Jeanie avait fait l’effort surhumain d’être polie et de sourire pendant quarante minutes. Oui, quarante minutes pendant lesquelles Trinity et Blaine durent répéter en quoi consistait leur métier, quarante minutes pour rassurer sur la nature des objets qu’ils commercialisaient, quarante minutes de regards échangés entre les frères de Jeanie qui ne pressentaient rien de bon, quarante minutes d’espoir pour Jeanie, quarante minutes de vent.

La lettre de refus, ce haut courrier de l’administration sorcière qui avait détruit les rêves de la petite fille, traînait par terre, là, comme une vulgaire chaussette. Jeanie avait évidemment songé à la déchirer après que Morgad l’eut lue mais elle s’était ravisée. Elle voulait la garder, pour ne jamais oublier. Pour ne jamais pardonner.

« De toute façon, j’comprends pas pourquoi on a reçu un courrier. J’ai lu leur protocole, ils devaient donner leur réponse juste après l’entretien ! C’était louche quand ils nous ont dit : “ Nous vous enverrons un hibou. ”
- Pfff… quelle valeur a le moindre protocole vu ce qu'on a au gouvernement ? »


Fergus, vautré dans le canapé, était celui qui avait parlé le premier. Comme tous les autres membres de sa famille, il était déçu mais surtout il ne comprenait pas. Après avoir lu et relu les courriers envoyés et reçus, Fergus avait cru, au début, qu’ils accepteraient de les laisser partir. Les Catanach étaient des gens sérieux, venant de familles respectables. Ils n’avaient absolument rien de potentiels dangers ou rebelles, sauf peut-être Keir (qu’on dut coiffer et fait promettre de ne rien dire durant l’entretien). Et puis il y eut des signes étranges, notamment cette dernière phrase à l’entretien et la lenteur administrative ; la demande d’autorisation avait été envoyée en mai, l’entretien s’était déroulé en juin et la lettre fut reçue ce jour-là, fin juillet. Tout cela lui semblait anormal et inquiétant.

Le second à avoir pris la parole, c’était Keir. L’épaule gauche contre le mur séparant la cuisine et le salon, le Serdaigle, lui, était le moins abasourdi de la bande. D’ailleurs, le plus incompréhensible pour lui, c’était la crédulité de ses parents et de ses frères. Comment avaient-ils pu croire qu’ils partiraient en Égypte comme si de rien n’était ? L’ambiance avait changé dans le monde magique. Un gouvernement légitime était tombé, des gens étaient morts, les écoles du monde entier s’étaient réunies pour faire alliance et une liste distinguant les sorciers en fonction de leur sang avait été établie. Absolument tout puait le danger maintenant. Et encore, les Catanach n’étaient pas les plus exposés. Blaine et Trinity descendaient directement de sorciers et n’avaient donc pas à craindre les persécutions menées contre les nés-moldu. Cependant, Keir ne pouvait s’empêcher de croire que le refus était en partie lié à la nature cracmole de son père.

Blaine ne s’était jamais fait d’illusions quant à ça.

Un silence s’était installé depuis que Keir avait parlé. Chacun avait deviné ce qu’insinuait son pessimisme et son ton dédaigneux. Blaine, qui était resté debout sans rien faire pendant tout ce temps, se décida enfin à faire quelques pas pour ramasser la lettre.

Au même moment, une porte s’ouvrit brutalement et laissa pénétrer dans la maison une voix enjouée.

« C'est moi ! Désolée d’avoir été longue, je suis passée à la petite épicerie italienne qui vient d’ouvrir et j’y ai acheté tout un tas de trucs que je ne connais pas ! J’espère que je n’ai pas fait trop de mauvais choix ! »

Trinity entra dans la maison et posa des sacs qui émirent un drôle de craquement lorsqu’ils touchèrent le sol. Après un bruissement de robe, des talons parcoururent bruyamment le couloir afin que la dame accrochât sa veste au porte-manteau penché ; une antiquité en bois qui semblait n'avoir jamais été droite de sa vie, à croire que l’ébéniste avait voulu s’essayer au style de la Tour de Pise. Les talons revinrent près des sacs.

« Mince, j’ai écrasé des pâtes par accident. Bon, c’est pas grave, elles auront des formes originales ! Laaa paaaastaa di Trinitaaaa ! »

Et c’est en imitant un curieux accent italien qu’elle pénétra dans le salon avec ses sachets de pâtes écrasées. Jeanie, qui avait arrêté de bouger, se contenta de fixer les victuailles apportées par sa mère d’un regard sans vie. Fergus, lui, faisait une tête d’enterrement et Keir regardait ses pieds.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda aussitôt Trinity les yeux écarquillés.

Blaine grimaça légèrement avant de lui répondre :

« Eh bien nous venons de recevoir la lettre de refus du…, il déplia la lettre et y jeta un coup d’oeil furtif. Du service des voyages à l’étranger du Conseil des sorciers. Ils refusent que nous partions au Caire, en revanche, ils autorisent ta sortie du territoire mais seulement pour trois jours. Et… Jeanie est dévastée. »

Comme si cette phrase lui avait rappelé son rôle dans la tragédie, la petite fille se précipita dans les bras de sa mère pour verser un torrent de chagrin et, par la même occasion, tâcher sa robe de ses larmes.

« Je les déteste… j’voulais… partir… au… Caire… » gémit-elle contre sa mère.

Trinity reprit une expression apaisée et caressa les cheveux de sa fille en tentant de ne pas tirer sur ses nombreux nœuds. Une remarque sur le brossage était malvenue en un tel moment, aussi se contenta-t-elle de reparler du malheur sans évoquer le désastre capillaire ; un drame à la fois.

« C’était prévisible, hélas… J’aurais dû vous y préparer… Je suis vraiment désolée, Jeanie.
- Jamais j’verrai les pyramides de crocodiles
, laissa échapper l’enfant dans un sanglot.
- Les pyramides de quoi... ? » 

Aussitôt, Fergus fit signe à sa mère de ne pas rebondir sur l’étrange propos de Jeanie en plaquant son index sur sa bouche. Trinity lui lança un regard exprimant sa réprobation avant de s’efforcer de changer de sujet mais ses yeux sévères ne quittèrent pas ceux du petit imposteur. Elle demanda :

« Et où est Morgad ?
- Il est dans sa chambre, en train d’écrire son phlampet
, répondit tristement Jeanie.»

Personne n’eut le courage de la corriger dans un tel moment. Juste au-dessus d’eux, Morgad était effectivement en train d’écrire un pamphlet (et non un phlampet) contre le Conseil des sorciers, sur une vieille machine à écrire moldue (notez le geste symbolique). Cela faisait depuis le début des vacances qu’il travaillait son texte dans l’espoir de le diffuser un jour dans une revue sorcière indépendante. Et la lettre que les Catanach venaient de recevoir l’avait soudainement motivé à reprendre son labeur en vue de publier le plus rapidement possible son œuvre. Cette situation injuste, comme le répétait Jeanie, ne pouvait être acceptée et encore moins devenir acceptable avec le temps. Morgad refusait que les sorciers s’habituassent aux agissements illégaux et immoraux d’un prétendu Conseil. Il fallait dénoncer, décrier, détruire ce gouvernement.

Mais le jeune homme avait entendu sa mère rentrer. Après avoir relu deux fois son dernier paragraphe de six cent mots, le Serdaigle recula sa chaise et quitta sa machine. Lui aussi aurait aimé partir au Caire. La ville, réputée pour ses mystérieux enchantements et l’ancienneté de sa magie était la capitale de l’ésotérisme au sein même de la communauté sorcière. Malgré toutes les années de recherches, beaucoup de secrets résidaient dans les rues du quartier magique et entre les murs des pyramides. Ces derniers mois, Morgad avait espéré contribuer au travail académique en étudiant quelques papyrus magiques ainsi qu’en rencontrant des sorciers égyptiens pour leur poser 1001 questions. Dorénavant, tout cela importait peu car ils ne partiraient pas. Sans montrer la moindre émotion, le jeune homme apparut dans le salon avec les sacs de courses dans les bras pour rendre service à sa mère. Jeanie se dégagea alors de l’étreinte de celle-ci et suivit son frère dans la cuisine pour découvrir les nouveaux achats. Keir le rejoignit à son tour pour prêter son aide dans le rangement des victuailles et chasser les mains de sa petite soeur qui commençaient déjà à vouloir piquer un sachet de chips.

Trinity en profita pour lire la lettre déjà un peu abîmée à force d'avoir été passée de main en main (et d’avoir été soudainement jetée par terre par une mécontente).

« Si seulement ça pouvait n’être que notre unique problème... » soupira-t-elle après l’avoir parcourue.

Lorsqu’il entendit ces mots, Fergus se redressa et planta un regard inquiet dans celui de sa mère. Il demanda à voix basse :

« Comment ça ? »

Trinity secoua doucement la tête puis posa la lettre sur la table basse en verre avant de répondre :

« Ca ne va pas aller en s’arrangeant. Nous finirons par avoir d’autres soucis, avec ce Conseil. Je ne sais pas encore de quelle nature mais nous ne pouvons rien attendre de bon… »

Malgré le pessimisme du propos, Fergus se sentait rassuré par le calme que montrait sa mère. Toutes les horreurs du monde étaient peu de choses face à la sérénité de Trinity. Car, derrière ses inquiétudes, se cachaient une secrète confiance en l’avenir et un soupçon d’espoir que le blondinet n’avait jamais peiné à sentir. Il baissa alors les yeux sur le tapis persan du salon et se demanda quels drames ils allaient vivre avant le retour de la paix.

« J’peux manger ça ? »

Jeanie traversa la pièce pour montrer un paquet de chips de citrouille à son père qui était resté pensif tout ce temps.

« Ca dépend…, commença-t-il avec un air malicieux. Est-ce que cela te fera oublier la lettre et te rendra définitivement le sourire ?
- Absolument ! »


Et elle courut dans sa chambre avec son paquet de chips sous le regard à la fois exaspéré et amusé de Blaine.

« Par contre pourquoi elle se barre avec le paquet entier ? demanda un Fergus vraisemblablement irrité d’avoir été oublié.
- Au fait, dit Keir qui avait fini de ranger les courses, j’peux sortir voir mes amis ? »

Blaine lança un regard à Trinity qui haussa les épaules ; la mère n’était pas contre le fait que son enfant passe du bon temps avec ses amis, lesquels étaient tous des moldus, mais elle avait toujours eu une certaine méfiance pour les escapades de Keir. Et le père Catanach aussi. C’est pourquoi, d’habitude, Keir ne demandait jamais d’autorisation pour sortir et s'attribuait le droit de partir quand il le voulait de la maison. Mais, conscient de l’atmosphère angoissante qui régnait actuellement dans le monde magique et ailleurs, l’aîné s’était résolu à prévenir ses parents pour leur éviter une inquiétude inutile. Aussi, quand il disait « j’peux sortir ? », il ne les interrogeait pas pour avoir leur accord mais se contentait de remplir son devoir d’information.

« Je rentre dans deux heures. »

Fergus et ses parents regardèrent en silence Keir disparaître dans le couloir et l’entendirent prendre sa veste en cuir avant de claquer la porte. Le blondinet se souvint alors que sa plainte à propos des chips emmenées par Jeanie avait été ignorée. Mais il se tût, conscient qu’il y avait des problèmes plus graves dans la vie.

Morgad, qui s’était assis à la table de la cuisine pour déchiffrer la composition écrite en italien d’un produit qu’il ne connaissait pas, avait suivi la scène de loin d’un air soucieux. Était-il vraiment intelligent pour un sorcier de retrouver des amis moldus en une telle période ? Il rangea la boîte d’amaretti et regagna sa l'étage supérieur sans lancer un coup d’oeil au reste de sa famille.

Insupportablement vôtre, J.
Deuxième année RP en 2044-2045

24 sept. 2019, 17:30
 Inverness   Solo   RPG++  Keir au Caire
Au premier étage de la maison des Catanach, dans le couloir de droite après avoir monté l’escalier à quart tournant recouvert d’un tapis floral aux couleurs ternes, il était possible d’accéder aux chambres de Fergus et Jeanie. Une porte à gauche menait directement dans l’antre de l’intello arrogant tandis que la porte de droite donnait accès au fabuleux monde chaotique de la la petite fille. Le bout du couloir menait quant à lui à une salle de bain blanche, dotée de quelques meubles en bois clair pour ranger les serviettes et les cosmétiques de Trinity. Dans ces commodes, Jeanie y fouillait parfois pour regarder les divers flacons que collectionnait sa mère sans jamais s’en servir. L’idée de consommer son précieux temps pour se peindre le visage l’avait toujours rebutée.

Justement, pendant ses vacances, Jeanie profitait de tout son temps libre pour faire ce qu’elle n’avait jamais eu le droit de faire à Poudlard. Au revoir les devoirs, le couvre-feu, les lieux interdits d’accès et les recherches à la bibliothèque, la blondinette pouvait enfin profiter de la vie. Elle s’amusait alors à faire des nuits blanches pour regarder des dessins-animés moldus et lire les Witch Weekly de sa mère ou encore les Spellbound de son frère. Le jour, quand elle en avait la force après une nuit blanche, Jeanie sortait avec sa maman, fouillait dans la boutique de ses parents ou faisait un tour dans les brocantes de la ville et des alentours. Elle jouait également tous les jours avec le chat du quartier (qui semblait préférer Morgad) et s’occupait des deux hiboux familiaux. Les jours passaient et Jeanie profitait de l’absence de responsabilité tout en redoutant la rentrée. De la même manière qu'un enfant pouvait être hanté par les monstres cachés sous son lit, Jeanie craignait le mois de septembre comme son pire cauchemar. L’école n’avait aucun autre but que d’empêcher la jeune population de profiter de sa jeunesse ! Et puis, il y avait ce climat étrange… La petite fille n’était habituellement pas sensible à ce qui se passait autour d’elle. Elle ne craignait pas grand-chose et n’avait que faire des conflits humains. Néanmoins, Jeanie fut marquée par l’ambiance pesante qui avait régné dans le château après l’attaque de Poudlard et le renversement du Ministère de la magie. Elle ne pouvait cependant pas comprendre tout l’enjeu ; la blondinette était une privilégiée par rapport à d’autres, ses parents étant eux-mêmes descendants de sorciers. C’était ce que lui avait expliqué Morgad tandis qu’elle le harcelait de questions dans le train du retour à la maison. Au final, tout cela était obscur et bizarre.

Pour se consoler de ses vacances gâchées, Jeanie plongea pour la énième fois sa main dans un paquet de chips éventré. Les pieds sur la table de son bureau, le nez en l’air, les yeux voguant dans le paysage derrière sa fenêtre, elle ne songeait à rien. Après s’être essuyé les doigts sur un vieux pyjama bleu et gris qui appartenait autrefois à Fergus, Jeanie fit tourner la chaise de son bureau et regarda sa chambre. Qu’allait-elle bien pouvoir faire aujourd’hui ? Le petit lit qui lui faisait place était recouvert de miettes et d’emballages de gâteaux ou de farces et attrapes. Lorsqu’elle s’y allongeait, elle admirait son plafond parsemé de vieux éclats de mousse séchée au milieu d’autocollants magiques qu’elle avait réussi à coller en usant d’un Wingardium Leviosa. Au-dessus de sa tête, des fleurs s’ouvraient et se fermaient en émettant de douces lueurs bleutées. Il s’agissait là de la seule décoration propre et jolie de sa chambre venant la rendre légèrement plus féminine. Car le reste, en revanche, pouvait ressembler à un cagibi, un atelier de menuiserie, ou encore un souk. Bref, rien n’était rangé, sauf pour Jeanie, évidemment. La blondinette était parfaitement capable de retrouver l’objet qui lui fallait. Elle expliquait ainsi à ses parents que cette « organisation » était le seul moyen pour elle de mettre la main sur ses biens et qu’elle retenait la place de chacun d’eux. Blaine et Trinity avaient pourtant lutté pendant de nombreuses années pour que Jeanie rangeât sa chambre, en vain. Après plusieurs tests pour vérifier les dires de leur fille en lui demandant notamment de retrouver sa baguette, ses dessins de maternelle, son pot à crayons, sa plume d’oie, la robe qu’elle portait le jour du mariage de sa Tante Mary et le livre de divination de Keir, les parents durent s’y résoudre ; Jeanie retrouvait chacun des objets qu’on lui demandait.

Près de son lit, posées contre le mur, une dizaine de planches en bois de chêne attendaient que le génie créatif de la jeune fille se réveillât. Elle les avait posées là, après les avoir trouvées dans une rue voisine, s’imaginant un jour capable de construire un abris pour le chat du quartier qui refusait d’entrer chez les Catanach. Cela ne pouvait être compliqué puisque Jeanie avait une baguette magique et qu’elle avait appris à s’en servir lors de sa Première année à Poudlard !

Il restait néanmoins un mystère toujours non élucidé relatif à ce bout de bois… La petite fille n’était pas mauvaise lorsqu’il s’agissait de lancer des sorts. Malgré ses troubles de l’attention pendant les cours, elle arrivait à retenir les éléments essentiels pour jeter correctement un sortilège. Cependant, lorsque Jeanie souhaitait user de la magie pour un but… disons… légèrement malveillant, celle-ci ne semblait l’apprécier et le lui faisait savoir en lui brûlant légèrement la paume et les doigts. La blondinette s’était rapidement renseignée sur les baguettes magiques et avait alors découvert que l’outil du sorcier n’était pas qu’une simple branche d’arbre mais une création dotée d’une personnalité, capable de développer une relation avec son utilisateur. C’était là tout le problème. La baguette semblait être en total désaccord avec les facéties de la jeune sorcière et souhaitait même imposer sa volonté.

Posé dans un équilibre incertain sur une pile de livres de Première et de Deuxième année (hérités des grands frères), le morceau de bois de tremble subissait le regard méfiant de sa maîtresse tandis qu’elle pensait à lui. Peut-être devrait-elle parler de son problème à quelqu’un ? La Gryffondor n’avait cependant pas l’habitude de conter ses soucis à ses proches. Mais avait-elle déjà eu à le faire auparavant ? Non, c’était bien la première fois que quelque chose la travaillait autant. Après une année passé à formuler des questions intérieurement sans les dévoiler à quiconque, la jeune fille commençait à croire que la solution à son problème résidait entre les mains d’un spécialiste. Un Ollivander par exemple.

Tout à coup, quelqu’un toqua à la porte et pénétra sans attendre de réponse dans la tanière de Jeanie Catanach. La Gryffondor leva des yeux surpris vers Morgad tandis qu’il refermait la porte derrière lui.

« Tu fais quoi ? demanda-t-il en posant un regard dégoûté sur une chocogrenouille écrasée par terre.
- Rien… je pensais au Caire...
- Oui, normal… »


Un silence tomba dans la chambre désordonnée comme pour marquer le deuil d’un voyage tant rêvé. Jeanie fut la première à le rompre au bout de quelques secondes :

« Mais c’est Keir le plus déçu de nous tous. »

Cette parole surprit le grand frère qui fronça légèrement ses sourcils. Depuis quand sa petite sœur s’amusait-elle à lire les émotions des autres et à y accorder de l’importance ? Elle poursuivit, cette fois en regardant vaguement son lit :

« Il en parlait souvent à Rebecca et les autres. J’crois même l’avoir vu dessiner des pyramides dans son carnet. »

Morgad haussa des épaules avant de soupirer.

« Effectivement… Il est d’ailleurs parti rejoindre Cadell et Rebecca… Enfin, je pense. Il n’a pas vraiment dit qui il allait voir... »

Jeanie scruta attentivement le visage de Morgad tandis qu'il avait les yeux baissés. Son air exprimait toute l’inquiétude qu’il portait pour Keir. Il lui semblait d’ailleurs qu’il avait toujours eu cette expression lorsque son jumeau s’absentait. Craignait-il qu’il ne revinsse jamais ?

« Pourquoi tu viens me parler ? » demanda abruptement la petite fille d’un air sévère.

Surpris par le ton, Morgad ne put s’empêcher de rire.

« Pour savoir comment t’allais. Parler un peu de ce qui se passait en ce moment…
- Tu me parles car t’es inquiet pour Keir. »


Le garçon soutint longuement le regard de Jeanie tout en se demandant s’il était bien face à sa sœur. Comment pouvait-elle être aussi immature et perspicace à la fois ? Et pourquoi s’intéressait-elle aussi soudainement aux sentiments de ses grands frères ? Il l’avait traquée pendant sa Première année à Poudlard sans remarquer la moindre hausse de maturité, se serait-elle effectuée à l’instant, après la réception d’une triste lettre ?

« Je m’inquiète pour tout le monde, répondit-il d’une voix triste. Mais… oui… je crois que je me fais actuellement plus de soucis pour Keir. Personne ici ne se rend compte de ce qui se passe. Papa et maman croient qu’il traverse une adolescence difficile… Mais moi je sens que tout est plus compliqué. »

Morgad s’interrompit pour réfléchir à ses mots. Que pouvait-il bien dévoiler à une enfant de 12 ans ? Pendant ce temps, Jeanie ne le lâchait pas du regard, attendant avidement la suite. Enfin, le Serdaigle prononça ces phrases d’un air grave :

« Nous avons notre lot de choses étranges dans le monde des sorciers. Je dirais même qu’il est plus malsain et compliqué que le monde moldu… Et c’est pourquoi Keir le fuit autant. »

Le visage de la jeune fille se tordit d’incompréhension.

« Keir… n’aime pas la magie ? »

Le garçon répondit avec un sourire mélancolique après s’être assis sur le lit de Jeanie :

« Oh si… Il l’aime énormément. Il a toujours su épater nos professeurs en cours de Sortilèges et de Métamorphoses. Il a une aisance incroyable quand il utilise la magie. Je crois que c’est parce que ça le rend heureux. Il a toujours regardé maman avec admiration quand elle lançait des sorts pour faire voler les fleurs du jardin, quand elle créait, sur les murs, les ombres des personnages des histoires qu’elle nous racontait, ou quand elle faisait apparaître des oiseaux multicolores de nulle part... Pour lui, c’était ça, la magie. Quelque chose qui exauçait les rêves des enfants Et puis, on a grandi… Nous sommes allés à Poudlard. Et on ne peut pas dire qu’on ait eu une scolarité des plus tranquilles. Papa et maman nous avaient toujours protégé de toute histoire sombre. Alors c’est à l’école que nous avons découvert ce qu’était réellement la magie. Une capacité qui n’était en elle-même ni bonne ni mauvaise et qui dépendait tout simplement des choix que nous faisions. Je crois que j’ai toujours eu conscience de cela. Mais pour Keir, ça a été terrible. D’année en année je l’ai senti se renfermer sur lui-même, se créer une carapace entre lui et le monde magique… Car ce qu’il avait idéalisé pendant toute son enfance s'est révélé être une chose parfois cruelle. »

Jeanie avait écouté la tirade avec tristesse. Ses sourcils arqués exprimaient la compassion tandis que sa bouche entrouverte montrait l'état de stupéfaction dans lequel elle se trouvait. Mais elle se devait d'être forte pour Morgad. Aucune larme ne vint couvrir ses yeux noisette.

« Mais… Les histoires de papa et maman sur Harry Potter et Voldemort ou les contes de Beedle le Barde nous ont toujours appris que la magie ne pouvait pas être qu’une bonne chose ! »

Morgad apprécia la remarque de sa petite sœur. La jeune fille avait peut-être mûri, finalement.

« Mais ces histoires devaient lui sembler lointaines. Et elles finissaient relativement bien. Les contes sur Harry Potter ne ressemblent pas du tout à ce qui est écrit dans les livres d’histoire de la magie. Nous sommes passés des histoires heureuses que nous racontaient papa et maman à une réalité… violente… Je me demande même s’il n’a pas assisté à une scène qu’il n’aurait jamais dû voir et qui l’a ensuite traumatisé. Mais il ne m’en parlera jamais… Il est juste devenu une énigme pour nous tous. Et je ne sais pas exactement dans quoi il sombre ni ce qu’il fait quand il est dehors. J’espère simplement qu’il rejoint bel et bien ses amis moldus. Même si je trouve que c’est une drôle d’échappatoire car les moldus ne sont pas mieux que les sorciers. »

Jeanie ne prêta pas attention aux dernières paroles de son frère. Elle songeait plutôt à Keir et au mystère qu’il représentait pour tout le monde. Morgad lui avait certes confié pour la première fois quelques clés de compréhension sur sa personnalité mais beaucoup de zones d’ombre demeuraient. La Gryffondor renifla, les yeux baissés sur le sol jonché d’emballages de chococitrouilles (des pâtes d’amande à la citrouille enrobées de chocolat noir), sans songer à répondre. Le grand frère combla alors le vide d’une voix brisée :

« Je suis désolé de t’en avoir parlé comme ça, Jeanie. Surtout après la mauvaise nouvelle qu’on vient de recevoir… Ca faisait un petit moment que je voulais te le dire et la lettre a soudainement déclenché cette envie. »

La jeune fille leva ses yeux noisette vers son frère. C’était la première fois qu’il lui parlait comme si elle était une grande fille et Jeanie en éprouvait une certaine fierté. Il n’avait plus ce ton à la fois bienveillant et autoritaire du grand frère qui s’adresse habituellement à sa sœur comme s’il s’agissait d’une enfant. En parlant ainsi de Keir, Morgad avait révélé à sa petite soeur une facette de lui-même qu'elle sentit pour la première fois. Le jeune homme était le pilier de la famille, celui qui se souciait plus que quiconque de l’unité de celle-ci. Le moindre remous inquiétant d’un côté l’angoissait et le motivait à agir pour réparer la faille. Il se trouvait alors partout à la fois. Auprès de ses parents, de ses frères, de sa sœur. Veillant à ce que tous les rouages fonctionnent, que chacun se sente heureux. Jeanie aurait légitimement pu se demander : « Et lui ? Est-il heureux dans son rôle ? Se soucie-t-il suffisamment de lui-même ? » Mais la réponse était facile à deviner. Morgad trouvait son bonheur dans celui des autres. S’il se préoccupait autant des siens, c’était parce qu’il s’agissait pour lui du seul moyen d’être heureux. Ainsi, le mal qui rongeait son frère le rongeait tout autant. Bien qu’incapable de se faire toutes ces réflexions, la petite fille ne fut pas insensible aux propos qu’elle avait entendus. Alors, guidée par son instinct, elle quitta sa chaise de bureau et vint enlacer le grand Serdaigle. De sa main droite, elle frotta le dos de celui-ci et tenta de le rassurer comme s’il s’était agi de son petit frère. Elle ne savait quoi dire, aussi se contentait-elle de respecter le silence qui s’était à nouveau instauré. Il enveloppait d’une onde chaleureuse les deux adolescents qui partageaient ainsi un secret et des inquiétudes. Jeanie avait déjà oublié le Caire et ne pensait plus qu’à Keir.

Keir… Caire…
Les mots se ressemblent
et ils ont pour point commun d’échapper totalement à la volonté de la famille Catanach.

Le Serdaigle écarta doucement sa petite sœur pour la regarder tendrement. Ce qu’elle pouvait être cruelle et mignonne à la fois… Il formula alors une question qui lui brûlait les lèvres :

« Et toi ? Comment te sens-tu ? Avec tout ça… L’école… La magie… Ursula Parkinson… Ce que je viens de te dire... »

Jeanie fit mine de réfléchir avant de répondre :

« Je trouve que la magie c’est pratique pour piéger les gens et obtenir ce qu’on veut donc c’est cool. J’aime toujours pas l’école et je fais des rêves dans lesquels Poudlard est en flammes… Et je pense qu’un jour, quelqu’un tuera Ursula Parkinson ! »

Morgad hocha la tête d’un air impressionné. Bon, Jeanie ne perdait jamais le nord, quoiqu’on pût lui annoncer. Après tout, cela restait un enfant malgré ses éclairs de lucidité. Le garçon comprit pourquoi elle avait été envoyée à Gryffondor. Derrière sa témérité et ses allures de tyran se cachait un ange justicier.

« J’aimerais tellement tuer Ursula Parkinson ! Pouf ! Avada Kedavra ! » dit-elle en se fendant, le bras gauche tendu en avant vers le mur.

Ou pas. Le garçon reprit un visage sévère avant de prononcer :

« Tu ne devrais pas dire ça, même pour plaisanter et même si tu n’as pas ta baguette. »

Jeanie haussa les épaules.

« Ca m'empêche pas de le penser. Et, comme ça, Keir redeviendra heureux. J’instaurerai une nouvelle dictature beaucoup mieux que celle d’Ursula Parkinson ! Ah, et je créerai le premier ministère des farces et attrapes au monde ! Tu pourras y travailler si tu fais tous mes devoirs cette année. »

Le Serdaigle se dirigea vers la porte de la chambre en rigolant avec une teinte d’exaspération.

« Mais oui… bien sûr... »

La main sur la poignée ronde de la porte, le garçon exerça une légère pression sur elle tout en la faisant pivoter avant d’expliquer la raison de son départ :

« Je vais essayer de rejoindre Keir et ses amis. Pour m’assurer que tout va bien. Ne dis rien à papa et maman, d’accord ? »

Jeanie hocha la tête d’un air perplexe.

« Oui… mais pourquoi tu ne veux pas les prévenir ?
- Je ne veux pas qu’ils s’inquiètent. »


La Gryffondor décida de respecter sa volonté malgré le nombre de fois où Morgad avait rapporté aux parents Catanach les bêtises commises par sa petite sœur. Le garçon quitta alors la pièce, laissant la jeune fille plongée dans ses réflexions.

Poudlard abritait bien des mystères
mais Jeanie se rendait compte,
petit à petit,
que sa propre demeure en cachait davantage.

Insupportablement vôtre, J.
Deuxième année RP en 2044-2045