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14 août 2019, 11:40
 Solo  Le seuil du haut royaume
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Juillet 2043 – Domaine des O’Wynedd – Au Matin


C’était une maussade matinée. La chaleur de la nuit précédente avait peuplé mes rêves de volutes obscures aux terreurs enfouies. Je m’étais réveillé en sueur, grelottant étrangement. Ce matin, une brume opaque régnait sur la vallée, la tourbe environnante relâchant son eau en une purée de pois humide qui collait à la peau et aux paupières. J’étais dehors, à vérifier le poulailler. L’aïeule avait entendu des bruits d’animaux étranges pendant la nuit. Lorsque j’ouvris la petite porte, les poules sortirent en troupeau compact, rapide, leurs petits yeux volatiles exorbités. Soupirant, j’ouvris les loquets, me préparant mentalement à débusquer un quelconque ragondin coincé à l’intérieur.

Le poulailler était silencieux et froid, sombre comme à son habitude. Pendant que mes yeux s’adaptaient à la pénombre, je humais sa forte odeur, composée de fiente, de pailles, et de vie volatile. Ce matin, une nouvelle odeur, étrange et familière, douce et aigre à la fois, venait à mes sens. Je regardais le sol avant de porter ma main à mon nez, reconnaissant avec stupeur l’odeur au spectacle qui m’était présenté : Une poule noire gisait au milieu du poulailler. Je m’approchais, retenant un hoquet de dégout, examinant le petit corps sans vie, qu’une tâche sombre encore un peu poisseuse entourée. Elle était sur le dos, complétement exsangue, les ailes plaquées sur le sol, une de chaque côté. La paille avait été balayée par le passage de dizaines de petites serres ayant tourné en rond autour du cadavre, formant une sorte d’étrange tourbillon, enfermant dans son œil fatal le malheureux volatile. Je soupirais à nouveau. C’était un présage. Un mauvais présage… Le cœur au bord des lèvres, je ramenais ma main dans ma poche, pour en sortir mon mouchoir. Sans trop m’approcher et en faisant des grimaces, j’entourais le cou de la poule morte de celui-ci, avant de l’attraper à bout de bras, et de sortir de la petite cabane. Grand-mère saura ce qu’il se passait…

Je couru jusqu’à la porte arrière de la maison, trimbalant ma macabre cargaison. Je ralentis avant d’ouvrir, puis passa la tête à travers l’ouverture, détaillant l’intérieur de la cuisine. Ma mère buvait son café fort, adossée au buffet, elle regardait de loin la télé du salon, où ma grand-mère se trouvait, elle-même buvant l’une de ses infusions sorcières. C’était le journal du matin et je voyais la dame de la météo gesticuler sur l’écran.


« Fanelle est morte, grand-mère. Je l’ai trouvé au milieu d’un tourbillon de paille, les… »

« Chut ! » grogna l’aïeule, concentrée sur l’écran.

Pendant que ma mère, stoïque et silencieuse, me débarrassait de mon fardeau, la dame égrenait :

« Perturbations à prévoir pendant la journée avec l’anticyclone en formation, descendant la côte ouest du Pays. Températures dans les normales saisonnières, excepté dans les environs de Cynwyd dans le comté de Corwell où une baisse de température dramatique est prévue pendant toute la durée de l’épiphénomène. »

« Coc y gath », jura l’ancienne en levant les bras en l’air. Elle se retourna sur le fauteuil, me dévisageant, puis tournant son regard vers ma mère : « 15° de moins, on se croirait en hiver… Quelque chose ne tourne pas rond au seuil… »

Désabusée, ma mère se contenta de commenter : « Erwann vient de nous ramener l’une de nos poules noires. Elle est morte pendant la nuit… »

« Dans un tourbillon de paille, gamin ? »

J’opinais de la tête, ce qui déplu à l’ancienne. Dans un juron, elle se redressa, avant de s’approcher de la table de la cuisine.

Présageant du pire, je me reculais de la table, alors que l’aïeule approchait. D’un mouvement de bras, tendu vers le foyer, elle appela l’un de nos couteaux de découpe, qui se détacha de son support avant de filer dans sa main tel un projectile. Elle étendit d’avantage la carcasse sur la nappe en plastique, puis d’un geste habitué attrapa le pauvre volatile avant de lui ouvrir le ventre, exposant ses entrailles à notre vue. Ses doigts fins, blanchis par les années, lâchèrent le couteau avant de fouiller à l’intérieur, pratiquant l’haruspicine, alors qu’elle grommelait :


« Humeur noire, organes décolorés, plus une goutte de sang… » Elle renifla : « Et une faible odeur de cyanure… Cachu hwch, le seuil n’est plus protégé… Il doit y avoir eu un problème à Moel-Ty-Uchaf… »

Le regard de ma mère se fit plus dur, plus focalisé. Elle posa sa tasse, vide, sur la table, à côté de l’oiseau.

« Tu as besoin d’un coup de main ? » dit-elle, à l'attention de l'ancienne, d’une voix pleine de tension.

C’était dans ces moments que l’inspectrice, la chasseuse au fond d’elle-même se réveillait. Le corps de ma mère se redressait, prenait une apparence guerrière, dure, implacable. Un char d’assaut n’aurait pu la renverser. Ma grand-mère leva sa paume vers elle, en signe d’apaisement. Son autre main fouillait toujours le volatile, concentrée. Je tentais de m’esquiver vers ma chambre à l’étage, ne souhaitant pas en savoir d’avantage.

« Non, pas besoin de sortir la grosse artillerie aujourd’hui. Le seuil ne s’ouvre pas aussi simplement… Au contraire, je pense que c’est une excellente opportunité… Erwann ? »

Stoppé sur la marche de l’escalier, je déglutis. Je me doutais de la tournure des évènements. Depuis que j’étais rentré à l’école de magie, mes vacances n’avaient plus jamais été calmes.

« Prends ton nécessaire de gardien. Vérifie le bien avant de partir, faudrait pas oublier un truc. »

Mes yeux se tournèrent vers le visage fermé de ma mère, dont le masque de guerre se fissurait d’appréhension. En silence, elle me jeta un regard éloquent de loin. On ne discutait pas avec la mission. La mort dans l’âme, je trainais des pieds dans l’escalier, me dirigeant comme un zombi vers ma chambre. Au fond de moi, une petite partie, une toute petite partie, se demandait si les choses se seraient passées de la même manière si j’avais juste décidé de faire comme si de rien n’était… Mais, alors que j’attrapais ma besace et ma baguette, je ne pus que me rappeler le mot d’ordre de notre famille : Toujours sur Son passage, tu te trouveras. Car interférer, cacher, protéger, restait notre rôle millénaire. Celui des gardiens de Haute Galles.
Dernière modification par Erwann O'Wynedd le 14 août 2019, 14:32, modifié 2 fois.

Erwann entre en 2ème année RP (Il a donc 12 ans)

14 août 2019, 11:41
 Solo  Le seuil du haut royaume
La main de l’aïeule me relâche, alors que ma tête et mon corps se précipitent sur le côté, retenant non sans mal un haut le cœur puissant. Le transplanage m’est encore une expérience déplaisante. Cette sensation de tournis, d’attrape primordiale, au niveau du nombril, d’aspiration… La pratique était dangereuse tout le monde le savait, et soumise à des tas de restrictions. C’est peut-être mon état, mais tout en me relevant, je ne peux pas m’empêcher de visualiser comme un étrange portail s’ouvrant au milieu du pratiquant, l’aspirant tel un trou de ver vers sa destination. Je frémis à l’idée que ce portail ne reste qu’à mi ouvert, suffisamment pour en aspirer l’intérieur mais pas le reste. Mes camarades de classes riaient des désartibulations de sourcils ou d’ongles des pouces. Mais qu’advenait-il lorsque cela était plus grave ? L’image me fit retenir un ultime hoquet avant que je ne force mon esprit à se calmer.

Pantelant, je regarde le paysage autour de nous. Ou plutôt son absence. Nous sommes sur la lande, quelque part proche de Cynwyd, mais c’était plus une réponse éduquée qu'autre chose car une brume dense bloque la vision à moins de vingt mètres tout autour de nous. Il fait un froid de canard malgré le mois de Juillet et je me félicite intérieurement d’avoir pris ma parka avec moi. Ma grand-mère se tient droite, les poings sur les hanches, regardant autour de nous pour se repérer. Voyant que je suis en bon état, elle pointe son doigt dans une direction.


« Par là. »

Je lui emboite le pas. Nous marchons une bonne minute avant de voir la première pierre du cercle. Celle du souverain. Derrière elle, le cercle de pierre se fait progressivement jour. C’est la première fois que je viens et la première chose qui me frappa est l’étrange régularité du site. En général, un caïrn ancien opère en synergie de son environnement. Leur allure régulière mais tout de même un peu foireuses est une habile discussion philosophique avec la Nature. L’Homme pose les pierres, démontrant ses intentions. La Nature y répond, guidant les travaux, y érigeant des obstacles. Puis quand le site est construit vient la sédimentation, la longue et lente assimilation du site par l’environnement, polissant les pierres, renforçant les structures magiques sous-jacente, faisant tomber les pierres qu’il faut, comme il faut. Ces anciennes structures mégalithiques restent encore aujourd’hui les lieux les plus chargés en énergie magique naturelle que l’on peut trouver. Parfait pour s’y cultiver, faire corps commun avec Mère Nature, notre protectrice.

Quelle n’est donc pas ma surprise de découvrir un cercle si étrangement bien entretenu. Les pierres, pourtant laissés à l’abandon, sont propres, vides de toutes mousses, alignées parfaitement. Le flot d’énergie qui s’en dégage est puissant, mais avec cette étrange intonation métallique, entre le sang et le minéral, du travail de l’Homme. Malgré l’herbe du site, c’est comme si la Nature avait quitté ce lieu en des temps anciens, pour ne jamais y revenir. Ce n’est pas dans ses habitudes.

Interloqué, mais silencieux, je m’arrête auprès de l’aïeule alors qu’elle sors de sa besace un jeu d’anciens osselets. Ouvrant la petite poche, elle laisse tomber sur la pierre maitresse les phalanges anciennes et gravées. Je me détourne de sa pratique, car je n’ai pas encore commencé cet apprentissage spécifique qui requiert silence et concentration. M’éloignant, je commence à faire le tour du cercle de pierre, perturbé par sa toujours poignante artificialité. Je frissonne dans ma parka. Depuis que nous sommes arrivés, je n’arrive pas à m’empêcher de me retourner au moindre mouvement dans la brume. J’ai l’impression d’être insignifiant dans ce silence étrange, perdu au milieu du néant. Pas de bruits alentours. Pas d’insectes, pas d’oiseaux. Juste ce silence glaçant.

Je m’accroupis au niveau de l’une des pierres, posant ma main dessus. Les entrelacs antédiluviens ont depuis longtemps été lavés par les intempéries, mais leur énergie subsiste et mes mains exercées parcourent le rocher, frôlant leur flot spécifique, les reconstruisant dans ma tête pour tenter d’en apprécier l’image, à défaut d’en comprendre le sens. Lorsque je ferme les yeux, une respiration me frôle la nuque, me faisant me retourner en sursaut. Mes yeux me jouent des tours, mais je suis certain d’avoir vu quelque chose disparaitre dans la brume. Je jette un regard à ma grand-mère. Sa silhouette est toujours là, immobile comme le rocher qu’elle contemple.

Ma main vient inconsciemment chercher le réconfort de ma baguette. M’armant de courage, je décide de pénétrer dans la brume sur quelques mètres, prudemment, à pas de loup. Je garde toujours la forme du site derrière moi. C’est à cet instant que j’entends la mélopée.

Un très faible chant sort de la brume alentour. Un fredonnement triste et battant, féminin, enjôleur. Mon ennui est maximal et l’aïeule en a certainement encore pour un moment. Ma main vient fouiller dans ma besace, en sortant une longue bobine de fil d’un rouge éclatant. Je me rapproche à nouveau du caïrn et saisit la pierre la plus blanche que je peux trouver. Puis je noue l’extrémité de mon fil à celle-ci avant de la coincer entre deux des pierres levées. Ainsi préparé, je rentre dans la brume, ma bobine se déroulant dans mes mains. La mélopée n’est pas très loin et je veux savoir. A pas de loup, j’avance sur la lande, me guidant d’avantage avec mes oreilles que mes yeux.

Cette musique est d’une tristesse infinie, comme une lamentation. J’y ressens la douleur de la perte, mais aussi la chaleur d’un amour sans borne. Elle est lentement rythmée par un bruit de bois claqué, éclaboussé. Une dizaine de mètres plus loin et je discerne les clapotis d’un ruisseau. Quelques pas encore et j’en distingue la berge et les contours. La brume est plus faible à cet endroit, certainement aspirée par le passage de l’eau courante. Regardant alentour, je distingue deux formes blanches à l’orée de ma vision. Je m’approche doucement. Deux hautes personnes sont agenouillées dans le courant, recouvertes d’une cape à peine plus blanche que la brume. Elles me tournent le dos, mais je distingue une main diaphane et filiforme se dresser vers le courant, saisissant quelque chose, le passant dans l’eau.

J’ai entendu dire qu’une communauté d’elfes vivait encore dans le parc naturel de Snowdonia, à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest d’ici. Je n’en ai jamais vu de ma vie mais ces hautes silhouettes drapées de blanc correspondent totalement à la vision que j’en ai. Je suis fasciné. Silencieusement, je me rapproche, m’accroupissant au ras du sol pour éviter d’être vu. Je distingue la main de la plus proche se dresser en l’air, paume ouverte, alors que son triste fredonnement retentit. La brume semble comme attirée par la créature, prenant forme solide en un long drap blanc. Mes yeux me jouent certainement des tours. Je m’approche encore. Je distingue désormais un sombre panneau de bois humide, sur lequel ces draps de brumes sont frottés. Sont-elles en train de chasser la brume de cette manière ? Je reste immobile, mes sens tout à ma contemplation de ce lent travail de purification. Quelque chose attire mon attention, proche de la berge. Je m’approche encore d’un pas silencieux. Il y a un troisième panneau de bois sur le sol. Mes yeux s’écarquillent mais je n’ai pas le temps de m’enfuir.

Une main s’abat sur mon épaule, me retournant de force. La même main diaphane, le même habit blanc. Je vois ce qu’il se cache sous la haute capuche de brume.

Je crie.

Erwann entre en 2ème année RP (Il a donc 12 ans)

14 août 2019, 14:07
 Solo  Le seuil du haut royaume
« Erwann ! »

Je me réveille en sursaut, mon corps étendu sautant sur place, avant de me cogner contre une roche humide. Ma tête bourdonne de douleur, d’incompréhension et de dégout, alors que je me rends progressivement compte que mon lieu de sommeil n’est autre que la boue du ruisseau. Ma grand-mère me dévisage de toute sa hauteur, désapprobatrice.

« J’ai senti ton médaillon frémir, Erwann. Dans quoi es-tu allé te fourrer ? »

Je grimace, ayant du mal à reprendre entièrement mes esprits. Pourquoi suis-je venu ici déjà ? Ah oui, la mélodie. Glissant dans la boue, je me redresse. Mon corps frissonne de confusion. L’aïeule reste silencieuse, attendant patiemment. Je secoue ma tête, tentant ainsi d’en enlever l’hébétude. Le succès est mitigé.

« J’ai entendu une mélodie triste dans la brume. Je suis allé enquêter… Je suis tombé sur ce que j’ai cru être des elfes, tous habillés de blanc… »

J’ai mal au crâne. Je ne me souviens de rien après ça. La brume alentour ne laisse que peu d’indice sur le temps qui vient de s’écouler. Suis-je resté évanoui longtemps ?

« Ils… Elles lavaient la brume… Je me souviens avoir été attrapé… Et puis plus rien. »

Ma grand-mère avait croisé les bras, renfrognée. Elle était rarement alarmée, mais je sent à sa grimace de désapprobation que j’ai fait une bêtise. Elle détourne la tête, regardant la berge.

« Des lavandières », énonce-t-elle comme une évidence. « Des esprits du passage, préparant les suaires des âmes mortes, en prévision de leur voyage... Heureusement pour toi, ce ne sont pas des esprits dangereux… Ce sont des messagers, faits pour transmettre un message et disparaitre.» Son regard vient à ma rencontre, il y a de l’urgence dans sa voix. « Cela veut dire que le seuil est fragilisé. Ce qui est de l’autre côté est en train de se réveiller. Nous devons nous dépêcher. »

Elle repart en direction du cercle de pierre, ses pieds foulant la terre autour de mon fil rouge. Je ramasse la bobine et la suis en jetant des regards alentour. Plus aucune trace des esprits, la berge ne gardant mémoire de ce qu’il s’était passé que par les traces de mon sommeil dans la boue.

« Erwann ! Mewn cachiad ! »

Je me presse, haranguée par ma grand-mère. Je suis étrangement heureux de retrouver ces vieilles pierres. L’aîeule me colle une claque rapide et maternelle derrière le crâne alors que je passe à côté d’elle.

« Vu que tu t’ennuies, j’ai un boulot pour toi. Peux-tu faire la carte énergétique du lieu ? Ça t’évitera de laisser ton petit doigt t’entrainer dans un nouveau danger… »

Je maugrée mon assentiment tout en terminant de décrocher la ficelle. Ma grand-mère me laisse et reviens se placer proche de la pierre maitresse, sortant une coupe de bronze de son sac, et la remplissant d’une de ses gourdes. Je la regarde avec intérêt. Parmi toutes les techniques de divination que connait ma grand-mère, c’est sa postcognition que je trouve la plus fascinante. Avec ce breuvage et cette coupe, elle peut se propulser dans la mémoire d’un lieu, afin de pouvoir en discerner les évènements comme si on y était. Encore faut-il savoir exactement ce que l’on recherche, d’où l’utilisation précédente des osselets, qui par questions successives permettent de comprendre une situation. Je soupire, il n’est pas encore temps pour moi d’apprendre ce genre de choses… La pratique peut être dangereuse, si on se perd dans sa recherche et il faut donc être bien préparé, ce qui n’est pas encore mon cas. Je retourne donc à ma tâche.

Je sors de ma besace mes baguettes de chasseurs de sources et mon carnet de dessin. Les flots d’énergie naturelle sont tout autour de nous, mais ils sont trop subtils sans outils pour les évaluer. Armé de mes deux antennes, je commence à doucement évoluer dans et hors du cercle de pierre, suivant les flots, en cartographiant la direction et la topographie. L’exercice me relaxe étrangement, car il ne consiste qu’à se laisser porter par le courant. Alors que je finis mon dernier tour du cercle, je me rends compte que je n’ai plus pensé aux évènements du ruisseau depuis plusieurs minutes. Je me sens bien, peut être la première fois de la journée.


« Twmffats ! Foutus touristes !»

Je me retourne à l’interjection de ma grand-mère, que je vois marcher furieusement vers le centre du cercle, tenant sa coupe à la main, son regard rivé dans son intérieur. Elle pose la coupe sur l’une des pierres avant de jurer à nouveau.

« Pric Pwdins ! Cette bande d’idiots ! Pas étonnant que je ne voie rien de bizarre. Pourquoi ont-ils fait ça ? »

Je me rapproche, alarmé. Ma grand-mère se retourne, les sourcils froncés. Elle désigne mon carnet de dessins ouvert du menton.

« Erwann, tu tombes bien, as-tu discerné une anomalie sur le champ d’énergie ? »

J’écarquille les yeux. Sans comprendre, je regarde mon dessin. Rien ne me saute aux yeux immédiatement. Mes yeux trainent sur mes environs, je repositionne le dessin, pointe dessus l’endroit que ma grand-mère désigne. Une toute petite anomalie, une ligne énergétique inversée.

« Oh, il y a une pierre mal alignée. Celle-ci. » Je la désigne du crayon, sous le regard furieux de l’aïeule. « Je ne comprends pas, c’est pas normal ? »

« Non ce n’est pas normal ! » Éructe-t-elle en levant les bras. « Un groupe de sorciers s’est servi du caïrn hier soir comme point de destination. L’un d’entre eux est tombé sur la pierre, l’a renversé. Il a tenté de camoufler sa bévue en la remettant en place. Ce crétin a foutu en l’air l’alignement du sceau ! Pas étonnant qu’il y ait des fuites ! »

Je reste interdit devant cette débauche de fureur. Ma grand-mère est en général sanguine, mais je ne l’ai jamais vu aussi agitée. Sa main vient pincer le haut de son nez, alors qu’elle fronce les yeux, tentant de se calmer. Son regard revient vers moi, elle voit que je ne comprends pas. Je n’ose rien dire, je ne sais pas si je dois savoir. Un sceau, un caïrn contre nature, des sorciers se comportant en touristes ignorants. Trop d’indices qu’il se passe quelque chose ici, en cet endroit, dont même le ministère n’est pas au courant. Le travail de ma famille est perclus de secrets de ce genre dont je ne commence qu’à peine à éprouver la profondeur. L’aïeule voit mon indécision. Elle soupire.

« Au moins nous savons maintenant ce que nous devons faire… Erwann, peux-tu t’en occuper ? »

Mon esprit se remet en place. Elle me demande de redresser correctement la pierre. J’acquiesce sans rien dire tout en rangeant mes baguettes énergétiques et attrapant mon sextant, alors que ma grand-mère retourne à la pierre maitresse. J’ai besoin du positionnement des astres pour cela. Quelques calculs rapides et me voilà prêt, les détails précis de l’orientation de la pierre dans les mains. Cette fois enfin je sors ma baguette de sorcier. Je tourne et j’abaisse.

« Wingardium Leviosa »

La pierre tremble et entrechoque ses voisines. Alors qu’elle se lève, je sens le sol trembler autour de moi dans un fracas soudain.

« Erwann ! Mewn cachiad chwanan ! »

Je me retourne, regardant ma grand-mère, les mains en entonnoir. Pourquoi faire vite ? Je comprends soudain. Le sceau est fragilisé. Ce qui est derrière est en train de se réveiller. Je suis en plein milieu du cercle, à l’épicentre du sceau. Je ressens plus que je ne vois quelque chose, une forme furtive et nébuleuse commencer à assombrir le soleil. J’entends comme un mugissement dans l’air, une énorme plainte collective, issue de centaines de milliers de voix. Je me focalise sur ma tâche pour ne pas me laisser entrainer par ma peur. La pierre tourne lentement, avant de s’enfoncer dans la terre.

Alors qu’elle se scelle enfin, le soleil revient, les voix se taisent. Le silence est assourdissant. Mal à l’aise, je me rapproche en regardant par-dessus mon épaule de ma grand-mère, qui termine une dernière lecture de ses osselets, arborant un air satisfait.

Une peur sourde a repris contrôle de mon corps, j’attire le regard de l’ancienne, qui s’est détendue.


« Grand-mère… Qu’est-ce que protège cet endroit ? »

Elle me sourit. De ses regards tristes et mystérieux que je ne connais que trop bien. Autour de nous la chaleur revient, la brume commence à laisser place aux rayons du soleil.

« Il est encore trop tôt pour que tu le saches, Erwann… »

Solo terminé

Erwann entre en 2ème année RP (Il a donc 12 ans)