Le feu de la cheminée s’alluma d’un coup dans un crépitement sonore, signe de l’arrivée d’une personne dans la maison. Isabel leva la tête vers la pendule de la cuisine où elle se trouvait, et fronça les sourcils. 11h10. Il était beaucoup trop tôt pour que Kyle rentre du travail et elle n’attendait personne d’autre. Elle laissa en plan son verre d’eau et le journal qu’elle lisait pour se rendre dans le salon où elle trouva Kyle essoufflé et le visage tendu. Il ne lui en fallu pas plus pour comprendre que quelque chose n’allait pas.

« Qu’est-ce qu’…
- Où est Natan ?
- Dans son lit, il dort, pou…
- Va le chercher. Je crois qu’il va falloir qu’on parte. Ou pas... Je sais pas. Faut …
- Kyle ! cria Isabel en saisissant le bras de son compagnon pour le faire redescendre et le calmer. Qu’est-ce qu’il se passe ? »

Kyle resta figé un instant, les yeux perdus. Inquiète, Isabel attendit qu’il reprenne le fil de ses pensées, les doigts toujours crispés autour du bras de l’homme.

« Le Ministère… chuchote Kyle. Le Ministère est tombé… »

Isabel blêmit à vue d’œil à mesure qu’elle prenait conscience des paroles prononcées. Sa mâchoire se crispa alors que des flashs de la dernière attaque du Ministère lui revinrent en mémoire. L’explosion… Les morts… La peur… Elle ferma les yeux pour chasser ces images. Elle les rouvrit et chercha le regard de Kyle.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il y a eu des blessés ? Il ne t’est rien arrivé au moins ? »

Kyle secoua la tête en prenant son visage entre ses mains avant de s’asseoir sur le canapé.

« Je n’étais pas là… J’étais dans le laboratoire de potion. Mais Thomas est venu me chercher et m’a raconté… Ils ont tué… la femme et le fils du Ministre… »

Isabel amena une main à sa bouche, étouffant un juron. Elle s’assit aux côtés de son compagnon, et l’écouta lui raconter ce qu’il s’était passé dans l’Atrium quelques minutes plus tôt.


« Il paraît qu’ils ont infiltré Poudlard à l’heure qu’il est. » ajouta Kyle après avoir restitué tout ce qu’il savait.

Les cheveux d’Isabel s’assombrirent dans la seconde et elle bondit sur ses pieds, la baguette d’ores et déjà dégainée. La main de Kyle lui attrapa le poignet avant qu’elle n’ait le temps de transplaner.

« Je dois y aller ! dit Isabel dont la voix était troublée par la colère.
- Ils peuvent se débrouiller sans toi.
- Mais…
- S’il te plait, la coupa Kyle. Il faut qu’on réfléchisse à ce qu’on va faire. »

Isabel hésita un instant, piétinant d’un pied à l’autre, son poing toujours serré autour de sa baguette. Elle était tiraillée. Elle voulait du fond de son cœur rejoindre l’école, la défendre corps et âme. C’était en elle, inscrit dans son instinct. Mais plus profond encore, dans ses entrailles et son sang, la présence d’un petit être qui dormait paisiblement à l’étage de cette maison lui intimait de rester ici. De ne pas prendre de risques inconsidérés, et de laisser l’école se débrouiller. Kristen serait là. Marty Lamberts aussi. Et d’autres encore. Ce n’était plus à elle de gérer ça. Pour le moment en tout cas.
Lentement, Isabel desserra ses doigts et laissa tomber sa baguette sur le parquet du salon. Les yeux embués de larmes, elle prit Kyle dans ses bras.

« Tu n’y retourneras pas ! »

Quiconque passait dans cette rue d’Edimbourg ce jour-là, devant la maison des Hudson-Almeida pouvait entendre la voix furieuse de la jeune femme s’échapper d’une des fenêtres entrouvertes de la bâtisse.

Le couple se trouvait dans la cuisine. Isabel faisait les cent pas dans la pièce, agitant frénétiquement un biberon dans sa main pour mélanger son contenu – déjà parfaitement mélangé - tel un exutoire à la colère qui semblait l’habiter. Kyle quant à lui avait les deux mains posées sur le plan de travail, les yeux fermés et la mâchoire crispée.

« On va avoir besoin d’argent ! » sembla-t-il répéter pour la énième fois face au refus de sa compagne.

Kyle se retourna, prenant appui contre le meuble, et croisa les bras sur son torse.

« Comment veux-tu qu’on s’en sorte si je ne retourne pas travailler au Ministère ? »

Isabel pointa le biberon vers son compagnon dans un geste menaçant.

« Moi vivante, tu ne t’inscriras pas sur leur fichue liste. Il est hors de question qu’ils te comptent parmi leurs rangs tout ça pour de l’argent. Isabel reposa le biberon d’un geste sec sur la table. Ils pourraient te demander, t’imposer de faire des poisons pour je ne sais quoi, ou même de te battre. De te battre contre Poudlard par exemple. Et ne lève pas les yeux au ciel ! Tu sais très bien que ça finira par arriver, il paraît que les membres qui rejoignent le Conseil sont sous serment inviolable ! Et je serai aux côtés de quiconque voudra tenir tête à cette… folle. Il est hors de question que je me retrouve d’une manière ou d’une autre contre toi. Je ne pourrai pas… Et Natan… »

La voix d’Isabel était de moins en moins forte, de plus en plus fragile. Kyle soupira et s’approcha de sa compagne pour la prendre dans ses bras.

« Ok, ok. Je ne retournerai pas au Ministère. »

Il l’embrassa sur le front.

« Mais comment on va faire ?
- Je reprends le travail à Poudlard dans moins de quatre mois. En attendant, il nous reste quelques économies. Et ma mère pourra nous aider, elle m’a envoyée un hibou ce matin. Elle pourra garder Natan si besoin, le temps que tu retrouves un travail. »

Kyle hocha la tête, pensif

« Ça ne me rassure pas vraiment de savoir que tu comptes te battre, tu le sais ?
- Oui, répondit Isabel en rigolant. Mais je serai incapable d’en faire autrement. Kristen m’a expliquée ce qu’il s’était passée à Poudlard quand le Conseil a essayé de s’y infiltrer. L’école n’a jamais été aussi sécurisée. J’y serai en sécurité.
- Jusqu’à ce que vous décidiez d’en sortir pour vous battre.
- Il se passera forcément quelque chose contre Parkinson. Je ne sais pas quand, ni comment… Mais la population ne laissera pas faire toute cette folie. Et oui, je compte bien participer à tout ça si l’occasion se présente. Mais je n’agirai pas sans réfléchir, tu le sais bien. Je ne suis pas une Gryffondor, ajouta Isabel, son sourire transparaissant au travers de ses mots.
- Hé ! répliqua Kyle en la repoussant. Je ne te permets pas, dit-il, faussement vexé.

La jeune femme rit de bon cœur, avant de reprendre le biberon dans les mains. D’un mouvement de baguette, elle fit chauffer son contenu, adressa un clin d’œil à son compagnon et sortit de la cuisine.

« On s’en sortira, ne t’inquiète pas. » dit-elle juste avant de franchir la porte de la pièce.

Isabel débarqua en transplanant au milieu de son salon. Elle revenait d’une entrevue avec Kristen, pour laquelle les tours et détours pour pouvoir se voir en toute sécurité avaient été bien plus longs qu’à l’accoutumée. Depuis bientôt deux mois, le Conseil régnait en maître sur le Royaume-Uni, et les lieux stratégiques du pays étaient tous sous l’emprise grandissante des Manteaux Noirs.
Des pas dans les escaliers annoncèrent l’arrivée de Kyle au rez-de-chaussée. Il apparu dans l’encadrure de la porte, tenant dans ses bras le petit Natan qui semblait se réveiller depuis peu.

« Alors ? »

Isabel s’approcha en tendant les bras. Elle récupéra son fils qu’elle tint serré contre elle. Elle ferma les yeux, embrassa la petite tête chevelue du garçon et respira son odeur. Isabel sentit immédiatement ses muscles se détendre. Elle colla sa joue contre le crâne du petit, et regarda Kyle en souriant.

« Des choses se préparent, dit-elle en s’asseyant sur le canapé et en allongeant Natan sur ses genoux afin de jouer avec lui. Kristen est en train de… monter un Réseau.
- Un réseau ? Pour ? Se battre ?
- Oui et non. Pour se battre sur le même terrain qu’Ursula Parkinson en fait. Le renversement ne se tentera pas uniquement par la force. Le but sera de… créer un nouveau type de gouvernement, et de décrédibiliser celui de Parkinson pour la renverser plus facilement.

Isabel expliqua rapidement de quoi il s’agissait, retraçant les grandes lignes de sa discussion avec Kristen. La création du Réseau, les pistes à développer pour mener à bien le projet, le gouvernement qu’il était prévu de construire si le renversement fonctionnait… La jeune femme omit seulement de mentionner les noms des personnes déjà engagées. Sa confiance en Kyle était absolue, mais moins de personnes connaîtraient les véritables noms des sorciers membres du Réseau, mieux ce serait.

« Et toi là-dedans ? Qu’est-ce que tu comptes faire ?
- Mon objectif reste avant tout … de m’occuper … de l’école, répondit Isabel tout en embrassant tour à tour les petites mains de Natan qui en riait aux éclats. Je n’ai pas envie d’avoir à bouger aux quatre coins du pays. Les élèves les plus âgées de l’école pourront rejoindre le Réseau s’ils le souhaitent, mais seront formés au sein de l’école. Je serai en charge de superviser tout ça, et m’assurer qu’ils ne soient pas envoyés n’importe où. Je ne veux pas qu’on en fasse de la chair à canon. »

La jeune femme constata que cette réponse semblait rassurer son compagnon qui se détendit indéniablement. Elle le regarda se lever pour visiblement aller chercher l’un des jeux de leur fils.

« Et toi, tes recherches de travail ?
- Compliquées… Les Manteaux Noirs et les membres liés au Conseil sont de plus en plus nombreux, autant dans les rues que dans les entreprises. Être un ancien employé du Ministère qui a refusé de prêter allégeance au nouveau gouvernement n’aide pas vraiment à trouver du travail. Les gens commencent à avoir peur des représailles, et ça n’aide pas. »

Kyle était revenu sur le canapé avec un anneau tintant au moindre mouvement que Natan s’empressa de porter à sa bouche, ses petites dents poussant douloureusement depuis quelques mois déjà.

« Je pense que je vais devoir revoir mes exigences à la baisse…
- Tu finiras par trouver. Tu pourrais voir avec Kelly… Elle travaille en Irlande, je sais, mais peut-être qu’elle pourrait t’avoir une place. Et puis ce gouvernement ne restera pas en place indéfiniment. Les choses finiront par rentrer dans l’ordre.
- Je l’espère …

« Comment je vais faire sans toi… ? »

Isabel était allongée sur un tapis de sol dans la chambre de Natan. Positionnée sur le côté, elle faisait face à son fils qui était allongé juste à côté d’elle, à hauteur de son visage. D’une main, elle caressait ses petites joues potelées ou lui chatouillait le ventre.
C’était sa dernière journée. Demain, elle repartirait pour Poudlard.
La jeune femme sentit une larme couler le long de sa tempe et venir s’écraser sur le tapis. Elle essuya la trace humide du revers de sa main. Ce mouvement intrigua le garçon qui tendit ses bras, touchant de ses doigts maladroits les joues de sa mère. Isabel attrapa ses petites mains dans la sienne en souriant, et les embrassa tendrement.

« Tu vas beaucoup me manquer, tu sais. »

Isabel chuchotait en continuant d’embrasser les mains de son fils, ce qui le faisait grandement sourire. Quand il essayait d’attraper la bouche de sa mère entre ses doigts, celle-ci faisait mine de les mordiller, les pinçant doucement entre ses lèvres, et le garçon éclatait dans un rire communicatif. La jeune femme se redressa sur son coude, et se pencha pour déposer une pluie de baisers sur le visage de Natan qui secouait la tête de droite à gauche, son fou rire emplissant la pièce.
Isabel finit par s’asseoir en tailleur, le sourire aux lèvres. Elle cala ses mains sous les bras du garçon et le souleva afin de l’installer entre ses jambes. Silencieuse, elle observa le visage de son fils. Il ressemblait de plus en plus à Kyle à mesure que les mois passaient. Et dire qu’il avait fêté son premier anniversaire quelques jours plus tôt. Tout passait si vite… Elle s’était pourtant dit qu’un an, c’était bien. Que ça lui laisserait le temps de profiter de son fils, de son nouveau rôle de maman, et qu’elle reprendrait sereinement son travail à Poudlard. Elle avait hâte de retourner au château, de reprendre son travail, ses cours, de revoir les élèves. Il n’y avait pas de doute là-dessus. Mais pourquoi personne ne l’avait prévenue qu’un an aurait semblé un mois, et qu’elle aurait l’horrible impression d’abandonner son enfant ? Et surtout que ce serait aussi douloureux, là, au fond du cœur ?
Par Merlin, qu’est-ce que ça pouvait faire mal d’aimer autant.
De nouvelles larmes coulèrent sur ses joues, alors qu’elle continuait de sourire en regardant Natan.

« Je ne pensais pas que ce serait si difficile… dit-elle à voix basse. Mais je reviendrai vite, c’est promis. Maman reviendra toujours. »

Elle avait déjà tout prévu. Chaque week-end, elle rentrera ici. Et même quelques soirs en semaine, lorsque son emploi du temps lui permettra. Car Isabel avait cette peur primaire au fond d’elle, égoïste peut-être et pourtant si ancrée. Celle de penser que son fils pourrait l’oublier si elle ne rentrait pas suffisamment souvent. Qu’il l’aimerait moins. C’est pourquoi cette petite promesse qu’elle lui adressait lui semblait si importante en cet instant. Elle savait qu’il ne comprenait pas encore les mots qu’elle prononçait. Mais elle voulait qu’il ressente dans sa voix, dans ses yeux, à quel point elle l’aimait et à quel point elle serait là pour lui. Alors elle lui sourit encore, sans plus penser à autre chose qu’à cet instant précis avec lui.

« Je t’aime. »