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12 sept. 2019, 10:03
 Worcestershire  Le poison de la vie  Solo 
7 juin 2044
Domaine Bristyle — Worcestershire


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Arya Bristyle, 50 ans 
Mère d’Aelle



Arya transplane au pied de la porte d'entrée. Les limites de leur terrain ont diminué depuis qu’ils ont fait installer la nouvelle barrière magique ; il serait presque dangereux d’aller dans l’établi qui se trouve à quelques mètres, hors barrière, désormais. Sans parler de la forêt.

Elle rentre sans attendre dans le vestibule, ne prend pas le temps d'ôter ses talons, ni même de retirer sa cape ; elle pousse brutalement la porte et fait irruption dans le salon.

« Zile ? » appelle-t-elle, ne l'apercevant pas dans la pièce.

L'angoisse. Toujours la même. Celle qui la prend aux tripes et qui la détourne même de ses passions les plus ardentes. L'angoisse ne la laisse pas en paix ; quand elle part elle a peur, quand elle rentre elle a peur. De quoi ? Qu'il ne soit pas revenu, qu'il ait fait une erreur, qu'il soit malchanceux ; d'apprendre une nouvelle d'ici ou d'ailleurs. Alors elle rentre, elle crie, elle attend.
Pas longtemps.
Du bruit provient de la petite salle de bains sous l'escalier ; un Zile fatigué, *mais bien vivant*, en sort.

Arya soupire de soulagement, lui lance un regard désapprobateur comme pour lui reprocher de l'avoir effrayée. Ralentie par le poids de ses pensées, elle ôte enfin sa cape dont elle se débarrasse sur le meuble-bar.

« Tout va bien, chérie ? » demande son mari en s'approchant pour l'embrasser.

Arya recule, évite le baiser, soupire puis offre finalement un sourire à un Zile dépité de se voir repoussé.
Elle aimerait s'excuser, mais n'y parvient pas. Aujourd'hui elle n'a pas la force d'embrasser, de serrer, de rassurer ; elle n'a pas la force de grand chose.
Le tout va bien ? n'est pas le même que celui des jours quotidiens. Elle le sent. Aux yeux soucieux de Zile et à son cœur qui palpite bien trop rapidement dans sa poitrine. Non, ce n'est évidemment pas un tout va bien ? auquel on répond sans y penser.

« Il y en avait une petite dizaine aujourd'hui, » dit-elle en entrant dans la cuisine.

Elle attrape la bonbonnière posée sur la plus haute étagère. Elle a été placée là pour empêcher les enfants de s'en goinfrer à longueur de journée. Finalement, la hauteur ne les a jamais arrêté et ce n'est pas eux, mais elle qui en mange à tout bout de champ.

« De quoi ? demande Zile. Je te sers un thé. Noir, d'accord ? »

Ce n'est pas vraiment une question, elle ne prend donc pas la peine de répondre. Il la connaît assez pour savoir ce dont elle a besoin.
Dans le bocal en verre elle attrape une patacitrouille qu'elle fourre dans sa bouche.

« Manteaux Noirs, » articule-t-elle en mâchant.

« Encore, » soupire Zile pour la forme.

Arya ne lui apprend rien ; tous deux savent qu'il y a toujours des Manteaux Noirs qui rôdent autour de Sainte-Mangouste.

La femme le regarde s'affairer pour préparer le thé. Il ne touche pas sa baguette qu'elle sait glissée dans sa manche droite. Comme elle, il préfère s'occuper les mains. Soupirant, Arya attrape une sucrerie, puis une deuxième et les mange férocement. Elle a besoin de cela pour remplir le trou béant qui s'ouvre dans sa poitrine. Elle en a besoin pour ne plus ressentir cette sensation que tout est vain, que tout est trop dur, trop noir, trop grave ; elle a l'impression d'être plongée dans une immense cuve d'acide et de se faire ronger, peu à peu, la peau et les os. Quand disparaîtra-t-elle, dissoute par le poison ?

24 sept. 2019, 20:09
 Worcestershire  Le poison de la vie  Solo 
« Qu'est-ce qu'il y a Arya ? »

La voix de son mari la surprend. Elle émerge de l'écume de ses pensées, repousse l'océan de sa peur. Elle lance un regard perdu à l'homme qui dépose une tasse fumante devant elle. Fière et légèrement réticente à se confier — cela ne ferait que rendre réelles ses inquiétudes —, elle se renferme.
Zile ne se détourne pas.
Elle sait qu'il sait.
Il sait qu'elle finira par abandonner cette barrière idiote qu'elle continue d'ériger autour d'elle malgré les années.

Lasse, la femme enfourne une poignée entière de sucreries dans sa bouche.

« Ça fait des semaines que les Manteaux Noirs tournent autour de l'hôpital, insiste l'homme en entourant ses mains autour de sa propre tasse. Qu'est-ce qui a changé ? »

« Leur nombre. »

« Voyons Arya, souffle Zile, Luneau protège l'établissement et les barrières sont assez... »

« Non, ce n'est pas ça, l'interrompt-elle en secouant la tête. Je ne m'inquiète pas pour Sainte-Mangouste. L'hôpital est sûrement aussi sauf que Poudlard. »

L'homme ne dit rien, se contente de l'observer. Il a toujours été très respectueux des silences ; Arya sait qu'ainsi il croit laisser de la place aux pensées de ses interlocuteurs. Leurs enfants détestent ça.
Elle également.

« Mais Luneau ne peut rien pour ceux qui quittent l'hôpital, » souffle-t-elle.

« Tu penses à nous, » devine Zile.

Ses sourcils sont tellement froncés que ses yeux paraissent plus sombres encore que d'habitude.
L'homme finit par contourner le bar et vient poser sa main sur le bras d'Arya.

« Arya, il y a des centaines d'employés à Sainte Mangouste ! Les plus en danger sont les plus hauts placés. Tu es guérisseuse, pas guérisseuse-en-chef. Ce serait une malchance folle que… »

Arya arrache son bras de l'étreinte et se retourne vers Zile, ses sucreries oubliées. Ses yeux noisette brillent follement. La peur prend le dessus ; elle n’a même pas le temps de se sentir offusquée d’avoir un poste si peu important qu’elle en devient invisible — selon les dires de son mari.

« Une malchance ? s'exclame-t-elle. Sur les dizaines de personnes qui connaissent mon nom à l'hôpital, sans compter les patients, les familles des patients, et que sais-je encore, ce serait vraiment une malchance que l'un d'eux décide d'offrir quelques noms pour sauver la peau de son cul ? »

Elle crie à présent. Lorsqu'elle s'en rend compte elle se tait, mais ne détourne pas le regard de celui, froncé, de Zile. Celui-ci ouvre la bouche pour parler, mais aucun mot n’en sort. Ce seul fait empêche Arya de lui crier combien il est inconscient, combien il est idiot, combien il est naïf ; lorsque Zile est à court de mots face à elle, cela signifie bien trop souvent qu’elle a raison.
Son coeur se serre. Il commence à s’ébattre follement dans le secret de sa poitrine.
Si seulement il pouvait la contredire, si seulement il pouvait lui dire combien elle a tort de s’inquiéter. Elle veut l’entendre lui dire que tout ira bien, que personne n’est en danger, que personne ne viendra  leur faire du mal. Elle veut l’entendre dire que leurs enfants sont saufs, qu’ils sont tous saufs.
Elle voudrait qu’il lui dise d’abdiquer. Qu’il lui demande d’abandonner son travail, de vendre des informations, de se payer une sécurité dans la lâcheté. Elle détesterait qu’il fasse cela, mais peut-être que s’il lui disait elle le croirait ; peut-être trouverait-elle la force de devenir ce qu’elle n’est pas ?

Mais Zile ne dit rien. Son regard attristé raconte tout le contraire de ce qu’elle veut entendre. Le souffle coupé par la crainte, Arya baisse la tête sur la bonbonnière. Elle a du mal à respirer, elle a chaud. Elle a l’impression de tomber, mais de ne jamais toucher le sol. Alors mécaniquement, elle prend une sucrerie et l’avale sans la savourer. Elle en prend une seconde et lui réserve le même sort. Elle allait continuer son pitoyable manège lorsque la main de Zile se pose sur son bras ; elle suspend son geste, porte son regard troublé dans celui, bien trop humide, de son Amour.

30 sept. 2019, 10:33
 Worcestershire  Le poison de la vie  Solo 
« Nous avons déboursé une somme énorme de Galions pour faire installer la barrière autour de la maison, dit Zile d’une voix réconfortante. Nous sommes introuvables, nous sommes protégés, nous sommes même coupés du réseau de cheminette ; s’il arrive qu’ils apprennent ton nom et qu’ils te veulent du mal à cause de ton emploi, ici ils ne nous trouverons pas. »

Arya secoue la tête, pleine de contradictions.

« Tu bosses sur le Chemin, ils pourraient très bien te vouloir du mal. Ils ont prouvé qu’ils avaient pas tendance à prendre des pincettes, tu crois pas ? Rappelle-toi les nouvelles ! Ils font du mal pour avoir ce qu’ils veulent. Ils ont tué des gens, Zile ! » Arya prend une respiration tremblante avant de reprendre : « La barrière est de bonne qualité, mais ça servira à quoi contre eux ? Ils ont renversé le gouvernement, ils sont puissants, s’ils veulent détruire cette barrière de pacotille, ils le feront ! »

Les sourcils froncés, l’air inquiet, Zile se rapproche de sa femme et dépose un baiser sur sa tempe.

« Nous n’allons pas nous enfuir, Arya, ce n’est pas possible. On a pas d’autres choix… »

« Je sais, mais… Les enfants… »

« Sont assez grands pour prendre leur décision, souffle Zile. Narym ne veut pas quitter le monde Moldu, ‘Naël sa fac et Zakary nous a bien dit la dernière fois qu’on avait pas intérêt à flipper comme tous les autres. » Un léger sourire passe sur les lèvres de l’homme. « Ce sont leur choix, ce sont des adultes, maintenant. Ils peuvent se protéger. »

Arya n’est pas dûpe. Elle connaît assez l’homme qui lui fait face pour reconnaître les plis qui barrent son menton. Elle le connaît assez pour entendre dans sa voix son inquiétude. Elle le connaît suffisamment pour savoir qu’il reste fort pour elle. Elle ferme les yeux, lasse et morte d’inquiétude. Elle a beau faire tous les efforts du monde, elle ne peut s’empêcher de penser qu’elle met tous les siens en danger. Qu’elle est la responsable. La fautive.
Elle a beau faire tous les efforts du monde, elle n’arrive pas à émettre ne serait-ce que l’idée d’arrêter son emploi ; le monde est déjà bien assez fou comme cela. Comment ferait-elle sans Sainte-Mangouste ?

« Quant à Aelle et Aodren..., » reprend Zile. Arya sent son coeur se serrer et elle baisse la tête, incapable de soutenir le regard confiant de son mari. Sa gorge se noue. « Ils sont en sécurité. Poudlard est bien aidé, le château est imprenable maintenant. Ça a toujours été l’endroit le plus sauf des Royaumes-Unis. Et quand ils rentreront à la maison, on ne les laissera jamais seuls ici, ne t’en fait pas. Je travaillerai de la maison. Je les protégerais. »

Son discours est si plein de passion et de confiance qu’Arya aimerait dire oui. Se taire, acquiescer, accepter. Comme cela, dans moins d’un mois elle retrouverait ses enfants. Elle pourrait rire avec Aodren, discuter sans fin avec Aelle ; tout ce qu’ils veulent tant qu’ils sont près d’elle. Mais, presque avec douleur, elle rejette loin d’elle ces espoirs égoïstes. Quand elle se redresse, son visage a retrouvé son calme. Elle subit le regard de Zile, prend une inspiration pour être forte et se lance :

« C’est à Poudlard qu’ils seront en sécurité, Zile. »

« Oui, je sais, dit celui-ci. Ils le sont actuellement. Mais… »

« Ils y resteront cet été. » 

Sa voix flanche. Elle en perd son souffle ; comment peut-elle les garder éloigner d’eux ? Comment peut-elle confier la sécurité de sa chair à des inconnus ?

05 oct. 2019, 00:05
 Worcestershire  Le poison de la vie  Solo 
Zile a compris ; son visage se tord en une grimace douloureuse. Bien sûr, qu’il a compris. L’idée lui a sans doute traversé l’esprit, mais il doit l’avoir repoussé, comme elle jusqu’à aujourd’hui. Arya a mal pour lui ; elle sait que cette épreuve sera plus douloureuse pour Zile que pour elle. Sans piper mot, elle observe l’homme lutter contre lui-même. Son regard s’assombrit, ses sourcils se froncent, sa tête dit non, ses lèvres se serrent.
Il essaie de parler sans y parvenir.
Arya s’approche et pose les mains sur ses joues. Elle comprend. Elle aussi a mal, elle aussi veut crier. Elle aussi veut dire au Monde d’aller se faire foutre, qu’elle est leur mère et qu’elle veut qu’ils soient près d’elle, peu importe les dangers. Elle veut aller à Godric’s Hollow et planter sa baguette dans le coeur de cette Ursula Parkinson. Oh, elle en rêve même la nuit. Elle voudrait la voir gémissante à ses pieds pour lui faire payer de l’obliger à éloigner ses enfants de leur maison ; de l’empêcher de les rassurer dans ces moments difficiles. Arya est pleine de colère. Parkinson n’est pas une mère, pense-t-elle. Elle ne sait pas, elle ne ressent pas. Elle serait autrement si elle avait quelqu’un à aimer. Mais Arya ne le pense pas sincèrement ; Parkinson n’est qu’un monstre, un déchet qui a la puissance de faire du mal à une société entière. Et si elle était mère, elle ne serait pas différente.
Les larmes lui viennent aux yeux malgré elle. Elle force son mari à la regarder.

« Ça va aller, lui souffle-t-elle en déposant un baiser sur ses lèvres. Ça va aller. Ils seront bien là-bas, ils comprendront. Ça va aller. »

Non, ça ne va pas aller.
Parce que juin va toucher à sa fin et qu’ils n’iront pas chercher leurs petits à King’s Cross.
Non, ça ne va pas aller.
Parce que la peur se répand en elle et qu’elle ne peut rien y faire.
Ils n’ont plus de contrôle sur rien. L’angoisse se distille dans leurs veines, ils ne sont que des pantins aux mains d’un grand enfant qui a décidé de jouer avec eux. Ils doivent se taire, se terrer, acquiescer. Ils doivent aimer la nouvelle société qu’on leur offre, aimer la violence, aimer la mort, aimer le danger.
Je suis une mauvaise mère, se dit Arya, je suis lâche. C’est comme ça que se sentent les faibles ? Contraint de se laisser contrôler, que ce soit en laissant la protection de leur enfant à d’autres ou en ne se révoltant pas contre l’écrasement. C’est comme ça qu’ils font ; en pleurant. Il ne reste pas grand chose à faire.

oOo


Leurs larmes sont sèches.
Arya et Zile se font face sur la grande table de la salle à manger qui restera bien vide cet été.
Entre eux, un parchemin. Ils ont conscience qu’en envoyant un courrier, ils prennent le risque de blesser Bézo, leur hibou. Ils ont conscience qu’en envoyant ce courrier, ils vont annoncer une dure nouvelle à leurs enfants sans pouvoir les soutenir dans cette épreuve.

Cet été, vous allez rester à Poudlard, dit la lettre.
On vous aime, se termine-t-elle. Entre réconfort tremblant et ordre hideux ; comme si leurs mots pouvaient rassurer des enfants obligés de rester loin de chez eux.

« On l’envoie ? » murmure Zile.

Arya arrache son regard du parchemin griffonné d’encre. Elle acquiesce doucement et roule le courrier. Elle n’a pas la force de parler. Elle veut envoyer cette bombe loin d’elle et aller se coucher contre Zile. Ce soir, ils iront voir leurs enfants — ceux qui ne sont pas tenus de rester loin d’eux. Ils se retrouveront en famille déchirée pour combler le manque et oublier la peur.
La vie continue. Quand bien même le monde souffre, la vie continue.

- Fin -