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01 nov. 2019, 16:04
Irene et les sept boules de cristal  Solo 
29 octobre 2044

Depuis quelques temps, Louis trouvait sa maman étrange. Elle ne le câlinait pas aussi souvent qu'avant. Quand il voulait s'amuser à lancer des jouets à travers sa chambre, elle les lui confisquait immédiatement. Et quand il commençait à pleurnicher, elle se contentait de porter la main à son front en soupirant, les yeux clos.
Elle passait aussi beaucoup de temps à lire des livres et des parchemins, le dos droit et le visage fermé. Louis regrettait de ne pas voir davantage son père ; avec lui, il en était persuadé, il pourrait beaucoup plus s'amuser. Heureusement, il y avait Hagrid, le grand monsieur barbu que Louis avait rencontré pendant l'été. Il le voyait moins, désormais ; tantôt gardé par un elfe de maison, tantôt par un adulte, ami de sa maman. Et parfois encore par Hagrid, mais plus rarement.
Louis s'ennuyait. Il voulait aller à l'école, jouer avec des copains de son âge. Pas rester enfermé toute la journée dans un vieux château.

De son côté, la mère de Louis était trop préoccupée par ses propres démons pour s'occuper des ennuis de son fils. Loin de son mari, elle dépérissait. Et se rendre compte qu'il en était de même pour Louis n'aurait d'effet que de la morfondre encore davantage.
Mais passer un été loin de son époux avait au moins un effet positif : elle avait eu beaucoup de temps pour avancer sur ses projets personnels. L’un d’eux consistait en ses recherches sur les divinations étrangères.
Depuis qu’elle avait vu Aishani Singh en transe, et que cette dernière lui avait explicité ses expériences en termes de divination, Irene n’avait eu de cesse d’y penser. Elle s’était renseignée et la petite Singh venait d’Inde. Ses premières recherches avaient donc tourné autour de ce pays. Elle ne s’était néanmoins pas arrêtée là et avait continué avec d’autres contrées, bien éloignées de l’Europe occidentale. Mais si les recherches théoriques étaient indispensables, elles ne pouvaient être utiles qu’en étant couplées à des recherches sur le terrain.
Pour cela, Irene avait choisi d’intégrer la partie « déplacement » du RRSL, aka l’organisation fondée par Kristen Loewy pour lutter contre la prise de pouvoir d’Ursula Parkinson. En étant responsable des déplacements, elle pourrait facilement quitter la Grande Bretagne incognito et effectuer ses recherches en toute tranquillité. Ne restait plus qu’à trouver les bons lieux à visiter et les bonnes personnes à rencontrer.

Louis voyait sa maman retrouver un peu de vie. Elle passait toujours beaucoup trop de temps dans ses bouts de papier, mais son visage apathique avait disparu pour laisser place à une concentration intense. Parfois même, Louis la surprenait dans un accès d'enthousiasme, murmurant sans presque bouger ses lèvres : « Oui, ici... »
Un soir, Louis vit arriver un elfe de maison. L'elfe ne venait pourtant qu'en journée, d'habitude... Il vit également sa maman enfiler une cape, des chaussures, ranger sa baguette à sa ceinture. Ce n'était pas normal et Louis fit savoir que cela ne lui convenait pas en commençant à se tortiller, geindre, pour finir par se laisser tomber par terre en criant des paroles incompréhensibles, même pour lui. Sa maman se pencha sur son fils, prit son visage entre ses mains et murmura : « Sois sage. Je reviendrai bientôt. » Elle l'embrassa sur le front, puis tourna les talons et disparut derrière la porte, sans se soucier des larmes de crocodile de son fils.

Ça va être une grande, grande, grande journée !

15 janv. 2020, 19:24
Irene et les sept boules de cristal  Solo 
Un nom. Un nom et une adresse. Elle est arrivée dans la ville seule, sans connaître personne, et avec uniquement ce nom et cette adresse. Pas même de plan pour s’y retrouver. Elle demande tout de même son chemin, sans beaucoup de succès. Les habitants de Mumbai ne doivent pas parler anglais. Merlin merci, elle finit par tomber sur un vieil homme qui a dû la prendre en pitié, car il lui indique un chemin dans un anglais qu’elle ne comprend que partiellement. Après lui avoir fait répéter deux fois, elle le remercie et s’éloigne, enfin sur la bonne voie.
Les rues sont pleines de monde. S’y frayer un chemin n’est pas évident. Quand elle trouve enfin l’adresse, c’est un soulagement. Elle frappe, attend qu’on lui ouvre, se présente. Puis demande le nom. Plutôt, elle tend le bout de papier sur lequel elle l’a noté, car elle ignore si, avec son accent anglais, elle le prononcera correctement. La jeune femme qui lui a ouvert prend le papier, le lit, puis se tourne et s’enfonce dans le couloir mal éclairé. D’abord hésitante, Irene la suit et débouche dans une petite salle à l’odeur de renfermé. Une minuscule fenêtre pourrait laisser passer de la lumière si un épais rideau marron ne la recouvrait pas. Dessous, un homme, qui doit avoir soixante-dix ans, vouté au-dessus d’une table rectangulaire. Il se redresse comme il peut et regarde Irene. Ses yeux la transpercent. Peut-être pas soixante-dix ans, finalement. Ses traits du visage, bien que marqués, trahissent davantage une fatigue qu’une vieillesse. Quelque chose dans son attitude lui donne, au contraire, un air bien plus jeune. Mais son dos vouté et ses mains, Merlin, ses mains, semblent avoir traversé des décennies.

La femme tire brutalement une chaise devant Irene avant de se laisser tomber, un peu plus loin, sur un fauteuil abimé. Irene s’installe à son tour face à l’homme qui la regarde.
« Êtes-vous Satyendra Bhatt ?
Oui.
L’accent de l’homme croisé dans la rue paraîtrait inexistant par rapport à celui de l’homme. Ce simple mot demande à Irene une grande concentration pour le recouper avec les sonorités qu’elle connait.
Merci de me rece…
L’homme repousse ses paroles d’un revers de main. La femme, qu’Irene n’a pas entendu se relever, lui attrape la main et entreprend de la masser énergiquement. Satyendra Bhatt commence à lui parler rapidement – à la femme, pas à Irene – d’une voix rauque et puissante, mais elle ne saisit de son anglais approximatif que quelques mots à la volée : « fluide », « préparation », « magie ». La femme relâche sa main puis dit quelque chose qu'Irene ne comprend pas, sûrement en hindi. L'homme hoche la tête, puis s'adresse enfin à sa visiteuse.

Satyendra ka arth hai “saty ka bhagavaan”.
Devant l’absence de reaction d’Irene, il reprend, lentement :
Satyendra signifie « Seigneur de la Vérité ».
Un grand rire le traverse, comme un sursaut. Il ramène son index contre son torse en murmurant :
Satyendra. C’est moi.
Irene acquiesce. Doit-elle comprendre que ses parents savaient dès sa naissance pour son don ? Elle craint de ne pas parvenir à récolter les informations qu’elle est venue chercher si elle ne s’impose pas davantage.
Depuis quand savez-vous que vous possédez votre don ?
Le sourire de l’homme s’évanouit.
Depuis toujours. Je fais des rêves sans dormir, je trouve des objets sans savoir comment. Ici, cela signifie qu’on est un paigambar. Un prophète.
Vous rêvez tout en étant éveillé ? demande Irene en repensant aux yeux blancs de la petite Aishani dans son bureau.
Parfois oui, parfois non. Après un rêve, je sais toujours quelque chose. J’ai des antargyaan : des intuitions.
Les yeux grands ouverts, Irene acquiesce encore. Elle attend que Satyendra continue, mais l’homme prend son temps.
Si je me laisse guider par mon upahaar, je me retrouve face à un lieu, un objet ou quelqu’un. Il me suffit de le toucher pour connaître son problème et, alors, je peux essayer de le réparer.
Irene murmure, fascinée :
C’est tellement différent de ce que mes voyants m’ont raconté…
Un ricanement rauque vient la faire sursauter.
Vos voyants… dit l’homme. Ils sont aveugles ! Ils n’utilisent qu’une minuscule partie de leurs capacités. Nous pouvons faire tellement, si nous savons comment…
Pourriez-vous me l’enseigner ?
L’homme secoue la tête.
Ça ne s’enseigne pas aux andha. Il faut le vivre. »

○ ○ ○

Irene n’avait pas glané quoi que ce soit à enseigner aux voyants britanniques ; mais elle avait récolté d'autres informations précieuses. L’entretien avait duré plusieurs heures : Satyendra lui avait parlé de ces rêves éveillés, mais aussi de visions du passé, d’objets prenant vie, de rêves où des animaux racontaient ce qu’il se passait en ce moment même à l’autre bout du globe, ou dans la rue d’à côté. Malgré son statut de non-voyante, Irene avait persuadé Satyendra de lui raconter comment ces visions apparaissaient. Elles se manifestaient parfois seules, mais il existait aussi des rituels qui les aidaient. Et, plus fascinant encore, Satyendra prétendait savoir à l’avance, avant de s’endormir ou au réveil, si une vision viendrait troubler son sommeil ou sa journée.
Irene passa le reste de la nuit à recopier au propre tout ce qu’elle avait noté, en ajoutant parfois des détails dont elle se souvenait encore ou des comparaisons avec ce qu’elle avait appris à l’école. Le lendemain, elle n’avait dormi que quelques heures ; mais elle avait fait un bond incroyable dans ses recherches.

Ça va être une grande, grande, grande journée !

25 janv. 2020, 15:18
Irene et les sept boules de cristal  Solo 
19 novembre 2044

Je suis entourée de sorciers du peuple Xhosa. L’aube est déjà là, il est facile de discerner les expressions de chacun. Juste devant moi se trouve l’initiateur du rituel : un homme à la carrure frêle et au regard lointain. Il ne m’inspire aucune crainte ni aucune gêne, contrairement au voyant rencontré à Mumbai. Le peuple Xhosa m’avait été présenté comme très accueillant et je dois bien avouer qu’on ne m’a pas menti. Dès mon arrivée, j’ai pu constater que tous ici voyaient d’un très bon œil ma venue et mes recherches. Avant même de commencer le rituel que je suis venu observer, ils m'ont expliqué un bon nombre de leurs pratiques divinatoires. Beaucoup passent par ce genre de rites afin de faire surgir les visions. Ici comme à Mumbai, on semble bien mieux maîtriser la manifestation du don. Est-ce typiquement européen de penser que ce dernier est principalement inné ? Pourrions-nous, si nous nous penchions sur la question, faire surgir des prophéties, comme nous facilitons parfois l’apparition des rêves divinatoires ? Je sens que nous sommes très en retard sur la question, comme si nous croyions encore au père Noël…

Le rituel commence. On m’a conseillé de venir tôt, avant que la nuit ne finisse, car tout démarre dès l’aube. Une quinzaine de sorciers sont réunis autour du chaman en un cercle dans lequel j’ai été invitée à prendre place. Le chaman broie en poudre une racine avec des gestes secs et saccadés puis la mélange à de l’eau et boit le tout d’un seul trait. Il semble très sûr de ses gestes, comme s’il n’avait même pas besoin d’être vraiment conscient pour les reproduire. Je m’attends à voir immédiatement apparaître une vision – mais rien. Il s’allonge simplement sur le dos et pose sur ses paupières fermées deux pierres, chacune ornementée d'un point au centre d’un cercle. Un sorcier s’approche du chaman, s’assoit à ses côtés et le touche au niveau de l’épaule. Un second l’imite, de l’autre côté. Puis, tous deux commencent à chanter. Cela ressemble à une berceuse triste, lancinante et répétitive. Au bout de quelques instants, je vois le corps du chaman commencer à se détendre, signe qu’il doit être en train de s’endormir. Puis, tout se déroule rapidement. Le corps détendu se contracte. Les deux sorciers arrêtent de chanter et leurs mains ne touchent plus les épaules du chaman : elles les maintiennent fermement au sol. Son corps entier semble pris de convulsion, ses bras et ses jambes s'agitent autour de lui ; mais, grâce aux deux hommes, la tête reste stable et les pierres posées sur les yeux ne bougent pas d’un pouce. Le visage ne semble d’ailleurs lui-même pas contracté. J’en suis presque certaine : les yeux sous les pierres sont blancs, laiteux. Le chaman reste dans cet état, avec les deux hommes qui le maintiennent, pendant un moment. L’un d’eux finit par se faire remplacer. À voir son expression de fatigue, maintenir le chaman demande beaucoup de force. Pourtant, aucun de ceux encore en place ne semble crispé : ils paraissent concentrés mais étrangement détendus. Le premier a même fermé les yeux, comme s’il communiait avec l’état de transe du chaman.

La transe finit par s’arrêter, d’un coup. Les deux sorciers relâchent leur emprise et le chaman, lentement, enlève les pierres de ses yeux. Il se redresse, chacun reprend sa place dans le cercle, et il raconte. Je retrouve le fonctionnement des rêves divinatoires que je connais lorsque je comprends qu’il doit interpréter ce qu’il a vu. Mais il y a également une différence de taille : des ancêtres des membres de la tribu sont toujours présents. Il y a celui d’une jeune femme, présente dans le cercle, qui portait dans sa main gauche un œuf, un gros et bel œuf. Puis, le chaman raconte qu'il le posa juste au centre d’un grand tas de branches et de pierres. Il interprète : elle attend un heureux événement et l’enfant prendra une place importante dans leur peuple. Les interprétations s’enchaînent, concernant parfois des sorciers non présents, et parfois même des inconnus. J’appréhende qu’il se tourne vers moi et me révèle avoir vu un de mes ancêtres ; que me diraient-ils ? Mais non. Peut-être n’ont-ils rien à me dire, ou sont-ils trop éloignés de cette pratique divinatoire pour y accorder de l’importance.

Le rituel se termine et je remarque seulement que le chaman semble tomber de fatigue, tout comme les trois hommes qui l’ont maintenu au sol. Alors que nous nous éloignons, la jeune femme, dont l’ancêtre est venu lui annoncer son état, m’apprend que ce rituel a été particulièrement long, et donc éprouvant pour le chaman et les trois hommes qui l'ont assisté. Le chaman va toujours se coucher pour la journée après un rituel et, parfois, les hommes désignés l’imitent. Ce sera le cas aujourd’hui. Pour ne pas trop les épuiser, il n’est jamais organisé plus d’un rituel tous les vingt jours. Elle se caresse le ventre inconsciemment et me propose de préparer le déjeuner en poursuivant ses explications, ce que j’accepte volontiers.

Ça va être une grande, grande, grande journée !