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29 nov. 2019, 20:56
 Irlande  Mourir sur scène  Solo++ 
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Ⅹ | Apprendre à accepter  

    ▹ Il tourna sur lui même devant le miroir. Une fois sa barbe de pratiquement deux ans rasée et une bonne douche, il pouvait voir les dégâts qu'avaient causés ses années d'inactivité à ne manger qu'une fois sur deux. Il était maigre, si maigre qu'il pouvait compter ses vertèbres qui saillaient sous sa peau comme si elles pouvaient s'en échapper. Ses yeux étaient cernés et ses joues bien creuses. C'était pitoyable la façon dont il dû serrer son pantalon autour de ses hanches amaigries, même s'il n'eut pas le faire pour ses vestes. Caché sous les costumes à trois pièces qu'il avait mis pendant des années, il pouvait presque ressembler à l'homme médaillé dans les cadres qu'il avait ressortit il y avait quelques jours, après la visite de son père. Sur le coup, il n'avait pas comprit pourquoi il avait fait preuve de tant de violence alors qu'il aurait pu le faire deux ans avant, mais cela n'avait plus d'importance maintenant parce qu'il s'était inscrit dans une école et reprendrait bien vite les cours en espérant n'avoir pas trop à rattraper. Il n'avait jamais pensé retourner dans le système éducatif après avoir commencé la danse et c'était étrange de se dire qu'il ne danserait plus et qu'il s'était fait à l'idée. Bien sûr la blessure était encore douloureuse et peinerait à cicatriser -peut-être même ne le ferait-elle jamais- mais il commençait petit à petit à accepter l'idée. Ce n'était pas encore ça, mais il était sur le chemin. 

Il grimaça quand un facteur sonna à la porte avant de lui intimer d'attendre. Il était obligé de faire ça maintenant, puisqu'il n'était plus aussi rapide qu'avant. Il ouvrit la porte et se retrouva avec un colis dans les mains qu'il regarda suspicieusement. Un long paquet où il pouvait sentir un morceau de bois. Une canne, sans aucun doute. Il grogna. Il n'était pas infirme, il n'avait aucunement besoin de marcher avec une canne, merci bien ! Il posa la canne sur la table de sa cuisine et claudiqua jusqu'à la porte avant de se mordre la lèvre. Il n'avait plus autant de grâce qu'avant avec sa boiterie, peut-être était-il finalement moins honteux qu'il prenne la canne plutôt que de se trimbaler un poids invisible sur une jambe toute la journée. Il souffla et agrippa la canne si fort que ses articulations en devinrent blanches avant de quitter la maison le dos droit. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait ni vu le soleil, ni son jardin qu'il se demandait même comment il avait fait pour ne pas oublier à quoi ils ressemblaient. Le soleil brillait, très haut dans le ciel mais il faisait tout de même assez froid. Il peina à arriver jusqu'à la rue avec les hautes herbes qui atteignaient presque ses hanches et lui rendaient la marche particulièrement compliquée. 

Il ressemblait à un vieillard dans une maison de vieillard, réalisa-t-il, avec sa canne et sa maison dont le jardin était à l'abandon depuis bien trop longtemps. Peut-être cela avait-il dissuadé les journalistes en leur faisant croire qu'il avait abandonné sa maison ? Ce n'était de toute façon pas comme s'il y en avait beaucoup qui connaissaient son adresse. Les seuls qui le faisaient étaient ceux qui avaient été assez dérangés pour suivre la voiture qui l'avait sortit de l’hôpital, une grosse semaine après son entrée. Moyennant un scoop, ils l'avaient laissé tranquille autant que possible. C'est à dire qu'il avait été étalé dans leurs torchons mais qu'ils n'avaient pas divulgué son adresse, et il leur en était à demi reconnaissant. Il n'aurait sûrement pas supporté de devoir encore une fois déménager à causes d'idiots, surtout dans son état. 

A dire vrai, ce ne serait jamais parfait comme vie, parce qu'il avait perdu toutes les choses pour lesquelles il aurait pu se battre. Ce n'était pas l'enfer non plus, se distrait-il en pensant que cela pouvait toujours être pire. Il aurait pu perdre l'usage de ses jambes. Il ne l'aurait sûrement pas supporté. Perdre la capacité à pratiquer un sport comme la danse avait déjà été assez compliqué, il n'imaginait pas s'il n'avait plus pu marcher. Déjà qu'il se sentait comme une loque inutile avec une canne, alors dans un fauteuil ? C'était sûrement une de ses plus grandes peurs, même s'il était certain que cela n'en ferait pas son épouvantard. S'il avait dû se retrouver devant une de ces créatures dans les secondes suivantes, il aurait sûrement vu une voiture lui foncer dessus, ou un cadavre avec un visage beaucoup trop semblable au sien. Il était vivant, il pouvait marcher, il avait encore un avenir. S'en était fini de penser l'inverse, il devait montrer au monde tout entier qu'il pouvait surmonter toutes les épreuves avec le temps. Que tout cela n'aurait pas réussi à l'anéantir complètement. Il pouvait toujours essayer de raviver la flamme, même si cela prendrait du temps.

La canne claqua sur le trottoir alors qu'il avançait, les épaules droites et le regard dur.
Fin.

On ne peut pas soigner ce qui est déjà mort.
Last Christmas, I gave you my heart
But the very next day you gave it away