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25 janv. 2020, 00:06
 Lübeck   Solo +  Waidmannsheil
Il y a, dans le grand salon de réception de la famille Nerrah, un immense tableau, frappant par sa taille, mais aussi par la scène inhabituelle qu'il représente. On y voit une troupe de chasseurs, les Nerrah, habillés de pied en cap des plus belles tenues de traque du XVIIème siècle : pourpoints, renforts, bottes hautes, brandissant leurs épieux dans l'hallali final. Ils montent de puissantes et terrifiantes créatures dont j'appris bien plus tard qu'ils s'agissaient de Demigriffs, HalbGreif en germanique. Représentez-vous simplement un griffon sans ailes, dressé comme monture prestigieuse et noble, pour une famille tout aussi prestigieuse et tout aussi noble.

Mon amie, la facétieuse Viviana Luft, m'en dit plus au sujet de cette curieuse coutume de la Chasse de Noël. Chaque année, juste après leur repas de Noël, les membres de la famille et leurs invités descendent jusque dans les profondeur du château, où se trouvent gardés les Demigryffs. Les cors de chasse résonnent alors pour annoncer le début de la Traque à travers la foret domaniale. Elle ne put en revanche pas me parler de la cible, cela semblait être quelque chose de tenu au secret et malgré tous mes talents je n'ai jamais réussit à découvrir quelle bête était ainsi visée.

En revanche, ce que j'appris c'est qu'à l'époque du tableau, ces chasses étaient renommées dans tout le pays, mais les affaires n'allant pas forcément aux mieux, le domaine du être revendu petit à petit, et l'entretient d'un équipage de chasse permanent fut jugé trop coûteux. Aujourd'hui, les Nerrah organisent des Chasses de Noël une fois par décennie, et même s'ils ne sont plus des dizaines à monter les Demigryffs, même si la vaste forêt s'est réduite, je donnerai cher pour y assister.


Alphonse de Saint Aimé, 60 ans de dîners en bonne compagnie, 1984.
25 décembre 2044, Lübeck.

Lorsque le repas pris fin, il faisait nuit noire et les sources de lumières s'étaient réduites au lourd lustre en fer forgé au dessus de la table et à la cheminée dont le feu commençait à donner des signes de faiblesses et qui ne durerait pas longtemps à moins qu'on l'alimente. Aliosus avait été très impressionné du repas, non seulement des plats qu'il n'avait jamais goûté auparavant, mais également des jeux de relations entre les adultes de sa famille. Lui qui avait l'habitude d’idolâtrer son père, Magnus, étant le plus jeune enfant de la fratrie, ici dans ce château massif, sombre et pesant, à côté de ses frères, à côté de son père, le grand père d'Aliosus, il paraissait si... vulnérable. Le garçon était partagé entre la compassion, l'identification et la honte.

Magnus, Willow, les deux oncles Uwe et Hans, leurs compagnes ainsi que sa tante, Renesmée se levèrent à l'unisson lorsque le Patriarche de la famille donna le signal d'un geste imperceptible de la main. Aliosus se dépêcha de les imiter, ce qui provoqua un échange de regard entre les convives.
"Er ist alt genug." Il est assez vieux. finit par dire Eckerhart Nerrah, et cette simple phrase mis un terme à l'hésitation qui avait semblé transparaître dans les yeux de son père pendant quelques secondes.

6ème année

25 janv. 2020, 14:34
 Lübeck   Solo +  Waidmannsheil
Descendant des escaliers pendant ce qui lui semblait être une éternité, Aliosus se demandait à quel étrange rituel il allait encore assister. Depuis son arrivée sur le sol germanique le séjour avait été ponctué de découvertes, de nouvelles façons de faire, de réagir, de s'exprimer, même la façon de manger ou de se déplacer semblait être différente ici. Roide, stricte, allant à l'essentiel. Il faisait son maximum pour s'adapter et ne pas passer pour un malpoli auprès d'une famille intimidante qui le fascinait autant qu'il la craignait. Là, marche après marche, à la seule lumière des torches que les hommes de la famille portaient, il avait l'impression de s'enfoncer dans les secrets de ses origines.

Ils arrivèrent enfin à un large et profond tunnel dans lequel ils s'engagèrent. Il commençait à faire froid et les souffles vaporeux de chacun étaient rendus visibles. Au loin, il semblait résonner des bruits indéfinis. Des cris ? Humains ? Animaux ? Impossible de comprendre ce qu'il pensait être des paroles, le parler de Lübeck était loin de l'allemand classique que lui avait enseigné son père. Alors qu'ils avançaient, le garçon distinguait de part et d'autres du tunnel de larges alcôves, fermées par de lourdes grilles noires. Au-dessus de chacune se trouvait un panneau métallique peins, et défraîchi par les âges sur lesquels ont pouvait encore distinguer une écriture gothique.

"Angst", "Blitz", "Scharferschnabel", "Löwenklauen"...

Peur, Éclair, Bec acéré, Griffes de lion. A quoi cela pouvait-il se référer ?
Sa réflexion fut de courte durée, enfin il apercevait d'autres lumières au loin. Un groupe d'hommes et de femmes s'agitait, il distinguait à présent un mélange d'ordres criés et de bruits sourds et profonds, une sorte de grognement de félin, mais trop grave et à la fois trop étrange pour être vraiment cela.
"Ne traînez pas mon enfant" lui dit Willow en lui faisant se rendre compte qu'il avait ralentit le pas, hésitant à aller plus avant.
"Mère, où allons nous ?"
"Je crois que si je vous le dit, ça ne sera pas aussi terrifiant, ni exaltant" lui répondit-elle les yeux brillants d'une lueur inquiétante.

Lorsqu'ils eurent rejoins l'autre groupe, Aliosus pu enfin associer les sons bestiaux à leurs émetteurs.
De part et d'autre du tunnel, les alcôves étaient cette fois occupées par d'énormes animaux. C'étaient d'immenses lions dont les épaules devaient arriver à hauteur du crâne d'un homme. Mais la tête de ces animaux était celle d'un puissant rapace qui, dressée de manière altière, faisait dépasser allègrement les deux mètres de haut. Il eut le souffle coupé, jamais il n'avait lu quoi que ce soit sur ce genre de bêtes. Halbgreif entendit-il. Des Demi griffons. Il en compta huit, elles étaient en train d'être sellée par le groupe d'homme set de femmes qui portaient une livrée sombre avec de nombreuses protections en cuir épais. Il observait la scène fasciné, gravant à jamais cette image stupéfiante. Il enregistrait dans son esprit comment la faible lumière chaude des torches se reflétait sur le fer noir des grilles et illuminait les yeux perçant des montures. Comment les animaux claquaient de leur bec à l'allure meurtrier. L'odeur âcre de la fumée mélangée à la sueur. Les bruits, les ordres criés...

Lorsque ce fut fini, la troupe en noir reporta son attention sur lui et sa famille. Ils apportèrent les mêmes protections et chacun s'équipa. Une femme d'une trentaine d'année vint à sa rencontre avec un gambison épais et des protections pour ses articulations. Elle lui dit une phrase dans un allemand léger et chantant que malgré ses efforts il ne compris qu'à moitié, mais il enfila ce qui lui était tendu sans poser de question.
"Vous montrez avec moi Aliosus" lui dit Willow. Le garçon avait fini par comprendre ce qu'il se passait même s'il n'en avait pas tous les tenants et les aboutissants. Les montures furent sorties une à une selon un cérémonial où leurs noms étaient annoncé avant qu'ils ne soient sortis de leur spacieux box. Un membre de la famille s'avançait et saluait l'animal avant de grimper sur la haute selle. Puis on venait lui apporter quelques courtes lances qu'il rangeait dans un fourreau de cuir.

Il y eut Schrecklich pour le patriarche, Ausgehungert, Rücksichtslos et Rache pour les trois frères Nerrah, Mitleid le cinquième fut celui de Willow. La femme qui lui avait apporté son équipement l'aida à monter devant sa mère, puis Willow les recouvrit tous les deux de sa cape en fourrure. Lorsque les huit cavaliers furent harnachés, ils se mirent en colonne face à la grande porte à double battant, suffisamment large pour laisser passer deux Demigryffs.

La douzaine d'écuyers cria d'une même voix "Waidmannsheil !" auquel les chasseurs répondirent "Waidmannsdank !" qui fit frissonner Aliosus. Aussitôt des cors retentirent qui firent sursauter le Serpentard, les portes s'ouvrirent sur une dense forêt. Les Demigryffs furent éperonnés et l'équipage se lança à toute allure dans la pénombre.

Auf dem Lande auf dem
Meer lauert das Verderben
Die Kreatur muss sterben !
Sterben!
Sur terre ou sur mer
La mort guette
La créature doit périr !
Périr !

6ème année

19 nov. 2020, 17:05
 Lübeck   Solo +  Waidmannsheil


Rien n'avait été aussi intense dans toute la vie du garçon. Ni les battements de son coeur qui semblaient rythmer la course puissante de la monture comme un tambour grave et sourd, ni le souffle tantôt haletant lorsque la vitesse se faisait sentir par le vent froid lui lacérant le visage, tantôt retenu à la limite de l’asphyxie quand la créature chevauchée faisant soudain une embardée sous les ordres de sa maîtresse, Willow. Aliosus ne l'avait jamais vu ainsi. Avec son gambison sombre et renforcé, sa calotte de cuir attachée sous le menton, un épieu à la main, elle avait soudain tout d'une walkyrie ayant prie chair et sang dans la réalité. Son regard n'était plus pétillant de mystère, il était férocement audacieux pendant qu'elle poussait des cris à l'intention du demigryff ou bien d'un autre chasseur.

Les arbres noirs défilaient à un rythme effrénée, comme si le but n'était pas tant une chasse qu'un immense défouloir, une occasion de hurler une sauvagerie primale, enivrés qu'ils étaient tous par les odeurs animales et primitives autour d'eux. Le sang était leur quête de la nuit, cela le jeune Nerrah l'avait bien compris, et peu à peu il se laissa envahir par le même état d'esprit que le reste de sa famille. Une indication fut criée à leur droite et aussitôt les rennes furent tirés sous ses yeux, ils virèrent comme une seule meute en direction de la voix. La proie était encore inconnue mais il semblait évident qu'elle n'avait pas une seule chance contre le cortège de mort qui galopait, tous métal en avant.

Accroché à la selle, Aliosus n'en était pas moins collé à sa mère dont il entendait ou ressentait les pulsassions de sa poitrine. Elle aussi devait avoir l'ensemble de ses sens en alerte, ce n'était pas la mère louve qui apprenait à son petit à chasser, si elle réagissait ainsi c'était que l'ambition de l'équipage était aussi grand que le danger qui l'accompagnait. Que peut-il y avoir de tapis dans une forêt sombre et oubliée d'Allemagne, que peut on débusquer sous la lune une nuit comme celle de Noël ? Quelle créature avait été désignée pour abreuver leurs lances, pour que les becs acérés s'y trempent et s'y repaissent de chair palpitante ?

Une femme cria. Aliosus sentit son estomac se serrer et son cœur faire une embardée au moment où il compris que le cri venait de sa tante Renesmée. A la lueur des torches, son visage était tordu de colère. Sa monture avait été renversée par la terrible proie mystérieuse et elle avait fait une chute impressionnante, mais il en fallait visiblement plus pour la détourner de son but. Faisant fi de la boue qui la couvrait presque entièrement et du sang qui maculait son visage blanc, elle remonta en selle sans un mot à Willow, accordant un seul regard noir ne laissant la place à aucun commentaire.

Impossible de s'arrêter plus longtemps, un cor sonna plus loin. Une main gantée s'appuya sur le torse d'Aliosus, celle de sa mère. Il entendit, étouffé par le sang battant à son oreille et par ses protection, murmuré près de lui. «C'est le moment. C'est l'Hallali.»
En réponse au cor de la forêt, d'autres cors répondirent, venant du château, où l'équipage qui les avait accueilli encourageait la chasse sauvage dans ce moment crucial. La course reprit et le garçon se rendit compte qu'il avait perdu toute notion de temps et d'espace. Il lui semblait tout à la fois que la chasse débutait et qu'ils y avaient déjà passé la nuit. Son cerveau avait été submergé d'informations. Le contraste des lueurs chaudes des torches contrastant avec celle, blanche, de la nuit. L'odeur de fumée qui lui piquait les narines et se mêlait à l'odeur acide et bestiale de la monture, la sueur qui ruisselait sur son front, dans son dos, malgré le froid qui se manifestait à chaque bouffé d'air par un fugace nuage vaporeux. Vu de l'extérieur, lui, sa mère et la bête ne formait plus qu'une silhouette organique qui exhalait une brume à l'unisson de leurs souffle.

Il cru apercevoir son père, on bien un de ses oncles - comment les discerner - près d'eux alors que chacun éperonnait à ne plus en pouvoir afin de ne pas laisser la proie s'échapper pour de bon, quand enfin, il se trouvèrent tous réunis, formant un demi cercle à bonne distance d'une gigantesque ombre, acculée au pied d'un escarpement de rochers noirs et anguleux. Les visages étaient tout aussi tirés et exténués par la chasse que les yeux brûlaient d'une intensité rare. Il vit que certains avaient épuisés leurs quelques épieux, la bête était blessée, le sang au sol qui brillait comme une flaque rubis à la lumière des torches le lui confirma. Les oreilles d'Aliosus se souviendraient toute sa vie du rugissement poussé à leur encontre lorsque la bête accepta son destin, de devoir combattre à mort.

6ème année

19 nov. 2020, 17:05
 Lübeck   Solo +  Waidmannsheil
Lorsqu'elle chargea, ce fut Willow qui réagit la première, n'hésitant pas une seule seconde à lancer sa monture à sa rencontre. Juste avant l'impact, Aliosus perçu uniquement un nouveau cri, et deux grands yeux, jaunes et fous en face de son visage. Puis plus rien avant la douleur de la chute. Le nez dans les feuilles mortes il se rendit compte qu'il venait de prendre un coup. De patte, de queue ? Impossible à dire. Il se tâta des pieds à la tête pendant quelques secondes de panique, craignant découvrir une plaie béante synonyme de sa fin, mais rien. Ce ne fut qu'après cela qu'il se rendit compte que le combat étaient en train d'avoir lieu. Un maelstrom de griffes, de pics, de claquements de becs et d'encouragements, de bois et de métal, de plumes et de griffes, jusqu'à l'apaisement soudain.

Là, chacun fit reculer son demigryff de quelques mètres et en descendit. Willow mis le visage de son fil entre ses mains.
«Tout va bien ?»
Elle n'avait jamais été aussi belle aux yeux d'Aliosus qu'en cet instant. Bardée de protections à moitiées déchirées, les cheveux roux collants à la sueur de son visage. Essoufflé. Victorieuse.
Il fit oui de la tête, et sa mère lui fit signe de la suivre pour rejoindre l'ensemble de la famille. Le patriarche, Eckerhart Nerrah, tendit la main à Aliosus qui regarda d'un air interrogateur son père. Celui-ci l'encouragea d'un hochement de tête. Auprès de son grand père le garçon se sentait différent. A la fois comme s'il n'était pas à sa place, et tout en même temps, comme si était plus Nerrah que jamais.
«Komm mit mir.» Il posa sa main sur son épaule et le mena vers la bête. C'est là qu'il se rendit compte qu'elle vivait encore. Le sang coulait par de multiples blessures, tantôt profondes et meurtrières lorsque les épieux avaient sévèrement mordus dans la chair, tantôt en grande estafilades qui saignaient abondamment, signe d'un coup manqué. Là, à l'agonie, les yeux fous qu'il avait vu de si près avant d'être jeté à terre lui semblaient surtout triste.

Eckerhart pris sa main et y plaça une lourde et large dague de chasse, puis ils approchèrent tous les deux de la tête de l'animal. Le grand père serra sa main autour de celle de son petit-fils, le regarda dans les yeux, s'assurant qu'il ait compris ce qu'il attendait de lui, puis d'un coup sec, à l'unissons ils plantèrent la lame dans le cou offert de leur proie, mettant fin à sa vie. Curieusement, il n'y eut pas un mot, pas un cri de victoire. Aliosus compris que le rituel n'était pas fini. Hans, l'aîné, alla vers un grand arbre, un chêne, et en brisa une branche qu'il apporta à son neveu.
«Hier. Hier ist die Bruch, du wirst es den Letzter Bissen geben. Platziere es dort in seinem Mund.»
La branche à la main, le garçon qui n'avait pas saisit tous les détails, alla la placer dans la gueule ouverte du gibier tué. Là, chacun ôta sa calotte de cuir et se découvrit. Aliosus suivit le mouvement. Alors seulement il sentit un soulagement général. Chacun passa près du garçon et le félicita, d'un mot, d'une tape sur l'épaule ou d'un simple hochement de tête. Son grand père le dévisagea quelques secondes après avoir remis son monocle en place. «Ein echter Nerrah» conclu-t-il. Enfin, son père vint le féliciter. Une longue griffure courrait de sa mâchoire à son oreille, sans doute une meurtrissure due à une basse branche prise au galop. Il fit monter son fils avec lui et tous reprirent le chemin du château.

Ainsi prit fin la Chasse de Noël des Nerrah.

6ème année