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29 févr. 2020, 19:05
Le monde ne tourne pas rond  RPG++ 
Chapitre 1 : Monsieur Pourquoi

Rothbury, résidence familiale et environs.
Coelestin a entre cinq et six ans.


Mes petits pas me guident dans la chambre de la Tempête. J'y trouve celle qui porte ce charmant surnom : un bébé crapahutant à quatre pattes et tout dégoulinant de morve, sous la surveillance de papa, enfoncé dans un fauteuil et caché derrière un grand journal. Ame n'est pas une tempête, c'est un être humain. Mais quand elle pleure et secoue les barreaux de son berceau, ça fait un bruit similaire à l'orage et au vent qui souffle dans les fenêtres. Ame est Tempête. C'est, je crois, la première fois que j'emploie un mot à un usage qui n'est pas habituellement sien.

Dans la chambre d'Amelia, il y a beaucoup de jouets très colorés. Elle a autant de jouets que moi alors qu'elle a vécu moins de Noël et d'anniversaires. La logique m'échappe, et j'en ressens une certaine frustration car j'aimerais être celui qui a le plus de jouets, mais pleurer pour négocier de nouveaux amusements n'est pas mon objectif du jour. Je m'assois là où j'ai repéré un charmant objet : c'est une poupée. Un mini-humain avec des vêtements tout colorés. Délicatement, je saisis le jouet entre mes mains. Les couleurs de toutes les petites dentelles, froufrous et tissus me fascinent. Du bout des doigts je les effleure, cela me chatouille légèrement. Il y a une certaine harmonie dans le choix des couleurs, quelque chose qui flatte l’œil et le retient. 

Maman arrive derrière moi, je la reconnais à la légèreté de ses pas et son parfum qui embaume aussitôt la pièce. 

« Maman, je veux une poupée comme ça. » lui dis-je en effleurant à nouveau le tissu avec mes doigts. Elle se pose à côté de moi et passe une main dans mes cheveux. Je recule instinctivement la tête : je n'aime pas être touché.

« Non, Lest. C'est un jouet pour les filles. Tu es un garçon, me répond-elle.
- Pourquoi ?
- C'est comme ça. Tu as plein de jouets pour garçon dans ta chambre.
- Mais moi, je préfère cette poupée. C'est quoi la différence ?
- Ce sont généralement les filles qui jouent avec des poupées. Si des personnes te voient avec des poupées comme celle-ci, elles se moqueront de toi. »

Je ne comprends pas les explications de maman. Mais on m'a expliqué qu'il faut écouter les adultes, et qu'ils disent toujours la vérité -même si cela leur arrive de se tromper, c'est assez rare. Je n'ai jamais eu ma poupée. Ame n'a jamais joué avec non plus : je crois qu'elle ne l'aime même pas, elle préfère ses peluches. La poupée est restée sur une étagère pendant des mois et moi, je ne l'ai plus jamais touchée.

~~


« Lest, ton oncle et ta tante viennent dîner ce soir. Tu te souviens des règles ? On est poli, on dit merci  et on fait un bisou si on a un cadeau. On ne crie pas, et si tonton ou tata te demande quelque chose, tu réponds et tu fais ce qu'ils te demandent. Compris ? me demande papa.
- Oui, mais moi j'ai pas envie de faire des bisous, en plus tonton il sent mauvais. 
- Tu en feras quand même, c'est la politesse. 
- Pourquoi c'est poli de faire des bisous quand on a pas envie ?
- C'est comme ça, ce sont les règles, tu embrasses ton oncle s'il te le demande et c'est tout. 
- Pourquoi ce sont les règles ?
- Lest...
- Pourquoi ? » répété-je, insistant. 

Ne pas comprendre est angoissant. J'ai besoin de savoir. Papa soupire. Il s'agenouille face à moi et me regarde. Je n'aime pas ça, alors moi je regarde plutôt mon jouet. C'est un lego, je peux jouer avec car c'est autant pour les garçons que pour les filles. J'aime bien les lego car ils sont colorés. Et ils ne sentent rien, contrairement à tonton.

« Ce sont les règles car les adultes ont décidé que ça l'était. Les règles sont importantes, sans elles c'est l'anarchie.
- Ça veut dire quoi anarchie ?
- C'est quand il y a le bazar parce qu'il n'y a pas de règles.
- Tu sais papa, lui ai-je alors répondu, moi je trouve que la maison elle est bien rangée, alors si je fais pas de bisou à tonton, ça sera pas plus le bazar qu'avant. »

Et ce soir-là, tonton m'a offert de petites voitures et sur l'insistance de papa et maman, je l'ai embrassé. Je n'ai pas eu le choix : il est venu coller sa joue qui gratte à mes lèvres. Ce n'était pas très agréable. Mais il paraît que je suis petit garçon, et du fait de mon jeune âge, ce n'est pas moi qui décide. J'espère qu'un jour, on me laissera le choix de refuser ces contacts qui me dégoûtent. Je veux être une grande personne pour avoir mes propres règles.

~~


Ame porte de jolies robes. Elles ont les mêmes froufrous, dentelles et tissus colorés que la poupée que je n'ai jamais touchée. Maman lui choisit une nouvelle robe chaque matin. Parfois, elle travaille sur une grosse machine magique qui fait du bruit, et il y a des tissus colorés qui volent un peu partout. Elle donne des coups de ciseaux, chantonne, prend des mesures avec des rubans ensorcelés. C'est le cas aujourd'hui, et les tissus sont dans une nuance de orange qui me plaît beaucoup.

« Maman, quand t'auras fini la robe d'Ame, tu m'en feras une aussi ? Orange moi je veux ! demandé-je avec enthousiasme.
- Non, Lest. Les robes c'est pour les filles. Mais je peux te faire un tee-shirt si tu veux, tu peux même choisir un motif dessus. Quelque chose de simple.
- Mais moi je veux une robe orange.
- C'est non, Lest.
- Mais pourquoi !
- C'est pour les filles.
- Mais pourquoi c'est pour les filles ?
- C'est comme ça, Lest.
- Alors moi je veux être une fille, pour pouvoir porter des robes ! » 

Quelques jours plus tard, maman m'a fabriqué un nouveau tee-shirt. J'ai beaucoup pleuré et crié, et j'ai même tapé dans les murs car je voulais une robe. Je ne l'ai jamais eue.
Et malgré les explications de maman, je n'ai pas compris.

~~

Le monde m'est incompréhensible, mais c'est comme ça

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Appelez-moi Ada ou Lest ! ♦

29 févr. 2020, 22:59
Le monde ne tourne pas rond  RPG++ 
Chapitre 2 : Dîner chez tante Harley

Rothbury, résidence familiale et environs.
Coelestin a huit ans.

Si on me demande de choisir entre rester chez moi et jouer avec mes lego, ou bien sortir et voir des gens, alors ma réponse est plutôt évidente : je préfère la tranquillité de mon lieu de vie, mon confort, mes habitudes et mon environnement familier. C'est rassurant d'être entouré de choses que l'on connaît. Et surtout, l'inconnu est effrayant et plutôt fatigant. Hélas papa et maman ne me demandent pas mon avis et ce soir, on mange chez tante Harley. Cette dame je la connais, alors la situation pourrait être pire. Mais je ne l'aime pas particulièrement, car elle a toujours des crottes de nez qui dépassent et sa maison sent l'urine de chat. Dans la voiture -un transport moldu apprécié par ma mère, mes parents nous dictent les habituelles règles : « Soyez polis, aimables, serviables. Amelia, ne tire pas la queue du chat. Coelestin, et si tu essayais de discuter un peu avec ton cousin ? Il a ton âge, à peu près. Tu es toujours muet comme une tombe là-bas, ils finissent toujours par nous demander si tu sais vraiment parler. » Accoudé au rebord de la vitre, j'observe les paysages sans répondre. Il n'y a rien à dire, de toute façon. Et une tombe, ça ne parle pas alors la remarque de maman n'a aucun sens. 

Beaucoup de verdure, dehors : j'aime ces dégradés de verts qui défilent à toute vitesse. Ame fait la conversation à ma place. Elle parle beaucoup et ne sait pas s'arrêter. J'entends quelques remarques de mes parents ; peut-être des « J'espère qu'elle s'est lavée, son haleine était épouvantable la dernière fois. », je n'y prête qu'une attention distraite.

Au seuil de la porte, la première chose qui me frappe est l'odeur. Vive, elle me frappe de plein fouet et me laisse étourdi. Il faut que mon père me pousse pour que je franchisse enfin le seuil. C'est à contre-cœur que j'entre dans cette petite maison, bien loin du confort de la propriété de mes parents. Et de sa propreté, évidemment. L'odeur ne gêne visiblement que moi, mes parents échangent déjà accolades avec la famille dans de grands éclats de voix et de rires que je peine à comprendre. Le sens, pour l'un. Les raisons, pour l'autre. J'ai juste cette odeur qui me révulse à chaque inspiration, elle est omniprésente et je me sens sali à chaque fois que je respire et que je la fais entrer en moi. J'ai l'impression qu'elle s'accroche à chaque parcelle de mon corps, qu'elle s'y colle comme avec les maléfices de glu qu'utilise parfois papa. Je sais qu'après notre retour à la maison, je la sentirai sur ma peau et mes cheveux pendant des jours, malgré lavages. 

Autour de moi, le monde continue de tourner, tout va trop vite et je suis déjà perdu. Je me rends compte que je suis déjà assis à table, et que les premiers plats sont devant nous. Tante Harley est piètre cuisinière, et le cousin piaille autant qu'Ame. Mon regard se perd dans les petits pois de mon assiette. J'aime leur forme, c'est tout rond. Et la couleur, c'est vert et avec les reflets de la lumière, ça brille. Le goût n'est pas ce que je préfère en revanche, surtout avec la préparation de Tantine. « Golf, mais... » Je tiens ma fourchette dans ma main serrée, un peu maladroitement, et je m'amuse à aligner les petits pois. Je forme de jolies lignes comme ça, ça fait comme la verdure sur le chemin de la maison de Tantine. Et ça me distrait, j'en oublie un peu l'odeur toujours dérangeante. « épidémie » J'en suis à ma deuxième ligne lorsque je reçois un coup de cuillère sur le dos de ma main. Je sais ce que cela signifie : c'est le signal pour me dire que je tiens mal ma fourchette. Ou peut-être parce que je ne dois pas jouer avec ma nourriture : j'ai un doute.

J'abandonne mes petits pois à contre-cœur. « ministère...» Ce chandelier au centre de la table est doré. Les bougies se consument progressivement. La fumée a une odeur assez particulière, mais trop faible pour contrebalancer l'urine de chat. Au moins, ce ne sont pas des bougies parfumées. Il y a aussi ce tableau derrière que j'apprécie beaucoup. Plutôt classique, il représente un saladier rempli de fruits. Il y en a trois comme celui-ci chez mes grands-parents paternels, mais ils sont mieux réussis là-bas. « vraiment navrant... » En dehors de l'odeur d'urine, il y a aussi l'haleine de Tante Harley. C'est épouvantable. Et comme toujours, il y a les crottes de nez qui dépassent de son nez. Mais je préfère regarder le tableau avec les fruits, tout en balançant légèrement mes pieds sous la table. Je tortille aussi mes doigts entre eux, ça m'aide à me détendre. « Coelestin... » Vraiment, j'aime beaucoup l'ombre autour de la pomme. Les nuances de couleurs. Mon regard s'y perd un long moment. « Coelestin ! » La cerise à côté aussi. C'est une bonne idée d'avoir mis une pomme verte à côté d'une cerise bien rouge.  

Puis je ressens une secousse. Brutale, elle me ramène aussitôt à la réalité. Papa me secoue légèrement le bras. « Coelestin, réponds à ta tante. Elle te demande ton avis sur l'odeur ! » L'odeur ? Perplexe, j'observe successivement la litière du chat, puis le nez d'où pendent de grosses boules jaunes, et enfin la bouche entre-ouverte qui laisse apparaître des dents tâchées. « Tantine, ta maison sent l'urine de chat et ton haleine rappelle l'odeur des égouts. » lui réponds-je alors en tentant de mettre le sourire de politesse apprécié par mes parents. Je crois qu'il y a un silence après mes mots. Cela me fait tout drôle, car je m'étais presque habitué au brouhaha bruyant et oppressant dans lequel baignait la pièce depuis plus de temps que je ne pouvais l'estimer. Mon regard tombe un peu tardivement sur le savon tendu par mon père. Il a un aspect un peu bizarre, poreux. Alors que sa fine odeur de fleur d'oranger atteint mes narines -subtile par rapport au reste, je me souviens de la fabrication artisanale -et étonnante considérant le personnage, de ma tante. 

Le reste de la soirée m'est plus floue. Je me souviens ne pas avoir revu les paysages verdoyants au retour à cause de la pénombre, et j'ai été puni pour mon insolence car j'ai insulté Tante Harley. Je ne comprends pas le problème, surtout que mes parents ont aussi précédemment fait des remarques sur son odeur dans la voiture. Moi, je l'ai fait devant Tantine et cela me paraît approprié, car si quelqu'un peut bien remédier à son manque flagrant d'hygiène, c'est elle. Donc c'est à elle qu'il faut dire ce genre de choses : c'est le plus logique. Mes parents ne sont pas du même avis.

Je ne comprends pas.

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Appelez-moi Ada ou Lest ! ♦

01 mars 2020, 15:54
Le monde ne tourne pas rond  RPG++ 
Chapitre 3 : Les lilas

Rothbury, résidence familiale.
Coelestin a dix ans.

En avril fleurissent les lilas. Parfois, on les aperçoit dès la fin du mois de mars mais généralement, c'est en avril. J'ai l'habitude, quand apparaissent les premières fleurs, de m'asseoir devant les arbustes et de les observer. Il y a quelque chose de reposant dans la symétrie des fleurs, toujours agencées de la même façon le long de grappes. Elles sont rangées dans un certain ordre et il y a une régularité et une logique qui m'apaisent. L'odeur aussi est relaxante. Puissante, florale, il y a quelques touches sucrées.

Aujourd'hui, maman se joint à moi pour l'observation des lilas. Elle s'assoit à côté et respecte une certaine distance. Le silence est rapidement brisé, car maman a toujours des choses à me dire.

« J'ai parlé avec la gérante du club de théâtre. Elle a dit qu'elle ne voulait plus que tu reviennes, à moins que tu n'écrives une lettre d'excuse à l'enfant que tu as frappé. Tu veux bien m'expliquer ce qu'il s'est passé ? »

Il y a quelques semaines, mes parents m'ont inscrit à un club de théâtre. Il paraît que côtoyer des enfants de mon âge me serait profitable et qu'il faut que je m'y habitue, car je ferai prochainement ma rentrée à Poudlard. Et je n'ai jamais été dans une école moldue. Mais moi je suis très bien à la maison, je ne vois pas pourquoi j'ai besoin de voir d'autres enfants, surtout qu'ils sont souvent incompréhensibles et illogiques. Et faire du théâtre, c'est étrange, mais papa et maman ont dit qu'il serait compliqué pour moi de faire un sport, et que le théâtre m'aiderait à prendre confiance en moi et à communiquer avec les autres. Sauf que désormais, je ne peux plus y aller, à part si je rédige cette lettre. Je ne sais même pas pourquoi je dois le faire.

« Lest ? » insiste maman. « Il s'est passé quoi avec cet enfant ? On m'a dit que tu l'avais insulté et que tu avais cherché la bagarre. Cela ne te ressemble pas. Tu veux bien m'en dire plus ? Ce n'est pas pour te gronder, je veux juste comprendre ce qu'il s'est passé. »

Maman ne sait pas profiter du silence. Les lilas eux, sont silencieux, sauf quand le vent vient jouer dans les feuillages. Ces arbustes présentent aussi l'avantage d'être parfaitement prévisibles. Les lilas fleurissent toujours à la même période de l'année, même s'il peut y avoir quelques semaines de décalage. Les fleurs ont toujours la même odeur et sont toujours organisées de la même façon sur des grappes. Les feuilles ont toujours la même forme, et les arbustes ne changent pas de place. D'une année sur l'autre, ils sont toujours là. Les humains eux, sont parfaitement imprévisibles. C'est pour cela que je ne les aime pas : les imprévus me font peur et m'angoissent. 

Comment aurais-je pu deviner que cet enfant réagirait ainsi après ma salutation, que l'on finirait par en venir aux coups ? Ce n'était pourtant pas mon objectif. Moi, je voulais juste me faire un ami. Au club de théâtre, j'ai vu bien des choses étranges. Il est vrai qu'en dehors de mes cousins, Amelia et quelques voisins, je n'ai jamais côtoyé beaucoup d'autres enfants. J'ai été assez surpris de les voir tout aussi bavards que les grandes personnes -parfois même plus. Tout aussi agités et désordonnés. Bruyants, perpétuellement en mouvement. En groupe, souvent. Avec des éclats de rire un peu partout.

J'ai essayé de comprendre les raisons de leurs rires. J'ai identifié plusieurs causes : certains rires arrivent après une plaisanterie. Plus vite une personne comprend la blague en question, et plus vite elle rit en réponse. Moi j'ai souvent besoin qu'on m'explique les plaisanteries car je ne les comprends pas, mais ça n'a plus rien d'amusant quand tout doit être détaillé. D'autres personnes rient pour partager des émotions, comme la joie ou la bonne humeur. Il suffit qu'un enfant se mette à rire pour que d'autres suivent. C'est, je crois, une manière de communiquer et de s'intégrer au sein d'un groupe d'amis. Il y a aussi les rires qui arrivent sans raison : mais comme la réponse au rire est le rire, les autres suivent tout de même. Ce n'est pas toujours très logique. Ame est de ceux qui rient sans raison apparente. 

Quoi qu'il en soit, il y a toujours des rires dans des groupes d'amis. Je l'ai vu dans le club de théâtre. Alors comme je voulais m'intégrer -pour faire plaisir à papa et maman, j'ai moi aussi ri quand les autres enfants riaient. J'ai ri peu importe ce qu'ils disaient. J'ai ri quand ils me pointaient du doigt en riant aux éclats. J'ai ri chaque fois que j'ai trébuché sur mes lacets et que je suis tombé, car eux aussi me regardaient en riant. Mais je ne me suis pas senti plus proche d'eux pour autant.

Au sein du club de théâtre, j'ai observé d'autres étranges comportements. Les enfants usaient entre eux des mots qui ne m'étaient pas inconnus, mais peu familiers. Des insultes. Ce que papa et maman appellent gros mots. Les mots que je ne peux utiliser sans laisser une mornille dans un gros cochon en céramique. Les enfants en lâchaient autant que de rires. D'ailleurs, les deux allaient souvent ensemble. « Non mais t'es vraiment trop c*n mon pov' gars ! » disait un enfant à un de ses amis. Rire.  « Roh la garce, t'as fait comment pour négocier avec ta mère pour ton nouveau pull ? » Rire. « Ohlala je suis vraiment trop c*nne, non mais là j'pige pas ! » Rire. Les insultes provoquent les rires, les rires aident aux liens sociaux, à l'intégration et à se faire des amis.

Je veux avoir des amis. C'est pourquoi j'ai été voir l'un de ces enfants. Je l'ai regardé avec un grand sourire, celui que mes parents me demandent de faire pour dire bonjour, merci, au revoir. Pour être poli. Paraître. Avec la famille, les inconnus, les voisins. Les lilas eux, ne me demandent pas de sourire. Mais ce n'était pas un lilas face à moi, c'était un enfant imprévisible. Alors quand je lui ai dit  « Salut petit c*n ! » avec ce même sourire poli, je m'attendais à un rire en réponse. Rire auquel j'aurais répondu, et puis on aurait pu devenir amis. Mais puisque l'enfant n'était pas un lilas, il m'a juste insulté en retour. Alors j'ai ri. Et il m'a frappé. Alors je l'ai frappé. Puis il a dit à tout le monde que je l'avais insulté. On m'a demandé si je l'avais fait et je n'ai pas menti : oui, messieurs dames, j'ai insulté et frappé cet enfant.

« Lest. » répète une nouvelle fois maman. Mon regard brun se pose sur elle. Je ne sais pas quoi lui répondre. Il n'y a que la vérité, mais très souvent cela ne suffit pas.
« Je voulais un ami. » lui dis-je tout simplement.

Maman a soupiré. Elle s'est approchée de moi et est venue entourer mes épaules de ses bras. Elle m'a longuement serré contre elle en caressant mes cheveux. Je n'aime pas quand on me touche, j'ai l'impression qu'on empiète sur mon espace personnel à chaque fois, et qu'on me salit. Et c'est désagréable. Mais avec maman, cela me dérange moins qu'avec les autres. Je me laisse faire et je pose ma tête sur son épaule. Elle ne sent pas aussi bon que les lilas, mais elle est tout autant rassurante. Parfois.

J'ai rédigé la lettre d'excuse mais je ne suis jamais retourné au club de théâtre. 

Je préfère aux humains les lilas.

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03 mars 2020, 16:00
Le monde ne tourne pas rond  RPG++ 
Chapitre 4 : Fais un effort.

Rothbury, résidence familiale.
Coelestin a onze ans.

« Fais un effort. » est ce qui revient le plus souvent après « C'est comme ça. »

Mes parents sont comme un disque rayé. Ils tournent en boucle. D'habitude, j'aime bien les boucles, et j'aime les répétitions car c'est rassurant. Mais pour ces deux phrases en particulier, j'en retire surtout une certaine forme de frustration. Le c'est comme ça n'offre aucune explication claire, et le fais un effort me paraît trop abstrait car j'en fais continuellement. Pour tout, tout le temps. Au c'est comme ça, j'ai appris à ne plus poser de questions, mais je n'ai pas encore trouvé la bonne réponse pour le fais un effort.

Parfois, j'ai l'impression que le monde autour de moi m'écrase. Pas littéralement mais, c'est comme si, et je ne comprends pas pourquoi cela m'arrive. Quand j'en parle autour de moi, on me dit que j'exagère. Que c'est dans ma tête. Une partie est bien dans ma tête peut-être, car j'ai souvent l'impression qu'elle va exploser. Mais c'est aussi dans mon corps, à la surface de ma peau, dans mon cœur qui bat un peu trop vite. Mon corps tendu à chaque contact physique. Ma peau et mes poumons salis à chaque odeur dérangeante. Et ça s'accroche, et ça ne part pas. De mes pensées, de moi. Non, ça tourne en boucle, comme mes parents qui se répètent toujours, et tout comme leurs mots, ce ne sont pas des boucles rassurantes. Elles m'oppressent. 
Les bruits. J'ai récemment appris un mot qui résume bien mon ressenti : c'est une cacophonie perpétuelle. Les sons arrivent de partout, et moi je ne peux pas tous les gérer, je sature. Je fais de mon mieux. Je fais un effort. De toute façon, c'est comme ça. Je ne peux pas faire autrement. Je suis comme ça

« Tu es vraiment bizarre, Lest. » me dit-on.

Je l'accepte. De toute façon, je le vois bien que je suis différent. C'est frustrant, et je me rassure comme je peux en me disant que de toute façon, nous sommes tous différents les uns des autres. Mais au final, quoi que je me dise, je ressens toujours un décalage avec les autres. 

Mais c'est comme ça. Pourtant, je fais des efforts. J'aimerais bien avoir des explications plus claires à fournir que le c'est comme ça, mais je n'en ai pas. Je suis peut-être un peu comme mes parents. Ou bien il n'y a aucune explication à y apporter. C'est juste factuel. C'est un autre mot que j'ai appris hier, en feuilletant le dictionnaire. J'aime les mots.

« Fais un effort ce soir Lest, d'accord ? C'est un dîner important pour nous, ce serait dommage qu'il soit... gâché, si tu vois ce que je veux dire ? Et puis, il faut que tu profites toi aussi. »

Non maman, je ne vois pas ce que tu veux dire. Je l'entends, mais je ne le comprends pas parfaitement même si j'y ressens une certaine forme de contradiction. 

Parfois, j'ai l'impression que le monde autour de moi m'écrase. Quand c'est le cas, plusieurs choses peuvent arriver. Je pleure ou je crie, parce que je ne me sens plus capable de le supporter. Ou je m'éteins comme avec un Nox. Vous ne m'entendez plus. Je ne vous entends plus. Je ne bouge plus. Je ne le puis. Mais ça revient, comme quand on rallume la lumière, mais parfois ça prend du temps. Et c'est dérangeant, surtout quand il y a des invités. C'est pour cela que je dois faire des efforts.

« Tu fais ta rentrée à Poudlard dans quelques mois Lest. Tu sais, ça va être compliqué pour toi si tu ne supportes pas quand il y a du bruit et de l'agitation. Tu dois t'y habituer. »

Ils me font peur, quand ils parlent de Poudlard. Je repense au club de théâtre et aux enfants que j'y ai rencontrés. Aussi, à ma tentative d'approche qui s'est terminée d'une drôle de façon. Je hoche tout doucement la tête, même si j'ai très peur. Je n'aime pas l'inconnu. Mes parents m'y préparent de leur mieux : j'ai plusieurs plans détaillés de l'école, des journées-types, de bonnes explications sur le déroulement habituel des cours -même si c'est lointain pour eux. Mais j'ai peur.

« Tu as l'air contrarié. Tu penses encore à Poudlard ? Tu sais, tu pourras nous écrire quand tu veux. Et on fera en sorte que tu puisses emmener une bonne partie de tes lego. Avec un sortilège d'extension sur ta valise, et un double-fond pour les séparer de tes vêtements. »

Je veux bien mes lego. C'est quelque chose de familier et de rassurant. Alors quand j'y pense, je me sens un petit peu mieux. J'aime bien l'idée du double-fond dans la valise, parce que ça fait comme un coffre au trésor. Si je m'y fais des amis, je pourrai leur montrer tous mes lego et j'espère qu'ils seront tout aussi émerveillés que moi par leurs couleurs. J'aimerais beaucoup que ce soit le cas.

« Va te préparer pour ce soir maintenant. Du coup, s'il te plaît, tu éviteras de faire une crise ? Tu sais que papa a besoin de ce contrat. »

Et elle dépose un baiser sur mon front, dont la trace brûlante persiste plusieurs minutes après son départ. C'est bizarre, parfois j'ai l'impression que mes parents me comprennent et ils parviennent même à rassurer. Puis ensuite, j'entends encore ces mots qui me laissent une sensation étrange et indescriptible -dérangeante, peut-être ? sans que je ne sache pourquoi.

Le dîner s'est bien passé, et papa a eu son contrat.

Quand l'inconnu est parti, papa m'a fait une brève accolade et m'a souri. Je ne sais pas pourquoi. Mais j'étais content car je n'ai pas reçu de coup de cuillère sur la main quand j'ai aligné mes petits pois dans mon assiette pendant le repas. 

Si à Poudlard, je peux aussi reproduire les lignes de verdure du chemin qui mène à la maison de ma tante, avec mes petits pois un crayon ou mes lego, alors je suppose que tout ira bien.

Mais j'ai peur. 
De ne pas savoir, ne pas comprendre, d'être perdu. 
D'être incapable de faire les efforts que l'on me demande et qui semblent si importants pour les autres. 

♦ Étudiant.e à l'IMSM - #b45f06
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