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04 avr. 2020, 13:02
 Privé  Promenons-nous, dans les bois...
... pendant que le loup n’y est pas.


Elle était exténuée. Ceci explique sans doute pourquoi le transplanage fut si délicat et pourquoi, à peine arrivée à destination, elle lâcha la main de Kristen pour s’asseoir sur une souche d’arbre au bord du chemin, le coeur au bord des lèvres. Par chance, l’air était pur par ici, chargé d’une bonne odeur (celle des pins sauvages) ce qui apaisa rapidement les battements paniqués de son coeur.

Aude croulait sous le travail. Personne n’imaginait — à l’exception de sa moitié — tous les efforts qu’elle avait fournis pour que l’hôpital de campagne voie le jour après la destruction de Ste Mangouste. Personne, au fond, ne s’était soucié de soulager le véritable déchirement qu’elle avait ressenti en perdant cet endroit qu’elle aimait tant. Personne ne s’était souvenu qu’elle avait déjà perdu Beauxbâtons. Personne n’avait supposé que c’était peut-être la perte de trop pour un coeur déjà bien éprouvé. Le pire dans tout ça, c’est qu’Aude n’en voulait à personne. Son coeur n’était pas conçu pour un tel usage. Elle en était parfaitement consciente. Par moment, elle regrettait de ne pas partager un peu celui de sa compagne, ne serait-ce que pour alléger son fardeau de temps à autres. Mais non. Elle n’était définitivement pas comme ça. Tout le monde louait son abnégation, son courage, sa force, mais personne ne voulait voir ses faiblesses.

En temps de crise, tout le monde a besoin de se fabriquer des héros. Aude était une de ces héroïnes poussées sur le devant de la scène malgré sa volonté.

Elle ferma les yeux, replaça une mèche de cheveux derrière son oreille gauche, et prit un grand bol d’air frais. Une seule question tournait encore et encore dans sa tête : où était donc passé ce temps insouciant ou elle et Kristen voyageaient à travers le monde en éprouvant leur amour ? Autrement dit, le monde avait-il à ce point changé pour ne plus leur livrer que ce lot quotidien de mauvaises nouvelles ? Le ministère, le Conseil, Owen, la résistance, Ste Mangouste, les Sept Lignées — toujours elles, les disparitions, les enlèvements, les familles brisées, Ursula Parkinson, Dallan Blackwave, le lien de Sang, la peur, l’angoisse, les sans-pouvoirs, la guerre... et maintenant ça. Aude rouvrit les yeux — des yeux cernés qui n’en étaient pas moins beaux et lumineux — sur sa baguette magique qu’elle tenait en travers de ses genoux.

Où étaient passés les jours heureux, hein ?

« Sa maison se trouve au bout de ce chemin, mais je ne me sens pas encore prête à y entrer, dit-elle en levant ses yeux vers Kristen. J’ai parfois l’impression d’être maudite. Tout ce qui gravite autour de moi finit un jour ou l’autre par s’écrouler. »

Un remous dans sa poitrine entraîna une montée de larmes qu’elle ravala avec la dignité qui était la sienne. Elle ne savait même plus pourquoi elle avait envie de pleurer. Pour toutes les raisons du monde sans doute. Et aussi, beaucoup, parce que Constance la réclamait à son chevet.
06 avr. 2020, 23:34
 Privé  Promenons-nous, dans les bois...
C'était mieux avant. C'est une phrase de vieux cons, mais parfois, c'est vrai, tout simplement. Oui, c'était mieux avant, quand j'étais presque heureuse avec Aude. Presque, parce qu'elle me comblait de bonheur, évidemment, mais il y avait des blessures qu'elle-même ne pouvait pas panser. Trop profondes. Les soulager représentait un travail monstrueux, et les guérir : impossible. Quelques mois auparavant, Baldur en avait rouvert une bonne partie. Opale McKinney avait terminé de les déchirer. Des mois de travail, fichus en l'air. Et j'en ai à peu près conscience. Parfois, j'ai l'impression de peser trop lourd sur les épaules d'Aude. Personne ne peut imaginer l'étendue de sa force, à toujours faire passer les autres avant elle-même, sans rien demander en échange. Je l'admire pour cela. Et je ne comprends pas. Je ne pourrais pas aller aussi loin dans cette démarche, je crois. Comment peut-elle m'aimer ? Ne serait-elle pas plus libre sans moi ? Parfois, je me dis que je ne lui donne pas assez. Mon esprit est toujours ailleurs, partagé entre mes envies de meurtre et mes plans hallucinants pour tirer mon épingle du jeu. J'essaie de toujours avoir le temps d'aimer, mais ce n'est pas facile. Dans ma boîte crânienne, mes pensées se livrent des combats sans fin, ça frappe dans tous les sens et me laisse épuisée.

Je la regarde, assise sur une souche d'arbre. Elle est épuisée, elle aussi, mais elle est toujours belle : elle ne cessera jamais de l'être. Je ne sais pas quoi lui dire. La vérité, c'est que tout finit toujours par s'écrouler : mais ce n'est pas ce qu'elle veut entendre. Je voudrais lui dire, aussi, que je suis là, que je ne m'écroulerai pas, moi. Et ça, ce serait mentir. Je ne mens pas à Aude, jamais. J'essaie d'être forte, mais je me sens vriller. Les événements attachent des multitudes de ficelles invisibles à mon cerveau et le décomposent, morceau par morceau, ne laissant plus rien pour celle que j'aime.

Je m'approche d'elle, je m'accroupis et lui caresse les mains, le temps de trouver quoi dire. Je n'ose pas la regarder dans les yeux. Je me sens coupable, tout le temps, pour tout et son contraire. Pour en avoir trop fait, pour ne pas en avoir fait assez, et même pour des événements qui, dans cette réalité, ne sont même pas advenus. Le meurtre d'Aldérande Slughorn n'existe pas, ici : mais la folie de ce moment, elle, est toujours réelle. Il m'arrive même de penser qu'une partie de moi est toujours là-bas, dans cette autre réalité.

« Je comprends, dis-je tout simplement. »

Et c'est vrai. S'il y a bien quelqu'un qui peut comprendre ce sentiment d'être maudit, néfaste, et de détruire tout ce que l'on approche, c'est moi. Ma plus grande peur, en approchant Aude, était d'ailleurs de la détruire elle aussi.

Je me relève, faisant glisser mes mains sur les siennes.

« Mais tu as tort. Combien se seraient écroulés si tu n'avais pas été là ? »

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
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09 avr. 2020, 12:18
 Privé  Promenons-nous, dans les bois...
68.


Elle comprenait. Oui, elle me comprenait. Le commun des mortels ne réalisait souvent que trop tard le caractère exceptionnel d’une relation où l’un et l’autre se comprenaient sans même avoir à échanger le moindre mot. L’être humain était si complexe, si fier de son unicité, qu’une telle osmose n’arrivait qu’une fois dans la vie — voir même jamais dans la plupart des cas. Un regard suffisait ; son regard me suffit. Son regard, ses mots, sa tendresse, suffirent à me redonner du poil de la bête. Et tandis qu’elle se redressait, je me levai instinctivement pour ne pas perdre le contact de ses mains que j’enveloppai entre les miennes comme un bien précieux.

Le monde n’était plus ce qu’il était et Kristen n’était plus tout à fait la même depuis l’épisode de Ste Mangouste. Beaucoup de choses étaient restées prisonnières de ces ruines. Il s’était effondré, là-bas, beaucoup plus que des murs de pierre. Combien de destins rompus ? Combien d’existences bouleversées ? Certainement des millions... le Secret Magique était encore enseveli sous les décombres de ce qui fut, autrefois, mon antre. J’éprouvai un pincement au coeur en songeant à Angus, à la perte inqualifiable qu’il représentait pour Kristen et qu’elle avait tue. Nous avions cela en commun : cadenasser le maximum pour ne pas avoir à faire peser nos regrets sur d’autres épaules que les nôtres.

Mes yeux plantés dans les siens, je portai ma main sur son visage, caressai son contour sous la mâchoire puis, prise d’une irrésistible envie, l’embrassai l’espace de deux ou trois secondes. Malgré la fatigue, en reculant mon visage du sien, je trouvai finalement la force de lui sourire. A mes yeux légèrement plissés, je savais qu’elle comprendrait que mon sourire était avant tout un témoin d’encouragement mutuel autant qu’un gage de mon amour sincère, loin du sourire qu’elle aimait à apercevoir sur mon visage quand les choses étaient, disons, plus simples.

J’abaissai les yeux sur ses mains, que j’avais reprises entre les miennes, caressant avec la même douceur celle qui était malade et celle qui ne l’était pas. Oui, le monde avait décidément bien changé et peut-être était-il temps d’accepter les choses telles qu’elles devaient l’être, ni plus ni moins. Il m’avait fallu beaucoup y réfléchir, seule — bien que les conseils du Choixpeau s’avérèrent précieux à certains égards. Les mains de Kristen n’étaient-elles pas le miroir du combat déroutant qui opérait, en ce moment même et en tout instant, au plus profond de son âme ? Le nier n’était plus envisageable. Ignorer sa noirceur c’était ignorer une partie de ce qu’elle était.

Je ne voulais pas ignorer une partie de ce qu’elle était.

« Pardonne-moi. Les temps sont durs aussi bien pour l’une que pour l’autre, dis-je. Je n’ai pas le droit de m’accaparer le bureau des plaintes. »

Je plissai un peu plus les yeux en affermissant mon sourire sans parfaitement goûter à la plaisanterie. Une partie de moi redoutait toujours d’entendre la suite, quand bien même la partie tout à fait rationnelle de mon esprit savait pertinemment qu’il s’agissait d’une chose inévitable.

« Tu dois avoir besoin de vider ton sac, toi aussi. Rien ne t’a été épargné au cours de ces derniers mois. »
09 avr. 2020, 18:56
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La douceur d'Aude était à la fois réconfortante et terrible : elle faisait naître en moi un sentiment de culpabilité difficile à ignorer. Je voulais dire ce que je ressentais, vider mon sac, en effet, mais face à ce regard, face à ce sourire tendre, rien n'était moins aisé. Cette crainte ne m'a jamais quittée : la salir, que mes ténèbres l'enveloppent, l'étouffent, fassent d'elle ce qu'elle n'est pas, n'a jamais été. Mon esprit était si embrumé que j'avais peur que mes mots seuls la fassent fuir.

« Bien sûr que tu en as le droit..., fis-je, pour commencer. »

Je préférais quand elle me parlait d'elle : cela m'évitait de parler de moi. Je ne savais même pas par où commencer le récit de mes angoisses. Par le commencement, sans doute, du moins celui de cette nouvelle phase.

« Depuis qu'Owen est parti... Je ne sais pas comment gérer tout ce qui se passe, à l'extérieur et à l'intérieur de moi-même. C'est trop, et il n'y a pas assez de place dans ma tête pour tout ça. Alors parfois, j'ai l'impression que tout ce qu'il me reste, c'est la haine. Qu'elle enveloppe tout, qu'elle absorbe même... mon amour. Haine envers Baldur, envers McKinney, envers les Moldus qui massacrent les nôtres, envers le monde entier et ce qu'il devient. »

Mes mots alimentaient l'eau de mes yeux, et je la sentais monter, irrésistiblement, jusqu'à la surface de mes paupières. Je n'avais jamais vraiment mis de mots sur ce que je ressentais depuis ces derniers mois, et ainsi expulser ces sentiments de mon corps me soulageait, d'une part, mais me révulsait de l'autre. J'admettais que je n'étais pas comme Aude, je l'affirmais à voix haute, et cette vérité était difficilement supportable. Je ne serai jamais aussi bonne qu'elle, aussi forte.

« Il y a des jours où tout ce que je voudrais, c'est plonger la tête la première dans cet océan de haine, et tout détruire. Ce sentiment, je l'avais quand... Quelques années en arrière. Et je ne suis même pas sûre qu'il était si intense qu'aujourd'hui. J'essaie d'être forte, de résister, pour toi, pour ne pas te décevoir, mais ces idées de destruction, de vengeance, me hantent chaque jour, et je rêve parfois de céder, tout simplement. »

Je baissai la tête, de honte, tandis que mes yeux finissaient de s'emplir de larmes. Je voulais me cacher, ne pas avoir à affronter la présence d'Aude, que j'aimais plus que tout, mais qui était si différente de moi. J'ai peur de devenir folle, Aude...

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10 avr. 2020, 11:58
 Privé  Promenons-nous, dans les bois...
69.


Nous y étions. A mesure que Kristen déballait tout ce qu’elle avait le coeur, mon sourire s’estompait devant la gravité des faits. Non pas que tout me déplus, car je m’étais préparée à entendre tout ça (à l’exception faite du passage où Kristen mit son amour dans la balance, je dois bien l’admettre) mais parce qu’il aurait été inconvenant de continuer à lui sourire alors que les larmes prenaient une place grandissante dans ses beaux yeux bleus. Moi-même, il me fallut faire un effort pour ne pas pleurer. Goûter de si près à tout ce malheur, son malheur, me submergeait d’émotions. Comment avait-elle pu garder tout ça en elle-même sans exploser ?

La situation était d’autant plus critique qu’il me fallait désormais naviguer à vue. Le moindre geste, le moindre mot déplacé pouvait précipiter cette conversation dans les limbes et telle n’était pas mon intention. Je ne pouvais pas me permettre de laisser Kristen seule face à tant de détresse, je ne me le pardonnerai jamais.

Le Choixpeau avait visé juste — mais comment espérer le contraire de la part d’un être aussi sage que lui ? Kristen n’était pas la première directrice de Poudlard à souffrir d’un tel déchirement d’âme, d’après lui. D’autres l’avaient précédé dans un éventail de destins qui m’avait littéralement effrayé. La mort tragique revenant le plus souvent parmi les issus narrées par le Choixpeau. Tel n’était pas le destin qui attendrait Kristen, je m’en étais fait la promesse. A quoi le Choixpeau avait répondu qu’aucun des prédécesseurs de Kristen avait disposé d’une Aude Luneau pour affronter ces terribles évènements. Le souvenir de ce compliment me remis un peu de baume au coeur et me décida à suivre mon instinct, quoi qu’il m’en coûte.

« Peut-être le devrais-tu, dis-je avec sérieux. »

La réaction de Kristen ne se ferait pas attendre. Mon aversion pour la magie noire était un secret de Polichinelle.

« Personne ne peut aller à l’encontre de son instinct, pas même toi. Mon erreur depuis longtemps a été de croire que la magie était une entité fractionnée entre les bonnes et les mauvaises pratiques. J’ai été élevée comme ça. La magie noire m’a enlevé mes parents quand la magie prenait corps en moi, alors il est naturelle que ce soit une mauvaise pratique à mes yeux. Même si je le souhaitais — et je ne le souhaiterais probablement jamais — je serais incapable de produire le moindre sortilège de magie noire. C’est au-delà de mes capacités et de mes instincts. Mais toi... tu es différente. Tu as la force de combiner les deux faces de la même pièce. »

Je laissais un silence d’une dizaine de secondes planer sur notre échange, mes pouces toujours à l’oeuvre autour des mains de Kristen.

« En outre, quand nous nous battions à Beauxbâtons, j’ai vu le plus grand des mages noirs nous prêté son aide pour détruire ce monstre... et mes yeux ne s’y sont pas trompés Kristen, c’était bien par amour qu’il l’a fait. La magie noire a sauvé Beauxbâtons ce jour-là parmi tant d’autres actes héroïques de magie. »
15 avr. 2020, 23:56
 Privé  Promenons-nous, dans les bois...
Il y a certains encouragements que l'on préférerait ne pas entendre, comme il y a certaines paroles que l'on prend plaisir à détourner pour qu'elles collent à ce que l'on s'attend à entendre. J'étais tellement persuadée d'être dans le faux, en m'attachant ainsi à la magie noire, persuadée de dévaler une pente glissante qui me mènerait tout droit à la folie, que s'il y avait bien deux choses que je ne voulais pas entendre, c'était qu'il était dans ma nature ou mon instinct d'utiliser cette forme de magie, et que je devrais tout simplement me laisser aller à la tentation d'y plonger totalement. Surtout quand, dans le même temps, Aude me rappelait qu'elle avait toujours pensé que la magie noire était mauvaise, qu'elle avait été élevée ainsi, mais que j'étais différente moi, si différente d'elle... Même si, occasionnellement, à Beauxbâtons, la magie noire avait fait le bien. Oui, c'était un épisode à ses yeux - du moins, c'est ainsi que je l'interprétais.

Alors, sautant aux conclusions, simplifiant le propos, je me braquai totalement. Je regardai Aude comme jamais je ne l'avais regardée, je crois : avec des yeux sombres, bas, et je me détournai d'elle, le visage fermé. Je sentais encore le contact de ses mains sur les miennes, et la chaleur de cette empreinte me terrifiait.

« La magie noire a aussi détruit ma famille, et je sais qu'un jour, je te ferai du mal, à toi aussi. Alors comment peux-tu me dire que je devrais plonger, tout simplement ? J'ai senti mon esprit partir en vrille, face à McKinney. J'aurais pu tout détruire. Et toi, tu oses me regarder dans les yeux, et me dire que, peut-être, je devrais céder ? Tu n'as aucune idée de ce dont je suis capable, Aude. Tu n'as aucune idée de la violence de ce qui me traverse l'esprit, aucune. Tu ne peux pas l'imaginer, comme tu dis : ce n'est pas dans ton instinct. »

J'en avais presque la nausée. Je ne voulais pas dire tout ça - ou peut-être que si, je ne sais pas. Peut-être pas de cette façon, en tout cas. Et voilà que la pratique suivait la théorie : j'avais envie de casser quelque chose, d'exploser un rocher, de compresser quelque chose très fort. Je sentais mon visage crispé, tiraillé entre colère et dégoût, et j'avais peur aussi : peur de ce que je venais de dire et peur qu'Aude se détourne de moi, enfin.

« Owen était ce que je chérissais le plus au monde. Crois-tu sincèrement que l'amour l'a sauvé ? »

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17 avr. 2020, 19:09
 Privé  Promenons-nous, dans les bois...
A mesure que le réquisitoire de Kristen entachait un peu plus les intentions d’Aude, le visage de la malheureuse se couvrait d’ombres, se faisant plus froid et menaçant que le fil d’une épée brandit au clair de lune. Ses yeux bleus lançaient des éclairs, tandis que ses poings se fermaient pour en contenir la colère.

« C’est toi qui n’a aucune idée de ce que tu dis ! s’écria-t-elle, son sang bouillonnant sous l’effervescence de la peine et de la fatigue. Tu parles de ton fils comme s’il était mort, et tu parles de moi comme si j’étais un monstre sans coeur ! Le mal serait-il déjà si grand que tu aurais tout oublié de notre histoire ou perdu tout espoir ? »

Et alors qu’elle exprimait sa souffrance d’être si injustement condamnée pour son conseil, Aude fonçait droit sur Kristen, telle une masse de nuages noirs bien décidée à abattre une tempête sur le monde. Autour d’elle, la magie pétillait. Incontrôlable. Le parfum des conifères alentours se mua en odeur d’écorce brûlée ; au sol, les bouts de bois et les brindilles frétillaient comme des poissons hors de l’eau. Il en fut même un pour sauter dans la main d’Aude, semblable à une baguette d’un autre âge.

« Tu continues de te comporter comme si tu étais seule, comme si je n’avais pas mon mot à dire. Mais je te le dis, Kristen Loewy, tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça ! »

Emportée dans son élan, Aude balança le bout de bois sur Kristen mais le projectile n’atteignit jamais la poitrine de son aimé. Il rebondit sur une fine pellicule de magie brandit comme un bouclier devant Kristen. Une magie qui n’était pas de son fait.

Accablée, Aude s’écroula, les deux genoux à terre. Les larmes lui montèrent pour de bon. Elle ne les refusa pas. Au contraire, elle les pleura ; elle les pleura d’autant plus chaudement que c’était son amour vibrant pour Kristen qui avait engendré cette protection magique permanente autour de l’être aimé, et cela au détriment de ses propres capacités restantes.

Déjà l’odeur fraîche des pins sauvages revenait chatouiller leurs narines, effaçant pour de bon celle du bois calciné tandis que brindilles et bouts de bois retrouvaient leur immobilité par terre.

« Tu ne vois dont rien ? demanda Aude, le visage baissé. N’as-tu pas compris que je t’aime à en mourir ? Que de mon vivant rien ni personne ne pourra t’enlever à moi ? »

Elle releva brièvement le menton, son beau visage creusé par les sillons de ses larmes.

« Pas même toi. »

Honteuse de sa faiblesse passagère, elle laissa son visage se recroqueviller vers sa poitrine.

« Tâchez d’aimer votre souffrance, tant que c’est elle qui peut vous permettre de sentir qu’il n’y a pas que du vide en vous, énonça-t-elle d’une voix grave. »
17 avr. 2020, 22:48
 Privé  Promenons-nous, dans les bois...
Je ne dirais pas qu'elle m'avait fait peur, mais je ne l'avais jamais vue comme ça, en tout cas, pas face à moi seule. Elle bouillonnait et faisait trembler le monde autour d'elle. J'avais été trop loin, sans doute... Mais que pouvais-je dire, si ce n'était ce que je ressentais ? Nos façons de percevoir cette même situation étaient trop différentes. J'étais focalisée sur moi-même et sur le mal que je pouvais causer, et j'étais aveugle à tout le reste. Je voulais faire les choses bien, c'était tout, et je doutais de mes capacités à y parvenir.

Je me figeai en sentant notre environnement trembler sous sa colère, et j'attendis qu'elle explose, parce que je le méritais. Elle me donnerait une claque, peut-être, comme elle l'avait fait la fois où j'avais envisagé de la laisser... Ou bien, elle me jetterait quelque chose, un bout de bois, à tout hasard... Et ce bout de bois ne me toucherait pas. Pourquoi n'avais-je rien senti ? Je regardai ma poitrine, là où j'aurais dû recevoir le projectile. J'étais persuadée de ne pas l'avoir senti. Je relevai les yeux vers Aude, l'incompréhension habitant mon regard. Elle tomba vite sur les genoux, et aussitôt, par réflexe, je me baissai pour essayer de lui éviter une chute trop douloureuse. Et elle pleura toutes les larmes de son corps, elle pleura comme lorsqu'elle était enfant, quand elle était cette toute petite fille abandonnée.

Je t'aime à en mourir. Voilà quelque chose que je ne pouvais pas entendre. Aude n'avait pas le droit de dire ça : elle ne pouvait même pas envisager de mourir, et surtout pas d'amour pour moi. Je méritais sa colère, j'aurais mérité son dégoût, mais certainement pas ce sentiment si puissant qui l'habitait : tout cet amour, inconditionnel.

Ce qu'elle dit, enfin, me rappela à nouveau les larmes de l'enfant. C'était cette phrase que j'avais prononcée moi-même quand j'essayais de la sauver. Et alors, je me sentis troublée. Je l'avais sauvée elle ; alors, qui étais-je pour penser qu'elle ne serait pas capable de me rendre la pareille ? Qui étais-je pour penser qu'elle ne serait pas capable de tout accomplir, surtout l'impossible ? Et pourtant, pourtant... Je ne pouvais m'empêcher de penser que sa situation n'avait rien à voir avec la mienne. C'était une question de responsabilité. Peut-être n'étais-je pas sauvable, moi.

« C'est différent, Aude... Je pourrais blâmer le monde entier pour ce qui arrive, je pourrais blâmer Baldur pour Owen, je pourrais blâmer McKinney pour mon père, je pourrais blâmer Parkinson pour la guerre... Mais je sais que ma plus grande souffrance, c'est moi-même qui l'ai causée. Owen ne serait pas parti si j'avais été plus présente pour lui, je n'aurais pas eu tous ces regrets si je n'avais pas attendu la mort de mon père pour lui dire à quel point je l'aimais, et j'aurais pu éviter la guerre si j'avais accepté de mourir. »

Toujours penchée sur Aude, je me laissai finalement tomber, assise par terre, les mains pendues sur les genoux.

« Tu as raison, je parle de mon fils comme s'il était mort. Mais je sais qu'il est avec lui, Aude. Imagine Sybille prisonnière de Legallet. Baldur est au moins aussi fou que lui. Je n'ose même pas imaginer ce qu'il peut lui faire subir, et au bout de combien de temps il se lassera de sa présence. Si ce n'est pas déjà le cas. »

Prononcer son nom me glaçait le sang. Son visage, son sourire infecte s'inscrivait sous mes paupières alors que je tentais d'oublier le monde en fermant mes yeux. Pourquoi ne l'avais-je pas tué quand j'en avais l'occasion ? Cette question me tourmentait depuis des mois, maintenant. Je m'étais sans doute dit que la mort serait un cadeau, car je voulais qu'il souffre, mais je l'avais sous-estimé, et maintenant, il faisait de ma vie un enfer. Même à des milliers de kilomètres.

« Je ne supporterais pas de te faire du mal. J'ai fichu en l'air la vie de mon fils. J'ai failli le tuer une fois. Peut-être deux, maintenant qu'il est avec... Alors, tu n'as pas le droit de m'aimer comme ça. C'est juste... ce n'est même pas raisonnable. Je n'aurais jamais dû... »

Je regrettai aussitôt mes paroles, et pourtant, je crois bien que je les pensais. Je n'aurais jamais dû t'impliquer là-dedans. Je n'aurais jamais dû t'aimer, encore moins me faire aimer de toi. Je ne voyais plus rien, j'avais chaud, je sentais mes joues s'humidifier à une vitesse hallucinante. Déteste-moi, ce sera plus simple...

« Vous me croyez tous capable de trouver l'équilibre, mais qu'est-ce qui se passera si vous vous trompez ? Si la colère emporte tout le reste, si ma rage dévore mon esprit et que l'amour n'est plus suffisant pour me faire revenir ? »

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19 avr. 2020, 18:03
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« Laisse-moi me tromper... si je dois vraiment me tromper, s’entendit-elle répondre. »

Epuisée, sa vue brouillée par des larmes toujours plus grosses, Aude n’avait plus la force de lutter mais elle se raccrochait comme elle le pouvait à cette mince détermination. Elle refusait d’abdiquer. Elle refusait d’abandonner Kristen au moment le plus critique de sa vie ; au moment où elle avait le plus besoin d’être entourée.

« Laisse-moi échouer, si je dois échouer. C’est ma décision, tu n’as pas le droit de m’en priver. »

Le son de sa voix n’était plus qu’un souffle brisé. Elle tremblait en pensant au sort du pauvre Owen, le sachant terrible par la seule description qu’elle avait conservée de Baldur Feuerbach (ne le connaissant qu’à travers les récits de Kristen, elle s’imaginait des choses horribles à son sujet, mais rien qui n’arrivât à la cheville de la réalité). Elle tremblait en pensant à ce que serait sa vie si Kristen ne devait plus être Kristen. A la perte que cela représenterait pour elle...

... elle deviendrait folle.

Lentement, mais sûrement, comme si le poids de son corps était un fardeau de trop à porter en cet instant, Aude se laissa basculer en avant jusqu’à ce que finalement elle se retrouve bloquée entre les bras de Kristen. Tout aussi lentement, elle passa ses bras autour de son buste et la serra contre elle en fermant les yeux.

Une pensée émergea du capharnaüm qui régnait dans sa tête : de toute façon, je ne devrais pas être là... si tu n’avais pas été là, je serais morte avec mes illusions.

Piquée par cette vérité, Aude se redressa et murmura à l’oreille de Kristen :

« Je suis vivante parce que tu l’as voulu. C’est à mon tour de choisir pour toi... j’ai choisi de ne pas te laisser sombrer... et si tu dois partir, alors tant pis, je partirai avec toi. »

Elle rouvrit les yeux et les referma aussitôt, agressée par le reflet de la lumière dans ses larmes.

« Tout ce que j’ai vécu depuis l’épreuve du Dominion n’a été que du temps acheté et pourtant ce sont là les plus belles années de ma vie. Grâce à toi. »

Même sa tête était trop lourde. Aude laissa son front reposer sur l’épaule de Kristen.

« Tu as fait des erreurs par le passé, nous en faisons tous, mais tu as été aussi capable du meilleur. Tu en tiens la preuve entre tes mains... sombre idiote. »

Et tandis que ses larmes commençaient à se tarir, Aude trouva sa tournure de phrase assez réussie pour esquisser un sourire.
19 avr. 2020, 23:19
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Ce qu'on est bien, dans les bras d'Aude Luneau. Son corps collé contre le mien, je ne pouvais que m'apaiser, savourer la chance qui m'était offerte. Cette chance que j'avais su prendre, que j'avais tout mis en œuvre pour attraper et ramener à moi, tout près de mon cœur. Personne n'aurait jamais pensé faire de moi une sorcière grise si elle n'avait pas su éveiller la part de lumière en moi. Je fermai les yeux et caressai tendrement ses cheveux, j'inspirai l'air qui émanait d'elle pour m'en emplir les poumons : me remplir entièrement de la présence magique d'Aude Luneau, comme une cure, un remède. Elle m'ouvrait un espace hors du temps. Alors, je me demandai comment j'avais pu penser que l'amour ne serait pas assez : tout ce qu'il me fallait, c'était elle. Qu'elle ne me quitte pas. J'interrompis mes caresses dans ses beaux cheveux blonds pour l'étreindre, fort, trop fort, sans doute. Je ne pouvais pas la repousser, pas comme ça. J'avais trop besoin d'elle.

« Ne me quitte jamais. »

Je laissai un peu tomber ma tête pour me rapprocher de la sienne, qui reposait sur mon épaule.

« Protège-moi... »

... de moi-même. Je laissai s'écouler les secondes, car je voulais que jamais cet instant ne se termine. Aude n'effacerait pas ma culpabilité. Elle n'effacerait pas ma rage. Elle le savait, et je le comprenais. Mais elle pouvait m'apprendre à vivre avec, à en tirer le meilleur parti, comme j'avais pu le faire pour elle quelques années auparavant : en exécutant le Sphinx du Dominion, en sauvant Beauxbâtons. Je prendrai tout le pouvoir qu'il me faudra pour la protéger, et elle me protégera de mon pouvoir.

Entre ses bras, si proche d'elle, je sentais que l'impossible redevenait possible.

« Tu veux toujours te marier avec moi ? »

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
~ if i wasn’t a narcissist i wouldn’t like me either ~

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