Shado gribouillait furieusement sur une feuille. Elle avait été si heureuse de recevoir une lettre de sa famille qu'elle s'était précipitée dans la première salle vide pour écrire sa réponse. Réponse qui ne partirait jamais du château.
Le papier était remplie de gribouillages incompréhensibles, de dessin morbides et de mots. Au milieu de tâches d'encres et de larmes, de croquis d'une faucheuse et de coups de crayons brutaux et désordonnés le mot help semblait sain.
La brune lâcha brusquement sa plume, ne tenant pas compte de sa chute jusqu’au sol. Elle se mis à pleurer de plus belle, les mots de la lettre défilant devant ses yeux.
...dernière lettre...trop dangereux...ne nous écrit plus...
Les larmes qui sillonnaient son visage était autant de tristesse que de rage et de douleur. Sa respiration se fit plus difficile alors qu'elle essayait de ne pas succomber à la crise. De quel droit ? De quel droit rompaient-ils le contact ?
Shado savait au fond d'elle qu'ils ne le faisaient pas par plaisir et que son frère était sans doute aussi triste qu'elle, cependant, elle n'avait pas envie de le réaliser. La brune avait mal, elle devrait passer le reste de l'année sans nouvelle de sa famille. ...tu pourra sans doute rentrer pour les vacances...
Ah oui, les vacances, elle pourrait rentrer pour les vacances. Si ils n'étaient pas morts. La brune tenta vainement de chasser ces pensées de sa tête, se forçant à lire les dernières lignes de la lettre qu'elle n'avait pas encore regardé.
Ses lignes étaient salvatrices. Jayden. Jayden lui avait écris.
Shado se calma petit à petit, avant de froisser le papier qui était devenu un souffre-douleur en une boule qu'elle fourra dans sa poche. Elle commença à ranger ses affaires, mettant soigneusement la lettre dans un livre, puis leva la tête, réalisant soudainement que si quelqu'un d'autre était dans la pièce, il l'aurait entendu.

Wellan parcourait tranquillement les couloirs du château. La journée semblait prometteuse, il faisait beau et il avait le sourire. Il se trimballait avec quelques affaires pour ses cours et se dirigeait vers la Salle Commune pour s'alléger un peu.

Seulement, alors qu'il passait devant une porte qui semblait à moitié ouverte, il entendit des bruits s'approchant d'un froissement de parchemins et des pleurs. Il s’arrêta net après avoir tout juste dépassé la hauteur de la porte. Silencieux et ne faisant aucun bruit, il commença à se retourner doucement avant de s’approcher à nouveau de ladite porte. Il remarqua d'abord que la salle à moitié cachée par cette porte semblait vide. Enfin presque vide. Les bruits qu'il avait entendu venaient d'une personne qu'il croyait distinguer de loin. Pleurs et respiration saccadée, voilà ce qu'il entendait.

Au bout de quelques secondes il se décida à ouvrir complètement la porte et entra doucement dans la salle avant de prononcer d'une voix hésitante :

- Shado ? C'est bien toi ?

Il avait au moins annoncé sa présence si elle ne l'avait pas encore remarqué et continuait de s'approcher jusqu'à arriver près d'elle. Il vit alors des bouts de parchemin par terre ainsi que deux dont les écritures différaient sur la table. Un parchemin semblait être une lettre et l'autre une tentative de réponse. Ou un brouillon avec des gribouillages, il ne savait pas vraiment.

Sur un ton assez bas, il lui demanda alors:

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Ça n'a pas l'air d'aller ...

Se remettant peu à peu de son excès de douleur, Shado s'affala dans sa chaise, la respirations saccadée. Alors qu'elle allait fermer les yeux pour se détendre avant de pouvoir retourner voir des gens, elle entendit un bruit. Quand la voix lui parvint, la brune se retourna brusquement vers le garçon.
Quelque peu honteuse que le garçon l'ai surprise dans cet état, elle baissa la tête avant de répondre.

- Wellan. Salut.

Quand il s'approcha pour faire sa deuxième remarque, la jeune fille hésita entre éclater d'un rire amère ou se remettre à pleurer.
Forcément. Sa chance lui jouait encore des tours. Elle ne pouvait pas être tranquille quelques heures ? Non, il fallait forcément que quelqu'un vienne. Quelqu'un qu'elle connaissait. Avec un peu de chance, il ne poserais pas trop de questions et se contenterais de regards inquisiteurs ou inquiets à chaque fois qu'elle le croiserait. Super.
Alors qu'elle s'apprêtait à le remballer d'une parole blessante, quelque chose la retint. Les mots de son frère résonnèrent dans sa tête. ...amis...parles en....
Evidemment. Il fallait qu'il ait raison.
Serrant les points, la brune prit une grande inspiration avant de prendre la parole. Elle fixait ses doigts en parlant, déterminée à ne pas regarder le garçon dans les yeux.

- Tu veux bien qu'on en parle ? J'veux dire, je vois pas à qui d'autres parler... T'es pas obligé hein.

Toujours sans croiser le regard de Wellan, Shado desserra les poings lentement avant de se passer une main tremblante dans les cheveux. Elle ne savait vraiment pas si elle préférerait que le garçon accepte ou qu'il refuse.

Désolé du retard

Lorsque Wellan se mit à l'approcher davantage, il remarqua la tristesse infinie de Shado, même si elle essayait d'essuyer ses larmes. Qu'est-ce qui avait bien pu la mettre dans un état pareil ? Il supposait qu'il s'agissait d'une des lettres mais il n'allait pas lui demander quel était leur contenu. Ce devait être très personnel, ou surtout trop douloureux pour elle d'en parler.

Tournant la tête à sa droite, puis à sa gauche, il remarqua que personne d'autre n'était entré dans cette salle de cours. Ils pouvaient donc rester tous les deux à l'écart sans être dérangés. Dirigeant à nouveau son attention vers Shado, il prit la chaise juste devant la table où était installée son amie et s'y installa lentement. Il ne voulait pas la brusquer.

Et au bout de quelques secondes, en cachant un peu son visage, elle lui posa tout de même la question qui les intéressait tout les deux à cet instant.

- Tu veux bien qu'on en parle ? J'veux dire, je vois pas à qui d'autres parler... T'es pas obligé hein.

Wellan la regarda alors d'un air compatissant et qui se voulait assez paisible.

- Oui bien sûr, je t'écoute. T'as pas l'air d'aller bien alors j'aimerai bien t'aider.

Wellan regarda ensuite les deux lettres visibles sur le bureau. En les montrant de la main, il voulut alors confirmer ses soupçons pour mieux comprendre ce qui mettait Shado dans un pareil état.

- C'est à cause de ces lettres là ? Elles viennent de qui ?

Shado était amère. Elle était en colère et en peine. Les émotions se confondaient dans sa tête.
D'un coup, l'idée d'en parler lui semblait une énorme erreur. Elle ne savait même pas si elle arriverai à sortir une phrase cohérente.
Enfin, c'était un peu tard maintenant. Et puis Wellan semblait assez compréhensif. Elle aurait pu tomber sur pire.
Et dire que tout ça était la faute d'un bout de papier et de quelques tâches d'encre. L'écossaise sentait que les vacances de Noël ne serait pas toutes roses. Shado comptait bien confronter ses parents aux angoisses que la lettre avait apporté. Elle doutait que Jayden soit de son côté, mais tant pis. Lui aussi devrait affronter les conséquences de leur action.

- Mes parents. Et mon frère. Ils ont décidé que c'était la dernière... lettre. Pour ma sécurité.

La brune avait pris la parole faiblement, trébuchant sur les mots. La fin de la phrase était empreinte d'une amertume teintée de rage.
Elle refusait de laisser la rage retomber, ayant peur des larmes qui suivraient. La tristesse est une émotion bien plus destructrice. Malgré son insistance à l'éviter, l'écossaise gérait beaucoup mieux les larmes à la colère.
La tristesse était traduite dans les dessins, mais la jeune fille n'avait jamais réussi à crayonner quand la rage lui embrumait l'esprit.
La vague de larmes était inévitable mais pas souhaitable. Elle pouvait détruire. Elle pouvait changer. Elle pouvait emporter des morceaux d'âme qu'elle ne rendait jamais.
Et Shado n'avait pas envie de devoir tout reconstruire, sans savoir si des morceaux manquaient.