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10 janv. 2018, 04:26
Fuis la Torpeur !  LIBRE 

[ NOVEMBRE 2042 ]
Cours de Métamorphose, Poudlard.

Image
Darcy Crown, 17 ans.
Serdaigle, 6ème Année


Son regard, et les autres. Le regard des autres, et son propre regard. Dans cette peinture qui se mélangeait, une seule couleur dominait ; les autres se faisaient agresser. Malmenées, ces autres. Les événements de Septembre et les résultats des B.U.S.E.S. qui m’avaient pris tant de temps n’étaient plus qu’une petite goutte, une volonté acculée. Rien ne pouvait me déconcentrer lorsque j’étais en cours, rien ne pouvait m’empêcher de griffonner mes déductions en longs fils d’encre ; pourtant, ma plume flottait à quelques centimètres de mon parchemin, immobile ; alors que les traits buccaux de Miss Grants handicapée me semblaient évasifs. Présente dans mon absence. J’étais ailleurs. En moi, mais si loin de moi-même. Je pensais à Charlie depuis quelques heures et j’aimais lui laisser de la place dans ma tête. Ce matin, dès que je lus la lettre de ma mère, j’avais cherché à revoir la fille au regard de jade. Je ne l’avais pas oubliée, c’était simplement que je m’étais oubliée. Le temps était étrange, il pouvait s’allonger horriblement tout comme il pouvait cligner de son regard taquin ; et il avait cligné, on était en Novembre. Déjà.
Ce midi, je l’avais cherchée partout. Je ne l’avais pas vue une seule fois dans la Grande Salle depuis la rentrée, alors, par pure logique, je suis allée demander à quelques gryffons. Mon effort pour aller les voir était déjà titanesque, ils m’insupportaient profondément ; dès que je m’étais approchée, l’espèce de crissement aigu et continu qui s’élevait de leur table — et qui correspondait à leurs voix — me rappelait la raison de mon hostilité envers eux. J’avais privilégié les jeunes gryffons, facilement impressionnables, et lanceurs de rumeurs plus véloces que le Chicaneur ; j’étais sûre qu’ils sauraient où se trouvait Charlie.
Je sentis la présence de Miss Grants à mes côtés.

Relevant la tête, je la vis scruter la trace laissée par mon sortilège de Disparition ; le hérisson n’était plus là. Ses yeux inhumains paraissaient voir à travers le vide, puis ils se détournèrent. Elle passa à l’élève en face de moi. Me rendant compte de la paralysie de ma plume au bout de mes doigts, je me surpris à parcourir les différentes stries chaotiques qui la composait, formant un ensemble si structuré. C’était une belle plume. J’ajustais mes lunettes.

Je revoyais les regards surpris et totalement désemparés lorsque j’évoquais Charlie. La plupart ne la connaissaient pas, et j’avais commencé à ressentir une légère panique me gagner — comme une bouffée de chaleur — jusqu’à ce que je me confronte à des façons de regarder bien plus révélatrices. Certains gryffons, lorsque je demandais à voir la gryffone, avaient un sourire entre l’ironie et le dédain ; un sourire indécis entre tomber dans le comportement le plus sociable ou le plus hypocrite, ce qui revenait au même ; ils se délectaient de quelque chose, j’étais au moins certaine de ça. Personne ne savait où était Charlie, et la plupart ne savaient même pas qui elle était. C’était une situation totalement invraisemblable, j’avais encore du mal à y croire ; je supposais qu’elle ne mangeait pas avec tout le monde. Une supposition confirmée à présent, puisque je la vis dans les couloirs, pendant que tout le monde déjeunait dans la Grande Salle ; elle marchait avec un carnet à la main, ses pieds foulant la pierre sans bruit, ses cheveux qui avaient tant poussés étaient attachés d’un élastique bleu, les blessures sur son visage n’étaient plus, d’infimes petites tâches sur son front étaient les restes de sueur séchée avec de la poussière, son regard était si différent, et c’était ça qui tournait dans ma tête. La peinture était gravée dans sa totalité, mais seul son regard m’avait perturbée. Il brillait, oui, ses yeux brillaient, mais c’était une brillance malsaine, mauvaise. Ce n’était pas du tout Charlie. Elle avait refusé ma proposition de venir passer les vacances de Noël à la maison, je savais que maman allait mal le prendre, elle semblait attachée à elle ; et malgré moi, je l’étais aussi. Pourtant, ce n’était pas son refus que j’avais retenu de cette journée, ni sa grimace lorsqu’elle s’était rendu compte de ma présence ; ce qui me perturbait, c’était son regard qui avait été pris de réminiscences lorsque son vert se planta dans mon bleu. Ses yeux s’étaient adaptés aux miens, et je l’avais vu avec une telle intensité. Je pouvais voir les changements de nuances, c’était ce que je voyais le mieux ; Charlie m’avait fait l’effet d’un Demiguise à l’effet inversé. Son regard était brillant, malsain et totalement invisible, inaccessible, puis, au contact visuel, son vert se mouva lentement vers le palpable, je voyais ses mouvements lents à l’intérieur, il n’était plus invisible, comme s’il me reconnaissait ; la brillance dans ce vert s’amenuisa, pourtant, il y avait encore plus de lumière. Cette lumière était ce que j’avais retenu de cette journée, cette lumière était la raison de cette journée. Et j’avais décidé d’aller voir cette autre fille aujourd’hui.



Elle était là. Son corps minuscule me paraissait toujours disproportionné par rapport à son visage de femme ; de belle femme. Elle m’attendait à la sortie de mon cours de Métamorphose, exactement comme je lui avais demandé. C’était la fin de journée, les cours étaient finis, et il était l’heure d’agir ; j’avais déjà trop attendu sans m’en rendre compte. La magie prenait beaucoup de temps.

Salut…

Salut beauté, me répondit-elle sans sourire inutilement, comme le ferait n’importe quel élève de cette école.

Depuis ma deuxième année dans l’école, j’avais toujours aimé cette fille sans jamais vraiment m’y intéresser. C’était une simple question de ressenti, quand elle était dans les environs, je me sentais bien ; ni mal à l’aise, ni en train de réfléchir à comment m’en débarrasser, ni intriguée. Rien de tout cela, j’étais simplement bien. La couleur décolorée de son regard me donnait toujours l’impression qu’elle me trifouillait de l’intérieur, son gris d’un ciel terne qui attendait simplement à ce qu’on ne fasse pas attention à lui pour attaquer. Dans son morne regard se cachait quelque chose de puissant, elle le cachait, ça se voyait ; mais une ouverture était visible pour ceux qui voulaient voir. Et depuis la rentrée, au terme de cinq longues années, j’avais enfin vu.
Louna décroisa les bras de sa poitrine et engagea le pas dans ce long couloir ; sans un mot de plus, je la suivis. Je lui en avais déjà parlé, elle savait quoi faire.
Cinq années… Je trouvais ça stupide d’avoir été si longue pour remarquer la réalité de cette Pouffy ; Louna aimait les filles, et elle les aimait réellement, ça se voyait comme un dragon au milieu d’une bande de scroutts à pétard. Je m’étais maudit quant à mon aveuglement envers ce détail ; à présent, c’était tellement, mais tellement visible. Des années pour comprendre, une seule seconde pour l’illumination ; tout cela était d’une frustration insupportable. Je n’étais pas habituée à ignorer les choses, et avec Louna, depuis que je passais plus de temps avec elle, je me rendais compte de mon ignorance effrayante. Je ne comprenais pas beaucoup les relations humaines, et c’était pour ça que je m’étais si souvent faite avoir. Je pensais que c’était comme la magie : logique, protocolaire, défini. *Par Merlin, n’importe quoi*. Je ne comprenais rien aux relations humaines, et j’aimais m’avouer cette pensée. Elle était réelle, porteuse de couleurs apaisantes.
Je marchais derrière la fille qui a été ma prise de conscience. Je l’appréciais de plus en plus, et ces derniers jours, je rêvais d’elle. Je ne l’assumais pas, ce n’était pas quelque chose que je pouvais lui avouer entre deux phrases. « Au fait Louna, il m’arrive de rêver de toi ». Cette pensée était ridicule maintenant qu’elle était juste en face de moi, dans la clarté des couloirs du château, maintenant que sa présence physique était si proche de la mienne. *N’y pense pas*. Pourtant… *Pas maintenant*. Oui, pourtant, lorsque je me réveillais en pleine nuit avec la peau collant à mon pyjama, le froid horripilant me brûlant le corps et mon être entièrement mouillé, je n’avais qu’une seule envie : lui dire. Lui dire que je rêvais d’elle, ce n’était pas déplacé, pas vrai ? Ce n’était pas déplacé, ce n’était pas important, ce n’était rien. Louna marchait juste en face de moi, elle était là, je pouvais lui dire ; ce n’était rien. Ce n’était pas des rêves érotiques, ni des cauchemars détestables ; c’était simplement Louna, allongée sur un gazon trop vert. Et je n’étais pas là. Elle était seule. Ce n’était rien.

Bon, on s’voit demain d’toute façon.

La cataracte de couleurs s’ébouillantant dans ma tête me fit sursauter. La réalité me brûla les yeux. On était juste en face de la porte. La Salle Commune de Poufsouffle. On était déjà arrivées. Je sentais l’influence du temps sur mes pensées colorées d’un unique gris, et je portais mon attention sur l’objet de ma concentration perdue : ses yeux.

J’vais l’appeler, mais avant…

*L’appeler*. Ma maîtrise refit surface comme si elle n’était jamais partie. J’étais arrivée ! La peinture grise de ma vision n’était pas effacée, elle était simplement remplacée par un vert si changeant. Et je vis Louna, en face de moi. Ses mots se mélangeaient pour produire le sens que je voulais entendre, pendant que je voyais sa main monter jusqu’à son visage. « Remercie-moi » articula-t-elle en désignant ses lèvres de son index. *Pardon ?*. Son index se releva, puis, il retomba sur ses lèvres, lourdement. Encore. Il recommença. Et encore.
Je n’étais pas gênée comme mon premier baiser, je n’étais pas surprise comme si je ne savais pas que ça allait arriver un jour ; j’étais simplement abattue, sans arme, sans défense, sans cœur, sans réalité. Je ne voulais pas que ça arrive, mais c’était arrivé. Je ne voulais pas avancer mes lèvres, parce que ça me dégoutait. Je ne voulais pas d’elle, mais de moi non plus. Je ne voulais pas être là, parce que je pensais à ailleurs.

Si t’avais vu ta tê…

Ma torpeur fut balayée ; avec cruauté. Me laissant seule face à un visage qui s’affaissait, des traits qui s’effaçaient. Je ressentais l’équilibre précaire de mes jambes, je savais ce que j’avais fait. Un pas. Un de trop, un seul, minuscule, le seul de trop. Mon corps s’était avancé, et j’entendais au loin un battement qui éveillait ma poitrine. *Nom d’un Sang-de-Bourde !*. Je m’étais avancée ! Des solutions, vite. Les traits de son visage réapparaissaient, elle allait reprendre la parole, je devais savoir, je devais contrer. *Si elle s’avance à son tour, je recule ; si elle se moque, je l’accompagne dans son rire ; si elle éprouve de la gêne, je lui avoue mes rêves ; si elle s’énerve, je baisse la tête tout en restant plantée ; si elle s’en va, j…*.

T’allais vraiment l’faire ?

*Par Merlin !*. Je n’avais pas eu le temps de tout prévoir ! Alors, une fraction de seconde passa dans une réflexion pour trouver la meilleure réponse suivant son caractère que je sentais déjà ma bouche s’ouvrir. *Surtout ne pas lui mentir sinon…*. « Oui », répondis-je avec une voix un peu trop forte. *Elle s’enfuirait*.
Et son regard changea.

Ce n’était plus la même personne. Ses yeux se décollaient totalement de son visage en une grande fresque, comme s’il n’existait plus rien d’autre à l’exception de son regard. Ils étaient hypnotisant. Ce gris était loin d’être aussi terne qu’une mornille trop usée, comme il l’avait toujours été. À présent, il était éclatant et… mes cours d’occlumancie me revinrent à l’esprit. Je sentais le passage de Louna à l’intérieur de ma tête, presque imperceptible tant elle se déplaçait avec douceur, mais je ne voulais pas de son influence ; je me concentrais de toutes mes forces. Le gris persistait, avec moins d’intensité, mais il était toujours là ! Ça ne marchait pas ! Ce n’était pas de la magie… C’était… *Merlin !*. Je n’en avais. Aucune. Idée. Et mon ignorance gravait mon impuissance d’une couleur grisée.

Pourquoi tu veux voir l’autre Bristyle ?

Je détournais mon regard du sien. *Bristyle, Aelle*. Ce nom qui n’avait aucun sens pour moi revenait en rampant, misérable, mais présent. Un brouillon soudain dans mon bien-être. J’étais dérangée, pourtant, le gris qui me faisait face me tenait encore assez pour ne pas me laisser envahir.
Je me rappelais de ma raison ici, je me rappelais du regard de Charlie que j’avais perdu dans ce grand ciel gris. J’apercevais le vert, le jade. Ce n’était pas juste, ce que je faisais en ce moment n’était pas juste. J’avais abandonné trop longtemps mon amie d’enfance, ces études me prenaient trop de temps, je m’y étais plongé trop fort pour ne pas être tentée d’exploser Zachary, encore une fois. J’oubliais Charlie qui souffrait, je m’oubliais moi-même.

Arrête de m’regarder comme ça.

Je devais rencontrer Aelle. Depuis que je m’étais rendu compte que je ne comprenais rien aux relations, je ne ressentais rien de spécial contre cette fille qui avait brisé Charlie. J’étais curieuse de voir qui était cette fille ; de voir qui était cette personne qui avait touché à celle qui m’avait tant défendue.
Pendant que je réfléchissais, je remarquais un grand sourire fendre le visage de Louna, et la longue cicatrice au-dessus de ses lèvres se plia gracieusement.

Est-c…

Tu peux sortir d’ton trou ce soir ? me coupa-t-elle sans montrer le moindre signe d’excuse.

Elle s’éloignait du sujet. Ça commençait à m’insupporter. J’étais agacée par mon propre comportement, je n’aurais pas dû m’avancer vers elle, je ne savais pourquoi mon corps avait réagi comme ça. Je voulais simplement qu’elle aille me chercher Aelle.

Pourquoi ? lui demandais-je froidement.

Parler un peu.

*Parler un peu ?!*. Elle me mentait. Je ne supportais pas ça. Personne ne propose quelqu’un de se voir le soir pour simplement parler, c’était risible. Elle aimait les filles, je le savais, elle l’avait insinué plusieurs fois, c’était bien trop voyant. Je savais qu’elle voulait me séduire, je voulais l’entendre. Par besoin, je pointais mon bleu dans son gris. Je voulais l’entendre me le dire !

Dis-le qu’tu veux m’draguer.

Lentement, le temps paraissait ramper. Dès que son sourire s’écroula au sol, je sentis mon propre visage le suivre dans sa chute. Je plantais mes dents dans ma lèvre inférieure pour me punir. Je ne comprenais pas grand-chose aux relations, pourtant, ce gris ne mentait pas, je l’avais touché.

Ah bah putain, c’est comme ça qu’tu m’vois ?

Touché d’une façon que je ne voulais pas. Mal touché, mal fait. Qu’est-ce que j’avais fait ? Les couleurs environnantes reprirent soudainement leurs places autour du beau gris. Du beige, du jaune, du noir. Trop de couleurs pour se concentrer, un trop gros pâté de couleurs pour que ça soit fort et puissant. Trop éparpillé ce tableau, trop conne que j’étais. Cette vision était insupportable, effrayante dans son éloignement proche. Je baissais honteusement la tête, réajustant mes lunettes comme si elles étaient une excuse pour mes mots.

Ne joue pas avec moi, Darcy. J’pourrais t’péter ta p’tite gueule.

Je me sentais misérable, abattue, comme à l’heure du déjeuner avec Charlie, mais en bien plus fort, plus intense ; plus dur. C’était à cause de cette Aelle, je ne savais pas à quoi m’attendre. Cette fille avait réussi à faire du mal à la personne la plus forte d’esprit que je connaisse ; c’était déroutant, dégoutant. Et moi, j’étais plantée là, misérable, face à Louna qui subissait les versants de mon appréhension. Misérable. Je ne savais pas pourquoi je ressentais un soudain vide depuis mon horrible phrase. L’atmosphère avait changé, le monde autour de nous deux était différent. Je revoyais Louna, allongée sur une herbe trop verte, les yeux à peine ouverts, les cheveux détachés, mais pas éparpillés, son majeur tournant autour d’une de ses mèches avec grâce, une danse pour mon cœur ; cette robe blanche qui lui cachait son corps fin. C’était une image merveilleuse.

Pardonne-moi…

J’avais chuchoté. Misérable. Je me noyais dans ma propre culpabilité. Je détestais ça, insupportable. Pourquoi avais-je cette horrible impression d’avoir perdu quelque chose de précieux ? Terriblement honteuse, j’articulais encore une fois mes lèvres : « Par Dumbledore, c’était vraim… ».

J’vais t’la chercher.

Elle m’avait encore coupée sans gêne. Je n’avais pas envie qu’elle parte, et encore moins maintenant. J’avais fait une erreur, je devais la réparer. J’étais déstabilisée, normalement, c’était à moi qu’on faisait du mal, et pas l’inverse. Je ne savais pas quoi dire de plus à part m’étaler en excuses. Une soudaine lueur d’espoir brilla dans mon ventre, j’avais chaud. Je relevais ma tête, et tout en réajustant mes lunettes, j’osais une tentative de rattrapage :

Et pour ce soir ?





Image
Louna Hoster, 16 ans.
Poufsouffle, 6ème Année



*J’t’ai déjà dit d’arrêter d’jouer sale putain*. Une vraie peste. De vraies pestes. Les filles se permettaient de ces trucs avec moi... Pour elles, ce n’était que des détails, de minuscules sales détails ; mais quand les détails s’accumulaient, il y en avait tellement qu’ils finissaient par devenir un pilier. Des détails. De simples regards de pitié, de simples blagues pour des conneries, de simples faux sourires répugnants, de simples approches pour s’amuser. Des détails. Des détails formant un foutu beau mélange qui me donnait envie de bourrer cette blondasse à coup d’Endoloris. Elle verrait, ensuite, si c’était marrant d’accumuler les choses. Elle comprendrait qu’on pouvait s’en sortir indemne et encore à peu près bonne après un seul Endoloris, mais qu’en les accumulant, deux, trois, dix, cent Endoloris ; sa petite tignasse blonde ne serait plus qu’un mirage.
Foutues filles qui me rendaient folle, dans tous les sens du terme.

Ce soir, Darcy allait finir avec ses doigts comme seule compagnie. Sous ma robe, je touchais mon arme du bout de ma peau, j’avais une furieuse envie de l’utiliser sur ses petits yeux bleus ; juste pour rire jusqu’à ne plus en pouvoir. Ça me faisait tellement chier de ne pas trouver une seule fille qui arrivait à me comprendre ; même en amitié, après, je verrais. Je détestais la très grande majorité des filles de ce château ; elles étaient arrogantes, cachotières, totalement connes à avaler de la terre et d’une naïveté dégoutante. Jusqu’à aujourd’hui, j’avais trouvé Darcy différente. Raffinée, intelligente, curieusement perspicace et foutrement habile avec son esprit. Elle voyait le monde étrangement. Je n’arrivais pas à mettre de mots là-dessus, tout comme je n’arrivais pas à mettre de mots sur ce qu’elle m’avait craché au visage. Oh, ce n’était qu’un détail, pas important. Un simple détail ; qui m’avait écrasé la gueule.

Je sentais que ça allait empirer, je ne voulais pas draguer Darcy, j’étais sûre de ça. J’aimais sa présence, simplement, elle me faisait du bien ; différemment de mes potes. Avec cette blondasse, je me sentais plus sensible qu’avec Aaron, et bien plus légère qu’avec Seth.
Je soupirais gravement, me délectant du regard abattu de cette Serdaigle gâchée ; trop belle pour être intéressante. Je détestais son regard coupable après avoir fait sa connerie, elle n’assumait même pas ; elle ne ressemblait à rien. En fait, elle était comme toutes les autres filles : arrogante. Pensant avoir le droit de tout se permettre, même des cassures, pensant savoir tout ce qui se passait dans mon foutu corps, pensant que c’était aussi simple que dans son crâne trop vide. Elle me faisait chier. Je fis volte-face, je ne voulais plus voir sa sale tronche.

Traversant les tonneaux, je laissais Darcy derrière moi ; j’étais que son intermédiaire en cette soirée, et, ce soir, je serais uniquement ça. Frappant le sol en pente de mes bottines, je me rendais compte à quel point je la détestais, cette pente ; calée ici, juste avant d’atteindre ma Salle Commune et son décor moche, c’était comme si Helena s’était dit que ça serait une superbe idée de nous fatiguer avant même d’arriver dans notre espace commun.
Je n’avais pas répondu à la question de Darcy, il n’y avait rien à répondre. La seule chose qui me faisait encore penser à elle consistait en cette parole que je lui avais bêtement donnée. J’espérais que la petite Bristyle n’était pas dans les parages ; même si je savais déjà que la plupart des Pouffsouffles rentraient en Salle Commune juste après les cours, au moins pour poser leurs affaires.
Traversant l’espace commun rempli de cons en tout genre, je me plantais à l’entrée du dortoir des filles. Si elle était dans ses dortoirs, elle m’entendrait, et si elle était dans la Salle Commune, pareil. Je n’eus pas besoin de prendre d’inspiration supplémentaire, ma voix grave portait naturellement.

BRISTYLE ! VIENS VOIR !
Dernière modification par Charlie Rengan le 16 janv. 2020, 01:19, modifié 2 fois.

je suis Là ᚨ

25 janv. 2018, 11:02
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
Novembre 2042
Couloir des Poufsouffle - Poudlard
2ème année

J'aimais particulièrement la douceur de la plume sous mes doigts ; sa barbe me chatouillait la paume. Quand je réfléchissais, je la laissais tomber. Elle roulait le long de mon pouce pour s'échouer en un bruit résonnant sur la table en bois. Le bois était la surface sur laquelle je préférais poser mes parchemins. Le crissement et l'écoulement de l'encre prenaient un son plus particulier, plus doux. Il berçait mes pensées. Les déployaient dans des sens que lui seul comprenait et je me laissais faire car j'aimais cela. J'appelais cela l’Écoulement de mes idées. Elles avaient leur propre vie et je ne contrôlais rien. Je les laissais choisir leur amplificateur ; le son de ma plume qui résonnait dans un bois vieux d'un millénaire. Je pouvais alors penser le Savoir et le sentir. Il pesait sur mes yeux et sur mon ventre. Il me chatouillait de l'intérieur. Mes veines frémissaient et mon cœur battait avec plus d'ardeur. Tout s'emballait dans mon corps. Même mon souffle, auparavant si posé, si réfléchi. Il s’accélérait, se lançait dans une couse contre le son. Il perdait toujours. Et quand le son cessait d'exister, mon souffle disparaissait également. Parce que dans sa course, il était allé si vite, il avait mis tant d'ardeur et d’acharnement dans le combat contre le son si Exaltant, qu'il avait oublié qui il était. En se liant au son, il s'était perdu. Diffus. Il n'y avait que mes poumons pour lui rappeler qui il était. Il était Aelle. Et si mes pensées voulaient courir, j'avais besoin de lui. Alors je prenais une grande inspiration et je me penchais sur le parchemin, prête à retrouver le Son de l’Écoulement de mes idées. Mais, mes yeux vissés sur l'encre noire et mon parchemin, je me rendais compte que c'était finit. Terminé. Je n'avais plus rien à dire. Alors j'abandonnais le bois car, comme toute chose de ce monde, une fois qu'il m'avait apporté ce pourquoi il m'était nécessaire, il devenait inutile. Une autre fois me ramènerai à lui. Peut-être. Si j'en avais besoin.

Le coup ardent de mes poumons qui recherchaient mon souffle me réveilla. Ils cognaient contre mes cotes, nourris alors d'une vie que je ne leur aurait jamais soupçonné d'avoir. Ils me lançaient avec tant de force que je laissai glisser ma plume entre mes doigts. Ne restait que mon souffle qui, grâce à mes poumons, essayait de se rappeler de qui il était. Quand enfin il s'en souviens, j'ouvrai les yeux en laissant se dissoudre mes pensées créatrices. Le souffle punissait son créateur. Je trouvais cela aberrant mais je ne pouvais rien y faire. Alors, sans un mot, je rassemblai mes parchemins et mes ustensiles d’écriture.

Cette dernière heure passée dans le creux de l’Écoulement de mes idées m'avait épuisée. Et dorénavant, à cause de l'ardeur de ma propre création, j'éprouvai une réticence certaine à me présenter devant les autres habitants de ce château.  Mais, alors que j'aurai dû sentir mon cœur se serrer dans ma poitrine, je le sentais battre follement. Je quittai le bois qui avait accueilli mon son et sorti de la bibliothèque.

Dans le couloir, le monde était vide. Vide de bruit, vide de souffle et vide d'autres. D'un pas lent, je pris le chemin qui m'inspirait le plus, levant la tête pour scruter le lointain plafond de pierre. La bandoulière de mon sac pesait sur mon épaule, le poids de ma cape, pourtant légère, me collait contre le sol, mes bottines retrouvées me chatouillaient les pieds.
Que faire ? Les couloirs étaient vides et j'étais là. J'étais là car j'avais choisi de l'être. Ce simple souvenir fit bondir mon cœur et sans prévenir, je m’élançai dans le couloir à toutes jambes. L'air semblait voler autour de moi, il épousait les formes de mon corps et me donnait un élan que j'utilisais avec joie.

Je ne savais pas d'où me venait mon énergie. Je me sentais Pleine. Parfois, ce plein me donnait tant de force que je levais un bras ou une jambe incontrôlable pour l’envoyer sur le mur ou le sol. Juste pour sentir ce Plein s'évacuer dans l'effort que faisait mes muscles. Seulement car j'aimais sombrer dans l'étrange opacité qu'emmenait mes coups. Je me sentais bien, alors. Si bien que parfois, je recommençais. Je voulais me nourrir de ce contrôle que j’exerçais sur chaque pan de mon monde. Je voulais m'en gaver. M'en étouffer.

D'autre fois, comme aujourd'hui, ce trop Plein prenait une forme différente. Il ne se concentrait pas dans une jambe ou dans un poing. Non. Il faisait vibrer tout mon corps intensément, bouillir mes veines et briller mes yeux. Alors je m'activais dans mes tâches avec une nouvelle ferveur et
*Taches ?*. Cette pensée était si absurde que je me stoppai au détour d'un couloir, avant les escaliers, pour la regarder dans les yeux et me foutre de sa gueule.

« Mais j'ai plus de tâches ! Y'en a qu'à la Maison ! »

Ma voix résonna autour de moi, courue sur les épaisses fenêtres et me revient dessus avec force.
Je repris mon chemin, cette fois-ci d'un pas modéré.
Je n'aimais guère que puisse se graver sur moi la vibration de mon propre son. Mais j'aimais particulièrement parler quand personne ne pouvait m'entendre. Cela me donnait un pouvoir extrêmement satisfaisant. Il me renforçait dans l'impression que moi seule pouvait agir sur mon propre environnement. Personne ne le pouvait puisque j'étais la seule à faire le lien entre moi-même et l'extérieur. 

Je m'enfonçais dans la gueule de Poudlard, descendant les escaliers en me laissant porter par leur danse. Parfois, la volée de marche s'arrêtait brutalement alors je plantais mes pieds au sol et je gardais mon équilibre sans poser une main sur la rambarde de pierre. Je m'amusais de ce fait, me sentant si vivante à l'intérieur. Je ne sais pas si c'était vraiment de la vie ; c'était plutôt un bouillonnement. J'aimais me sentir ainsi, mes lèvres voulaient sans cesse s'étirer en un sourire que je ne comprenais pas ; je ne cherchais aucune explication. Je faisais ce que mon Plein voulait que je fasse, et je le faisais avec une excitation certaine.

Lorsque seul le sol me fit face, je quittais les escaliers sans me retourner. J'avais le château pour moi toute seule. Il n'y avait rien autour de moi, rien si ce n'était la pierre et quelques armures esseulées. Dans le lointain du hall, je pouvais apercevoir un corps, celui d'une fille, mais elle était si loin qu'elle n'existait pas. Le château m'avait laissé les rênes et je chevauchais à présent sur sa surface solitaire.
Il était particulièrement bon de ne pas se rendre en cours. De ne pas voir toutes les têtes qui me donnaient envie de vomir. Je n'en pouvais plus de leurs yeux, de leurs mimiques exagérées ou même de l'idiotie inintéressante que voulait nous faire ingurgiter les prof'. J'avais seulement eu l'envie de me plonger dans l’Écoulement de mes pensées ; je l'avais fait. C'était si simple.

Le sac pesant sur mes épaules, je bifurquai pour me plonger dans un couloir faiblement éclairé. Sans même cligner des yeux j'avançai jusqu'à l'étroite porte en bois qui cachait ma Salle Commune. Je lançai le mot de passe et lorsque la porte me délivra ses secrets, je la franchie en m'élançant de toute jambe dans la fine pente. 

Un rire au bord des lèvres, manquant de m'emmêler les pieds, j’atterris dans le salon jaune. Ici également le château m'offrait sa solitude. Le salon était si vide que j'aurai pu courir sur les fauteuils à pieds joints pour montrer ma suprématie. J'allais m'élancer, mais le regard d'un grand garçon m'arrêta sur le seuil de ma propre course. Je plongeai dans ses iris brunes sans gêne. Il était assis sur l'un des fauteuils que mes pieds convoitaient et, étalé devant lui, les restes d'un quelconque devoir. Dans sa main, sa plume se balançait d'avant en arrière dans un rythme hypnotisant qui m'alpagua. Il régnait un tel calme, un tel apaisement dans ce geste que je m’avançai pour ne faire plus qu'un avec lui. Je pouvais m’asseoir dans l'un de ses fauteuils et me laisser bercer par les vulgaires tentatives que faisait ce garçon pour travailler. Je posais une main sur le dos du fauteuil. Les flammes crépitaient et les yeux du garçon me tiraillaient. Je remarquais soudainement que ses sourcils étaient froncés et qu'il me regardait d'un air que je n'aimais pas. Pourtant il n'y avait rien dans ce regard, rien que je ne puisse vouloir comprendre.

Je régnais au milieu de la Salle Commune, plus proche du garçon que je n'avais jamais vu que de mon dortoir. Je me perdais un instant dans ses boucles brunes et dans son teint pâle. C'était le seul détail qui le différenciait de Zakary ; sa peau si pâle. Mais ses boucles et l'air accusateur dans son regard était en tout point semblable à celui du Grand Con. Une grimace me déforma soudainement les traits ; peu importe qui il était, un ressentiment certain s'agita dans mon ventre.

« Quoi ? » crachai-je dans sa direction.

Je remarquais avec un plaisir tout particulier ses pupilles se rétrécir. Comme attirés par ce qui allait se passer, mes yeux se déplacèrent vers la plume qui, à l'instant même où je la caressais de mon regard, glissa le long des doigts de l'Abruti pour s'échouer sur la table. Le son de sa chute et de sa rencontre avec le bois m'emmena un bref instant dans la sécurité de mon esprit où se jouait, bien loin de moi, l’Écoulement qui m'avait bercé.

«  Vu ta tête..., » commença le garçon. Il me regardait avec un sourcil levé. Exactement comme Zakary pouvait le faire. « T'es certainement pas en Sixième année. »

Montant du fond de mon corps en un chatouillis désagréable, un rire s'exprima sur mon visage par un rictus tordant. Je posai ma main sur mon estomac, suivant le trajet si inconnu de ce qui me secouait. Ma bouche se fendit et je forçai l'éclat de rire à s'écouler hors de mon être pour aller frapper le Grand Con qui me faisait face. Je lui tournai le dos en secouant la tête pour aller vers mon dortoir. Je peinais grandement à comprendre les autres, c'était un fait que je ne tentais pas de changer. J'aimais particulièrement voir qu'ils étaient si peu intéressant, si peu en accord avec ce que j'étais.

L'envie de me trouver seule me tarauda ; je me demandais pourquoi je m'étais approché du garçon. Le trop Plein de mon être s'était écoulé dans ma seule rencontre avec lui et je sentais ma jambe me gratter de l'intérieur. Mais surtout, je sentais mon souffle se bloquer dans ma gorge et ma vision se rétrécir. Je sentais le regard du garçon traverser mon être et me bousiller l'intérieur ; il était capable de me liquéfier les organes ou de me les arracher pour les manger. Je le savais. C'était comme avec la Maison. Il s'appuyait sur mes épaules de toutes ses forces pour m'enterrer dans le sol et me faire disparaître. Et sa poigne était douloureuse, elle me vrillait le cou et je me sentais étouffer.

« T'es pas censé être là. »

La voix était celle d'un adolescent, presque celle d'un homme. Elle avait un ton profond, presque agréable. Un rocaillement intérieur, un vibrement qui agitait mon cœur. Je fermai mes paupières un court instant avant de me tourner vers le garçon-qui-était-presque-un-homme. Il s'était levé ; voilà pourquoi sa voix semblait provenir d'en haut.

« Seuls les sixièmes années ont un temps libre à cette heure, et t'es loin d'être en sixième année. »

Remarquait-il que ses sourcils froncés, qui presque se rassemblaient au-dessus de l'arête de son nez, le faisaient ressembler à Zakary ? *T'es exactement comme lui, Grand débile !*. Ma jambe me grattait avec plus d'ardeur, mais je ne me penchais pas pour la soulager. Je restai ainsi, à demi tourné vers le garçon, à demi tourné vers mon dortoir. Si calme. Si vide de la Maison. Ici, même ici, cette dernière me retrouvait. Cela faisait longtemps que je n'avais pas senti sa poigne hors de la Nuit. Cela était dû à la Salle Commune et à l'habitude complètement conne *conne, ouais !* qu'avaient les filles de mon dortoir d'appeler cet endroit maison. Elles étaient naïves et paumées. Je les détestais.
Comme ce garçon. Comme cette maison qui était en tout semblable à la Maison.

Semblable à la Maison.
C'était pour cela, que je me sentais si petite quand je rentrai ici. Ici aussi, la Maison était présente, et c'était à cause de ce garçon qu'elle ramenait sa gueule, je le savais, car c'était lui qui jouait à Zakary. Mais je détestais que l'on puisse jouer à ce jeu.

« T'as pas intérêt d'jouer à ça ! » lui criai-je au visage.

J'avais réellement crié, si bien que ma voix s'éleva et frôla le plafond et mon corps se pencha vers l'avant. J'avalai un gouffre d'air ; pendant quelques secondes, je ne puis qu'entendre le battement de mon cœur dans la veine près de mon cou et sentir l'air descendre le long de mon corps pour aller me nourrir. Puis toutes ses sensations m'échappèrent pour ne me laisser que l'impression que rien ne s'était passé. Une fois mon cri parti et mon corps relâché, il ne restait plus rien.
Il n'y avait que le garçon pour ouvrir grand ses yeux bruns horripilant et pour grimacer comme il le ferait face à un enfant récalcitrant.

Je n'avais plus envie d'être là. Étrangement, je n'avais pas envie de me jeter sur lui pour faire disparaître de son regard ce qui ressemblait bien trop à la tête de Narym. Je voulais seulement que s'effacent tous ces visages de mon esprit.

Je me détournai et m'enfuis dans les escaliers, montant deux à deux les marches menant à mon dortoir. La dernière me résista et je sentis, avant de m'affaler contre le plancher, mon pied droit rencontrer brutalement le nez de la marche. Un bruit infernal s'invita lorsque mon épaule se prit les lattes de bois et je restai un instant sans bouger, sentant les affres de la douleur s'éveiller dans mon corps. J'avais fermé les yeux pour ne pas voir ma chute et lorsque je les ouvrais je tombais sur la porte fermée de mon dortoir qui me narguait. Le souffle court, je glissai sur le dos en râlant.

Je n'avais jamais eu l'occasion d'observer le plafond du couloir des dortoirs. Il y avait, tout là-haut, une étrange poutre qui traversait le plafond de part en part. Volaient autour d'elle des millions de grains de poussières. *Comment ils font pour pas s'rentrer d'dans ?*.
Un raclement venant des tréfonds de la salle commune me fit sursauter : le Grand Con ! J'avais fait un tel bruit qu'il ne pouvait l'avoir manqué. Il ne pouvait pas me rejoindre, mais l'idée même d'entendre une nouvelle fois sa voix insupportable m'effraya suffisamment pour que je pousse sur mes pieds et que je rampe sur le sol. Mes genoux frappaient le sol et le sol frappait mon être ; j'entrai dans mon dortoir et je fermai la porte dans mon dos.

« Collaporta,» murmurai-je en pointant ma baguette magique sur la porte.

Mon souffle s'apaisa lorsque ma Magie transpira de mon corps pour aller verrouiller la porte. Je fermai les yeux de bonheur avant d'aller vers mon lit. Un capharnaüm sans nom régnait sur ce dernier ; dans un geste violent, je poussais tout ce qui s'y trouvait. Une plume roula sous la commode de l'une de mes camarades mais je l'ignorai et jetai mon sac sur le lit désormais accessible. En grognant, je fis passer ma robe d'école par-dessus ma tête et la laissai tomber sur le sol. Un frisson me secoua. D'un mouvement agile, mes bottines s'arrachèrent de mes pieds ; frénétiquement, je déboutonnai les boutons de mon haut sombre, allant même jusqu'à arracher ceux du bas qui enfermaient et protégeaient mes jambes pour me débarrasser plus facilement du vêtement. A demi nu, je me laissais tomber sur mon lit en éjectant tout mon souffle de mes poumons.

Le silence qui trônait dans le dortoir était intense. Aussi étrange que malaisant tant il était inhabituel. Sans bouger, j'écoutais ma respiration en fermant les yeux. Un crochet tirait mon esprit en arrière. Il s'accrochait dans le bas de ma nuque et le faisait se renverser vers l'arrière, emmenant toute mon attention avec lui. Ma respiration était comme une berceuse, comme la danse d'une vague qui venait vers moi puis s'enfuyait lentement, coulant entre mes doigts. A chaque fois que ma cage thoracique se détendait, mon esprit m'échappait plus facilement ; jusqu'à ce que même le bruit de mon corps ne puisse atteindre ma conscience.

Insidieusement, dans les limbes de mon sommeil, je pouvais percevoir les griffes de la Maison et de la Nuit se planter dans mes épaules. Dans le bien-être de mes lourdes paupières, il m'était impossible de répondre à l'urgence que me présentait mon corps. J'étais coincé dans une forêt à la douce lumière émeraude et j'avançai sous les arbres comme j'aurai nagé dans la rivière de chez moi. Je sentai le monde couler autour de moi. Je me sentais bien. Il y avait ici une odeur dérangeante, celle de l'ancienne fumée piquante. Elle me chatouillait le nez et grattait mes poumons. A l'ombre d'un grand arbre duquel semblait sortir l'intense lumière émeraude apaisante, je m'arrêtai pour gratter ma poitrine. Je toussai, encore et encore, et me grattai, mais rien n'y faisait, l'odeur persistait. Puis brutalement, la lumière gagna en intensité et m'éblouit. Je fermai les yeux, mon corps s'emplissant d'une terreur pleine de tristesse qui fit déborder de mes yeux des larmes brûlantes.

« Argh ! »

Je me réveillai en sursaut, le cœur tambourinant. 

Le dortoir était toujours aussi silencieux, mais il semblait plongé dans une obscurité saisissante et coincée dans mon propre corps, je laissai un gémissement m'échapper. Ma peau me brûlait de fraîcheur ; mon corps était secoué par les frissons.
Habitée par une peur sans nom, je glissai du lit en gardant les yeux exagérément ouvert sur le dortoir. Je scrutai chaque coin, chaque lit, à la recherche de mon effroi tout en espérant sincèrement ne rien voir. Ma main tata ma table de chevet sans y trouver ma baguette magique ; un sanglot me déchira la gorge.

Je ne comprenais pas pourquoi il faisait si froid, ni pourquoi la lumière semblait fuir la pièce. Pourtant, derrière la vitre de la fenêtre, le ciel bleu semblait vouloir m'avaler. Je me rappelai soudainement que j'avais rangé ma baguette dans ma robe d'école alors, sans ne jamais détourner le regard du sombre dortoir, je posai mes genoux sur le sol et fit glisser ma main sur le parquet pour attraper le tissu.

« Merlin ! » geignis-je lorsque ma main rencontra enfin le tissu rêche de ma robe. Je la secouai dans tous les sens jusqu'à ce que tombe le morceau de bois tant convoité. Je me jetai dessus et, ignorant même l'étincelle de magie caractéristique de mes retrouvailles avec ma moitié, je frappai violemment le lampion au-dessus de ma table de chevet en criant :

« Lumos ! »

Une douce lumière tamisa la pièce. Je m'affalai contre mon armoire en tremblant, fouillant le dortoir d'un regard frénétique. Rien n'était présent et rien n'était absent. Je fermai les yeux avant de les rouvrir en vitesse. Derrières mes paupières s'affolaient des images qui faisaient bouillir mes veines d'effroi. Je me relevai en éloignant de moi la vision d'un éclat émeraude.

Un tiraillement dans ma jambe la faisait trembler. D'un pas claudiquant, je me dirigeai vers la salle d'eau pour passer mon visage sous un filet d'eau glacial. Ma peau semblait me brûler et la chaleur irradiait du moindre pore de ma peau ; j'essuyai la sueur qui s'écoulait sur ma poitrine avec une serviette. Les gouttes d'eau qui glissaient sur ma peau étaient gelées mais agréables. Sans jeter un seul regard à mon reflet, je réitérai une nouvelle fois ces gestes. Puis je baissai la tête et vint poser une main sur ma jambe tremblante.

Ça y était. Je le reconnaissais.

Un sourire étira mes traits tendus par l'effroi. Mes yeux légèrement plissés pour continuer à voir la pierre floutée de la salle de bain, je me laissai aller à cette étrange sensation qui montait de ma jambe pour venir me chatouiller le ventre. C'était agréable. Je savais ce que cela signifiait.

Désormais calme, aussi calme que pouvait l'être mon corps dans l'Attente, je m'adossai au vieil évier pour fouiller la pièce du regard. Un éclat chaud dans les yeux, je me retournai finalement ; ma respiration se calma, ralentis, jusqu'à totalement disparaître lorsque je retins mon souffle dans mes poumons. Je le laisser pourrir mon intérieur, le rendre douloureux et gonflé jusqu'à la limite du supportable. Je sentais mes joues devenir rouge ; un coup d’œil dans le miroir me fit voir une enfant aux cheveux en bataille. Je la regardai un instant, aimant l'éclat dans ses yeux et la souffrance de son corps tremblant. La douleur me tiraillait l'intérieur et m'arrachait les poumons, mon corps entier hurlait son manque. Au moment même où j'ouvrai la bouche pour laisser sortir dans un râle humide tout mon souffle malade, relâchant mon corps, préparant à jeter ma jambe qui me grattait en avant, la porte du dortoir s'ouvrit et me noya dans le bruit déstabilisant de la salle commune.

Un grognement dans la bouche, je me retournai en avalant goulûment l'air pour tomber sur deux perles étonnées. Ma jambe me tiraillait. Merlin, elle me tiraillait. Je voulais la frapper, l'arracher, la jeter contre un mur. Sentir l'évier sur ma rotule, voir ma peau s'écraser et devenir rouge, puis bleu. Puis violette. Je voulais sentir mon corps appeler horriblement l'air pour venir apaiser la douleur de ma jambe, je voulais me sentir tomber sur le sol en crispant mes mains dans mes cheveux, je voulais sentir mon rire au fond de ma gorge et mes larmes couler sur mes joues. Mais je ne pouvais que voir ces perles qui détaillaient mon corps presque nu et mon souffle si puissant, si rapide, et mes yeux si grands, si rouges.

« Qu'est-ce que tu fous, Bristyle ? » la voix, hésitante, faible, se porta jusqu'à moi et me frappa.

Je reculai précipitamment et le coin de l'évier m'enfonça la hanche. Je poussai un halètement et ne pus empêcher ma main de venir appuyer avec force sur ma peau éraflée. Je ne pouvais quitter du regard la fille dont le nom m'échappait sans cesse ; elle me regardait avec de grands yeux et je pouvais les voir, ses perles, descendre le nom de mon corps. Je pouvais voir ma peau nue au travers son regard, la pâleur de mon grain et les couleurs qui la parsemaient ci-et-là. Et je pouvais voir son dégoût.
Insupportable.

Lorsqu'elle baissa les yeux et que ses joues se remplirent du rouge de la honte, je baissai également le regard pour regarder mon corps. Ma peau tremblait, recouverte de frissons et de plaques rouges. Un éclair de douleur passa soudainement dans mon dos et je me redressai subitement pour me précipiter sur la fille. En quelques pas tremblant je fus sur elle, elle avait reculé mais ne s'était pas dérobée. Je pouvais fondre sous ses perles. J'aurai voulu fondre tant je me sentais mal. J'avais envie de pleurer mais surtout de hurler. Alors, lorsque je fus près d'elle, je saisis son col d'une main et je la rapprochai de moi. Elle était plus grande et plus lourde et sa résistance naturelle me ramena tout contre elle. Un dégoût profond me secoua et je la rejetai soudainement et brutalement vers l'arrière.

« Dégage ! » graillonnai-je en m'éloignant précipitamment d'elle.

En trois pas, je fus près de mon lit. Je laissai tomber ma baguette et arrachai du sol le vêtement noir que j'avais libéré de mon étreinte. Frénétiquement, des tremblements me secouant les bras et les jambes – la jambe -, je tentai désespérément de passer mes mains dans les manches. Je tournai le dos à la fille, incapable de supporter son regard sur mon corps nu. Son viol de mon intimité. *Dégage, dégage, dégage !*, répétai-je inlassablement dans ma tête. Plus que ses yeux sur ma peau, je ne supportai pas sa proximité et surtout, surtout l'Incapacité dans lequel elle m'avait mise. Je pouvais encore sentir ma jambe me gratter de l'intérieur ; je lâchai l'une de mes manches pour faire crisser mes ongles sur ma peau, pour la déchirer afin de faire disparaître le tiraillement. Mais rien n'y ferait, je ne savais. Rien n'y faisait jamais sauf ce coup qu'elle m'avait empêché de me mettre. Maintenant, ce trop Plein emplissait mon corps d'une énergie brûlante, si brûlante qu'elle me donnait froid. Encore.
D'un coup de main, je couvris mes épaules et entrepris d'attacher vigoureusement les boutons sur sur toute la longueur de mon corps, sans en oubliant un seul, des genoux jusqu'au cou je me camouflai, sentant refluer ma panique à chaque fois que les pans de ma cape se retrouvaient pour me couvrir.

« T'as pas qu'à..., » s'éleva la voix de la fille dans mon dos.

Je sursautai et sans me retourner, je m'égosillai pour lui sortir un « Ta gueule ! » tonitruant qui lui boucha le clapet. J'avais entendu Aodren le dire et lorsqu'il le faisait, tous le monde se taisait. Seulement un temps, mais tous le monde se taisait. Et elle aussi se tairait, elle se tairait.

Je vérifiai, en passant la main le long de mon corps, qu'aucun grain de ma peau ne pouvait se voir. Javais enfilé un pantalon pour cacher mes jambes et bien que toutes ces couches ne me soient pas supportables, je savais que je ne les enlèverai pas tant que je ne serais pas cachée dans le creux de la Nuit.
Je me tournai. La fille avait disparu de mon champ de vision, mais je savais qu'elle était dans le coin. Je la haïssais. Il fallait que je m'éloigne d'elle, je ne pouvais supporter sa moquerie, sa présence, ses yeux. Je filai vers la porte du dortoir que je claquai avec force dans mon dos.

Je me trouvai désorienté en entendant les rires et le brouhaha habituel. Combien de temps était passé ? N'y avait-il pas eu un moment où je me trouvais seule ici, avec pour seule compagnie un grand garçon qui jouait à Zakary ? J'en doutais. J'avais oublié si cela faisait parti de mon rêve ou non.
Je posai une main sur le mur. Il était frais. Je m'en servi comme appuie pour descendre lentement les marches. Je n'étais pas prête à me jeter parmi toutes ces présences. Je me sentais acculée, tremblante, comme si mon esprit allait m'échapper et me laisser seule, complètement vidée. Dans le salon, une quantité incroyable d'étudiant se trouvait là, bavassant, et je dû baisser la tête et jouer des coudes pour me diriger vers la sortie. Le temps était passé vite et c'était l'heure de la sortie des cours. Je devrais tourner, encore et encore, pour trouver un endroit où je pourrais me retrouver. Cette perspective me fatigua.

Juste avant de franchir la porte, je me retournai. Tout au fond de la salle, assis sur son fauteuil, se trouvait encore le garçon-qui-jouait. Mon corps se crispa quand je me rendis compte qu'il me regardait. Il ne voyait pas ce qui m'entourait, cette fille qui attendait près de moi ou je ne savais quoi. Il me regardait. Moi. Avec la distance, le jeu de son regard avait disparu mais je pouvais encore percevoir ses sourcils froncés. Puis, comme si je n'existais plus, il se pencha sur ses livres et me libéra.

« Grand Con, » soufflai-je en quittant la salle commune.

Je m'affalai contre le mur le plus proche. Ici, le son était plus diffus. Il était quasi inexistant, si l'on ne comptait pas le murmure éloigné de la masse d'étudiants qui grouillait dans l'école. Peu importait. Je me laissai glisser contre le mur et, les jambes contre la poitrine et la tête en arrière, je relâchai enfin la tension que je sentais dans mes épaules. Non, je ne relâchai rien du tout. C'est la Maison qui me libéra, maintenant que je m'éloignai d'elle.
La Maison.
Elle était ici également, par Merlin.

Caché dans mes mains, j'ouvrai la bouche pour que m'échappe le râle de la peur qui se tortillait dans mon ventre. Si la Maison était également Poudlard, comment pouvais-je faire pour y échapper ?

« J'foutrai ce château en l'air, exhalai-je, j'le foutrai en l'air mais j'te trouverai pour tuer Papa et Maman et Natanaël et Za... »

Le souffle coupé, je laissai tomber ma tête en arrière. Elle rebondit légèrement contre le mur mais la douleur n'était ni assez puissante, ni assez maîtrisée pour m'apporter un quelconque réconfort. Mes yeux étaient piquants mais je pris une grande respiration douloureuse pour les oublier, car je ne voulais pas pleurer.

Je posai une main sur la pierre sale du sol et d’un mouvement rotateur je me hissai sur mes jambes tremblantes. Cette journée dans ma Liberté prenait tout à coup un tournant négatif et je sentais que je perdais pied, que peu à peu, je m’éloignais de ce sentiment d’excitation qui m’avait poursuivi toute la journée. Lorsque j’avais retrouvé mon souffle dans la quiétude de la bibliothèque, j’avais, au même instant perdu le bon chemin de mon trop Plein. Il avait dévié et dorénavant, j’avais une telle envie de le laisser s’enfuir que tout ce qui m’entourait me paraissait vide et morne de sens.

J’enfoncai les mains dans les poches de mon pantalon et je m’éloignai dans le couloir sombre. Mes pieds nus soulevaient la poussière, marquaient mon passage sur les pierres du château. Je boitais légèrement, comme si le chatouillement que je ressentais dans ma jambe m’empêchait de marcher normalement ; c’était le cas, je la sentais si lourde que j’avais la sensation de la traîner derrière moi.

Lorsque j’arrivais au fond du couloir, j’allais bifurquer pour m’enfoncer dans les couloirs de l’école lorsque, en triturant la poussière qui se trouvait au fond de ma poche, je me rendis compte que je me sentais particulièrement nu. Je m’arrêtai et levai la tête vers le plafond, cherchant dans la lointaine obscurité la réponse à ce sentiment particulier. Mes orteils grattaient le sol, respiraient de leur nouvelle vie à l’air libre ; un filet d’air faisait s’envoler le bas de mon haut noir. Je me félicitais d’avoir mis un pantalon, je n’aurais pas supporté sentir sa caresse sur mes genoux. Un frisson voyagea le long de mon dos ; je retiens ma respiration.

Le silence m'apparut tout à coup particulièrement effrayant tant il était profond et je ne pus tendre l’oreille pour l’écouter plus en détail car soudain explosa à ma conscience le manque que je ressentais dans mes doigts.

« Ma baguette !  »

Le mot n’avait pas encore quitté le réceptacle de ma bouche que j’avais fait subir une torsion à mon corps pour le jeter dans le couloir que je venais de quitter. Mes pieds frappaient le sol, malmenant ma voute plantaire ; mais la douleur se situait bien plus haut, au niveau de ma tête : depuis l’instant même où ma baguette m’avait trouvée, je ne l’avais pas laissé loin de moi. Pas une seule seconde, pas même pour aller me soulager. C’était l’Évènement de mon existence, la seule raison pour laquelle j’étais ici. Et si j’avais promis qu’un jour je saurais ne dépendre que de mon seul corps, pour le moment ma baguette était Tout pour moi, c’était ma partenaire, mon âme, ma Magie. J’avais attendu toute mon enfance pour me lier à cet objet ; il était hors de question que je sois séparé d’elle plus longtemps.

Sans réfléchir, je courais dans le couloir ; la porte de la Salle commune me paraissait si loin, si petite, tellement inaccessible. Mon souffle s’était bloqué dans ma gorge et ne voulait pas repartir. Mais je me foutais de mon souffle ! Plus de cœur, plus de corps, rien d’autre n’existait à présent que l’image de ma baguette posée sur mon lit. Et dans mon esprit régnait un tel effroi que je ne frissonnais même pas en ressentant les larmes s’accumuler dans mes yeux charbons.

Devant la porte, une grande asperge blonde me bloquait bêtement le chemin.

« Vas-t’en, » grinçai-je entre mes dents.

Je ne devais rien attendre de ces Autres putrides alors sans même me pencher sur la question, j’arquai mon corps vers l’avant et la percutai de mon épaule droite. La douleur qui m’irradia n’était qu’un mythe et je battis des bras pour que la force de l’impact ne me fasse pas tomber sur le coté. Merlin, qu’elle était forte ! Un halètement m’échappa puis, sans me retourner pour lui hurler ma colère, je criai le mot de passe et m’engouffrai dans la Salle commune.

La pente me donna l’élan nécessaire pour me jeter dans le salon jaune empli d’étudiants aveugles à ma détresse. Je slalomai entre eux, en percutant plusieurs, pour qu’enfin apparaissent devant moi les escaliers qui me mèneraient jusqu’à l’Entité qui faisait de moi celle que j’étais. Je ralentis, l’estomac au bord des lèvres, la sueur de ma peur suintant sur mon front. Un nouvel Autre inutile se trouvait sur mon chemin ; j’allais lui réserver le même traitement qu’à l’autre asperge, rien ne devait se mettre sur mon chemin. Je ne laisserais rien se mettre sur ce chemin.

« He ! » lui lancai-je d’une voix rendue faible par ma course. Elle était si grande, pas autant que l’autre blonde, mais bien plus que moi, j’en fus un instant déstabilisé avant que l’appel de ma baguette ne me secoue : « Laisse-moi p... »

Mes yeux brillant étaient vrillés sur le dos de la fille. J’assistai en direct à une scène plus spectaculaire qu’un réveil de la Magie par le Solstice : son dos se plia légèrement vers l’arrière, faisant danser des muscles que l'on pouvait aisément deviner sous sa robe. Son corps entier sembla se gonfler *elle aussi elle a un trop Plein ?* puis se vider instantanément sous les mots qu’elle hurla dans le salon :

« BRISTYLE ! VIENS VOIR ! »

Pendant un instant, les mots semblèrent flotter dans l’air sans réellement trouver consistance. La salle commune tremblait toujours sous les milles conversations qu’elle abritait et moi je peinais à retrouver mon souffle. Puis un courant d’air me glaça de l’intérieur et je me rendis compte que cette fille, cette grande perche, venait de m’appeler. Moi. L’idée me parut si incongrue que, dans le silence qui venait soudainement de se faire, j’éclatai d’un rire véritable. Le son, provenant des tréfonds de mon estomac, emplit ma bouche du souffle tant attendu et s’étrangla à la sorti de mes lèvres en un bruit grinçant. Mais l’éclat n’en fut pas amoindri et je sentai sans les sentir mes épaules tressauter joyeusement.

Comment cette fille pouvait-elle me connaitre si moi-même je ne savais rien d’elle ? Sa face, bien qu’inaccessible à présent, ne me dirait rien, je ne pouvais en douter. Alors d’un pas guilleret, je tournai autour de la Fille-qui-hurlait pour me placer face à elle. Dans mon dos, j’eu vaguement conscience que les conversations reprenaient et je pouvais encore sentir sur mon corps leurs regards piquant. Je détestais qu’ils me regardent alors je haïssais la fille de les avoir obligé à me regarder. De l’autre côté de son corps, je tombai sur une face froide dont les lèvres charnues attirèrent mon regard. *Ouais* songeai-je *t’es comme toutes les autres*.

« Elle te connait pas, » lui lancai-je sans sourire.

Peu importe ce qu’elle me voulait : je ne voulais rien d’elle, alors elle ne représentait rien.

L’intérêt que je lui portais s’évanouit à cette seule constatation et je m’engouffrai dans la volée d’escalier. Ce n’était pas cette fille inconnue qui allait m’empêcher d’aller retrouver ma baguette. Quoi qu’elle ait pu penser, elle était conne de croire qu’elle pouvait m’intéresser.

26 janv. 2018, 04:06
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
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Louna Hoster


[ 3 NOVEMBRE 2041 ]
Un An Auparavant
Couloirs du 4ème Étage, Poudlard.


J’avais envie de défoncer. De défoncer n’importe quoi, pourvu que je nique des trucs. La baguette que je serrais entre mes doigts me faisait mal, je la sentais si dure sous ma douce peau, impossible à péter. Ma peau se pliait contre ce bois, elle baissait sa volonté. *J’pourrais t’péter*. Je pourrais, ouais. Mais je ne voulais pas casser mon arme. C’était la seule chose à laquelle je tenais, alors que je voulais tellement tenir à autre chose. « Putain… ». Je crachais. J’insultais. Elle s’était foutue de moi, cette fille s’était bien foutue de ma gueule.

J’peux t’aider à la tuer, et on fait disparaître son corps discrètement.

Seth marchait avec moi, comme toujours. Je tournais mon regard vers sa tronche inexpressive. *Et si j’te pétais la gueule ?*.

Bah, j’pourrais plus t’aider, son regard n’était pas tourné vers moi, il me connaissait trop bien, il marchait, nous marchions ensemble, mais j’te préviens, c’est toi qui la déshabilles pour l'enterrement.

Je sentis mon cœur frapper un coup de trop, un coup trop fort. Se hisser dans ma gorge pour me frapper un autre coup dans la trachée, puis redescendre dans mon bas-ventre. Chatouillant toute cette partie allégrement. Je sentais mon nez relevé, mes lèvres tordues ; et ma fureur moins brûlante, mais plus présente. Étouffante. Je détournais mon regard. Je me persuadais que le couloir finissant sur un mur moche était plus intéressant. Je caressais mes doigts douloureux de ma main libre, j’essayais de me calmer.
Ma baguette était étroitement bloquée, si confinée dans ma main qu'elle me donnait l'impression d'un animal qui allait crever ; et pourtant, elle me niquait la peau. Je souffrais moi-même de la serrer si fort pour la faire souffrir. J’avais mal dans ma Recherche, et je préférais inonder ma surface corporelle de douleur. *Putain !*.
Même en regardant bien en face de moi, je pouvais sentir mon Gryffon grimacer ; Seth ne supportait pas mes jurons. Tant mieux. Je m'amusais de ça, je me sentais forte de sa faiblesse. Je voulais lui faire bouffer ma colère parce qu’il ne m’avait rien dit alors qu’il savait. Il savait qu’Elle se foutait de ma gueule ! Son regard m’avait tout dit, je le connaissais trop. Je ne comprenais pas pourquoi il m’avait laissé me noyer ; ce n’était que quelques jours, mais je pensais réellement avoir trouvé celle-que-je-cherchais-tant. Un coup dans les côtes me fit sursauter, serrant encore plus fort que possible ma baguette, je fracassais le vent pour planter mes yeux dans ceux de Seth. J’allais le niquer.

Va t’faire encul…

C’est-elle-la-fille-de-Charlie

Il avait parlé à toute vitesse, ça ne lui arrivait jamais. Je sentis mes paupières claquer dans ma tête. *Quoi ?* Elles scindaient le monde en deux, courbant ma colère dans une position ridicule ; il me ridiculisait de ces puissants mots. *La fille de Charlie ?!*. Les paroles de ce matin me revenaient dans le crâne, ce connard m'avait choquée. Je tournais la tête et je vis une fille seule arriver vers nous, au loin. La-fille-de-Charlie. Le Concept de ma Recherche. Concept que je pouvais en ce moment voir avec des pattes, une tête, un corps, une peau. Un concept que je pouvais toucher de mes yeux, et que je toucherais à jamais de mon seul regard. La-fille-de-Charlie. Beaucoup en parlait comme une blague, mais Seth m’avait expliqué. Ce n’était pas une blague. Elle s’approchait, tête baissée. Transparente dans ce couloir trop grand pour son petit corps de gonzesse. Je me sentais voler vers elle, et j'étais brusquement si légère. Juste une seconde... M'autoriser une seule fois. *Une seule putain de fois !*. Je fondais.

Ne la regarde pas. Baisse les yeux.

Je sentis ma tête se péter la gueule, et sans réfléchir, je m’exécutais. Tout le poids de mon corps renfloua sur ma peau, la tendant, prête à exploser. Je tentais de me concentrer sur autre chose. Quelque chose de plus factuel. De plus pourri ! À part les dires de Seth, je ne savais rien sur cette fille. Je ne l’avais jamais croisé du regard, ni jamais parlé ; elle n’existait pas. Pourtant, c’était foutrement dur de m'Interdire ; je ne devais pas lever la tête. *Je ne dois pas... Je ne dois...*. Les simples mots de mon Gryffon étaient si Tentants ; Interdits. Putain de merde ! J’avais envie de la regarder. J’avais envie de bouffer son regard, de l'avaler et de la marquer pour toujours. J’avais envie de l'amener près de moi et de l'emmener dans la découverte de moi. J'avais... J'avais envie de tellement de choses, sachant qui elle représentait. *C’est vraiment elle ?*. Les chatouillis étaient plus violents dans mon corps, je fondais ; alors que l’autre approchait. Je sentais sa Magie, ou alors c'était la mienne qui s'emballait ?

Ouais.

J'allais lever la tête, mais c'est ma main qui s'éleva. Un appel. Besoin d'aide. Ma main se tendit et j’eus à attendre une demi-seconde avant de sentir le contact dur de Seth ; sa main rugueuse, si dure avec ses doigts trop gros pour son corps trop fin. Je soupirais longuement. Je me sentais mieux, je ne devais surtout pas croiser le regard de la fille-de-Charlie ; mon Gryffon m’aidait, il me serrait. Je sentis son autre main entourer la mienne et il me tenait dans le creux de sa chaleur, comme un animal terrorisé. Je n’aimais pas sa dureté, mais j’aimais tellement sa proximité. Je soupirais encore, j’étais en train de me niquer le crâne.

En relevant ma tête, je me rendais compte qu'on était arrêtés. Personne en face ; l’autre fille avait disparu. Mon corps était lourd, et les mains de l’homme qui me tenait l’étaient encore plus. Je me dégageais brutalement.
Je ne savais pas pour quelle raison de merde Seth m’avait parlé de ces deux filles. Charlie et la fille-de-Charlie. À part pour réveiller ma jalousie à la con, je ne savais pas pourquoi il avait fait ça. J’avais envie de le frapper, de le défoncer. Je sentis un truc se poser sur ma joue et avant même que je me dégage, ma tête se tourna tellement violemment que ma nuque craqua. Ma bouche s’ouvrit pour insulter. Et la seule chose que je réussis à prononcer fut un gémissement craintif. La fille-de-Charlie marchait là-bas, elle s’en allait. Je voyais ses cheveux dégueulasses, sa silhouette courbée, sa robe sale et je la détestais d’être aussi conne.

Tu me montreras Charlie ? demandais-je dans un souffle qui me donna envie de vomir.

Je me perdais dans la contemplation de cette silhouette si dégueulasse. Si je l’avais rencontrée avant Charlie, aurait-elle pu être mienne ? Ça me torturait. Ça me faisait foutrement mal au ventre, j’avais envie de vomir mon dégoût.

Bien sûr que non.

Arrachée par ces mots, je fis voler ma main pour saisir le col de mon Gryffon. *Tu t’fous d’ma gueule mec ?!*. « T'es sérieux ?! ». Son regard marron-de-merde qui ne me souriait pas du tout provoqua une autre volée de chatouillements en moi. Et si je le frappais ?

Elle a des yeux vert clair, tu n’résisteras pas.

Mon souffle se coupa. Mes doigts rugissaient de douleur, le poids de Seth s’imposait à moi, comme si je le découvrais pour la première fois. *Ah la salope…*. Je lâchais mon étreinte. Je lâchais Celui qui me comprenait le mieux. Il avait raison, je ne devais pas voir cette Charlie. Jamais.



Je ne devais pas croiser son regard, surtout pas. J’avais fait l’erreur une seule fois avec Charlie, et je m’étais perdue. Plus jamais ça. Le Vide m’avait niqué.
Elle était là, juste en face, j’avais reconnu sa silhouette repoussante, dégueulasse ; et elle me faisait penser à un foutu opossum à être apparue en sautillant. J’avais été sûre qu’elle était dans les parages, pourtant, je n’aurai jamais pensé qu’elle arrive de la Salle Commune. Et j’avais secrètement voulu qu’elle ne soit pas là. Je n’avais pas envie d’aider la fille-de-Charlie. L’horrible injustice qui me pesait était assez lourde à traîner tous les jours, alors qu'elle, la fille-de-Charlie — si jeune, si conne — avait tout eu. C’était foutrement injuste, et je me sentais aussi conne qu’elle : j’enviais une fille de douze piges. *Putain…*. C’était ridicule. Je ne devais jamais croiser son sale regard.

J’en avais marre. Seth avait encore eu raison. Darcy n’était rien, Darcy m’avait fait mal. Je m’étais encore fait avoir. Pendant que je parcourais le corps pas si petit que ça qui me faisait face, je me rendais compte à quel point je me faisais toujours avoir. On se foutait toujours de ma gueule. J’étais prudente, j’étais distante, mais je tombais toujours sur les pires. Sur mes pires déceptions. Je ne savais pas pourquoi mon cœur ne battait pas rapidement, il était comme effacé, il était mort ; j’étais morte, et je voulais aller m’enterrer dans mon lit.
Brusquement, je sentis une fatigue cassante me bouffer la gueule. Mes yeux se plissèrent un peu plus, mon regard voulait se fermer ; se casser. Je voulais m’en aller, me barrer à jamais de ce monde. « Elle te connait pas ». Et je m’en foutais, je m’en foutais de tout. Ce soir, je voulais simplement m’en foutre et que tout le monde aille se faire foutre. Même Seth. Même moi. Je levais ma main droite, et je me surpris à contempler mes longs doigts. *Peut-être que…*. Je n’en avais même pas envie.
La fille-de-Charlie se retourna brusquement, et ses mots me revinrent en tête ; pour me bousiller la conscience. Elle se barra aussi rapidement qu’elle était apparue. *Aelle Bristyle…*. C’était un nom bizarre. Je n’avais pas envie de l’aider. Personne ne m’aidait, moi, je devais me démerder toute seule. *Ta gueule !*. C’était faux. Seth m’aidait, depuis toujours ; et parfois, je culpabilisais de ne pas pouvoir partager ma vie avec lui. C’était impossible, on le savait. On était tous les deux beaucoup trop conscients pour réussir à vivre ensemble ; alors pour ce qui était du bonheur... Ou même de la simple joie. C’était chiant. *Et merde…*. Je m’étais décidée, une dernière envie. Et ce n’était pas pour cette putain de Darcy. C’était que pour Seth, uniquement pour mon Gryffon que j’aimais tant que j’avais pris cette décision. La fille-de-Charlie en fera ce qu’elle voudra, je m’en foutais ; elle avait eu assez de chance comme ça, qu’elle se démerde pour la suite.
J’avançais mon corps pour frapper le rebord de la première marche. Le contact violent avec cette pierre trop dure me serra la mâchoire, et l’effet de ma voix résonna dans mon crâne comme un grognement étriqué :

Y’a une p’tite gryffone qui veut t’parler conasse, prononçais-je mollement de ma voix grave, en levant ma tête vers les hautes marches.

L’assemblage de cet escalier était tellement mal fait que ma voix rebondit sur les murs en un chœur bizarre, carrément flippant. Je sentais la douleur dans mon orteil droit pulser frénétiquement. Comme si j’étais un foutu sac de courses, ou une sale gosse se faisant secouer par un père trop hystérique.
Dernière modification par Charlie Rengan le 25 sept. 2018, 12:12, modifié 1 fois.

je suis Là ᚨ

26 janv. 2018, 19:21
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
C’est effroyable de la sentir si loin de moi. Elle est un éclat de soleil dans un ciel trop bleu, l’un de ces rayons que l’on cherche du regard pour capturer sa beauté, mais qu’on ne parvient pas à saisir. Comme si, à l’instant même où mon regard se pose sur son existence, il se rend compte que je ne dois pas le regarder trop longtemps au risque de le comprendre. Et si je le comprends, je peux le détruire. Ma Magie est ce rayon, je la regarde de loin et je me tend vers elle, sans ne jamais réussir à réellement la sentir. Je ne veux pas seulement l’effleurer ou la caresser. Non, je veux refermer mes doigts dessus, la serrer contre ma peau et la tirer sur mon corps. Je veux la voir me recouvrir entièrement ; qu’elle me fasse disparaître. Alors je ne serais que Magie et je suis persuadée que je respirais bien mieux ainsi. 
Mais je suis coincé sur cet escalier gelé et ma magie est si loin de moi.

Je gémis. Le son qui s’échappe de ma bouche est si ténu, si peu important qu’il ne parvient pas à frapper mes oreilles. Je peux seulement le deviner aux vibrations qui ont secouées ma gorge. Ma main bât avidement l’air près de ma poche, à la recherche de ce que je sais absent. J’ai une sensation de vide, ici, dans le creux du bas-ventre ; il s’agite, brinquebalant je ne sais quoi, remonte dans la gorge et redescend aussitôt. Il est aussi insaisissable que ma magie et cela me donne l’envie de m’effondrer en pleurant. Ce vide je le connais ; c’est ma baguette. J’argue si fort que je veux m’en débarrasser un jour pour ressentir la Magie plus que ne l’avaient jamais fait les autres cons de sorciers, mais en fait je suis comme eux : bêtement éprise de ce morceau de bois. Je me rappelle avoir dit à Nyakane vouloir la détruire ; je veux me frapper à présent, mais je ne le fais pas. Le vide s’agite et ma main brasse l’air vide.
La magie est tout au fond de mon corps, comme aux prises avec un animal particulièrement puissant ; moi. Je ne peux même pas la caresser ! *Merlin !*

J’en ai tellement besoin. De son éclat, de sa caresse. J’en ai tellement besoin. De sa puissance, de son réconfort. Et je suis là, sur cet escalier idiot, avec une poutre pleine de poussière au-dessus de la tête et je ne peux rien faire. Rien du tout.
Dans ma gorge, une boule plus grosse que mon poing grossit et détruit mon contrôle. Elle s'immisce dans mes yeux en fracassant mon crâne de douleur pour les remplir de ces larmes que je déteste. Mon corps est arrêté au beau milieu de cet escalier idiot et gelé, et je ne peux même pas caresser ma Magie pour me libérer, pour délivrer de ce corps le cri qui ne veut pas sortir. Mais pourquoi tu ne cris pas ? Pourquoi je n’hurle pas à la poutre, pourquoi je reste planté là comme une asperge débile ? Comme un putain de botruc qui reste collé à son arbre ! Je veux saisir ma baguette et crier, crier n’importe quoi tant que je peux sentir mon seul réconfort s’échapper de mon être pour m’envahir toute entière, me détruire me dilapider. Détruire ce qui m’entoure pour que disparaisse cette impression d’être un vieux cadavre collé sur son escalier ! Bouge-toi, bouge-toi, bouge-toi. Mais la Magie est profondément enfouie dans mon être, si bien que le temps où elle s’échappait si facilement de mon corps me parait loin, si loin qu’il en est inexistant. Je ne suis plus qu’une carcasse vide qui doit se coltiner une boule grosse comme son poing dans la gorge.

Je lève une main tremblante pour la poser contre le mur de pierre. Aussi gelé que l’escalier. Je ne vois ni mes doigts, ni ma main, ni mon bras. Je ne vois rien du tout car mes yeux sont  remplis de larmes de frustration. Je n’ai même pas envie d’envoyer mon bras en l’air pour fracasser ce mur trop dur, pour me fracasser les doigts et boire ma douleur.  Je ne veux pas de cela, je veux avoir le choix. Avoir le choix et décider moi-même de laisser mon rayon de coté pour me faire une nouvelle tache brune sur la peau. Là, je n’ai aucun choix, rien.
Je secoue la tête, je cligne des yeux pour faire disparaître ma paralysie. Je la vois enfin, cette main. Mes doigts sont blanc tant ma fureur me crame le corps et ils tremblent. Comme le reste de mon corps et de mon âme. Je ferme les yeux, sa vision m’est insupportable. Je respire comme si le souffle me manquait ; mais il est bien présent, il est si puissant et si fort dans mes poumons que je m'étouffe dans ma propre respiration. Elle est erratique, elle va me lacher, m’abandonner.

Je regarde mes pieds nus. Mon crâne est comme une grosse citrouille qui tangue vers l’avant, il n’a aucun muscle pour le retenir, et eux, aucune vie pour les faire fonctionner. Il danse à droite et à gauche, mes yeux suivent d’un air morne le sol qui bouge sous mes pieds. C’est en essayant de porter le poids de cette grosse courge que je me rends compte que ce n’est pas tant ma tête qui est lourde mais mes épaules qui sont crispées.

*Comme à…*

Oui, bien entendu. Comme à la Maison, comme à la Maison-à-Poudlard, comme partout dans ce monde hasardeux, comme pour me dire : Je ne te laisserai jamais en paix.  Cette fois-ci la griffe de la Tension est plongée dans un angle si tordu dans mon épaule que je la sens jusque dans le cou et le crâne, elle frappe comme un sale gosse sur la porte de ma conscience pour me faire avaler tout rond la naissance de sa douleur. Mais c’est plus que cela, c’est une agonie, lente et doucereuse, qui m’emporte si loin que mon audition se brouille.
Si elle se brouille réellement, comment puis-je seulement entendre sa voix qui me frappe ?

« Y’a une p’tite gryffone qui veut t’parler conasse, » m’avait vomi la grande inconnue.

Il n’y avait pas de doute, de questionnement, de comment ? quoi ? je n’comprends pas ?. Il n’y avait eu aucune incertitude, aucune seconde d’hésitation, aucun arrondissement des yeux ou quoi que ce soit d’autre qui aurait normalement dû arriver. Il y avait seulement ce corps qui s’était stoppé et cette fureur qui m’avait évincé le souffle. Elle aurait pu dire mille mots différents, cette immense Autre, elle aurait pu dire mille autres mots : Charlie te cherche. Ou Elle veut te voir. Ou alors viens, je t’emmène à quelqu’un que tu veux voir. Des millions d’autres mots mais elle avait choisi ceux-là et il m’était impossible de mieux comprendre ce qu’elle m’avait dit. En une fraction de seconde j’avais saisi : ma quête parvenait à son terme. Et mon corps s’était stoppé car j’étais effrayé.
Non, j’étais enragée. Une telle rage que je ne pouvais rien frapper pour me noyer dans ma violence car mon seul appel était la magie. Le seul qui pouvait me

« Sauver... »

Les mots se bousculent dans ma bouche les uns après les autres pour s’affaler lamentablement sur ma langue. Sur le mur, mes doigts bougent faiblement, se tortillent et je prends ça comme comme le signe que mon corps est près. Je prends appui sur le mur, la peau qui le relie à moi est lourde d’engourdissement et pleine de frissons piquants. Je me saisis de cet élan et quitte, aussi rapidement que je m’étais arrêté, les escaliers de pierre. Le souffle se met soudainement à circuler avec plus d’avidité dans mon corps et lorsque je pousse la porte du dortoir, je le fais en m'écroulant dans une toux grasse dégueulasse.

Je ne me retourne pas pour regarder la fille. Je me fous d’elle, à un tel point que je n’ai même pas ressenti l’envie de la frapper de toute la force de mes poings. C’est le seul fait qui me fait penser à elle : pas une seule seconde, ne m’avait saisie l’envie de mener ma peau à son visage vide de sens pour l’en érafler de la colère qu’elle éveillait en moi.

Un long geignement sort de ma bouche quand je m’écroule sur le sol devant mon armoire.  Je dégage d’un coup de bras colérique mes bottines, j’arrache de mes griffes pleines de rage la couverture du lit pour qu’elle cesse de me barrer la vision de sa couleur jaune horripilant. Je regarde sous le lit et sous la commode, m’allonge sur la poussière pour regarder sous l’armoire. Je ne vois rien sous cette armoire, rien du tout.

« Par la magie de M… Haan ! » sué-je en m’hissant sur mes genoux. Je m’agrippe à l’armoire et me lève difficilement. Puis, sans m’éloigner du mastodonte de bois, je le contourne pour en saisir un coin, je m’arqueboute et, la pointe des pieds planté dans le sol, je pousse de tout mon poids vers l’avant.

L’urgence de la situation me donne des forces car l’armoire bouge de quelques centimètres qui me font dangereusement pencher vers l’avant. Je peux sentir les secondes qui s’écoulent autour de moi, elles sont si rapides. J’ai peur que la grande fille s’en aille et que… Non, non, je ne la laisserais pas s’en aller !

« Hors de question ! Tu… Han ! » je pousse si fort que le meuble dérive pour aller se cogner contre ma table de chevet. « Tu t’casses pas sans m’amener à elle ! »

Je crie ces mots en me laissant tomber sur le sol. Je retrouve mon étreinte avec la poussière et entreprends de fouiller chaque centimètre carré de l’espace nouvellement délivré. Une voix hésitante s’élève derrière moi :

« Tu… »

Je ne me retourne pas. Je sais que c’est l’autre conne du dortoir, je ne sais toujours pas comment elle s’appelle et le souvenir cuisant de ses yeux sur mon corps nu me fait grogner de rage sur le sol. Je ne vois rien sur ce foutu sol ! La panique commence à s’agiter dans mon corps, je la reconnais aux soubresauts de ma lèvre inférieure et à la chaleur qui m’irradie la peau.

« Toi, aide-moi ! J’dois soulever… ». Je me lève et m’arqueboutte contre le lit, abandonnant mes infructueuses recherches. « Viens, merde ! » crié-je à la Fille-qui-reste-là-sans-bouger.

Mais elle ne vient pas et le lit ne bouge pas. Soudainement, le Vide dans mon corps et la rage dans ma tête se font si fort que je m’écroule contre le meuble et étouffe un cri dans mon oreiller. Ma peau bout et tremble d’une colère si aveuglante que j’en perds toutes mes forces. Un éternel désespoir m’emplit les veines ; la Magie ne veut plus de moi. Elle m’a laissé, elle m’a laissé. Charlie me parait bien loin, l’urgence également, j’ai envie de m’effondrer en larmes mais même ça je n’y parviens pas.

« Si tu cherches ta baguette, elle est sur ta table de chevet, » me dit la voix froide, hargneuse, colérique de la fille.

J’ignore le craquement horrible qui résonne dans mon crâne quand je tourne la tête. Là, devant moi, elle est là. Ma baguette. Ma moitié. La Raison de ma présence.
Je lève mon bras et celui-ci ne tremble plus. Je me saisis délicatement de ma baguette magique, mon souffle se bloque lorsque ma peau rentre en contact avec le bois frais. Je ferme les yeux, m’abandonnant dans l’écoulement de ma Magie qui remue tout au fond de moi. Le soulagement déferle dans mon corps et je me laisse aller sur le sol  sans chercher à me retenir. Ma peau est toujours aussi bouillante, le reste de mon corps est secoué de spasmes libérateurs et je sens couler sur mes tempes de chaudes larmes qui ne sont dues ni à la colère ni à l’impatience.

« De rien, » me crache la voix de la fille et c’est en souriant douloureusement que je lui lance un : « C’est ça, ouais, » d’une voix étouffée.

Epuisée par cette douloureuse perte, je ferme les yeux en caressant du bout de mon pouce le frêne qui m’est si familier.

Mais un spasme plus fort que les autres me secoue et je repousse ma fatigue loin de moi. Je me lève tout doucement, gardant ma Baguette contre mon corps. Je voudrai libérer un peu de magie pour m’exalter de la sentir hors de moi mais je me rappelle de la situation et c’est en grimaçant que je quitte le dortoir. Devant mes yeux danse un visage et ma Retrouvaille n’est pas assez forte pour l'annihiler. Il flotte devant moi et me juge de ses yeux trop sombres ; de sa beauté ensorcelante et de son charme dégoûtant. Un puissant battement de mon coeur tente de l’effacer pour le remplacer mais il reste là, toujours à flotter.

Toujours à flotter. A me rappeler. A me dire des mots qui me font mal. Et j’ai envie de m’arrêter et de lui dire : Tu n’sais pas. Tu n’sais pas que bientôt, j’te verrais plus.
Je ne m’arrête pas pour le lui dire.

Dans le couloir, la poutre est toujours pleine de poussière et les escaliers froid sous mes pieds. Je caresse le bois et je m’éloigne du dortoir. J’écoute ma magie qui s’agite tout au fond de moi. Il faudrait vraiment être idiot pour ne pas ressentir son puissant fleuve qui déchire mes entrailles.

Je suis calme. Etrangement calme. Doucereusement calme. Ni rire ni coups ne me secouent.
C’est comme cet été quand je descendais les escaliers pour voir leur sales tronches de famille inutile. Je me sentais si calme, si pleine de puissance destructrice. C’est dans ce calme que je parvenais à les regarder et à sourire, ce même sourire que j’avais eu tant de mal à sortir, et à leur dire tout aussi calmement : « J’emmerde Stalbeck et j’vous emmerde aussi ! ». Et si le second Grand Mot était légèrement tremblant, je l’oubliais rapidement en voyant les faces décomposées de Papa et de Maman, de Natanaël et de Zakary et de ce con d’Aodren. Je ne remontais pas dans ma chambre, car ces tronches brûlées était la seule raison pour laquelle j’étais descendu.
A présent, je baigne dans le même calme. Il m’agrippe les épaules, certes. Il m’arrache le crâne de ses dents toutes dures, certes. Mais mon coeur a cessé de battre dans ma poitrine et je sais que c’est parce que je vais voir Charlie et que peu importe la manière dont je vais m’y prendre, je vais la ramener dans la Grande Salle pour foutre sa présence sous la gueule d’Aodren et lui crier bien fort que je l’emmerde lui et tous les autres.

« Amène-moi, » beuglai-je à l’autre déjantée qui m’a offert la Présence de Charlie. « Allez. Ao’ tu vas nous voir et crever de jalousie. »

Je saute la dernière marche. Je souris. Mes pieds frappent le sol et je ressens la secousse jusque dans ma mâchoire.
Je sers les poings - mes phalanges sont-elles aussi blanchâtres que sur le mur ? Je ne les regarde pas, je ne quitte pas du regard la grande qui, tout à coup je le comprends, représente un intérêt si grand pour moi que je pourrais la trouver belle. Mais en vérité je ne la regarde pas. Je la vois, je pourrais même la sentir, mais je ne la regarde pas car ce n’est pas elle qui m’intéresse.

« J’suis prête. »

Ma peau semble se déchirer tant elle se crispe autour de ma Moitié.

28 janv. 2018, 20:59
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
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Louna Hoster


J’attendais. Une seconde. Deux secondes. Elle s’était arrêtée. Je n’entendais plus ses petits pas de gonzesse. Elle devait être figée, tétanisée. J’imaginais son cœur éclater. Elle était si jeune, elle était la fille-de-Charlie. Trois secondes. Quatre secondes. Rien. Aucune réponse. Aucun son. Aucun bruissement. J’étais concentrée sur cet escalier, focalisée à mort, le corps tendu et je me rappelais les mots de Seth qui forçaient l'approbation. J’étais sûre qu’il avait raison. Je l’avais bien vu de toute façon. Charlie.
Charlie et son Regard. Charlie et ma Mort. Pourtant… *Putain de merde* j’étais rentrée si facilement en elle. Son regard était ouvert, écartelé, presque ciselé, mais tellement entier. J’étais rentrée si facilement dedans que ça ne pouvait être qu’un piège. Un attrape-conasse comme moi. Et quand j’étais Dedans... Putain. Quand j’Étais dedans. Elle m’avait broyé. Il n’y avait la place pour personne à l’intérieur. Une énorme masse noire prenait tout l'espace. Je m'étais sentie étouffée. Non. Tuée. J’avais entendu mes côtes se briser ; pas une par une, mais toutes pétées d'un seul coup, en un seul craquement horrible. J’étais rentrée si facilement… Putain de paradoxe. J'avais hurlé, et mes propres côtes me transperçaient, mes jambes s’écrabouillaient, mes doigts se recroquevillaient *Arrête !* et ma tête explosait. À ce moment-là, j’étais sûre d’une seule chose face à Charlie : ce n’était pas sa façon de me regarder qui m’avait tuée, ni son vert-clair si excitant qui m’avait purgée. Oh que non… La cause de mon Vide était cette Masse ; cette énorme masse sombre qui prenait Toute la Place, qui rendait son regard si Entier. Tellement entier que rien ne pouvait changer ce regard. Il avait trouvé son entièreté. Charlie avait trouvé. Trouvé. Et Sa masse sombre était bloquée dans l’escalier qui me faisait face.

Je m’étais souvent demandée si dans le regard de la fille-de-Charlie *Aelle...* je pouvait trouver la même Masse. J’étais sûre que oui, mais je n’avais aucune envie de me faire tuer une deuxième fois ; et Seth n’était même pas là pour me ressusciter. *Et si…*. Si j’étais restée plus longtemps dans le regard de Charlie ? *Ferme ta gueule*. Je devais fermer ma gueule.
Je réintégrais difficilement ma présence. Clignant des yeux, mon regard se posa sur le gouffre à moitié sombre qui montait ; montait vers la masse-de-Charlie. Une masse qui n’avait rien de spécial ; sans même croiser son regard, j’avais vu ses traits d’enfant, sa peau bizarre, presque repoussante, ses cheveux ne ressemblant à rien, son corps loin d’être formé. Rien de spécial. Rien d’attirant. *Tellement normale*. Ouais, pour le peu que j’avais vu, elle n’était même pas bizarre. *Foutrement normale*. Peut-être que c’était pour ça que je n’arrivais pas à trouver ma Recherche. Si je devais m’arrêter sur chaque fille, n’importe laquelle, même de la plus banale à la moins excitante, ça représentait un travail de tarée. Je comprenais un peu mieux ; je venais de comprendre ce que j’étais. *Seule dans cette foule de gonzesses*.
J’étais dans un désert gigantesque, et j’étais cette petite plante verte qui poussait au sommet d’une dune de sable. Pas dans une crevasse, pas dans un foutu trou sombre et sec. Non… Au sommet d’une dune. Non ! Au sommet d’une Montagne de Sable, je voyais tellement loin. Mon horizon n’avait pas de limites. Le désert était ma propriété visuelle. J’étais cette petite plante verte, et je n’avais rien à foutre dans un désert.

Je me rendais compte qu’elle n’était pas redescendue, la fille-de-Charlie. Concentrée sur mes tympans, j’entendis le violent bordel de la Salle Commune. En me retournant, je pouvais voir tous les Jaunes à travers l'embrasure sans porte. Surtout des jeunes. Les plus vieux comme moi ne trainaient pas ici. Je voulus reculer, mes talons étaient bloqués ; je me sentis tomber en arrière comme une merde. « Putain ! » le choc me secoua tout le corps, je sentis le tremblement jusque dans mon crâne.
Mes mains m’insultaient, et mes paumes bouillonnaient comme un feu tout neuf ; je m’étais mal rattrapée, mais je m’en foutais. Mes fesses avaient atterri sur une marche. Dure, froide, qui me glaça le cul en trois pauvres secondes ; je ne me relevais pas. D’ici, je pouvais contempler l’agitation de la Salle Commune comme à travers le trou d’une serrure, alors que j’étais tout là-haut, sur ma montagne de sable, et je pouvais tout voir. Plein de filles, trop de filles. Beaucoup de nouvelles aussi ; je me demandais s’il y avait des premières années intéressantes, et si ma Recherche pouvait être parmi elles. Ma bouche se déforma de dégoût, elles n’avaient aucune forme, ce n'était pas beau à voir. Et la différence d’âge était un vrai problème. Je sentis mon poing se serrer, Charlie avait douze piges, et je l’aimais. Mon poignet pulsait, je le serrais trop fort et il me faisait mal. C’était con, foutrement con. La froideur des escaliers remontait dans mon ventre pour le glacer en un énorme rocher ; qu’il pesait lourd ce putain de rocher ! Qu’il me faisait mal !
Aimer une gosse… C’était tellement, tellement con. Je ne voulais pas la voir heureuse, tout comme je me sentais obligée de l’aider ; au moins pour Seth, au moins pour créer un lien avec elle, au moins pour quelque chose, juste l’aimer de loin, un peu ; et aussi, au cas où ça se passerait mal avec cette Aelle... Les mots de mon Gryffon tournaient dans mon crâne, des mots trop présents, trop sûrs, trop façonnés ; comme s’ils étaient la vérité. Et ils étaient la vérité, Seth avait toute ma confiance. Mais… Juste au cas où ça se passerait mal. *C’est tout*. Je serais là. Alors que pour l’instant, j’étais là, assise sur un escalier trop froid, me rappelant à quel point j’avais tout raté, et ayant en tête le corps de Charlie. Sa silhouette, si petite, si légère, ouais, elle devait être foutrement légère, je pourrais faire ce que je veux avec, j’avais assez de force pour ça. Elle n’aurait qu’à fermer les yeux et je pourrais la rendre heureuse, au moins quelques heures. D’un coup de poing puissant, je frappais mes pensées sans même bouger. J’avais mal à la tête. Mon crâne avait une existence propre, il se détachait de mon corps pour essayer de s’enfuir, il me tirait les cheveux jusqu’à ce que je chiale de douleur ; et je savais déjà que j’allais avoir foutrement mal dans quelques minutes. Ce n’était pas grave, j’avais déjà assez mal au cœur, je ne sentirais pas mon mal de crâne.

*Non*. Non. J’avais promis que je ne m’approcherais pas de la petite gryffone, je ne le ferais pas pour l’instant. Et tant que je restais loin de sa présence, j’arrivais à oublier ses yeux, j'arrivais à me cacher qui elle était, j’arrivais à tenir ma parole. Je ne voulais pas lui faire ce que tant de filles avaient fait avec moi. Je ne voulais pas qu’elle souffre comme moi. Je ne voulais pas la planter au sommet d’une montagne de sable.
Mon cœur cognait. Tellement fort qu’il me faisait trembler par à-coups ; je devais arrêter de penser à elle, ça m’avait assez niqué comme ça. Tout ça à cause de Darcy. Quand elle m’avait parlé de cette Aelle, je m’étais sérieusement demandé si je n'étais suivie par une connerie de destinée. *Putain de...*. J’étais contente. Rageuse, mais contente d’avoir compris très tôt que Darcy n’était pas ma Recherche.
La fatigue extrême me reprenait, je voulais arrêter de penser, juste arrêter d’être ; dès que j’essayais d’échapper à une idée, une autre m’agressait. Oublier, juste oublier une seconde qui j’étais. Ma perception reprenait consistance, elle se replantait devant ma tronche avec sa partenaire : la Salle Commune. Une valse dégoutante entre ces deux danseuses de merde. Deux jambes, longues, qui me cachaient le spectacle de cons ; elles venaient vers moi ces belles jambes, et j’avais une envie de les remercier tellement forte que je sentis un sourire m’ouvrir la gueule. Mon regard suivit ma gratitude, mais pas mon sourire qui se péta la gueule sur moi-même.

Salut.

*Oh. Pu-tain*. Gina. Ma dernière-recherche-ratée. Je n’avais aucune envie de la voir, ni elle, ni personne. En détournant mon regard, je me relevais difficilement en soufflant comme un buffle. J’avais l’impression d’avoir perdu mon cul tellement il était écrasé par le froid, et le rocher dans mon ventre était bien présent, mais fondait rapidement. Le soleil de mon désert tapait fort.
Sans un regard pour elle, mon corps se retourna en gémissant. *Merde…*. De l’eau plein le crâne, j’avais mal ; dès que je tanguais un peu trop, les violentes claques de la flotte me niquaient.

Je t’ai vu avec une Serdaigle.

Le pied sur une marche, je poussais sur celle-ci. Je devais monter, ne rien écouter. Sourde. *Sourde !*. J’étais sur ma montagne. Seule. Rester seule.

Elle est meilleure que moi ?

Ce n’était pas sa question, ni ses mots ; ni sa personne, ni sa beauté qui m’avait plantée sur place. Mon corps ne répondait plus. C’était sa voix, son ton de voix. J’avais l’impression qu’elle chialait, et ça, je ne pouvais pas le supporter. Une puissance nouvelle frappa dans mon crâne qui me faisait toujours plus mal, je me retournais en frappant le sol de mes pieds douloureux. *Gina... Qu’est-ce tu fous connasse ?!*. Elle n’avait jamais pleuré en face de moi, je lui avais interdit, même ce jour où je l’avais larguée. J’avais eu droit à une gifle monumentale, mais pas de larmes ; jamais. Les chialeuses me dégoutaient. Alors pourquoi ? *Pourquoi cette foutue voix de chialeuse ?*. Je me plantais juste en face d’elle, et je levais atrocement la tête pour accéder à ses yeux, me rappelant qu’elle avait presque deux ans de plus que moi. Gina l’adulte, Gina la responsable, Gina-la-si-Grande, Gina la fille qui n’était qu’une période où j’avais cru avoir trouvé ce que je recherchais. Mais comme toujours, je m’en allais, je quittais, je larguais ; me rendant compte que ce n’était pas ça, que ce n’était pas cet amour-là que je voulais, que ce n’était pas ma Recherche.

Je n’sais pas.

J’essayais d’être franche, elle avait encore droit à ça : ma foutue franchise qui me mettait dans la merde. C’était à cause de cette même franchise que j'étais en train de subir sa voix douloureuse, à cause de cette même franchise que j’étais obligée de me tenir en face d’elle, à cause de cette même franchise de merde que je l’avais embrassée à pleine bouche dans la volière, ce premier jour, ce maudit jour. J’oubliais mon corps pour me concentrer sur le sien. Le marron clair de ses yeux était d’une beauté insultante, j’avais oublié à quel point les reflets orange qui tourbillonnaient à l’intérieur pouvaient m’exciter, tout comme ils me dégoutaient. Dégueulasse ces merdes. Je me sentais sale à admirer son regard brillant, beaucoup trop brillant pour ne pas être les restes de sa voix de chialeuse.

J’ai réfléchi… Et…

Elle ne clignait pas des yeux, c’était flippant. Mais ce qui était encore plus flippant, c’était ce truc dans son regard. Le Truc. Je pouvais le reconnaître, je savais ce que c’était. Je baissais la tête pour m'arracher à son emprise, je devais m’en aller ; plus ma présence était proche d’elle, plus elle souffrait. Et je ne culpabilisais même pas. J’avais juste eu peur qu’elle chiale. C’était passé.

J’accepte Louna, je veux bie…

Je n’arrivais pas à quitter du regard ses longs doigts qui se tortillaient entre eux, qui s’entretuaient comme des bêtes. « J’ai envie de le faire ». Je savais déjà, je l’avais vu. Ouais, en plus de ne pas être ma Recherche, elle ne m’avait jamais autorisée à la toucher ; et c’était à cause de ça que j’avais cru en elle si longtemps. Avec elle, c'était la première fois que j'avais accepté une telle chose. Ouais, je l’avais accepté. *J’en ai rien à foutre maintenant…*. Voilà. C’était son problème, son énorme putain de problème. Elle ne pensait qu’à sa gueule, alors que moi, je pouvais la comprendre et lui faire plaisir rien qu’en la voyant grimacer. Je comprenais tout et c’était lassant ; tellement chiant. Ouais, je comprenais que cette Première Fois était importante pour elle, je comprenais qu’elle était en train de m’offrir un cadeau qui avait une valeur sacrée pour elle, je comprenais que je devrais prendre ça comme un honneur, je comprenais qu’elle voulait qu’on soit à nouveau ensemble ; que par son geste d’abandon de son corps pour moi, elle me donnait tout, et que par ma ô sacrosainte miséricorde de mon cul, je devais tout accepter. Je la comprenais si bien, elle me comprenait si mal. Si elle faisait attention, elle se rendrait compte que pour moi, ça allait être la centième fois que je couchais, que je l’avais quittée à cause de son aveuglement de connasse, que j’étais en train de salement déprimer et que la putain de colère qui montait en moi allait finir par lui péter sa mâchoire. *Haan…*. Ma mâchoire me faisait tellement mal !
Me rendant compte de mes poings serrés, je relâchais l’étau de mes doigts. *Comprends rien*. J’étais trop énervée. Je devais me calmer.

J’ai… J’ai trouvé un coin dans une belle salle… Pas loin d’ici.

*Ha… Qu…*. Elle bégayait, mais je l’aurai jamais mieux comprise qu’avec ses foutus bégaiements. Je fermais les yeux, c’était trop. Elle me rendait folle. *Écoute-toi parler !*. Je devais m’en aller. *Mais écoute-toi sale putain !*. J’en avais fini avec elle. Utilisant une force qui était bien trop simple à atteindre, je fis volte-face tellement violemment que je me fis mal aux seins. Je levais un bras pour écraser ce surplus trop imposant, je m’en allais dans mon dortoir, dans ma tombe provisoire, profondément. « PAR TOUTES LES MAGIES ! ». Mon corps se figea, encore une fois. J’en avais marre ; vraiment, je n’en pouvais plus. En tournant ma tête derrière moi, je vis du coin de l’œil que Gina s’était rapprochée, mais qu’elle s’était elle aussi retournée vers la Salle Commune. Son cri était si fort que les conversations s’étaient arrêtées, tous les cons regardaient vers nous, et j’étais soulagée d’être bien plus petite que Gina ; on devait à peine voir ma gueule. Le silence se ressentait, dur, impitoyable. La gueule de mon ex reprit le sens inverse pour se planter sur moi, elle s’avança brusquement. Un pas. Deux pas. Juste devant moi. Dans un réflexe de défense, je tâtais le revers de ma robe pour effleurer ma baguette tout en me tournant entièrement vers cette fille-ratée. Ses deux mains me coincèrent la tête comme un piège à loups, je sentais ses longs doigts mourir sur la nuque. *Oh putain !*. Si elle m’embrassait, je la défonçais ; puis je lui lancerais un sort pour lui faire mal, n’importe lequel pourvu qu'elle gueule. Sa bouche s'ouvrit et elle chuchota à quelques centimètres de mon visage, rapidement, comme si elle était possédée :

Je-regrette-Louna-je-suis-désolée-j’aurais-jamais-dû-te-repousser-j’te-repousserai-plus-jamais-tu-peux-faire-ce-que-tu-veux-ça-n’me-dérange-pas-j’accepterai-tout-par-Merlin !

Cette conne croyait vraiment que… *Quelle conne !*. Il fallait vraiment qu’elle s’arrête de parler. Sa virginité… C’était ce qui faisait sa beauté ; son espèce de pureté de merde ! Même si c'était pourri comme concept, c’était ce qui m'avait attirée chez elle. Tout comme j’aimais tout ce qui venait d’elle avant Septembre — Tout — avant de me rendre compte qu'elle n'était Rien. Elle ne comprenait rien, et j’avais envie de lui niquer sa race pour ça, la tuer lentement. Le crâne entre ses mains serrées, je me sentais agressée, violée ; mais elle me connaissait plus ou moins, elle savait où étaient mes limites. Je la fixais dans son marron-orange, et j’avais envie de déchiqueter son regard ; ce regard qui puait l’envie dégoûtante, le désir si repoussant. Je ne voulais plus m’amuser, je m’étais assez amusée comme ça. Je ne voulais plus jouer. *Je n’joue plus*. Je n’avais pas besoin de son excitation, ni de celle de personne. La seule chose que je voulais, c’était de l’amour. Pourtant, j’étais seule, le Plante Solitaire. Pas de parents, pas de famille. Il y avait que Seth ; et parfois Aaron, mais ils ne comptaient pas dans mon désert. *Gina… Je-ne-joue-PLUS !*. Je n’en avais rien à foutre de son désir de merde ! Elle ne comprenait donc rien ?! Je levais ma main pour la plaquer contre sa nuque, pour la rapprocher encore plus de ma gueule. Je sentais ma poitrine toucher la sienne, l’écraser même. Sa bouche était si proche que je pouvais sentir son souffle sur mes yeux ; elle était foutrement grande, mais si petite, minuscule, ridicule. Ma voix était rocailleuse, profonde, rageuse :

Tu crois vraiment qu’j’ai envie de t’faire plaisir ? Tu crois vraiment qu’j’ai pas réfléchis avait d’te larguer ? Tu crois vraiment qu’j’en ai quelque-chose à foutre d’ta chatte ? Je serrais les dents fort, les mots sortaient de ma bouche comme écrasés, broyés, détruits avant même de détruire. Mais Gina… donne-moi une seule putain d’raison de t’aimer.

*Hh…*. Je soufflais, j’étais essoufflée ; mon oxygène manquait pour lui dire à quel point elle était ridicule. Elle grimaçait horriblement ; et c’était bon ! Que c’était bon ! Lui imposer sa stupidité, lui infliger sa propre incohérence et voir son visage se péter la gueule comme un arbre perdre toutes ses feuilles, elle était nue, nue de réponse, nue de présence.
Elle ne sera plus jamais rien pour moi, qu’elle aille se trouver une deuxième conne ; ou un deuxième con.

Personne ne t’aimera jamais autant que moi.

*Que…*. Son souffle m’avait caressé le visage, je sentais sa présence sur ma peau, sa connerie dans mes pores. *Ah bon ?!*. Je sentais les tremblements de ses lèvres dans mon crâne, je sentais l’océan de ma tête se déchainer. *Oh… Pauvre petite merde...*. D’une violente impulsion, je la repoussais de toute ma force. Ses mains s’arrachèrent de mon visage en me laissant la peau sale de ses doigts, des putain de traces sales. *C’est dommage, trop, trop dommage*. Une bouffée de chaleur me fit respirer plus fort, je sentais le passage de l’air dans mon corps, j’étais faite de barbelés tranchants et j’avais mal. Mon foutu corps hurlait. Et je me rendais compte qu’elle ne pouvait pas comprendre ma colère, qu’elle ne pourrait jamais saisir la moindre miette de ma rage. Elle n’arrivait même pas à lire mes pensées, elle n’était pas Seth, je parlais toute seule dans ma tête. Elle n’était rien. Je voulais la voir suffoquer comme mes mots que j’avais broyés de mes lèvres. Pourquoi est-ce qu'elle ressemblait à toutes les autres ? *Comme Silène, Arwa, Lucy, Gwenaëlle, Derys, Jun et toutes les putains d’autres !*. Elles finissaient toujours par faire les mêmes conneries, par vomir les mêmes mots, par étaler les mêmes merdes. *Tu parles comme elles… C’EST CON, HEIN ?!*. Une autre bouffée de chaleur ravagea mon crâne. J’avais trop mal, je perdais le contrôle. Du haut de ma Montagne de Sable, je revoyais un Ancien Mirage.
Un visage sublime, une douceur exquise, une intelligence infinie et surtout… Surtout cette façon qu’elle avait de me tenir. De m’avoir pour elle seule, de comprendre chacune de mes pensées. Je revenais des années en arrière et son visage était toujours autant rempli de larmes ; il était beau, et j’avais pleuré moi aussi. Elle m’avait quitté, la seule qui avait osé me quitter avant que je le fasse ; heureusement qu'elle l'avait fait, avec elle, je savais que j’aurais mis un temps fou à comprendre. Ouais, j’étais putain de sûre que c’était Elle, qu’elle était ma Recherche. Je m’étais trompée. Et son visage était inondé. J’entendais ses derniers mots, ils tournaient dans ma tête ; ils me faisaient peur parfois, quand je mourais seule dans la clarté de la nuit. « Je voulais… On peut pas continuer. Je dois… Je voulais juste… Juste essayer ce que c’était. Ma belle ? Juste… Enfin… ». Mais je n’entendais pas la suite ; puisque la suite, c’était moi qui l’avais créé. Et j’avais tant crié. Tant. Tant. « ESSAYER SALOPE ?! ESSAYER ?! J’VAIS P’T’ÊTRE ESSAYER DE T’TUER AVEC LA PLUME QUE J’VIENS D’PÉTER, HEIN ?! TE LA PÉTER UNE DEUXIÈME FOIS DANS LA TEMPE ! OH PUTAIN QUE ÇA S’RAIT BON ! BIEN MIEUX QUE TOUTES CES FOIS OÙ T’AS SIMULÉ ! SALOPE ! ». C’était flou. Les couleurs n’existaient plus. C’était si noir. « Salope ! ». Des taches parsemaient la fin de ce souvenir, j’avais tant pleuré. Tant. Tant. « Salope… ». Je lui avais tout donné, mon amour, mon corps, ma vie de merde ; elle était si Incroyable, mais ce n’était pas Celle-que-je-recherchais, ce n'était pas Elle.

Je tremblais. C’était horrible. Mon putain de cœur me faisait mal. Ma tête allait exploser. Clignant brusquement des yeux, comme si je me rappelais de leur existence, je sentis qu’ils étaient mouillés ; des larmes bloquées dans mes orbites dégueulasses. Rien ne coulerait, je le savais, mais à l’intérieur de mon cœur, tout coulait. Je ne voulais plus être.
J’avançais mon corps. *Gina…*. Je me rapprochais de cette fille qui n’était plus rien. De cette connasse qui mentait tellement bien. J’étais si proche de son corps que je pouvais presque toucher son souffle de mes lèvres. Ma nuque me faisait mal à se tordre juste pour la regarder. Son regard avait changé, elle commençait enfin à comprendre ; pourtant, il restait un truc dégueulasse dedans. Dégueulasse ! Un gargouillis me retourna l’estomac. J’avais envie de vomir. Lui vomir dans la bouche… Ça lui ferait partir ce Truc dégoutant.

Casse-toi, ordonnais-je face à sa bouche.

Qu’elle se barre à jamais. C’était tout ce que je voulais. Tout mon corps frappait de l’intérieur.

Aime-moi.

Une furieuse envie de rire me prit. Mais pas un seul son ne sortit de ma bouche fermée. Mon crâne était de lave. Et si je lui avouais que j’aimais une gosse ? Que ses yeux étaient vert-clair et qu’ils étaient si parfaits ? Et si je lui confiais que cette petite était bien plus irrésistible que sa grande gueule de connasse ? *Si ! C’est ça !*. J’étais la Charlie de Gina. Sauf que dans mon cas, elle n’avait plus aucune chance de me récupérer.
Le bordel de sa Salle Commune était aussi horrible à supporter que ce regard marron-orange. Gina ne lâchera pas, je la comprenais. Il fallait lui montrer sa propre médiocrité, lui montrer ce que ses yeux de merde ne voyaient pas. Ouais, comme elle ne comprenait pas, j’allais lui faire comprendre ; et si elle ne comprenait pas, j’allais rentrer dans sa tête et retirer ses souvenirs de moi. Simple. Net. M’amputer d'elle.

Embrasse-moi en plein milieu d’la Salle Commune, devant tout l’monde.

Comment j’avais pu l’aimer ? Cette fille qui ne m’assumait même pas quand on était ensemble. Comment ? Elle m’avait expliqué qu’avec ma réputation, elle ne voulait pas que ses parents sachent pour nous deux. J’avais accepté. Je n’avais pas voulu briser notre mensonge pour un bonheur plus Grand. Bah oui, putain ! « Et si c’était Elle ? Et si c’était Elle ?! ». Je voulais me défoncer d’avoir un jour pensé ces mots ; je n’avais pas compris que si c’était vraiment Elle, les gens n’importeraient pas. Personne n’importait. Les cons restaient des cons, et je m’en foutais d’eux ; tout comme Elle s'en foutra, j’en étais sûre, si je La trouvais un jour. Ou peut-être Lui, mais comme ça ne m’était jamais arrivé, je n’en savais foutrement rien.
Ma phrase avait fonctionné. Gina paraissait mourir, lentement, comme le ferait une énorme montagne pour se casser la gueule. Elle n’avait jamais assumé de m'aimer ; pendant plus de cinq mois, du début à la fin, et c’était tellement long pour jouer à cache-cache. Dans l’ombre, se cacher, l'aimer sans que personne nous voient, et tout le temps me retenir de la toucher ; mais ça, je ne regrettais pas, comme ça elle pouvait m’oublier plus facilement.
Elle restait silencieuse, elle mourrait trop lentement. Aucune réponse. Nue de présence. Nue de réponse. Complètement nue.

Ta langue. Dans ma bouche. Là-bas, répétais-je pour lui graver son incohérence dans son foutu crâne.

*Avale ta merde*. Je reculais légèrement ; ma tête me faisait beaucoup trop mal. « T’as pas d’cœur » me répondit-elle. *Bien… C’est bien*. Il y avait de la colère dans sa voix, c’était ce que je voulais. Parfait. Je pouvais m’en aller. *Adieu ma grande*. Elle avait totalement raison, je n’avais pas de cœur.
Ça faisait bien longtemps que le lourd soleil de mon désert avait tout séché en moi, en commençant par mon pauvre cœur. Pourtant, j’étais vivante, verte ; trop verte, trop sèche. Un foutu paradoxe, qui était ma protection. Au lieu de faner, de jaunir et de crever, je m’étais fait une protection de vie, préservant mon Vert éclatant, mais le naturel était impossible à imiter. Ma couleur était trop verte par rapport à une vraie plante, trop vigoureuse par rapport à ma vraie place, trop belle par rapport à ma vraie perte.

Ses lèvres. *Que ?!*. SES LÈVRES ! ELLES ÉTAIENT SUR LES MIENNES ! Ses mains me tenaillaient le crâne, l’océan hurlait ! Je mourrais ! *Lâche-moi putain !*. Dans l'intimité de l'embrasure semi-obscure, je crevais. Je sentais sa langue cogner contre mes dents serrées, je sentais sa bave se déposer sur mon menton, je ressentais ses lèvres qui s’ouvraient, se fermaient, se rouvraient, se refermaient…
Ma main vola. Et elle frappa tellement fort la gueule de Gina que sa poigne autour de mon visage me fit perdre l’équilibre. Titubant comme une débile sur ma gauche, je sentis une douleur exploser dans mon poignet ; je m’étais rattrapée. Je ne sentais plus ma tête tellement elle me faisait mal. La fraîcheur de sa bave sur mon visage était foutrement désagréable. Je… Elle avait osé… *Han…*. C’était si dur que ça pour elle ? Je… J’allais la défoncer.
J’essayais de reprendre mon équilibre, l’eau dans ma tête tanguait et j’étais perdue dans cette valse de merde. Ma main droite s’échappa de mon corps, elle se leva et se leva haut. Un frisson me déchira le dos. *Oh…* gémis-je. Une chaleur se concentra dans mon bas-ventre. J’écarquillais les yeux.
Gina était en train de me lécher la base du pouce, du côté de la paume, je sentais la douceur de sa langue sur ma peau tendre, sur cette partie si excitante. Je me rappelais. C’était la seule chose qu’elle avait accepté de me faire, et moi, je me souvenais qu’elle adorait la danse de mes ongles sur son cou ; pas sur la partie proche du menton, mais sur la partie basse, tout en bas, au début de ses épaules. C’était doux. Sa langue était si douce. *Ooh...* Ça faisait trop longtemps.
J’étais cette plante, trop verte, trop haute, et ce Grain de Sable qui me léchait ne comprenait rien ; il voulait monter sur mes feuilles, danser sur mes tiges, mais n’en était pas digne, il n’en valait foutrement pas la peine. Qu’il reste à sa place, qu’il me porte simplement, avec tous ses potes, ces milliards de grains de sable. Ils ne sentaient même pas mon poids, ils étaient si nombreux. J’étais trop légère et trop haute pour eux.

Je dégageais ma main. Brusquement. Affreusement. J'essuyais ma paume sur ma robe ; ma poitrine pulsait. Si Gina s'approchait de moi une seule fois, une unique fois, je la frapperais encore plus fort. J’avais la vue brouillée, je voyais son visage, mais pas son regard. Tant mieux. Quel goût avait ma main ?

Si tu m’aimes encore, alors, j’aime pas ta façon de m’aimer.

*Tu dois comprendre… Ou au moins fait semblant !*. Je n’arrivais plus à réfléchir. S’en était trop. Et c’est à cet instant que je vis : sa tête se baissa et un hoquet frappa mon tympan. *Pitié… Pitié !*. Surtout pas ça ! Surtout pas ! « Pleure pas ou j’te… ». Un éclat se détacha de son visage et m’éclaira le crâne, pleine lune de mon océan ; les vagues frappaient si fort ! Et mon regard suivit cette chute insupportable. La larme s'écrasa au sol, sur ces pierres si froides. Elle n'était plus un éclat, elle n'était plus rien du tout. « Pète ta gueule ». Trop tard. Elle était en train de chialer. Je l’avais fait chialer, et je la détestais d’être aussi faible ; elle qui me paraissait si grande, si forte, si belle.

Casse-toi.

C’était un ordre. Je ne voulais plus jamais la voir. Plus jamais. « V… Vi… ». Pourquoi est-ce que je devais supporter ses bégaiements ? Pourquoi est-ce que j’étais en train de l’imaginer la gueule défoncée par terre ? Pourquoi je la voyais en train de saigner et de souffrir comme une bête agonisante ? « Viens… A… Avec moi ». Horrible. Foutrement et ridiculement horrible. Qu’elle aille chialer ailleurs. Je n’avais pas besoin de voir ça, elle n’avait pas à se faire mal en face de moi.

Casse. Toi.

Je vis vaguement sa tête se lever vers moi, un hoquet ignoble me fit grimacer, puis elle se retourna. *Enfin…*. Putain d’enfin ! Gina plongea dans la clarté de la Salle Commune, dans ce bordel de cons. J’espérais que personne n’allait voir ses larmes, les rumeurs allaient vite à Poudlard. Et je me perdais une dernière fois à contempler ses fesses, cette belle paire qui m’avait fait fantasmer pendant de longs mois et que, finalement, je n’avais jamais découverte.
Poussant sur mon bras, je fis bouger mon corps à mon tour. Sans Gina pour occuper mon crâne, je sentais que j’allais exploser. *Dormir… Juste dormir*. J'avais tellement mal au crâne.

Amène-moi !

Je relevais la tête pour voir quelle était la conne que j’allais frap… *Oh putain !*. La fille-de-Charlie. Ma tête redescendit tellement vite que je sentis tout mon corps basculer en avant ; je battis l’air de mes mains avant de me rendre compte que je n’avais pas bougé. *Ma tête… Ma putain de tête…*.

Allez. Ao’ tu vas nous voir et crever de jalousie. J’suis prête.

J’avais trop mal. J’entendais, mais je ne comprenais pas. Qu’est-ce qu’elle voulait cette connasse ? Elle s’était changée ? Un haut-le-cœur me secoua. Je m’appuyais contre le mur, certaine que j’allais vomir tout mon estomac ; mais rien ne se passa. Je respirais trop fort à mon goût. Mon souffle criait dans mes oreilles, c’était une tempête de mer, je devais dormir, j’allais tomber par terre. Poussant sur mes forces, je sentis ma propre sueur. Je suais ?
Un pas. Deux pas. D’un geste négligent, je poussais cette Aelle du bras. *Amène-moi… Amène-moi ?!*. Je devais monter ces escaliers qui étaient si énormes. Putain qu’ils étaient grands ! Comme la fille-de-Charlie. Elle avait pris au moins un mètre de plus. J’articulais lentement, avec difficulté :

À la sortie d'la Salle Commune.

Dans ma tempête, je souriais. Je savais que cette Aelle n’allait pas retrouver Charlie, mais seulement une grande putain  qui l'attendait, et pour un motif de merde qui me faisait encore plus sourire. Je montais une marche, puis l’autre. J’allais tomber. J’allais tomber.

Fais gaffe, elle porte de grosses lunettes.

*Parce qu’elle est aveugle la conne*. Je montais, je montais. J’allais tomber, me péter la gueule. Putain de merde… Ma tête…

Je montais vers le sommet de ma Montagne de Sable.
Dernière modification par Charlie Rengan le 25 sept. 2018, 12:14, modifié 1 fois.

je suis Là ᚨ

30 janv. 2018, 16:46
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
La pulsation était si bonne. Libératrice. Nos retrouvailles me rendaient aveugle au bruit de la salle commune et même aux battements de mon propre cœur. J’étais aveugle et sourde car je sentais couler dans mes veines le flux ardent de ma magie. Je ne pouvais comprendre la raison de mon précédent oubli, c’était l’autre débile du dortoir qui en était coupable. Les Autres me tuaient avec tant de force que j’en oubliais ma baguette magique sur ma table de chevet. Je ne les avais jamais autant détesté.

Elle était là devant moi, appuyé contre le mur comme si elle voulait le soutenir. Elle bougeait à deux à l’heure, elle mettait du temps à respirer et à lever ses yeux inutiles. De quel couleur étaient-ils ? Je n’avais pu les apercevoir. Je tentais de fouiller son visage plat sans ne rien trouver : elle le gardait baissé vers le sol. Je me foutais de son regard putride, mais la voir ainsi intimidée par ma seule présence me fit sourire - encore ? J’aimais l’idée que cette grande perche devienne toute molle face à moi. Je m’approchais d’un pas, hésitant à la héler pour la forcer à se bouger. Je devais sortir de cette salle commune pour retrouver Charlie. Merlin, n’entendait-elle pas mon cœur battre pour s’échapper de mon corps ? Il voulait s’enfuir pour la retrouver et moi également.

A quoi ressemblait-elle, déjà ?

La Toute-molle bougea et je me stoppais. J’essayais de garder la nuque courbée pour trouver son regard mais je ne voyais rien. Le bruit me frappait les tympans et si je tournais la tête sur la droite j’étais persuadée que j’allais voir le Grand Con qui me regardait. Il pouvait bien continuer s’il le souhaitait, je ne lui offrirai pas l’existence de mon regard. Je me foutais de lui et de ce qu’il savait, tout comme je me foutais de tous les autres qui me dardaient de leur regard tout chaud. Je n’avais des yeux que pour la Toute-molle qui s’approchait de moi. Je me décalais légèrement pour la laisser passer, j’allais la suivre jusqu’à Charlie puis me débarrasser de sa présence inutile. Son étrange comportement m’agaçait et j’avais l’impression que tous les Autres ne regardaient que nous.

Était-elle plus petite que moi ou me dépassait-elle ? Elle devait être plus grande.

*BOUGE-TOI !*
L’impatience me rognait par petits bouts et ma baguette me brûlait les doigts. Pourtant je sentais mon palpitant virevolter comme lorsque mon Ecoulement me menait droit dans les Limbes de mes pensées, c’était bon et jouissif. C’était un Eveil, un contraste face à mon ancien Trop-Plein que j’avais détruit de mes seules retrouvailles avec ma Moitié. En fait, il était aisé de m’en débarrasser. Même si la Fille-sans-nom m’avait empêché de le faire s’écouler.

Elle avait de grands cils, n’est-ce pas ?

Je clignais une fois des yeux, puis une deuxième fois. La Toute-Molle se tenait à présent en face de moi. Pourtant je m’étais déplacée pour la laisser passer, cette Inutilité. Je levais mon pied gauche qui flotta un instant au dessus du tapis jaune pour reculer mon corps mais une main vola soudainement devant mon regard et me frappa le haut du corps, au niveau de la clavicule. « Hé ! », le cri s’échappa de ma bouche mais il ne frappa ni la fille ni personne d’autre.

La surprise régnant dans mon regard, je titubais vers l’arrière, mes pieds battant le sol pour essayer de me rattraper. Le monde s’était totalement effacé de mon regard et alors que je m’écroulais, j’eu le temps de voir comme au ralenti la Toute-Molle me passer à coté comme si je n’étais qu’un vulgaire brin de paille. Sa face toute plate était à demi tournée vers moi sans que jamais ses yeux ne me caressent ; je tombais et le vent de ma chute fit voler mes cheveux autour de moi. Aveuglé, je jetais mes bras en arrière pour retenir ma chute. J’aurais pourtant préféré la regarder, dans ma tête hurlait une voix qui me disait de ne pas la quitter du regard, de peur de manquer le signe dont j’avais besoin. Je me foutais de son regard. De sa face toute glissante. De son grand corps. De ses lèvres épaisses. Je m’en foutais, de tout, sauf de ses jambes qui devaient me mener à Charlie !

Je pensais me rappeler de ses cheveux noirs. A moins qu’ils ne soient chatains foncés ? Non, ils étaient noir.

Ma paume s’enfonça allègrement dans quelque-chose de chaud et de mou. Ne pouvant contrôler ni ma chute ni ma main, aveuglée comme je l’étais pas mes mèches d’ambre puantes, je m’écroulais sur la chose molle ; dans mon crâne hurlait ma fureur : *Ne la laisse pas s’en aller !*.

Une seconde passa. Puis une deuxième. Ce court temps suffit à me rappeler qui j’étais, où j’étais et ce que je voulais. Ma conscience frappa mon coeur qui se remit en marche et ma main qui tenait ma baguette se crispa avec plus d’ardeur encore jusqu’à ce qu’hurle à mort mes phalanges. Mon souffle se coupa et deux bras se refermèrent sur moi, m’effaçant la vision tremblante de la Toute-Molle.

Ce dont j’étais sûre, c’était de son pantalon. Mais pourquoi me rappelais-je de cela ?

« C’est bon calme-toi, je t’ai rattrapé. »

La voix, lointaine, me malmena le cerveau et je me débattais pour m’échapper de la poigne inconnue. La peau chaude contre la mienne, la force des muscles qu’elle cachait, les légers poils qui me chatouillaient la joue. Le dégoût frappa sans prévenir : il remonta le long de mon corps pour envahir ma bouche que je fermais pour que rien ne s’en échappe. Soudainement, j’avais conscience de mon corps et de celui de l’Autre contre lequel j’étais affalé. J’avais conscience de ma main gauche qui était coincée entre nos deux corps, de la douleur dans mon épaule, de mes cheveux qui me cachaient la vue.

«  A la sortie d’la Salle Commune, » se fraya une voix au travers la barrière de mes cheveux.

Je sentais son odeur sucré que j’associais à un quelconque gel douche et la chaleur de sa peau qui me brûlait. D’où la voix provenait-elle ? Etait-ce celle de la Toute-molle ? Elle ne devait pas partir, non, elle devait me mener à Charlie pour que je puisse triompher sur le sommet de la Maison. Je secouais les jambes puisque ma tête ne pouvait pas bouger. La colère explosa dans mon coeur et de la main qui tenait ma baguette je frappais le bras qui appuyait sur mes lèvres. J’avais l’impression qu’il allait rentrer dans ma bouche et m’arracher la langue de son odeur dégueulasse.

Et sa voix, quelle tonalité avait-elle ?

Le bras disparut et je me jetais vers l’avant pour m’éloigner du corps qui m’avait enchainé. Je rampais sur le sol avant de me lever rapidement et de me retourner. A l’orée de l’escalier, la fille toute fade commençait à disparaitre.

« Attend, hé ! »

Les mots s’embrouillaient dans ma bouche, je ne savais que dire, que crier, qu’hurler. Je la voyais seulement disparaître et cette vision réveillait une telle terreur dans mon corps que je le sentais se paralyser pour m’embourber dans mon effroi. Reste-là, emmène-moi s’il-te-plait, tu m’as dis que tu m'emmènerais ! Ma peau qui se remplissait de frissons voulut la suivre, lui jeter ces mots à la gueule pour qu’elle cesse de couler vers les dortoirs, pour qu’elle cesse ses conneries mais un étau m’enchaîna soudainement le bras et mes frissons m’hurlèrent leur douleur.

Alors dis moi, tu avais la peau blanche ou sombre, hein ? Hein, à quoi ressemblais-tu ? Pourrais-je seulement te reconnaître si je t’avais en face de moi ?

Je tournais la tête pour tomber dans un regard brun dégueulasse. Je lui lançais un sourire un peu tordu, qui parvient à dépasser la colère et l’effroi qui se battaient dans mon corps. J’étais sûre que je le verrais si je tournai la tête, j’avais eu raison. le Grand Con me faisait face de toute sa hauteur de connerie et son visage était aussi figé que tout à l’heure. Figé dans une grimace d’adulte insupportable. Merlin, il était aussi grand que Zakary, plus encore que la Toute-Molle.
Et sa main s'agrippait à mon bras comme son regard pulsant s’accrochait à mon putain de souffle.

« J’sais pas c'que tu fous mais laisse-la. »

Sa voix était aussi grave que tout à l’heure, le Garçon-qui-était-presque-un-homme n’avait pas plus grandit. Je tirais sur mon bras pour le récupérer mais l’étau était si fort que je ne pus que grimacer de douleur. Je me foutais de sa présence ! *Dégage, sale sosi !*. Mais ma voix s’était engouffrée par les pores de ma peur et ne voulait plus s’en échapper. Je ne pouvais que tirer comme une forcenée pour me détacher et aller rejoindre la Molle et… Devant la Salle Commune, m’avait-elle dit. Devant la salle commune ! Par Merlin, elle était là, juste là. Je me dévissais le cou pour apercevoir l’entrée de la salle commune, si lointaine.
Lache-moi, Grand Con !

« Laisse-la, j’te dis ! C’est Louna, t’as rien à foutre avec elle ! »

Qu’est-ce qu’il raconte ? Je me fous d’elle au moins autant que je me fous de lui. Je regardais dans ses yeux et je ne voyais qu’un garçon qui essayait de me faire je ne sais quoi.

« Mais lache-moi ! », dis-je d’une voix éraillée, en tirant avec plus d’ardeur sur mon bras.

Tu avais une belle baguette. L’as-tu réellement détruite ou est-ce seulement mon esprit qui me joue des tours ?

Elle ne pouvait avoir détruit une telle chose ; je secouais la tête pour faire disparaître ces pensées parasites. Le Grand Con me lâcha enfin et je ramenais mon bras contre moi en le massant pour en apaiser la douleur.Je me détournais vers l’entrée de la salle commune pour me soustraire à son regard.

J’avais encore la sensation de sa peau blafarde et bouillante sur les lèvres. Répondant à une pulsion, je me retournais vers lui pour me retrouver tout contre son grand torse de Garçon-qui-était-presque-un-homme. Son vieux tee-shirt puait la vieille fumée. Comme dans mon rêve.

« Ne m’touche pas ! » soufflais-je en levant la tête pour le regarder. « T’as pas l’droit, alors me touche pas ou je te frapperai. »

J’aimerai tellement le frapper de mon poing puissant, je retrousserai ce nez rond et enfoncerai ces yeux bruns. Je pourrai même arracher ses boucles pour les lui faire manger et lorsqu’il sera à terre, je pourrai balancer mon pied dans son estomac pour le voir cracher mon dégoût de lui. Peut-être capta-t-il mes pensées car il recula d’un pas.

J’aurai pu rire et même lui sauter dessus pour faire taire le palpitement de ma peau mais il y avait Charlie qui m’attendait devant la salle commune *juste devant* et c’était plus important que cette pâle copie de Zakary.

« Attend ! »

Je levais les yeux au ciel pour m’empêcher d’hurler ma rage.

« J’sais pas c’que t’as, mais fait attention. Louna n’est pas recommable, j’t’assure et toi tu devrais… Je sais pas, pourquoi tu restes pas ici, il y a d’autre première année ici. »

Grand Merlin, qu’il était con.

Pourquoi m’empêcherais-je, après tout ?

« TA GUEULE ! »

Je me retournais, hurlant du plus profond de mon corps cette rage qui me brûlait les organes. La voix qui sortit de mon corps était bien trop grave et bien trop lente. Elle s’écoula comme un léger filet d’eau fraiche, me glaçant la langue et les yeux. Elle flotta dans les airs de la salle commune, avalant les discussions et braquant tous les yeux sur moi. Sur lui. Sur un putain de nous que je n’avais jamais voulu. Mais pourquoi les Grands Cons me poursuivaient-ils ? Pourquoi étaient-ils tous autour de moi à m’arracher des lambeaux de chair, à m’arracher jusqu’à ce que je m'affale à terre comme un squelette d’ivoire ?

Je tremblais de rage. Merlin que c’était bon de trembler de toute ma considérable rage. Aussi acéré qu’un fouet, mon bras se brandit dans l’espace qui nous séparait, moi et lui et je pointais le bout de ma baguette magique sur son corps misérable. Je ne sais pas ce que je pourrais hurler mais s’il disait un mot de plus je l’évincerais de toute sa présence inutile. Lashlabask, Obscuro - *tu veux que j’t’arrache les yeux, connard ?*. Flamavo ou Halicto, que je lui brûle sa petite face d’adulte qui sait tout. Kracilimacus, qu’il dégueule sa pathétique voix. Il y en avait tant et peu importe ce qui sortirai, je voulais seulement le voir s’effondrer à terre dans sa douleur.

« T… Tu… », baragouinais-je.

Oh, par le caleçon de Merlin.

As-tu les lèvres rose ou rouges ? Es-tu petite ou grande ? Qui es-tu ? Qui es-tu ?

J’en avais assez. Assez. Charlie m’attend. Charlie est là et toi tu me parles. Charlie est là et tu m’empêches d’aller l’exhiber sous le nez d’Aodren ! Sale copie ! Charlie. Est. Là !
Le souffle retrouva le chemin de mon corps, j’ouvrais grand la bouche pour le laisser rentrer. Il me brûlait les poumons. L’Autre recula, pensant que j’allais laisser hurler ma magie, mais mon bras retomba contre mon corps et je m’éloignais de lui à grand pas. Il disparaîssait déjà de mon esprit, bientôt il ne restera plus rien de lui.

« T’es en train d’pé… S’tu veux venir parler, j’te dénoncerai pas aux pr... »

« Flamavo ! », criais-je en me retournant, baguette brandie sur sa face de Grand Con. « Parle-plus ! Tu lui r’ssemble trop ! »

J’aurai aimé le voir cramer mais sentir la chaleur de mon sortilège m’avait suffit. Il brûlait comme la rage qui me tordait la figure, comme le tremblement qui agitait mon corps entier. Je gravissais la légère pente en m’étouffant de colère et quittait la salle commune. La fureur rendait ma baguette magique brûlante et je l’agitais comme pour m’aérer :

« Espèce de Grand Con débile, j’espère que ça va t’arracher tes yeux à la Zakary, » crachais-je.

Dans le couloir, le silence était comme un baume pour ma conscience. Elle s’apaisa lentement, comme un fleuve qui retrouve le calme de la plaine après avoir dévalée la colère des montagnes. Je respirais rapidement, levant la tête pour regarder timidement autour de moi.

Timide. Je l’étais. Mon corps souffrait de mille impatiences et je levais la tête pour rechercher les billes émeraudes de mes souvenirs. Car cela j’en étais sûre, la couleur de ses yeux était la seule chose que je n’étais pas parvenu à évincer de mes pensées. Parce qu’elles gardaient en leur sein tout ce qui me libérerait de la Maison. Et si je ne pouvais plus dessiner ses stupides traits derrière mes paupières, je pouvais me rappeler de ses yeux.

Devant moi, il n’y avait rien d’autre qu’un couloir éternellement vide et silencieux. Un long couloir de pierre. A gauche, ses murs de tableaux régnaient sur rien du tout et à droite, une armure était débilement debout, seule dans le couloir. Je fis quelques pas sur la droite, peut-être se cachait-elle derrière l’armure ?

« Devant la salle commune…, » chuchotais-je avant de me retourner pour regarder ladite entrée. « Juste devant, Cha... Pas aill... »

Outre le fait que ma voix persistait à ne pas vouloir dessiner son prénom, mes lèvres bouffèrent les derniers mots pour les avaler et les faire disparaître.

Est-ce que tu avais des larmes qui coulaient ? Et moi, avais-je pleuré ?

La grande perche blonde était encore là. Avec sa grosse paire de lunettes qui lui mangeait le visage et sa chevelure blonde qui était tellement banale que c'en était dérisoire. Sa tête m’était inconnue, comme toute celle de ce chateau, et je pouvais encore sentir dans mon épaule la douleur de notre percussion. A moi que ce soit à cause du Grand Con ? Je me mordais la lèvre inférieure, agacée d’avance de ce que m’obligeait à faire Charlie. Elle me lassait avant même d’être en face de moi, je me rappelais brutalement qu’il était si bon de ne plus penser à elle. Puis je me souvenais qu’elle était ma clé et mon envie de la voir fut si brutale que je le monde tangua autour de moi.

« Où elle est ? » demandais-je à l’Autre grande perche. « Elle doit.. J’sais pas. Elle a les cheveux cha… noir. »

Je m’approchais de la blonde, la regardant par intermitence, surveillant le couloir. Ma baguette brûlait encore dans ma main et ma peau frétillait ; j’en avais assez de la présence des Autres. Ils m’épuisaient autant que j’aimais qu’ils me mettent hors de moi.

« L’autre grande m’a dit qu’elle était là. Tu l’as vu. »

Je gonflais mes joues d’agacement en dépassant la fille pour regarder à gauche. Les tableaux ne pouvaient rien cacher. Merlin, où était-elle ?

Quelque part dans mon corps, une main glacée se referma sur mes boyaux pour les déchiqueter.

J’avalai difficilement. Je levais les yeux pour les plonger dans ceux de glace de la blonde, mon coeur battant à m’en rendre sourde.

02 févr. 2018, 02:53
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
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Louna Hoster


*Voir… Crever… Jalousie…*. Quoi ? *Quoi ?!*. Un choc m’éclata le crâne, ouvrant les yeux, je vis que c’était mes propres mains qui m'avaient claqué les oreilles. *Qu’ce j’fous ?*. Ça faisait tellement mal putain ! Une marche, puis l’autre. Je montais. Et ça ne s’arrêtait jamais. Ma Montagne. Ça n'avait pas de fin. Exactement comme la pente à l’entrée de la Salle Commune, il fallait tout autant se niquer les jambes pour les Dortoirs. Ma jambe se leva encore une fois et s’écroula dans le vide ; mon pied explosa sur un truc dur et la douleur me perça les yeux. *Putain !*. Ce n’était pas une marche, j’étais arrivée, c’était le sol trop bas. Tentant de me rattraper, je moulinais avec mes bras en tirant de toutes mes forces sur mes jambes, mais mon corps avait déjà transposé sa force vers l’avant, je plongeais comme une merde. Le cyclone dans mon crâne hurla plus fort.

Je fondais Tout mon corps s'échappait. Ma tête coula sur le sol, je la sentais s’arracher de mon cou, m’insultant à m’en faire mal au cœur ; elle avait encaissé tout le choc, ma nuque s'était tordue violemment. La porte en bois avait hurlé, si dure, si insensible. Je ne savais pas où j’étais, mais je sentais très bien la poussière sur ma langue, elle avait un goût amer dégueulasse. Toute ma tête se cassait, je lui avais fait trop mal. *Désolée !*. J’hurlais à mon tour, je lui faisais mal. *J’suis tellement désolée !*. Je ne sentais plus ma tête ; sauf ces courants qui traversaient mes joues. Je chialais. J’étais minable.

Je voulais disparaître, me foutre dans la terre pour jouer à cache-cache avec le monde, une belle partie éternelle, rester cachée pour toujours. J’aimerais le faire, tellement. Même si certaines choses me retenaient. Comme Charlie et la-fille-de-Charlie ; dommage que mon espoir se cassait la gueule. Je n’avais plus envie de rien. Et Seth ? *Seth…*. Serait-il déçu ? Oh putain de merde, bien sûr qu’il serait déçu ! Je sentais mes yeux exploser une deuxième fois ; j’avais si mal, quelque part dans ma poitrine. C’était horrible de se rendre compte de sa déception, putain d’horrible. Ça me tuait comme si j’étais déjà morte. Morte… *MA TÊTE !* hurlais-je en tentant de bouger. La douleur explosa si fort dans ma nuque que mes yeux s’ouvrirent au maximum. Je ne voyais rien. C’était bien. Je ne bougerais plus.
Seth… J’imaginais sa tristesse et sa haine contre tous ces cons. Je l’imaginais d’ici péter un plomb et devenir réellement fou ; il était assez puissant pour ça, il en était capable. La douleur dans ma poitrine reprit, et je n’arrivais pas à la cibler ; impossible. Mais je m’en foutais de tout ça. Ce qui m’arrêtait le cœur et me coupait le souffle comme un air trop aride pour être avalé, trop granuleux et corrosif pour être supporté, c’était d’imaginer sa tête décomposée lorsqu’on l'informerait de ma mort, la mort de sa préférée, et avec sa tête décomposée : l’horrible soupir de déception qui déchirerait sa bouche. Ce soupir, je ne le supportais pas. Oh putain de merde, je ne pouvais pas le supporter. Le décevoir me tuerait une deuxième fois, et je reviendrais en fantôme pour m’excuser en chialant ; je savais déjà qu’il ne me pardonnerait jamais. Je vivrais dans ma propre mort. Un frisson claqua dans ma tête enfuie, cassée pour toujours. *Seth…* Je ne le décevrais jamais, il était le seul à me sourire si joliment.





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Darcy Crown
Quelques Minutes Auparavant


Quand elle se retourna sans ouvrir la bouche, je crus que j’allais lui sauter dessus. Mais je n’en fis rien. Louna s’éloigna, s’engouffra dans sa Salle Commune, et je ne fis rien. Je n’arrivais plus à bouger. *Non…*. Je gémissais, j’étais misérable. Elle était réellement partie ? Vraiment ? Sans répondre à ma question ? Mon visage se tordit, je sentais mon corps s’enraciner, brûler comme une forêt : lentement, inéluctablement, horriblement, irrésistiblement. Elle ne m’avait même pas laissé le temps de m’excuser. Je ne voulais pas qu’elle pense du mal de moi. Ces temps-ci, c’était la seule personne qui me faisait grandir ; je me sentais pousser si vite avec elle, comme si je vivais plusieurs vies en même temps, elle connaissait tellement de choses.
Une fresque s’ouvrit dans ma tête, brillante, si réelle ; et je revoyais les lèvres de Louna s'agiter : « J’essaye juste et tu verras qu’c’est vrai ». Dans ce tableau, elle avait les cheveux attachés au-dessus de sa tête, magnifiques, la peau très pâle à cause de la fatigue — tellement pâle que la cicatrice sur son visage ressortait avec vulgarité, paraissant vouloir s’échapper de son visage. Son pouce était levé à hauteur de mes yeux, elle était assise sur cette chaise trop usée de la bibliothèque et elle me parlait d’un soi-disant point de pression spécial situé sur les cuisses. Je ne l’avais pas cru, et j’avais accepté qu’elle me montre. Je me rappelle de son regard gris d’un ciel brumeux qui s’était planté dans le mien quand elle déplaça son pouce vers le bas. Je me rappelle avoir vu un élève en robe noire et verte passer derrière elle, mais je n’avais pas réussi à quitter son regard. Quand sa main s’était posée sur ma cuisse, je me rappellais de mon regret de l’avoir laissée faire, surtout qu’elle était très proche de mes parties intimes, et que ça me dérangeait ; pourtant, je n’avais rien dit, et j’avais continué à contempler le ciel nébuleux de son regard, un ciel qui s’agitait, qui s’élargissait à vue d’œil. Je me rappelle avoir été perdue, et c’était à ce moment que ma peau se tordit soudainement, son supposé pouce s’enfonça profondément dans la partie inférieure de ma cuisse gauche ; si violemment, si profondément. Puis, son pouce s'arrêta. Alors que j’allais ouvrir la bouche pour lui dire qu’elle me faisait mal, elle enfonça encore plus profondément, séchement, mais dans un angle nouveau ; comme… Je ne savais plus. Et je l’avais finalement ouverte cette bouche, qui m'avait trahie en libérant un puissant gémissement de plaisir ; ce son m’horrifia à l’instant même où je l’entendis. Ma main avait volé vers ma bouche pour la frapper, mais c’était trop tard. Louna avait explosé de rire tellement fort qu’elle s’était écroulée en arrière, je me rappelais de ses cheveux se détachant lors de sa chute ; elle avait continué à rire sur le sol. Un élève s’était tourné vers elle pour lui dire de se taire. J’entendais encore sa réponse : « Mais ferme ta gueule toi ! ». Et moi, j’étais restée bouleversée, la main plaquée contre ma bouche, le pantalon trop serré sous ma robe, le visage cramoisi sous le regard des élèves ; Louna m’avait profondément choquée. Pourtant, j’avais aimé ce choc. Et ce point spécial existait bel et bien dans la cuisse, elle avait donc raison ; elle avait tellement ri.
Pourquoi est-ce que je me rappellais de cette fresque précise parmi les centaines d'autres que j’avais d’elle ? Le regard perdu sur l’entrée de la Salle Commune, je me rendais compte que je n’en avais aucune idée. Je ne comprenais rien à ce qu’il m’arrivait. Je ne savais pas pourquoi je me sentais si vide après ce que j’avais dit à Louna. Je ne savais pas pourquoi je n’avais plus envie de rien faire. Je ne savais rien. C’était ça. J’étais complètement nulle.
*Amoureuse…*. Non. C’était impossible, je ne l’étais pas. Ça ne m’avait jamais fait ça avec Zachary, et pourtant j'étais tombé infiniment amoureuse de lui ; non, ce n'était pas ça, ce que je ressentais en ce moment était trop différent. De toute façon, je ne pouvais pas être amoureuse d’elle, rien que m'imaginer l’embrasser me dégoûtait. Ce n’était pas ça. *Par la barbe de Dumbledore, pardonne-moi Louna !*. Pourtant, je m’étais avancée vers elle. Sans le vouloir, je ne l'avais pas voulu.
Mais si elle recommençait ce point de pression dans ma cuisse, ça ne me gênerait pas. C’était peut-être ça. Son savoir, son intelligence, ça m’attirait beaucoup. C’était ça, j’en étais sûre.

Mes conclusions me suffisaient, mais je n’arrivais pas à saisir ce manque de quelque chose, ce qui faisait que Louna restait un mystère. Sa façon de faire et de penser me surprenait à chaque fois, elle était une gigantesque fresque de toutes les couleurs ; de la plus rayonnante à la plus obscure. Et je ne connaissais pas la plupart de ses nuances, c’était ce qui faisait son charme ; elle était tellement différente. Un Joyau Irisé. Je l’aimais beaucoup, je devais l’accepter.
Mes pieds étaient collés au sol. Je n’avais pas bougé, ils étaient si lourds que ça ne me surprendrait même pas qu’ils refusent de m’obéir. J’étais enracinée, un arbre si âgé doté d’une expérience nulle ; un gâchis. C’était ce que j’étais : un simple gâchis. Une secousse ébranla l’arbre que j’étais, me faisant perdre mes racines.
Pour ne pas perdre l’équilibre, je dus tirer sur mes jambes pour rattraper mon centre de gravité, tout en battant l’air de mes bras. « Merlin ! » jurais-je en me stabilisant assez facilement. Je craquais mon cou vers mon agresseur ; je vis des cheveux châtains s’enfuir, une taille ridicule, une gosse qui disparut avant même que je puisse lui dire de faire attention. Ça arrivait souvent dans ce château, tout le monde était pressé — même moi, et je l’assumais entièrement. J’oubliais cette bousculade, ou plutôt, je n’y prêtais plus l’attention nécessaire pour qu’elle reste dans mes préoccupations ; elle était comme un vent que je ressentais soudainement, mais auquel je m’habituais sous la contrainte jusqu'à ne plus y faire attention. Là aussi, j’étais contrainte d’oublier mon intérêt pour cette gosse, ça ne me servait à rien de lui accorder le moindre sentiment ou émotion alors qu’elle-même n’en avait rien à faire. *Louna…*. Ma gorge se serra, j’étais un gâchis.

Dans le silence de ce couloir, la couleur grise était si dominante que je sentais mon humeur impactée ; ce gris n’était vraiment pas esthétique, le goût des quatre grands fondateurs me laissera à jamais songeuse. C’était de grands sorciers, indéniablement, mais avec aucune finesse ni raffinement. Brusquement, je pensais au gris brumeux de Louna, la couleur de ce château ne me faisaient même pas penser au gris de son regard tant il était différent. Et bien des versants étaient différents chez la Poufsouffle totalement unique. Comme la forme anguleuse de son visage ou sa poitrine démesurée ; pour une Anglaise, c’était une exception. À côté de moi, c’était sûr que le contraste était saisissant. Je baissais les yeux sur ma propre poitrine, qui me permettait de facilement voir mon ventre bien plat. C’était une bonne chose ; je n’avais pas besoin d’exercice pour rester en forme. *Qu’est-ce que…*. Je pensais à n’importe quoi ! C'est ridicule. Je secouais rageusement ma tête ; mes pieds s’agitaient pendant que mes pas s’allongeaient dans l’espace de mon attente. Je tournais en rond, en essayant de m’occuper les pensées. C’était long. *Où est-ce qu’t’es allée la chercher ?*.
Et si elle n’était pas dans sa Salle Commune ? Le vide si pesant s’arracha de mon cœur, je devais le laisser s’en aller, pour l'instant. *Laisse-moi…*. Rencontrer Aelle était la seule chose pour laquelle je devais me concentrer en cette soirée. Le vide s’écrasa en lui-même, je le sentais, le vide trop plein, puis je lui échappais en tournant mon regard. Une forme était plantée là. *Aelle ?*.
Une fille d’une beauté dérangeante se tenait face à moi, la couleur de sa peau était si bluffante que je sentais mon cerveau se liquéfier pour s’engouffrer dedans ; ainsi, à mon tour, j’allais être resplendissante. Une couleur radieuse dans son obscurité. *Aelle...* Et je comprenais tout à présent. Cette fille était un danger pour tout le monde, elle devait avoir du sang vélane ou une magie équivalente ; très puissante, très attractrice. Elle se rapprochait de moi ; instinctivement, je reculais. Un couloir était derrière elle. *Quoi ?*. En tirant sur ma volonté, je réussis à regarder derrière moi, c'était l’entrée des Pouffys. Sous l’illumination de ma compréhension, je tournais la tête tellement fort vers l’inconnue que mes jambes bougèrent subitement pour rattraper mon équilibre. *Aelle ?!*. Elle n’était pas dans la Salle Commune ! Et elle était si âgée ! Encore plus que moi. Elle était si grande, si belle. De longs cheveux brillants d’un brun clair enivrant, des yeux qui… *’beaucoup trop belle*.

A… Aelle ?

Je n’entendis même pas ma voix, me donnant l’impression d’avoir murmuré. Elle me souriait ?

Presque. C’est Cyrielle, mon cœur, son regard se planta dans le mien. Et toi ? Comment le monde a-t-il jugé bon de te cerner ?

*Cyrielle…*. Je penchais ma tête sur le côté, c’était un joli prénom, pour une jolie fille. Ce n'était pas Aelle, et je l’oubliais aussitôt ainsi que le reste.

Darcy.

Ma voix avait légérement frémis. Cyrielle était aussi grande que moi. Sa peau était aussi sombre que pouvait l’être une nuit paisible. Ses trains fins étaient enfantins, mais son visage était celui d’une femme. Dure, douce. Le contraste me perturbait.

Alors, bonne soirée, Darcy.

Je remarquais l’accent spécial de son anglais, ce n’était pas une native, et c’était aussi gros à remarquer qu’une explosion de potion ratée. Elle me sourit une deuxième fois, c'était un sourire ravageur ; puis, elle se rapprocha de moi. Son visage approchait ! Je décidais de ne rien faire, je ne pouvais rien faire. Mes yeux se fermèrent, coupant à mon cerveau ce que j’avais de plus précieux : mon regard. Les couleurs étaient dans ma tête à présent, et elles s’entrechoquaient entre elles, je le voyais ! Je les sentais ! Un contact chaud pulsa sur ma joue, un bref instant, un trop court instant, puis cette écume si douce s’échappa ; laissant derrière elle un déluge de violet étincelant dans mon intérieur. En prenant une inspiration, l’odeur qui s’engouffra dans mes narines me surprit par sa sauvagerie ; c’était un effluve dur, mais tellement sensible. Un éveil des sens qui me coupa la respiration, avec l'odeur de Cyrielle à l’intérieur de mon corps ; je voulais la garder profondément, cette douceur sauvage, l’enfermer dans mon être. Dans ce violet si profond qui pulsait, je vis une trace de blancheur apparaître ; un blanc resplendissant, si pur et immaculé. J’ouvris brusquement les yeux, de peur de m’étaler sur les pierres du château. Personne. Tournant sur moi-même, je ne vis personne. J’avais rêvé éveillée ? J’étais pourtant debout. Ma main monta jusqu’à mon front, écrasant des perles de sueur trop bombées. J’avais rêvé cette fille ? Je continuais de tourner sur moi-même, totalement incrédule. « Cyrielle ? ». Mon timide appel résonna faiblement dans le silence. Aucune réponse. Je devais en parler à Louna. *Oh, Louna…*. Je me pris la tête entre les mains, tentant de trouver une solution. Et pendant que j’essayais de trouver une manière de me rattraper avec Louna, je sentais que l’odeur doucereuse baignait dans mon corps.



J’étais maintenant persuadée que j’avais rêvé, je m’étais sûrement assoupie dans mon attente. Je décalais mon corps pour laisser passer un jeune Poufsouffle pressé. Cette fille à la peau si noire était trop âgée pour que je ne l’aie jamais vue en plus de cinq années ; sa présence sur ma joue était pourtant si réelle. *Impossible*. Je ne l’avais jamais vue, j’étais au moins sûre de ça, sinon j’aurais remarqué sa beauté à des kilomètres.
Immobile, je tentais de retrouver les couleurs fantastiques qui m’avaient bercé ; mais la seule chose que je retrouvais, c’était ce pourpre qui m’avait tant torturé avec Zachary ; le doux violent était introuvable. Sentant une colère profonde revenir comme si elle avait toujours été là, je coupais court à ma contemplation intérieure pour mieux me concentrer sur mon entourage ; je devais regarder l’attente dans les yeux. Regarder cette pierre grise, m’occuper par la futilité. Réciter mes fiches. Faire n’importe quoi pour passer le temps. Passer le temps… Mon regard se posa sur une jeune Poufsouffle qui paraissait indécise, elle regardait autour d’elle d'un air concentré. Alors, je m’occupais à observer ce qu’elle faisait. *Totalement perdue*. Elle paraissait chercher quelque chose, comme si elle avait perdu un objet récemment. *Oh ! Par Merlin !*. Je reconnus sa chevelure, la fille-aux-cheveux-châtains. C’était elle qui m’était rentrée dedans il y a une éternité de cela. J’avais gravé en moi ses cheveux-châtain-sales ; et je me surpris à n’avoir aucune envie de lui reprocher son insouciance. Je n’en avais rien à faire, aucune de mes émotions n'était attachée à elle. Alors, je continuais à observer ses mouvements étranges. Depuis combien de temps étais-je en train d’attendre cette Aelle ?

Ça me revenait, l’urgence de la situation, l’impatience de cette rencontre, l’envie de voir qui était cette personne. Louna n’était pas revenue, et Aelle n’était pas venue tout court. *Pardonne-moi Louna… Merlin, pardon !* gémis-je du plus profond de mon être, ma tristesse revenait, mon vide si lourd ; et ça me serrait le cœur. J’espérais que la Poufsouffle n’était pas trop énervée contre moi, j’espérais tellement qu’elle accepte de me parler demain. *Oui, demain*. Parfois, lorsque j’étais avec elle, je sentais des regards pesants de certaines filles. Vers fin Octobre, une fille était même venue me dire que Louna était dangereuse. Par Merlin, Dangereuse... C’était tellement ridicule, que je me rappellais lui avoir ri au visage. Je connaissais Louna, et elle n’était pas dangereuse, simplement bien plus intéressante que toutes ces cruches. Et cette fille qui m'avait avertie avait plutôt l’air d’être plutôt jalouse que bienveillante ; je n’en étais pas sûre. De toute façon, je n’y comprenais pas grand-chose aux relations.
Mais j'étais au moins sûre que Louna n’avait rien fait pour appeler cette Aelle ; j'espérais ne pas l'avoir blessée. Vraiment. *'faut que j'la ferme parfois*. Alors, je m’avançais vers la Poufsouffle perdue pour lui demander d’aller me chercher Louna. Il fallait que je lui parle.

Où elle est ?

*Pardon ?*. C’était elle qui me demandait ? Mais… C’était moi qui devais lui demander ! « Elle doit… J’sais pas. Elle a les cheveux cha… noir ». Mon cœur s’écroula, comme un balai qui n’avait plus de sortilège pour léviter ; il s’écrasa par terre, mon cœur. J'avais directement compris ; trop directement d'ailleurs. *A…*. C’était ça ? *Aelle…*. C’est ça la Aelle ? *Par toutes les magies existantes !* AELLE ÉTAIT CETTE CHOSE ?!

L’autre grande m’a dit qu’elle était là. Tu l’as vu.

C’était elle. Elle parlait de Louna. C’était horriblement elle. Mon cerveau se lissa, toile blanche ; pas immaculée, pas pure, mais une toile granuleuse uniquement destinée à se faire peindre. Ses cheveux… Ses lèvres… Sa peau… Ses sourcils… C’était impossible. *Impossible*. Par Merlin, je ne pouvais pas croire que cette gosse avait brisé Charlie. *Impossible*. Elle paraissait étrange, c’était vrai, elle avait une tête rêveuse, c’était vrai, elle dégageait un certain charme, c’était vrai ; mais elle était banale. Si banale ! Il existait tellement de filles comme elles ! Partout, partout. N’importe quelle gamine plus ou moins normale pouvait compléter le moindre critère de cette Aelle. Elle leva sa tête, et son regard fonça dans le mien pour le percuter.
*Nom… d’un Sang-de-Bourbe*. Elle avait le même regard que le Jade, un dégoût me révulsa l’estomac instantanément ; mais une telle envie de la prendre dans mes bras me secoua le corps. Cette façon de regarder hautaine, presque défiante. Non… Méprisante. Elles étaient toutes deux méprisantes. Pourtant, ses yeux étaient si sombres. Je m’avançais vers elle. Derrière la gosse, je ne voyais pas l’entrée de la Salle Commune, mais le long couloir. Elle s’était déplacée ?
Je me plantais en face de son corps, à deux mètres pour garder ma distance et me préserver de mon envie de la serrer dans mes bras et de la casser sans le faire exprès. Sans la quitter du regard, je remarquais la baguette qu’elle tenait entre ses mains. Inconsciemment, j’avais déjà posé ma main sur la mienne, dans le revers de ma robe, et je commençais à la sortir.
*Qu’est-ce que j’fais ? T’es juste en face de moi ! QU’EST-CE QUE J’FAIS ?!*. Je n’avais rien préparé, à part une potion cachée dans ma robe. Je ne savais pas quoi dire, ni quoi faire. Son petit corps était juste en face de moi, et ma bouche refusait de s’ouvrir. C’était donc cette fille qui avait touché Charlie ; et je me demandais comment elle avait réussi à faire ça. Le simple fait de les imaginer me donnait envie de vomir. La gosse prénommée Aelle qui se tenant en face de moi paraissait si jeune elle aussi, peut-être en troisième année. Son regard puant la méprise me laissait dans un océan d’indécisions. Je changeais brusquement de pensée. Louna l’avait fait, finalement. *Merci… Beauté*. Elle ne m’en voulait pas. Gargarisée par ce bien-être nouveau, je me reconcentrais sur la gosse.

Elle avait l’air si fragile, serrant sa baguette comme si elle était en danger. Mon cerveau se remettait en fonction, la magie coulait dans mes veines ; je la sentais puissante, dévastatrice. Ma propre baguette à la main, je compris que Louna lui avait menti ; je devinais qu’elle lui avait promis Charlie. Peut-être était-ce la seule façon de pouvoir la sortir ? *Aelle…*. C’était étrange. Plus je la regardais et plus je sentais que ma vision changeait ; comme si elle s’inversait. Et si c’était Charlie qui avait tout commencé ? Et si c’était cette Aelle qui souffrait le plus ? Son regard était difficile à supporter, comme celui de Charlie, et je n’avais jamais rencontré de gosses aux yeux aussi instables que les leurs. *Impossible*. Alors, pourquoi était-elle sortie avec sa baguette à la main, comme pour se défendre ? Charlie. *Par Merlin… J’n’y crois pas*. Si mon amie d'enfance était la cause de son propre malheur, alors, elle était comme moi. Et ça me faisait mal. Mon cœur frappa dans mon être, me faisant reculer d’un pas. Le regard d’Aelle pulsait, il me mettait mal à l’aise. Je n’y comprenais plus rien. Je devais comprendre. Une douleur dans mes yeux s’éveilla.

C’est moi qui t’ai demandée… Aelle.

J’entendis ma propre voix qui sonna ridiculement dans mes oreilles. Redressant mon dos, je repris le contrôle de mon corps ; détachant mon cerveau le plus loin possible de mon enveloppe charnelle. Je devais les dissocier, comme je savais si bien le faire, comme je le faisais tout le temps. J’ouvris la bouche, et je me rendis compte que je ne savais pas quoi dire ; elle se referma. Que dire de plus ? Je l’avais demandée, c’était vrai. Et je l'avais vue, elle était plantée là. Que dire de plus ? *Si !*. Je devais comprendre ce qu’il s’était passé. Je me reconcentrais. Finalement, ce que je croyais comme étant vrai n’était basé que sur quelques lignes d'un parchemin moisi ; que j’avais brûlé. *Non, c'était maman*. J'aurais aimé le faire moi-même ; pour ne pas en vouloir à ma mère de l'avoir fait.
Je durcis mon regard, et je remarquais que la peau d’Aelle n’était pas sale, mais tirée. Comme un vieux parchemin fatigué. Ce n'était pas beau à voir. Réfléchissant à toute vitesse, une pensée éclata pour m’asperger de ses nuances. Je l’avais déjà vue, cette Aelle. Et je me rappelais de tout.

C’est parce que je t’ai repérée au tournoi des quatre maisons, l’année dernière, et malgré ta beauté qui laissait entendre une certaine médiocrité, j’ai été étonnée de découvrir l’inverse. Je voulais donc te proposer d’intégrer mon club d'entraînement, une latence me narguait le cerveau, j’envisageais toutes les possibilités, mais pas assez rapidement pour comprendre tout le système que m'offrait cette gosse. J'étais perturbée. Pourtant, mon corps était dissocié de mon esprit. Rien ne transparaissait sur mon visage.

*Au moins essayer de comprendre si elle se faisait facilement flattée*. Mais surtout comprendre qui elle était, et pourquoi Charlie s’était tant abandonnée pour elle. Ça n’avait aucun sens, par Merlin. Pourquoi elle ?

Tout ça n'avait aucun sens.
Dernière modification par Charlie Rengan le 16 janv. 2020, 01:20, modifié 2 fois.

je suis Là ᚨ

05 févr. 2018, 09:53
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
Aucun rapport avec le battement de mon cœur ; c’était plus un bourdonnement silencieux qui prenait trop de place. Il s’était installé dans mes oreilles et malmenait l’intérieur de mon crâne. Il me donnait envie de me secouer dans tous les sens, de tout faire pour l’évincer. Pourtant je ne faisais rien car la grande perche m’avait enfin remarqué et que j’attendais qu’elle ouvre sa grande bouche pour me dire où se cachait Charlie. 

Charlie.

L’une de mes oreilles se déboucha brutalement.
Je respirais très fort et j’avais chaud. Mes pieds étaient brûlant contre la fraicheur de la pierre et mes orteils étaient d’une moiteur insupportable. Mon corps paraissait gonflé, mon pantalon était désormais une couche désagréable qui empêchait ma peau de respirer.

Et l’Autre fille ne disait rien, elle se contentait de me regarder de son regard trop froid, et de sa tête toute dure, je détestais cela. Je bougeais les pieds, passant le poids de mon corps moite tantôt sur le gauche tantôt sur le droite. Ce mouvement incertain effaçait l’impression que le monde n’était qu’une putain de paralysie insupportable. Ma baguette me démangeait et le souvenir trop récent du soudain afflux de magie dans mon corps me laissait dans un état de béatitude.

L’air qui m’enveloppait était froid. Non pas comme un verre d’eau glacée ou comme la fraîcheur des flocons de neige mais comme l’aigreur d’un ciel sans couleur. Il me prenait aux tripes, s’attachait solidement à mes entrailles pour les secouer dans tous les sens et me les arracher. Mon estomac faisait d’inconfortables bonds, me sautait à la gorge comme s’il voulait s’extirper par ma bouche pour s’éclater par terre. J’avais envie de vomir ; j’avalais difficilement ma salive acide, luttant pour ne pas détourner le regard, pour ne pas manquer une seule nuance de la chose se trouvant face à moi.

Merlin, où était Charlie ? J’avais besoin de la voir maintenant, elle était là, l’Autre me l’avait dit. La Main Mortelle me secoua une nouvelle fois les entrailles et trébucha contre mon estomac ; je caressais mon ventre, tentant d’apaiser les soubresauts de mon traitre de corps. Que m’arrivait-il ?
Oh, elle m’agaçait à me regarder sans répondre ! J’allais abandonner le combat, vérifier une nouvelle fois le couloir afin de débusquer Charlie, mais la Perche s’approcha soudainement. Ce simple pas qu’elle avait fait la grandit et elle m’apparut bientôt bien plus imposante que je ne l’étais.

Je restais les bras ballant, la regardant dans son entièreté, de bas en haut, sans ne rien louper. Puis je m’éloignais, montant légèrement le bras qui tenait ma baguette. Ma conscience s’emballait de tous les côtés, imaginant sans mal la Perche brandir sa propre baguette et moi-même répondre de la même façon. Je laissais un sourir gicler paresseusement sur mes lèvres avant de le laisser mourir. J’aimerai beaucoup qu’elle m’agresse, pour faire sortir cette peur qui n’avait pu être évacuée dans le Flamavo que j’avais lancé à tête du Grand Con.
Mais elle ne fit rien. Il y avait bien un morceau de bois qui dépassait de sa main mais il n’y avait aucun autre danger. Je pouvais le sentir. Il n’y avait rien que j’aimais dans ce corps, seulement une Perche blonde toute plate qui ressemblait à toutes les autres Perches blondes que j’avais vu dans ma vie. Le désintérêt qu’elle m’apportait me frappa soudainement et je me demandais pourquoi  j’avais eu l’idée de lui demander où était Charlie. C’était évident qu’elle n’était pas ici, elle devait se cacher plus loin. Elle voulait me parler, m’avait dit l’autre Toute-Molle, alors évidemment qu’elle n’était pas restée ici, à la merci de cette grande Perche idiote qui ne savait faire autre chose que de rester planter dans son couloir de merde à regarder des enfants.

Oh, qu’elle m'agaçait à rester immobile.

Je grimaçais de dégoût en voyant ses yeux encore posés sur moi. Je reculais d’un nouveau pas, mon esprit me tirant vers l’arrière, comme si un filin d’ivoire me reliait à Charlie et me menait à elle et à ma Libération.
Je ne la quittais pas du regard, cette grande Perche idiote. Je ne la sentais peut-être pas agressive, mais j’étais persuadé qu’elle était de ces personnes qui attaquaient quand l’autre ne regardait pas. *Ouais, comme moi*, et si elle était aussi peu conne que je l’étais, je ne voulais pas lui tourner le dos avant que celle-ci ne le fasse. Je ne la supportais pas et mon regard se fronça un petit peu plus. J’allais exiger qu’elle me dise où était Charlie et j’allais me casser d’ici car la Maison n’avait pas le temps d’attendre qu’une blonde me dissèque de son regard.

« C’est moi qui t’ai demandé… »

Une étrange torpeur me saisit tout à coup ; la douceur dans la voix de la Perche me caressa les oreilles et s’infiltra dans mon crâne. Mes yeux avaient déviés pour se poser sur cette bouche aux lèvres pâles. Puis une étrange sensation s’échappa de la base de ma nuque pour se diffuser dans l’entièreté de mon corps, rendant mes muscles si mous que ma machoire inférieure tomba à la renverse pour expulser tout mon souffle.

« Aelle. »

Je fermais les yeux pour ne pas voir le monde s’écrouler ; c’est pour cela que le bruit hurlait soudainement à mes oreilles, n’est-ce pas ? Parce que le monde tombait à la renverse et que nous allions tous crever. Mais je savais que ce n’était pas cela, alors j’ouvrais grand mes yeux pour tomber sur les perles bleues de la fille qui me regardait comme si j’étais Merlin même.
*Elle me connait*. Pourquoi tous ceux que je ne connaissais pas me connaissaient ? Qui était-elle, par Merlin ? Qui était l’autre Toute-Molle et surtout, que me voulaient-elles ?

Ces questionnements s’évaporèrent à l’instant même où ils touchèrent ma conscience.
C’était simple. Je n’en avais rien à faire.
Je voulais seulement voir Charlie parce que mes épaules étaient lourdes. Je voulais lui hurler, à cette grande blondasse, je voulais lui faire avaler cette compréhension et je voulais la voir s’étouffer avec : putain tu ne les vois pas ? Tu ne vois pas que mes épaules sont au-dessus de moi et qu’elles me font mal ? J’ai envie de m’arracher les os pour ne plus les sentir, j’ai envie de me les extraire pour enfin me sentir légère !

Par Merlin, j’étais trop proche de la Maison-à-Poudlard, j’en étais trop proche et mes épaules me pesaient, elles me tiraient vers l’arrière et me faisaient si mal. Je sentais ses griffes m’arracher mon souffle et serrer mon estomac pour me faire crever, je sentais la pression se lover autour de mon esprit pour l’empêcher de bouger, pour l’emprisonner dans sa fraiche poigne.

Non, ce n’était pas censé se passer comme cela. Je devais trouver Charlie. Charlie, ma clé.

*Vas t’faire voir, moi j’t’ai pas demandé !*.

J’avais retrouvé le contrôle de ma machoire et je voulais que ces mots s’expulsent de moi pour qu’enfin je me libère de son emprise. Pour qu’enfin, j’aille à la recherche de Charlie. Elle était là, si près. J’avais même pas à la reconnaître, elle était là, elle me faisait tourner la tête, elle m’embaumait les sens et moi, moi j’étais ici, face à cette idiote si grande qu’elle ne parvenait pas elle-même à atteindre son pauvre cerveau pour réfléchir.
Mais aucun mot ne put sortir de ma bouche, parce que je n’avais aucun contrôle sur mon corps. Je me rendais compte que j’étais toujours dans la même position, une main crispée autour de ma baguette, l’autre aussi molle qu’un flan. Mes bras étaient lourds. La douleur explosait dans mes épaules à intervalle régulier. Ma bouche ouverte accumulait de la bave tout près de la commissures des lèvres ; elle allait couler si je ne retrouvais pas le contrôle de mon corps. Et surtout, surtout mon souffle brûlant était erratique.
Je m’étouffais peu à peu en moi-même.

Puisque mon corps avait décidé que je n’avais rien à dire, je dû observer, impuissante, la face durcie - *Laisse-moi ! Dégage, par Merlin !* - de la Perche se déchirer pour que s’envole vers moi une nuée délirante de mots :

« C’est parce que je t’ai repérée au tournoi des quatre maisons, l’année dernière. » Grâce à un considérable effort qui me remplit les yeux de larmes brûlantes, je refermais ma machoire et avalais difficilement ma salive. « Et malgré ta beauté qui laissait entendre une certaine médiocrité…, » *quoi ?*, hurla ma conscience. Aveugle à mon déchaînement intérieur, je me concentrais sur la sueur qui s’écoulait de mon front pour libérer mon corps de son emprise. La doucereuse voix de la Perche était une échelle qui me permettait de gravir, certes lentement, les échelons de ma propre libération. « J’ai été étonnée de découvrir l’inverse. »

Un tsunami d’air brûlant investi mes poumons et me déchiqueta le corps. Je me courbais légèrement vers l’avant, soudainement délivrée et enroulais mes bras autour de moi. Merlin, je sentais la Maison m’investir de sa perfide présence et je ne savais même pas pourquoi j’étais là. Combien de temps était passé ?

« Je voulais donc te proposer d’intégrer mon club d’entrainement. »

« Vas t’faire voir, moi je t’ai pas demandé ! » ahanais-je difficilement, cachée par la barrière de mes cheveux.

Mon regard était vrillé sur mes pieds nus, j’essayais de me concentrer, le plus fort possible pour que mon corps ne se paralyse pas une seconde fois. Je fis danser mes orteils sur la pierre et bouger mes bras dans un mouvement frénétique, ma baguette se balançant au bout de l’un d’eux.

Quand je relevais la tête sur la fille, je tombais sur son regard qui n’avait pas changé. C’était une putain de statue. Pourquoi était-elle ici, déjà ? Elle m’avait parlé d’un tournoi, mais je n’avais pas la moindre idée de ce dont il s’agissait. Je n’avais participé à rien du tout, dans cette école. Je n’avais rien à lui offrir et le peu qu’elle m’avait offert m’avait assez accaparé comme cela. L’an dernier était une bouillie d’oubli qui n’avait si peu d’importance que je n’y pensais jamais. Pas une seule seconde depuis juin dernier je n’avais repensé à ma première année à Poudlard. A quoi bon, c’était une année d’une banalité effrayante qui ne m’avait rien apporté si ce n’était une paralysie intérieure dégueulasse à vomir.

« J’sais pas c’que tu dis. Mais… »

Par toutes les vies de Merlin.

Je clignais des yeux pour faire disparaître l’eau qui y résidait. Je tournais sur moi même, m’enfuyant enfin de la prison de glace dans laquelle me maintenait la Perche. Qu’il était bon de ne plus résider sous sa présence. Le corps brinquebalant toujours de mouvements, j’offrais mon regard au couloir plein de tableaux pour ne rien voir d’autre de ce que j’avais déjà vu. Alors je me tournais de l’autre côté et, prenant soin de ne pas regarder l’autre idiote, je fouillais de mes yeux charbons le couloir.

« J’sais pas c’que tu dis, » marmonais-je en la contournant largement, frôlant le mur de mes bras fous.

Mes pieds moites collaient contre la pierre et à chaque fois que je les en arrachais pour faire un pas, un bruit spongieux écoeurant envahissait l’assourdissement de mon corps.

Où était-elle ? Je m’éloignais de quelques pas, attirée par l’armure plus que je ne l’avais été par aucune autre. Son port altier d’acier, sa grandeur pleine de froideur, tout chez elle me parlait avec une telle familiarité que j’en restais pantoise. Mon coeur battait légèrement, beaucoup plus lentement que le mouvement incessant de mes bras. Pourquoi cette statue de fer m’était si familière ?

Je me retournais. Je venais de me rappeler du tournois. Je ne savais même pas que c’en était un. Cela avait été un combat à mort contre une idiote de Serpentard qui avait voulu me blesser. Je m’étais défendu, j’aurai voulu la tuer, la détruire, tout ce qu’il fallait pour lui arracher son sourire. Je me rappelais de son visage ; d’une banalité effrayante.
J’étais morte ce jour-là, parce que cette banalité m’avait vaincue.

Ce que me disait cette grande Perche était une blague si drôle qu’elle ne me faisait même pas rire. Elle s’était éloignée de sa tour bleue pour me dire cela ? Elle se foutait allègrement de ma gueule, la face aussi indéchiffrable que celle de la statue, et j’en avais rien à faire. Parce que Charlie m’attendait derrière une armure bien plus intéressante que la sienne.

« Et quoi ? Va voir l’aut’ Serpentard, moi j’m’en fous. Je veux pas être avec toi, » rajoutais-je après un moment d’hésitation.

Je ne reconnaissais pas ma voix, ni mes mots. Je voulais seulement qu’elle se barre, Merlin, parce que Charlie était là.

La statue de fer était si près, tellement près. Voilà que mon coeur se mettait de nouveau à battre plus que mon propre corps ne bougeait. Voilà que ma conscience était happée, alpaguée par l’armure. Voilà que je me donnais entière à ce bout de ferraille et qu’enfin, la douleur de mes épaules s’éloignait.
Elle était ici.
Tremblante de tout mon corps je m’approchais ; j’avais cessé de bouger, mes bras étaient devenus inertes autour de mon bassin et mes doigts s’étaient accrochés à mon haut noir. Je tremblais. J’aurai pu en pleurer de bonheur et de soulagement.

C’était une grande et belle armure, dont la fraicheur me caressait déjà la peau. Deux fois plus grande que moi, elle m’écrasait de sa taille. Tout était de fer chez elle, absolument tout sauf le gouffre sans fond de son regard. Je la contournais doucement, ne quittant pas des yeux celle qui me noyait. J’allais quitter son immense puits pour tomber dans un trou de lumière émeraude.

Je sentais déjà la Maison s’évincer. Oh, j’étais si soulagé que je frétillais de bonheur. Mes lèvres tremblaient et se déchiraient en une sorte de sourire-grimace hasardeux. Je levais ma main gauche que je posais presque tendrement sur la cuisse de l’armure. La palpitation de mes doigts grincèrent sur la ferraille que ma chaleur réchauffa instantanément. Puis, mon sourire débordant de joie, je sautais derrière le mastodonte pour me retrouver face au vide le plus abominable de tous mes maigres souvenirs.

Rien.
L’alcove dans laquelle devait se cacher Charlie était si vide, tellement vide, que je reculais de quelques pas, bousculant le Géant au passage.
Un émoi étouffant me pris à la gorge ; pourquoi l’endroit était-il vide, je l’avais sentis dans mon corps, dans mon coeur, par Merlin ! Elle devait être là, elle le devait, car j’avais sentis la Maison s’en aller et que cela ne pouvait qu’être le résultat de ma trouvaille. Pas ce putain de vide horrible !

Mon coeur explosa dans ma poitrine ; je décollais mes pieds du sol pour me jeter dans l'alcôve.

« Non ! criais-je en rencontrant le vide. Charlie devait être là ! »

Mais peut-être n’était-ce pas moi qui criait, car je n’entendais rien. Je n’entendais absolument rien, il n’y avait que mes yeux pour palper le vide et mes doigts pour boire l’absence.

Je retournais dans le couloir pour faire face au Géant, le silence m’alpaguant dans sa danse de l’épouvante.

Le souffle me manquait et je crachais plus que ce que j’articulais : « Où est Charlie ? Hein ! »

Je lui hurlais ma rage à la gueule, à ce putain de mastodonte. Il était là, fier dans sa grandeur hein, mais où était Charlie, si elle ne cachait pas en son sein ? Et que faisait-il là, lui, s’il ne cachait rien, par Merlin ? Cela ne voulait rien dire, rien ! La Toute-Molle m’avait-elle mentit ? Si c’était le cas, j’allais lui brûler la tronche. J’allais la tuer et la frapper, la frapper comme j’avais frappé Aodren et Merlin, j’allais me gorger de sa douleur jusqu’à ce que je ne puisse plus rien avaler et que je lui recrache tout à la gueule.

Je m’élançais vers la salle commune avant de me stopper net dans cette paralysie que j’allais finir par vomir par tous les pores de ma peau.

*J’l’avais oublié*. La Perche. Je l’avais oublié. Elle était encore là, et sa tronche était toute floue, comme si ma colère était incapable de l’accepter dans son monde. « C’est moi qui t’ai demandé… »

Sa putain de voix doucereuse !

Mais elle n’avait pas bougé. Ce n’était qu’un déchirement de mes souvenirs que lançait joyeusement au-devant de ma conscience l’évidence que je n’avais pas saisi plus tôt.
Quel rapport avait cette blonde avec l’autre Toute-Molle déjà ? J’avais du mal à comprendre tant la douleur dans ma poitrine était forte. Je sentais mon coeur tomber tout au fond de moi-même, là où même moi je ne pouvais aller le chercher. Il s’écroulait lamentablement et cela était si douloureux. Je n’avais même pas envie de pleurer parce que la douleur était trop profonde, bien trop enfouie dans mes entrailles pour qu’elle agisse sur l’extérieur.
Oh, doux Merlin, pourquoi mon coeur me faisait-il si mal ?

« Pourquoi…, » soufflais-je d’une voix ridiculement faible en m’approchant de la Perche. « Putain, pourquoi elle m’a dit qu’Charlie était là ? Et pourquoi c’est toi qu’est là, j’sais même pas qui t’es, je me fous de... J’voulais juste… Et l'armure... »

Et mon coeur, tout au fond de moi, m’était si douloureux que sortaient de ma cave béante les pensées qui auraient dues rester cachées à jamais.

J’avais si mal. Je pensais que c’était à cause de Charlie, parce que la joie qui m’avait habité à l’idée de la revoir avait été bouleversante. Oui
Non, ce n’était pas Charlie. C’était seulement la Maison qui me tuait lentement, lentement. J’en avais jamais rien eu à foutre de Charlie. C’était seulement la Maison qui revenait douloureusement. Elle revenait.

« Tu la vois, toi aussi ? » chuchotais-je tout doucement en m’approchant de la Perche, serrant entre mes mains mes épaules qui me caressaient de leur douleur.

Mon coeur me faisait mal. Vulgaire jouet aux mains d’une Toute-Molle qui devait se gausser au fond de son dortoir.

11 mars 2018, 05:35
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
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Darcy Crown


Maman me dit que je ne souris plus comme avant, mon sourire est tombé, je l'ai perdu.
Je l'ai perdu parce que j'ai été trop conne pour me laisser faire.

Bout de Parchemin Perdu



Noir. Noire. La couleur des fautes. Celles qui sont Lourdes. Si lourdes et si profondes qu’elles éclaboussent la chair psychique ; à l’intérieur, elles se font un habitat, dans le tréfonds, elles envahissent de leur état. Ces fautes sont noires ; si sombres que l’obscurité s’y perd. Alors que mes mots emplissaient l’air de leur présence, ils s’échouaient sur du Noir. Une montagne Noire ; ou plutôt deux. Deux yeux titanesques porteurs d’une avalanche infinie. C’était si gros, si immobile dans leurs racines béantes, si perturbé dans leur suie dégoulinante. Les yeux de la fille-aux-cheveux-châtains étaient si Noirs. La couleur de la faute. Celle qui fait mal, celle qui est inqualifiable, celle qui n’a pas d’origine, de début ou de fin. *Merlin…*. Ma bouche s’agitait, et son regard s’échappait, barré par ses cheveux sales. Pourtant, il ne pouvait pas m’échapper. Je voyais sa couleur, je voyais sa douleur.
Mes propres paroles ne m’atteignaient pas ; seules mes lèvres s’entrechoquant par moment me rappelaient mon élocution. Et je parlais à la mesure de ce Noir. Si lent, si… Méprisant. Une frustration sauvage gonflait dans ma poitrine ; atroce à supporter. Je comprenais beaucoup de choses alors que ma bouche parlait, pendant que ce Noir m’hypnotisait. Pourtant, rien n’était exprimable, rien n’était correct ni simple. Je me noyais dans la boue de Noir, et cette couleur était unique. Je ne la connaissais pas, alors, je lui attribuais le nom de « Noir » ; à défaut de la qualifier. Cette couleur… Je pouvais la sentir et la ressentir, la laisser parcourir mon corps volontairement, presque la toucher, mais je n’arrivais pas à mettre de nom dessus. De l’erreur ou de l’accomplissement ; je n’en étais plus certaine. Je venais de perdre la présence de la Couleur, seules de longues tiges de cheveux sales me défiaient ; et cette couleur-ci n’avait rien d’intéressant. La fille-aux-cheveux-sales était petite, je venais de le remarquer. Ma bouche se referma dans un dernier souffle.

Un claquement haineux éclata dans l’air ; presque trop long pour être un simple claquement, mais c’était l’effet que je ressentais : un coup de fouet sec, et trop allongé. *Va t’faire voir ?*. La surprise n’atteignit pas le masque de mon visage ; mes traits faciaux étaient dissociés, lointains, ils n’étaient pas moi. Moi, à l’intérieur, j’étais surprise alors que je m’y attendais tellement. Par Merlin, je m’y attendais ! Alors que je voulais si amèrement avoir tort.
Aelle était comme Charlie. Et c’était effrayant de se rendre compte à quel point. Ce Noir. Ce…

Il était planté en moi. Noir. Noire. Elle se plantait dans ma tête avec mépris, son visage tordu dans un rictus de perdition. Elle était perdue, autant que moi face à elle ; qu’elle face à moi. Le malaise que je ressentais devait être le sien. Je n’avais rien à faire ici, en face d’elle ; je ne pouvais rien régler, comment avais-je pu penser le contraire ? L’état de cette enfant résonnait en moi comme une injection d’encre, chaque seconde se gravait ; j’allais me rappeler de ces instants toute mon existence, j’en étais sûre. Dans ce mélange de pression et d’impuissance, je restais plantée là. Debout, stoïque dans mon agitation. J’étais une tortue ; personne ne voyait sous ma carapace, et surtout pas cette fille-aux-cheveux-sales. Deux soleils morts m’éclairaient, et l’attention qu’ils m’accordaient était dérisoire. Ils m’alpaguaient, mais avec flegme. Ils me tenaient, mais sans volonté. Les soleils si Noirs m’accrochaient simplement parce que j’étais là, plantée dans ce couloir. J’étais le choix par défaut, la forme faisant obstacle, le vent qui se balade et qui impose sa présence ; qu’elle soit voulue ou non. Je m’imposais à Aelle et elle n’aimait pas ça, je n’arrivais pas à l’expliquer, mais je le sentais. Les filles de son âge étaient toujours impressionnées par ma présence ; alors que ce Noir me traitait comme un objet : présent, mais pas vivant. Le Noir n’avait aucune empathie. Même avec ma présence, Aelle était seule ; je ne servais à rien, et je continuerais à être inutile si je ne m’adaptais pas. Je commençais à comprendre.
Le Noir pulsa brusquement.

J’sais pas c’que tu dis. Mais…

Aussi vite qu’il pulsa, le Noir s’échappa. Non. Elle. Je clignais des yeux ; ils me brûlaient. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas concentrée avec tant de passion. Mes pensées étaient vives, explosives, pendant que mon visage était froid et mort. Je n’étais pas dans mon corps, j’étais loin là-bas, dans mon âme. J’observais avec détachement la jeune fille se déplacer, alors qu’elle seule comptait en cet instant. Elle était importante, le point d’intérêt le plus fort de cet instant, pourtant, je pouvais me détourner à n’importe quel instant pour m’en aller, et la rendre insignifiante. J’étais une demiguise parfaite, je me confondais dans les soleils si Sombres qui faisaient leur révolution autour de moi ; les soleils tournaient, mais je n’étais pas dans mon corps. Tout allait si vite dans ma tête, pourtant, j’observais avec une lenteur effroyable ; le monde devenait plus grave, les couleurs s’étouffaient, ou se faisaient étouffer, je n’en étais pas certaine. L’injection de la gravité se mouvait dans mes synapses, si profondément. Si durement.
Je me rendis compte des lunettes sur mon visage, elles étaient belles, je les aimais. Et les soleils me tournaient toujours autour, brisant l’ordre naturel des choses ; j’étais de plus en plus mal à l’aise, mais je ne bougeais pas d’un seul pouce. « J’sais pas c’que tu dis ».

Elle disparut de mon champ de vision, mais pas de ma sensibilité. Ma baguette se serra plus fort entre mes doigts noueux. Je pouvais sentir le déplacement trop lent des soleils révolus. Ils se déplaçaient comme des chimères, bloqués entre l’attention et l’inattention, entre moi et eux ; elle et moi. Le vide en moi était à moitié plein, j’étais moi aussi au Milieu. J’étais avec Aelle, et ailleurs. Je l’imitais, je rentrais dans son comportement pour mieux comprendre qui elle était. Elle était insensible ; voilà ce que j’avais compris avec certitude.
Ma poitrine se gonfla aussi soudainement que lentement, les particules d’air s’engouffrant par milliards dans le précipice de mon corps trop détaché. Une insensibilité si forte à cet âge me rappelait Charlie, d’une certaine manière. Cet été, le temps passé avec elle m’avait permis d’utiliser mon esprit de corrélation ; au moins, j’avais compris que l’insensibilité était due à un instant dans le temps. Cet instant avait happé toute la sensibilité de Charlie, toute son essence et sa force ; cet instant avait dû être autant atroce que parfait pour elle. Tout comme Aelle, sa sensibilité était restée dans un instant du temps. Mes poumons piquaient. Corrélation. Plus les instants présents s’écoulaient, et plus je sentais Charlie en Aelle. Je comprenais, et beaucoup trop bien pour une fois. Aelle n’avait rien fait à Charlie ; tout comme Charlie n’avait rien fait à Aelle. C’était bien plus profond : elles avaient perdu leur sensibilité toutes deux, ensemble, et au même instant de temps. Mes poumons piquaient un peu moins.

La magie d'Aelle était agitée, je sentais son chaos vibrant ; tout comme j’entendais la mollesse de ses pieds nus contre la roche. Des suçons contre la pierre, un contact qui n’avait rien de délicat ; cette fille était une brute, mais pas autant que Charlie. Elles étaient si différentes dans leur ressemblance.

Je fis pivoter mon corps, répondant à un appel inconscient, une nécessité d’observer la fille-aux-cheveux-sales. Sa chevelure était brouillonne, disgracieuse, et elle comptait voir Charlie dans cet état. Un sale état. Bien loin d’être présentable, bien loin d’être un jeu. Aelle ne faisait pas semblant. Le châtain voleta et laissa la place au Noir, aux soleils rayonnants de mots qui s’écrasèrent contre ma tête. J’écoutais, j’entendais, mais je ne répondais pas. C’était des mots insignifiants, vides ; des mots qui étaient loin d’être ce qu’Aelle était.
Et le tourbillon monochrome s’anima à nouveau ; une animation qui irisait ce tourbillon plein d’aspérités et de nuances dans sa brutalité. L’amas de violence s’éloigna, acceptant sa laideur magnifique, sa singularité innommable et sa capacité à me couper le souffle. Mes pensées bifurquèrent fougueusement avec la distorsion du cyclone sur l’argent d’une armure ; un miroir outrageant, des reflets caricaturés, presque crispés. Le cyclone s’agitait dans mes pensées.
Charlie. Je l’aimais beaucoup, mais elle était prévisible, trop enfantine, trop marquée ; elle n’avait jamais eu de chance, à l’exception de son corps. Son corps qui était bien plus un acharnement de la malchance qu’une façade plaisante. Trop de problèmes prévisibles. La seule incertitude chez elle restait le temps : cet l’instant est imprévisible, lui, celui où Charlie en aura assez du monde. J’essayerais de l’aider jusqu’à la fin ; pourtant, il restait ce profond sentiment en moi qui me persuadait de mon incompréhension éternelle envers la fille au regard de jade. Elle cachait des choses que je n’avais même pas envie de découvrir, comme si ses secrets m’étaient inutiles, comme si je savais qu’ils ne changeraient rien à mes sentiments. J’aimais Charlie, mais avec une limite que j’aimais encore plus. Je ne voulais pas mieux comprendre, et je ne pourrais jamais comprendre moins. Par contre, Aelle m’intéressait bien plus ; et j’avais la désagréable sensation que la limite n'était pas encore posée.
Le sursaut des reflets éclipsa ma concentration, évaporée. Battant de mes paupières trop lourdes, j’avais du mal à restituer les couleurs, les odeurs, le frémissement de ma peau. Je baissais la tête sur mes mains, je tremblais. La stupeur me décrocha la mâchoire, et la goulée d’air me trancha la gorge en deux. Ma baguette était tenue fébrilement, pas du tout serrée, mais j’avais une douleur qui pulsait à l’extrémité de tous mes doigts.

Où est Charlie ?

Un déchirement me fendit la tête, me forçant à lever mon visage. Le Noir brûlait. Le Noir était incandescent, et j’avais brutalement envie de pleurer. La douleur derrière mes orbites explosa comme une simple bombabouse et le miasme abject s’injecta dans ma sensibilité. Je sentais son influence grandir, sa puissance m’avaler. Je sentais le monde s’inverser et les nuances me trahir. « Hein ! ». Ma bouche était sa bouche, et ses mots n’étaient pas des mots. Elle me frappait, et je ne méritais pas ça. *Je…*. Qu’est-ce que je méritais ? Rien ! RIEN !
Les couleurs s’enfuyaient, et la fille-aux-cheveux-châtains les suivit. Comme un hurlement, un ralliement atroce. Pour la deuxième fois, mes tremblements m’explosèrent à la conscience, perçant mon rivage à un seul point, de tout son poids, de toute sa hargne.

Le vol des oiseaux de feu ; ou plutôt l’envol de ces tendres. Je sentis les deux flamboyantes, elles traversèrent mon visage impassible, étrange œuvre dans le voisinage du tourbillon fuyant, incandescent. En cet instant, les deux soleils me brûlaient et caressaient mes joues de leur humidité. Deux filins, de nacre étincelant, sous l’influence des rayonnants. Je voyais mon visage avec tant de clarté, et deux fugitifs couraient vers mon menton ; où allaient-ils comme ça ? À quoi servaient-ils ? Ils étaient là, c’était tout ce que je savais. « Pourquoi… Putain, pourquoi elle m’a dit qu’Charlie était… ». De la mélasse brillante. Des nuances fuyantes. Des instants gravés. Aelle revenait. Elle parlait, et je coulais. Dans la façade que j’étais, deux intrus trahissaient ; je ne les écrasais pas, ce n’était pas la peine, ils ne méritaient pas d’intérêt. Aelle parlait, et parlait. J’écoutais, et je l’écoutais. Le miasme ne se calmait pas dans ma tête, et la fille se rapprochait. De ma hauteur, elle était ridiculement petite, mais assez grande, bien plus que Charlie. L'envie de la prendre dans mes bras se raviva.
Mes poumons pulsaient leur douleur et mes pensées me vomissaient leur corrélation. La fille-aux-cheveux-châtains était fragile, ses mains le hurlaient, ses bras le vociféraient, son corps l’agonisait ; tout était une fresque évidente, mais si indéchiffrable. J’avais tout sous les yeux, mais je n’arrivais pas à lire, je ne connaissais pas cette facette du monde, je ne connaissais pas cette nuance.
Charlie était une nuance que je connaissais trop : tellement liée à la réalité, analysant tout, décortiquant ses intérêts, calculant ses envies ; elle était perturbante. Alors qu’Aelle était seule, d’une rêverie troublante, d’un abandon déchirant, d’un ressenti entier ; elle était fascinante. Quand sa bouche qui était la mienne se referma, ses mots étaient les miens ; tout comme j’étais elle en cet instant. Deux filins brillants sur mon visage.

Trois gouttes de ça, murmurais-je d'une voix cassée en brandissant une fiole de Veritaserum du revers de ma robe, et j’te dis où se trouve Charlie.

Mon visage était impassible, je pouvais m’observer de l’extérieur, là où tout est plus douloureux. Je n’étais pas belle avec ces deux traces, alors que je me rendais compte que moi et Aelle pouvions être ces filins.
La fille-aux-cheveux-châtains était une sang-pur, j’en étais presque certaine ; sa façon de n’accorder aucun coup d’œil aux tableaux était caractéristique des sang-purs, même si la situation présente était exceptionnelle et pouvait m’induire en erreur. Peut-être était-ce une née moldue, c’était totalement possible ; et elle serait bien moins intéressante. *Merlin…*. En ce moment, ça n’avait pas d’importance ; j’essayais simplement de m’emplir la tête pour ne pas affronter les Soleils obscurs.
Je ne la regardais pas dans les yeux, loin de là ; mon regard était vissé sur l’armure, là-bas, vestige de reflets sublimes. Je ne voulais pas affronter le Noir ; pas maintenant. Alors, j’attendais, la main levée ; l’autre main serrée autour de ma baguette.

Le noir est la couleur de la faute des fautes. Le rouge n’est qu’une façade du noir, elle n’a jamais été la couleur des fautes. Une façade fébrile qui ne sert qu’à décorer et à énerver les sorciers. Les vraies fautes sont celles qui n’apparaissent pas, et qui ne transparaissent jamais. Ces fautes-là peuvent uniquement se ressentir dans les nuances, peut-être est-ce pour cela que deux filins coulent sans que je le veuille. Ces fautes-là sont noires ; aussi noires que cette Aelle.

Je commençais à comprendre ; la fille-aux-cheveux-châtains agissait comme une adulte : elle voulait aller directement à ce qui l’intéressait, à l’objectif qu’elle s’était donné. *Par Merlin !*. Aelle ne jouait pas, elle était comme Louna, ou Charlie ; ces filles ne jouaient pas. Si semblables dans leur différence.
Et je me rendais compte que, moi aussi, je ne jouais plus.
Dernière modification par Charlie Rengan le 16 janv. 2020, 01:21, modifié 2 fois.

je suis Là ᚨ

17 mars 2018, 13:46
Fuis la Torpeur !  LIBRE 
Foutu jouet. Le monde était une perpétuelle blague ; rempli de grandes qui se jouaient de moi, qui me mentaient pour s'en gausser plus tard, sous la sécurité de leur couette trop lourde. Il y avait la Toute-Molle qui dirigeait et la Statue qui frappait ; cette dernière jouait bien son rôle immobile, brillant de sa face toute pâle et de ces yeux trop bleus. Même les verres qui habillaient son visage ne savaient pas refléter ne serait-ce qu'un rayon, qu'un éclat. Ils étaient aussi immobiles que le corps qui les portait, inexistant, absent. Ou peut-être était-ce moi qui n'était pas là ? Où étais-je si je n'étais pas ici ? Comment pourrais-je voir cette statue si je n'étais pas là ? J'étais foutrement présente, je le savais parce que ma Clé aurait dû être là et que finalement je me retrouvais avec cette grande Perche immobile qui ne signifiait rien pour moi.

Le couloir avait rapetissé. Lui qui était si grand, si long, si plein de secrets, n'était maintenant qu'un couloir obscur sans aucun recoin. Il n'y avait que moi et la Perche Statue. Pas de Charlie, car sans le vouloir, j'avais écouté un de ces idiots d'Autres et je l'avais cru. Quelle idée ! Pourquoi avais-je fait cela ? A quel moment avais-je décidé que trouver Charlie était plus important que de me méfier de ces Autres tueurs ? Je le connaissais, le moment. C'était la Maison, quand elle m'avait envahit, elle m'avait également mis des idées en tête et j'avais décidé de les suivre loyalement ; parce que c'était la seule solution. Je devais me tuer moi-même pour me libérer, même si cela signifiait être le jouet de ces Autres Immondes. Après, lorsque je serais libre, je reviendrais pour tuer la Toute-Molle et ce sera à mon tour de jouer, je jouerai pour la voir se ramasser par terre. Et tu seras la prochaine, Grande Perche de Statue.

Ma rage devait se dessiner sur mon visage et dans mes yeux. Je les sentais briller de toute leur force car j'étais envahie par une colère qui me faisait mal. Ma jambe tressautait sous moi, comme une vulgaire branche sur un arbre trop fragile pour la supporter. Elle tremblait horriblement, elle me grattait mais je ne pouvais ni bouger, ni enlever mes mains de mes épaules pour gratter ma peau enfermée dans ce pantalon. Je ne savais que vriller de mes yeux noirs cette statue toute floue. Je ne la voyais même pas ; je regardai le couloir derrière elle. Il se dessinait comme si elle n'était pas là, comme si je pouvais voir au travers de son corps sans que cela ne paraisse étrange. Après tout, peut-être était-ce elle qui n'était pas là.

Si je le décidais maintenant, je pouvais détacher l'une de mes mains et la poser sur ma jambe tremblante. Je pouvais déchirer ma peau cachée de mes ongles sales pour attraper le tremblement et le briser de mes doigts frêles. Ouais, je pouvais faire cela, je pouvais faire cela et hurler à la Statue qu'elle allait bientôt mourir pour avoir joué avec moi !

Tu joues avec moi ! Tu joues avec moi !

Oh Merlin, elle se tenait face à moi avec ses yeux trop bleus et trop rouges. Elle ne bougeait pas mais je la voyais respirer, je la regardais écouter mon souffle bruyant, presque erratique, sortir de ma bouche pour frapper le vide. Peut-être voyait-elle sur mon visage tordu la rage qui lui dirait de s'en aller en courant. Je voulais me gratter et je voulais la frapper. Cela aurait été facile, les deux étaient liés. Je pouvais me libérer maintenant, lui sauter au visage pour me sentir mieux et pour faire vivre le tremblement de ma jambe. Ouais, je pouvais faire cela.

Mais je ne parvenais pas à bouger ; ni même à penser clairement. Je ne pouvais que rester là, à regarder, à subir le regard de l'autre. Elle m'avait immobilisé ! La Statue était une gangrène qui m'avait atteint, je ne pouvais plus faire un geste car elle avait décidé que je ne pourrais plus en faire. Elle jouait, encore. Et moi j'étais son jouet, encore. J'avais dorénavant la certitude qu'elle et la Toute-Molle était soit une même personne, soit liées pour se jouer de moi. Et j'avais cru que Charlie était là. Mais elle ne l'était pas.

Un combat se jouait dans mon corps, mais je n'en avais pas conscience. J'étais dans mes yeux qui voyaient la Statue avec ses horribles verres qui ne reflétaient pas. Elle était tout près de moi. Je n'avais qu'à lever le bras. LEVER LE BRAS ! *Merlin, j'peux rien faire !*.

Plutôt mourir qu'être ton jouet !

Je voulais mourir, là, maintenant, plutôt que de me laisser faire. Peu importe Charlie, peu importe la Maison ! Je voulais mourir plutôt que de rester passive, éternel jouet aux mains des Autres. C'était fini ! Fini depuis tant de temps, pourquoi me laissais-je faire aujourd'hui alors que je rêvais d'être libre ? Pourquoi ne pouvais-je tout simplement pas lever la main pour frapper la fille, elle n'avait aucune importance. J'étais libre, finalement. Charlie ne servait à rien et la Maison était loin. Au moins pour un an, j'étais libre, n'est-ce pas ? Je n'avais pas besoin de cette quête idiote.

Mes mains retombèrent le long de mon corps, libérant ma cage thoracique, libérant mon souffle et mon visage crispé. J'étais pleine de sueur et mes cheveux retombaient devant mes yeux, j'étais pleine de mouvements alors que l'Autre n'était qu'une statue sans nom. J'étais libre. Le monde m'apparaissait clairement : le couloir, les tableaux, les armures, l'entrée de la salle commune, la Perche. Tout cela était la vie, seulement la vie que je pouvais contrôler à ma guise. Pourquoi restais-je enfermé dans la Maison ? Un sourire tremblant vint côtoyer le reste de rage sur mon visage. Je savais quoi faire : partir, laisser ce couloir derrière moi. Charlie n'avait aucune raison d'exister.

Il y avait encore ce reste de douleur dans mes épaules, comme un tiraillement lointain qui voulait me dire quelque chose mais je décidai de ne pas l'écouter. J'ouvrai la bouche pour prendre une longue respiration brûlante, détendant mes muscles, relâchant ma mâchoire inférieure pour la laisser tomber ; mais dans la libération de mon corps, je sentis grimper le long de mon dos les griffes froides de ce que j'avais oublié. Mon visage perdit son sourire et mes muscles se crispèrent le long de mes os.

Au même instant, la Perche qui toujours avait été une statue se libéra de sa condition : elle bougea. C'était infime, et tout aussi vite elle s'immobilisa dans une nouvelle position. Le couloir avait grandit encore une fois. En même temps que je quittais les perles de l'Autre pour regarder la fiole qu'elle me tendait, je levais ma propre main pour la mener à mon épaule que je serrai nerveusement. Mes yeux hésitèrent un instant entre la fiole et les perles. Ou les perles et la fiole. Ils fouillèrent un instant le couloir, impassible dans leur brillance mais muent par la panique qui faisait fondre la sensation de liberté qui m'avait fait voler. J'étais en train de m'écraser pitoyablement sur le sol.
Une belle fiole trônait dans la main de la Perche. Elle prenait toute la place, je ne voyais que cela. Une belle fiole dans la main de la Perche Statue.

*Pitoyable*.

Non. Je ne pouvais pas. *Non*. Ce n'était pas possible. *Laisse-moi !*. Impossible.

Je ne pouvais pas abandonner ma Clé. Je ne pouvais pas oublier. Je ne pouvais pas quitter ce couloir. Je ne pouvais pas refuser d'être leur jouet. Je savais une chose, une seule chose qui était au cœur de ces impossibilités : goûter à mon Être me privera à jamais de la possibilité de retourner en arrière. J'étais persuadé que j'allais m'enivrer de ma Liberté de mouvement et de mots, que j'allais me droguer de moi-même. Et lorsque je serais drogué de moi, je ne pourrais plus recourir au monde pour me libérer de la Maison. Et le monde était Charlie, et Charlie était cette Perche et cette Perche était la Toute-Molle. Et la Toute-molle était même les deux Grands Cons de ma vie. Si je la frappais maintenant, si je faisais cela, je devrais dire adieu à Charlie et alors la Maison aura gagnée. Gagnée.

Quelle belle fiole. Son verre paraissait solide, plus solide que ce que je semblais être. Lui, il brillait. Il reflétait la couleur des flammes. Et le liquide qu'il protégeait ne reflétait rien, mais se mouvait lentement, hypnotique. Incolore.
Incolore.
Mes yeux s'arrachèrent de la fiole pour atteindre la fille qui était derrière. Pour la première fois, je la regardai avec ma tête et non pas avec mes orbes noires. Je la voyais alors comme ce qu'elle était et j'oubliai la fiole et son liquide incolore, Charlie et son absence, ma rage et mon hurlement. Je voyais comme je voyais avant, il y a un temps peut-être lointain ou peut-être pas. Il y a longtemps que je n'avais vu comme cela. La Perche était une fille. Une cascade de cheveux clairs sur des épaules étroites, une grandeur impressionnante ; elle n'était pas invisible. Elle était là et soudainement, je me sentis petite. Petite sous ses yeux d'un bleu saisissant que ses lunettes, loin d'en ternir la couleur, mettaient en avant. Mon regard fouilla lentement ce regard-là et je remarquai une chose que j'avais manqué : deux crevasses d'eau parcouraient son visage clair. Elle pleurait. Je fronçai les sourcils aussi intensément que je la regardais, ne comprenant ni ce que je voyais ni ce que je croyais comprendre. Elle était là, et elle n'était pas immobile ; son corps bougeait sous sa respiration, sa peau tremblait sous ses larmes et ses yeux brillaient quand je les croisais. Rien n'émanait d'elle et pourtant, pourtant elle me paraissait prête à s'effondrer. Je n'avais aucune idée de la raison pour laquelle ces pensées me traversaient l'esprit. Je ne faisais que la voir.

Je clignai des yeux comme au réveil d'une nuit profonde et je détournai la tête. Elle n'était plus la Perche, mais la Fille-au-véritaserum.

Tout au fond de mon corps s'agita les affres de ma révolte. Je m'éloignai d'un pas vers l'arrière pour regarder la Fille et la fiole. Regarder celle qui jouait. Toute cette scène me parut alors d'une irréalité folle. *Qu'est-c'que j'fous, elle m'apporte rien du tout !*.

Mon rire me fit mal à la bouche mais je le libérai tout de même. Puissant éclat qui franchit la barrière de mon corps, le rire résonna contre la pierre du couloir avant de s'échouer sur le sol quand je refermai la bouche. Il avait été aussi bref que puissant. Je m'étais légèrement penché vers l'avant, comme si je lui donnais l'impulsion pour aller frapper le couloir. Je me redressai en reprenant mon souffle, une main sur mon ventre et l'autre encore sur l'épaule – je le remarquais seulement. Je ne savais pas qui était cette fille, mais elle devait être foutrement futée pour fabriquer du Véritaserum. Car c'est ce qu'elle avait fait, j'en étais certaine ; et Merlin, peu importait que cette potion me soit d'une utilité nulle, j'aurai aimé m'en saisir, ne serait-ce que pour tenir dans ma main cet inestimable objet.

« Trois gouttes de ça ? dis-je d'une voix qui me parut lointaine tant elle était claire. Merlin, tu gaspillerais ça pour ton jeu ? »

Je pouvais encore deviner au fond de ma voix le rire qui avait déjà disparu. La Fille-à-la-fiole était désormais loin d'être Statue et plus loin encore d'être aussi impressionnante que l'avaient crus mes yeux qui voyaient. C'était une fille qui gardait caché dans son ombre la haute et imposante silhouette d'une Toute-Molle agonisante. C'était une fille qui gardait caché au fond de ses perles bleus son rire face au jouet qui lui faisait face.

C'était une fille qui avait ce que je voulais. Que ce soit dans la main ou dans la tête.
Merde, j'allais accepter.

*Quoi ?*

Je me détournai une nouvelle fois d'elle pour m'éloigner. C'était une foutue journée incompréhensible. Je pris appuie contre un mur quelconque, sentant la fatigue me marteler la tête. J'observai un instant, la tête baissée, ma baguette si familière. Je la fis tourner entre mes doigts, caressant le bois doux, frissonnant au picotement que je sentais sous la pulpe de mes doigts.

C'était une chance inestimable. Sans me passionner plus qu'une autre chose, cette potion était une banalité dans le monde de mon Savoir. C'était une chose comme une autre, mais une chose que je voyais pour la première fois de ma vie. Sans ne pouvoir m'en empêcher, je la regardai à nouveau, même cachée dans la main de l'Autre fille je pouvais apercevoir son liquide incolore.
Je ne savais pas qui était cette fille, mais elle savait où était Charlie. Et la pression sur mes épaules me rappelait qu'il y avait urgence. Depuis près de trois mois il y avait urgence. Je n'avais pas pu la trouver. Tyr... Cet espèce d'idiot s'était révélé inutile. Mais une fille capable de faire plus que de se regarder la face dans un miroir pouvait parfaitement savoir où était Charlie.

Ma main tremblait. Je baissai la tête. Elle tremblait, et ma baguette avec. Je fermai les yeux, une demi-seconde, avant de les rouvrir, nourris par l'obscurité qu'ils m'avaient offerts.
Elle. La Maison. Charlie.
Elle. La Maison. Charlie.

« Hm..., fis-je en me décollant du mur pour revenir vers la Fille-à-la-fiole, le regard toujours attiré par la potion. Une preuve. Pourquoi tu saurai où elle se trouve ? »

Je me plantai face à elle, me tordant la nuque pour la regarder dans les yeux. J'affrontai son regard tout bleu qui ressortait sur sa tête toute blanche. Maintenant que c'était à elle de parler, mon esprit se libérait de l'emprise du choix et je commençais, lentement, à ressentir mon corps. La fatigue harassante, la douleur dans mes yeux, la chaleur de mon buste, la fraîcheur sous mes pieds. Sa présence, si proche, qui me donnait des frissons de dégoût. Mon envie, de plus en plus forte, de faire mienne sa potion et son savoir. Ma rage, brûlante, incandescente, absente.