Ouvrir les yeux pour faire quoi ? Je savais très bien quelles erreurs avait pu commettre Carry mais nous étions bien loin d'agissements monstrueux. Elle avait des amis, elle avait parlé à des gens avec qui tout c'était bien passé et j'étais certaine de ne pas être la seule à l'apprécier.

Mais cette conversation tournait en rond et était inutile, à quoi bon parler à quelqu'un qui pense avoir la vérité dans la bouche ? A quoi bon parler à quelqu'un qui disait des mal des autres au moindre mauvais vécu d'une situation précise ? Je mis mes ressentiments de côté et hochait la tête, un léger sourire sans sens s'afficha un instant sur mon visage, peut être simplement pour dire "nous ne sommes pas d'accord, tant pis". Après tout nous ne pouvions rien faire de plus et il aurait été bête de ma part de mettre fin à la conversation alors que celle-ci pouvait bien se terminer.

- Oui, le monde ne tourne pas autour de ces deux là. Si tu laisses de côté des préjugés sur ma personne, car je sais que le fait que je traîne avec Carry laisse penser que je suis comme elle, nous pourrions discuter d'autre chose en rentrant à la salle commune. Il est étrange que nous ne nous parlions que maintenant, en plein février après tout ce temps passé au château !

J'essayais de donner à la conversation un ton plus pacifiste, si Alice l'acceptait nous pourrions parler sinon c'était chose vaine. Peut-être m'aurait-elle plus apprécié si elle n'avait pas su que Carry comptait pour moi, mais qui me rejetait pour mes fréquentations n'obtiendrait rien de moi.

Alice étirait à présent un sourire. Jenny n’était pas rancunière, elle était même plutôt ouverte d’esprit. Pour quelqu’un né d’un parent moldu, cela n’était pas étonnant aux yeux d’Alice. La différence, les opinions divergentes, les mondes que tout oppose... Jenny devait avoir l’habitude d’être au milieu des conflits d’opinion. C’était une bonne chose. Pas son sang moldu, c’était même plutôt désagréable. Non, discuter avec quelqu’un d’ouvert, sans rancune... c’était bien. C’était bienvenue.
Jenny souligna un fait intéressant : les deux fillettes ne s’étaient jamais adressé la parole avant ce jour. Il avait fallu attendre le mois de février ! Rien ne les avait amené à discuter. Cela voulait-il dire qu’elles n’étaient pas destinées à se connaître autrement que de vue ?

« - Il faut dire que tout va très vite dans le château, répondit Alice. Entre les cours et les devoirs, nous n’avons pas toujours de temps à accorder aux nouvelles rencontres. Et puis peut être que nos activités sont différentes ? Cela pourrait expliquer ce... retard. Si tu passes tes temps libres à jouer aux bavboules et moi à étudier, nous ne devons pas nous croiser souvent ailleurs qu’en classe et en salle commune. »

Alice n’imaginait pas du tout cette fille dans un club de joueur de bavboules. Alice l’aurait facilement imaginée amatrice de Quidditch, ou artiste, une plume à la main, un parchemin dans l’autre. Rien qui ne se rapprochait des passions très limitées de la fillette. Décidément, rien ne semblait pouvoir les amener à s’apprivoiser mutuellement.

Les baves-boules ? Qu'étaient les baves-boules ? J'avais du mal à concevoir qu'on puisse appeler un objet avec un mot valise mélangeant deux éléments aussi opposés sans être sorcier. Je compris que ce devait être un jeu ou quelque chose du genre, certainement une passion de sorciers. Mais la jeune fille me jaugeait mal, s’il y avait bien quelqu'un ici qui aimait étudier c'était moi.

Si elle étudiait aussi régulièrement le fait que nous ne nous soyons pas rencontrées était encore plus étrange. À croire que le destin nous poussait à l'éloignement ! Mais je me jouais du destin, je n'étais pas un pantin qui se laissait ballotter le long des flots sans jamais essayer de nager ou de remonter à la surface lorsqu'on lui plongeait la tête sous l'eau. Si le destin ne voulait pas de notre rencontre alors nous en jouerions et deviendrons...amies ? Je craignais que mes envies d'amitié ne soient pas partagées par la jeune fille, si notre seul point commun était Brett nous aurions du mal à sympathiser. Mais tout de même, nous aurions fait un bon groupe d'amis...

- Oui c'est vrai que les cours sont très prenants. Je les trouve passionnants et j'étudie moi-même énormément... Je passe beaucoup de temps dans la bibliothèque, même si je préfère emprunter les livres pour les lires tranquillement en salle commune. Tu as une matière préférée ?

Au fil de leur marche, Alice lançait parfois des regards derrière son épaule. Il ne fallait pas se laisser distraire par leur discussion et continuer à surveiller leurs arrières, les nains-volants pouvaient toujours retrouver leur trace. Prudence est mère de sûreté, comme on dit.
Alors ainsi, Jenny passait aussi du temps à la bibliothèque ? Oui, pourquoi pas. Même si elles ne s’étaient jamais croisées avant. Après tout, la bibliothèque était spacieuse et les rayonnages nombreux. Et puis si elle les emmenait en salle commune, ceci expliquait cela. Alice appréciait passer du temps dans le petit salon mais rien ne valait le calme presque religieux de la bibliothèque. La salle commune était trop souvent animée. Il fallait attendre que tout le monde soit couché pour y apprécier le chant des profondeurs du lac agrémenté par les crépitements de la cheminée.
Alice écoutait sagement Jenny parler, appréciant ce qu’elle entendait. Elle aimait étudier. Parfait, c’était un bon point. Alice n’aimait pas ses camarades tire-au-flanc. Sang-mêlé ou non, au moins elle était studieuse. Alice souriait légèrement en acquiesçant la tête comme pour la féliciter. Oui, c’était très bien. Peut-être pourraient-elle être amener à travailler en binôme ?

« - Une matière préférée ? répéta Alice.

La fillette prit un instant pour réfléchir. Il y en avait tant qu’elle aimait, mais une au point d’en faire sa matière préférée ?

- Eh bien j’aime beaucoup la potion, répondit Alice. Oui, je pense que c’est ma matière préférée. Cette minutie qui nous est demandé me plaît, ce n’est pas un art à la portée du premier imbécile. La botanique aussi me fascine. Et sans parler de la métamorphose ! Là non plus il ne faut pas être abruti pour tirer quelque chose de cette incroyable discipline.

Alice soupira d’extase. Oh oui, la métamorphose... un art si joli et si complexe à la fois. Bon, transformer une allumette en aiguille ce n’est pas forcément la métamorphose la plus intéressante mais le principe, ce contrôle exercé sur les propriétés de chaque chose... c’était grisant.

- Et toi ? Tu as une matière préférée ? »

Finalement nous étions similaires moi et elle. Un goût pour les matières qui demandaient rigueur et application. Pour moi peu importait l'intelligence, toute matière était a porté de n'importe qui aurait une réelle envie de la maîtriser. Un imbécile pourrait comprendre l'art des potions s’il y réfléchissait sincèrement, cela ne m'étonnerait pas du moins.

Tout était question de volonté et de travail. Les fainéants ne seraient jamais amenés à faire de grandes choses car tout avait un prix, souvent celui du travail acharné. J'adorais des cahiers qui faisaient horreurs à d'autres, me délectait des devoirs comme autant d'épreuves à passer. La vie devenait bien plus amusante si on acceptait de la voir comme un jeu... L'aspect ludique que je lui donnais empêchais d'ailleurs qu'on me classa dans la case des élèves les plus sérieux et logiciens. J'étais encore trop insouciante et enfantine pour être de ceux-là.

Quant à ma matière préférée il ne fût pas si dur de me décider, j'avais en tête celles qui m’intéressaient le plus. Mais évidemment la liste n'avait rien d’exhaustif puisque je découvrirais plus tard de nouvelles matières comme les soins aux créatures magiques que j'avais bien hâte de pratiquer.

- J'aime énormément la botanique. Les potions aussi, c'est assez stressant dans le sens où il y a un travail à faire sur soi pour garder son sang froid avec un sablier qui défile. Mais tout de même ce sont mes deux matières préférées, et j'aime aussi le vol même si peu car un esprit sain repose dans un corps sain. La métamorphose c'est assez chouette mais très dur, qu'est-ce qui te plait le plus ? L'idée de métamorphoser ta propre personne ou de métamorphoser d'autres choses ?

Jenny était intéressante, plus qu'elle ne voulait bien le montrer. Sa vision des choses plaisait à Alice. C'était pertinent. Et c’était appréciable de discuter avec quelqu’un qui ne choisissait pas l’apprentissage des Sortilèges ou La Défense contre les Forces du Mal comme matière préférée. Alice en avait assez de tomber sur des imbéciles qui ne se complaisait que dans les sorts, comme si leur monde n'existait que par les sortilèges.
Jenny aimait la botanique. C'était certainement une fille calme, patiente, douce, mesurée. Prendre soin des plantes magiques, c'est tout un art. Un art que peu d'élève maitrise, bien sûr. Alice étira un léger sourire.

« - La botanique, on en parle jamais assez. C'est une jolie discipline, et calme avec ça. J'aimerais beaucoup avoir plus d'heures, d'ailleurs...

Les heures de Sortilèges étaient bien trop nombreuses, contrairement à celles de Botanique. C'était dommage. L'étude de la flore était plus intéressante aux yeux de la fillette. Bien sûr, connaitre les sortilèges qui lui serviraient au quotidien, c'était passionnant, et surtout utile. Mais les sorciers, les jeunes, oubliaient trop souvent l'importance de la nature. Et les plus âgés ne faisaient rien pour arranger cela.
La question que posa Jenny à propos de la métamorphose était intéressante, il fallu quelques instants à Alice pour réfléchir à une réponse. Qu'est-ce qui lui plaisait le plus ? Oh finalement, ce n'était pas si compliqué :

- J'ai pour projet de devenir Animagus. Pour l'instant, vu que nous n'apprenons pas les métamorphoses humaines, je fais avec ce que nous voyons en classe. Mon père est très bon en métamorphose, il a fait ses études à Beaubâtons. Il m’a enseigné la théorie alors j’ai déjà de l’avance, je ne vais pas me plaindre. Après... je dois admettre que tous les types de métamorphoses me passionnent. Transformer une chose en une autre, faire apparaître ou disparaître quelque chose... c’est fantastique.

Alice se tut. Elle en disait beaucoup, peut être trop. Mais la métamorphose était un sujet qui la passionnait, elle pourrait en parler des heures, sans jamais se lasser.
Mais Alice ne voulait pas ennuyer Jenny. Ce n’était vraiment pas ce qu’elle voulait.

- Sans mon père, je ne sais pas si j’apprécierais autant la métamorphose, il faut le reconnaître. Ce sont tes parents qui t’ont inculquées ces choses que tu aimes ? Ou alors c’est un choix personnel ?

Oui la botanique c'était une discipline de patience. Se rendre dans les serres même si je n'avais accès qu'a celles de première année et dans les jardins était une véritable méditation. Se poser devant une plante et la dessiner, j'adorais ça. Grace à un bouquin permettant de reconnaître les plantes en fonction de leurs caractéristiques physiques j'avais déjà identifié près des trois quarts de la serre de première année et j'envisageais de commencer à essayer d'identifier celles qu'on trouvait dans le jardin car en dehors du célèbre saule cogneur je n'en connaissais presque aucune.

C'est vrai que les autres élèves en parlaient peu comparé aux autres matières. Notamment les sortilèges semblaient très appréciés, mais personnellement j'avais trop de difficultés avec cette matière pour l'apprécier autant. J'aimais la théorie, certes il y avait de supers anecdotes autour de chaque sortilège et c'était super mais... ça ne valait pas l'étude des plantes magiques.

Animagus, c'était un projet ambitieux. Il ne m'avait jamais réellement tenté, mais j'admirais ceux qui faisaient le choix de cette voie.

Bon, elle semblait être d'origine sorcière. J'avais déjà eu l’expérience de la haine des sorciers envers ceux qui n'étaient pas comme eux de naissance. Ils n'étaient pas tous comme ça mais mieux valait jouer la carte de la prudence, sans pour autant confondre prudence et mensonge.

- Animagus, c'est un projet honorable ! Bonne chance, il parait que l'apprentissage est très dur. Je ne tiens pas mes goûts de mes parents. Mais mon père travaille au ministère dans le département des créatures magiques ce qui explique que j'ai hâte de les étudier.

Alice l’écoutait attentivement. Elle savait qu’un de ses parents était un sorcier, mais qu’il travaillait au Ministère, Alice l’ignorait. Ce n’était pas non plus une grande surprise, car nombreux étaient les sorciers qui grossissaient les rangs du Ministère de la Magie. Dans le Département des Créatures Magiques ? Ça, c'était intéressant. Les métiers qui avaient un lien de près ou de lien avec les animaux la passionnaient. Exercer auprès d'eux, c'était son vœu le plus cher. Draconologiste, ce serait idéal. Ou Interprète en langue aquatique ? Oh oui, ça aussi ce serait bien...
Jenny aimait les animaux ? Finalement, elles pourraient s'entendre ! Mais il fallait se méfier. En début d'année, malgré un amour commun pour les animaux, Alice avait eu des désaccords avec un garçon. Mais c'était différent : il était susceptible, et c'était un Né-Moldu.

« - Oh oui, moi aussi j'ai grande hâte. Un peu de travail en extérieur, ça nous changera. Tu crois que nous aurons accès à la Forêt Interdite ? Je me demande ce qu'il y a comme créature à l'intérieur. Des licornes, des sombrals... Et peut-être que nous pourrons étudier les êtres de l'eau du Lac Noir ? »

Alice lança un regard à sa camarade, et un sourire. Son coeur battait pour les dragons ET les êtres de l'eau. Elle ne savait pas comment expliquer cette passion qui l'animait. Ces créatures qui vivaient dans les eaux du monde entier étaient si curieux, si mystérieux... si passionnants.

Le langage d'Alice me semblait soutenu, du moins pour son âge. Je me demandais si elle était de "bonne famille" ou du moins de ces familles qui se prennent pour des exemples de famille parfaite et dans lesquelles l'amour n'est pas roi... Sa posture en plus de ça semblait correcte, droite et la nonchalance ne lui semblait pas familière preuve en tout cas qu'elle avait été strictement éduquée ou qu'elle se plaisait à le laisser penser.

L'accès à la forêt interdite me semblait être le saint Graal, il y veillait certainement un nombre de créatures assez fantastique. J'avais entendu dire qu'il y avait même des centaures, ces créatures mythiques avec lesquelles nous pouvions communiquer mais qui préféraient garder leur distances avec nous. Quant aux sombrals et autres équidés magiques j'étais persuadée qu'il y en avait... Les êtres de l'eau eux...ne m'intriguaient pas autant. Du moins je préférais explorer la forêt plutôt que le lac, car ces créatures sous-marines m'inspiraient la peur. L’Atlantide des eaux sombres du lac noir semblait un tombeau d'ici, dans lequel on nous tirerait si on osait s'éloigner un peu trop du bord des rives.

- Je pense oui. Tout comme en botanique on accédera à des serres avec des plantes de plus en plus dangereuses, on étudiera des animaux sauvages et dangereux. Et souvent les trucs dangereux vivent dans la forêt. Tu aimerais étudier les êtres de l'eau ? Moi ils me font peur... en plus sous l'eau même avec un tête-en-bulle on se sent prisonnier, dans les eaux sombres on oublie ou est le haut et ou est le bas et on se perd à tout jamais dans les cités sous marines...

Les filles avaient beaucoup marché. A présent, Alice se sentait presque en sécurité. Bien sûr, il n’y avait pas la protection des murs de pierre de la salle commune, mais de toutes façons elles y seraient bientôt. Le bavardage des fillettes faisait passer le temps plus vite. Et puis la discussion, aussi basique soit-elle, n’était pas désagréable. Jenny semblait être une gentille fille, ses liens avec Harrison n’avaient visiblement pas fait d’elle une harpie. Tant mieux.

La question de Jenny arracha un sourire à Alice, et son avis l’amusa. Il était vrai que les profondeurs marines avaient quelque chose de mystérieux qui pouvait suscité l’angoisse, la peur. C’était précisément pour cela qu’Alice aimait les êtres de l’eau. Pour tout ce qu’ils pouvaient avoir comme secret, et pour tout ce qui était connu d’eux. Alice adorerait pouvoir nager auprès d’eux, ne serait-ce qu’une fois... bon, elle ne savait pas nager, mais ce n’était qu’un détail qui pouvait être réglé.
Cependant, même si Alice ne partageait pas la peur de Jenny pour les fonds marins, elle comprenait. Toute Sang-Mêlé qu'elle était, elle avait certainement entendue de drôle d'histoire de la part d'un de ses Moldus de parent. Oncle Léon disait des choses, aussi. Les autorités moldues apprennent aux gens à craindre les choses qui se cachent dans l'eau, comme les requins, les calmars géants... Alice se prit à penser à celui qui "hantait" le Lac Noir. Qui pourrait craindre cette grosse boule de tentacules ?

« - Dans les cités sous marines ? répéta Alice avec amusement. Personne ne te demande d'aller aussi bas, enfin. Et puis les sirènes , les merrows et les selkies ne seraient pas très heureux d'avoir une petite sorcière sur leur territoire. Mais tu peux t'asseoir sur les abords du lac sans forcément aller te baigner. C'est ainsi que j'aimerais étudier les Êtres de l'Eau, dans deux années.

Alice s'imaginait déjà ses cours de Soins aux Créatures Magiques. Assise dans l'herbe avec Brett, Aliosus, Orphéa et Irisia, écoutant attentivement le professeur qui leur parlerait des Selkies du Lac Noir. Alice avait hâte.

- Mais tu sais ce qu'on dit, ajouta Alice avec un sourire. Pour vaincre sa peur, il faut la combattre. Alors tu n'as plus qu'à sauter dans le Lac Noir !