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13 mai 2019, 19:26
Sublime dissonance  solo 
7  octobre 2043
Couloir du cinquième étage - Poudlard
3ème année


Sa voix est douce. Elle court sur mon esprit et s’enroule autour de mon coeur. Apprendre est facile, ici. Je n’ai qu’à me laisser porter par la musique de ses mots et par le poids de ma plume. Alors mon parchemin se noircit de signes et d’écritures, de flèches et de traits. Quand je sors de là, j’ai toujours les mains pleines d’encre et la tête dans les nuages.

Bowers annonce la fin du cours, mais je ne me redresse pas. Penchée sur mon parchemin, je recopie la suite de runes qu’elle a inscrite sur le tableau noir. Je les dessine consciencieusement, même si je les connais déjà par coeur. Les élèves écartent leur chaise de leur bureau à grand renfort de bruit ; le vacarme couvre la voix de la femme. Je ne peux m’empêcher de lever les yeux sur elle.

Je frémis en tombant sur la cicatrice qui lui déchire le visage. *J’l’aime pas*. Elle me fait peur, cette trace. Pourtant, toutes les semaines, la même chose se passe : je rentre dans la salle, je me nourris de la voix de la femme, et quand je n’en peux plus je la regarde et sa cicatrice me dégoute. Je déteste que mon bonheur soit ainsi gâché par cette chose que Bowers n’avait pas lors de notre rencontre ; elle était alors bien plus belle.
Mon coeur se gonfle néanmoins de joie. Je crois que si je n’avais pas choisi l’étude des Runes comme un supplément dans mon emploi du temps pour le Savoir, je l’aurai choisi pour Bowers. Il n’y a qu’elle pour me porter ainsi à la seule aide de sa voix.

Lorsque que la plupart des élèves sont partis, je me lève. Distraitement, je range ma plume et mon encre dans ma boite en fer, je roule mon parchemin et fourre le tout dans mon sac. J’attrape mon livre et quitte ma chaise, non sans l’avoir parfaitement rangé sous la table.
Bowers est derrière son bureau, mais je n’ose pas la regarder en sortant de la salle. Je ne supporterais pas de rougir en croisant son regard.

Sac sur l’épaule, je ne regarde personne quand je sors de la salle de classe d’étude des Runes. La Tour Nord n’est certainement pas un lieu fréquenté. Dans le couloir, je vois les mêmes têtes que dans la salle de cours. Je m’éloigne vers l’escalier, l’esprit embrumé par la Connaissance que je viens d’acquérir. Mon but, la bibliothèque, me paraît soudainement bien loin. Dans l’escalier, ma solitude est une vieille amie, mais je peux déjà deviner le brouhaha des couloirs vers lesquels je me dirige. *’Font chier à gueuler…*. Les Autres et leur grande gueule ; rien ne leur enlèvera jamais leur capacité à me fatiguer.

En arrivant au cinquième étage, je saute la dernière marche de l’escalier et me réceptionne fièrement sur mes deux pieds. Quand je lève la tête, un immense couloir apparaît devant moi ; un boulevard plein d’Autres et plein de cris. Ça braille et ça bouscule. *Pas envie*. Lasse, je regarde le manège des Autres qui entrent et qui sortent des salles de classe, qui avancent, qui rient, qui crient, qui jacassent. Je pourrais faire demi-tour, attendre dans la tour, puis revenir lorsque tous seront rentrés en classe ;  *J’veux étudier !*, me lamenté-je en grognant.
Mais les Autres sont vraiment nombreux. Leur bruit me noue l’estomac.
Alors je me détourne et m’apprête à monter les escaliers. Je m’y serais jeté si deux voix ne m’avaient pas simultanément arraché à mon bien-aimé but :

« C’est c’que Zak’ m’a dit, ouais, mais je préfère tout de même vérifier par moi même. » Cette voix vient du couloir et son timbre m’est si connu que mon coeur s’arrache de ma poitrine : *Aodren !*.
Le coeur en branle, je me retourne. J’aperçois la tête pleine de rires de mon frère dans la mélasse des Autres quand d’autres mots m’interpellent, cette fois-ci dans mon dos ; les escaliers :

« Grouille-toi, Nébor ! J’ai pas qu’ça à foutre de v’nir te chercher à la sortie de tes cours débiles ! »

14 mai 2019, 16:30
Sublime dissonance  solo 
Perdue, je me décale et me cache contre le mur. Sur ma droite, mon frère. Je le regarde de tous mes yeux. Il est grand, comme tous les Autres du couloir. Sa voix est grosse et elle file dans les airs ; elle vole jusqu’à atteindre mon coeur qu’elle serre contre elle. *Ao’...*. Le voir me tord le coeur. Ça me coupe la respiration. J’hésite ; alors je ne bouge pas. J’ai envie de le rejoindre, peut-être me parlera-t-il ?
*J’lui dis quoi ?*. Merlin, je n’ai rien à dire ! Mon idiot de coeur s’emballe. Et Aodren ne me voit pas. Non, il ne me voit pas ! Ma gorge se noue quand mon regard se baisse sur sa main. Elle est étroitement nouée avec une autre, noire. Avant même de tomber sur le visage de la fille, je sais qui elle est.
Je jette un regard noir à Quétri-truc. *Veracrasse !*. Je la déteste, cette fille idiote qui a un immense sourire à lui fendre la gueule. Je n’aime ni ses belles dents blanches, ni la couleur chocolat de sa peau, ni même ses courts cheveux sombre. Je n’aime rien chez elle, et j’aime encore moins voir sa main accrochée à celle de mon frère.

Mon visage se tord en une moue agacée. Je renifle par le nez, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit au fait qu’Aodren, si près de moi, ne me calcule pas. Quand il approche son visage de celui du Veracrasse, je veux détourner les yeux, horrifiée. *R’garde !*. Mais une force m’en empêche et, les yeux écarquillés, je vois les lèvres d’Ao’ atterrir sur celles, épaisses, de son Monstre de copine. Un frisson me secoue le corps. « Putain d’merde ! », soufflé-je en baissant la tête, les joues rouges.
Dégueulasse ! Idiot ! Con d’Aodren !

« Eh, Bristyle ! »

*Qu’est-ce qu… ?*
Je tourne la tête à gauche.
Sous mes yeux, un garçon à la peau sombre. Je cligne rapidement des paupières. *Qu’est-c’t’as ?*. Je plonge dans ses billes noires et découvre rapidement sa face d’indien ; ses cheveux épais, son nez rond, ses lèvres sombres. Sa peau a l’air sale ; mon nez se plisse.
Je le reconnais sans effort, ce Gars-sombre. Il est en cours avec moi ; pas en Runes, non, il a l’air trop idiot pour cela. Il me regarde toujours avec ses petits yeux noirs d’abruti. Je ne l’aime pas. A le voir ainsi devant moi, je me fais la réflexion, encore une fois, qu’il a l’air d’être plus de ce qu’il semble être. *’Veut rien dire*.
Il me regarde d’un air froncé. Sa bouche coule vers le bas et ses bras sont serrés contre son corps. Sur la défensive, je me redresse. Mon coeur manque trois battements durant lesquels je me détourne pour regarder vers Ao’. Il est encore là, la bouche collée à celle du Monstre ; cela me rassure.

« J’veux pas t’parl..., » commençé-je à cracher quand, par dessus l’épaule de l’indien, se dessine une tête trop connue.

*Nébor*.
Stupéfaite, je me tais. Je ferme la bouche. Mes yeux, frénétiques, passe du Gars-à-la-peau-sombre au brun qui se tient dans son ombre, puis à la pierre qui habille les murs. Je n’aime guère me tenir face à Nébor. Et là, il est là, avec son indien d’ami. J’avais oublié pourquoi la face de ce mec ne me revenait pas ; ils trainent toujours ensemble, ces deux-là.
Je grimace et tourne la tête vers le couloir, le coeur au bord des lèvres. Mon coeur fait l’idiot, il se balance à droite et à gauche, il essaie de me rendre plus gauche que je ne le suis réellement. En fait, j’ai seulement peur que Léon me parle. Ce qu’il n’a pas fait depuis notre première année, certes. *Idiot*. Mais Nébor a toujours quelque chose de dérangeant à dire.

« Bon, allez, j’ai pas qu’ça à foutre, moi ! » s’exclame l’indien en se tournant vers le brun.

Distraitement, mon regard court sur Léon Nébor. Il a grandi, mais il est toujours plus petit que moi. Ses joues se sont creusées et ses lèvres ne sourient pas. *Il souriait tout l’temps*. C’était un truc qui m’agaçait ; le voir sourire. Mais ce qu’il n’a pas perdu, c’est son air penaud. Il me regarde, les joues rouges et les yeux fuyants, son épaule frôlant celle de son ami. J’ai envie de le secouer pour le faire s’en aller. Allez ! Dégage ! Je ne veux pas te parler, Nébor. *Dégage, p’tain*. Je me tords le cou pour apercevoir Ao’. Le couloir se vide peu à peu ; Merlin, si seulement il pouvait m’apercevoir ! Mais il est perdu quelque part dans le regard de son Veracrasse. *Pff*.

« Eh oh, Bristyle ! » Je me retourne sur l’Idiot à la peau foncée. La seule chose que je remarque, c’est la main de Nébor enroulée autour de son bras. Le retient-il ?

« Quoi ? » beuglé-je en fronçant les sourcils.


Léon Nébor ne m'appartient pas. Ou du moins, pas totalement. Son existence et son histoire jusqu'au 3 janvier 2042 sont la propriété de la Plume de Léon. Je ne m'octroie pas la création de ce Protégé. 
Mais tout ce qu'il se déroule après cette date, toutes ses apparitions, ses relations, ses actions, le moindre de ses souffles m'appartiennent entièrement. Les textes sont de mon fait et ce qu'il s'y déroule également. 
Avec l'accord de la Plume de Léon, bien évidemment.

15 mai 2019, 17:37
Sublime dissonance  solo 
Le gars fait un pas vers moi. Mon coeur s’agite, mais je n’ai pas peur. Je suis bien trop préoccupée pour avoir peur. Elle n’a pas sa place en moi ; actuellement, rien ne l’a si ce n’est Ao’ et mes études.
Je me retiens d’aboyer quand Nébor tire le garçon à lui et lui murmure des mots à l’oreille. L’Autre secoue la tête, parle pour dire des paroles que je n’écoute pas et recule d’un pas :

« Grouille-toi, » dit-il à Léon.

Je soupire et leur tourne le dos. Qu’ils aillent se faire foutre.

« Attends, Aelle ! »

*Ah*.
Je grimace et me retourne : « Quoi, Nébor ? » *Me parle pas, me parle pas, me parle pas*.
Il respire fort et ses yeux bleus me parcourent de haut en bas. Soudain, il fourre ses mains dans les poches de sa robe et se redresse. Derrière lui, l’indien lève les yeux au ciel.

« Désolé pour Gaurang, l’est un peu nerveux, » dit Nébor.

*C’qui, lui ?*. Je comprends, quand ledit Gaurang bouscule le dos du garçon du plat de la main, qu’il s’agit du garçon à la peau sombre. Je hausse les épaules et me détourne, encore. Ao’ n’a pas bougé. Il est entouré d’une bande de Grands qui jacassent et sa main tient toujours celle de la fille.  J’avance dans le couloir, l’esprit vide.

« C'était juste pour savoir, s'écrit soudainement Nebor en s'élançant près de moi, si ça allait d'puis la rentrée ! »

Il se poste devant moi, me cachant la vue Aodren. Soupirant, je plonge mes yeux dans les siens. Une moue me déforme le visage. Le regard de Léon est fuyant ; il ne dit rien, se contente d'essayer de me regarder en face. Ses paroles me dérangent ; encore un qui veut Savoir ce qui ne le concerne pas.

« Pourquoi ça irait pas ? » demandé-je.

Je le regarde droit dans les yeux, de peur de me trahir si je cligne des paupières.

« Euh…, fait-il de sa voix bafouillante, bah tu sais… »

Non, je ne sais pas.
Il se dandine sur ses pieds, regarde Gaurang, désormais derrière moi ; je me retourne également. Adossé contre un mur, il me jette un regard noir. Je fronce les sourcils, un cri au bord des lèvres quand Léon me ramène à lui : « T'occupe pas d’lui ! ». Un dernier regard sombre jeté à l'indien et je me retourne. Je soupire, agacée. *Aodren !*, appelle mon esprit. Le garçon m’agace. Pourquoi Léon décide-t-il de venir me parler maintenant, après plus d’un an ? Avant aujourd’hui, il n’est jamais venu me chercher. Il n’a jamais essayé de se rattraper. Il se contentait d’être Là. Dans les salles de cours, dans la Salle Commune, la Grande Salle ; il est devenu un élément de mon quotidien comme le sont tous les Autres, sans consistance, sans importance. Et aujourd’hui, il se pointe devant moi comme si nous ne nous étions jamais quitté.

« C'était pour le... Pour ton retour à Poudlard, » me dit-il soudainement en s'approchant de moi. Bah alors ?! ai-je envie de lui gueuler, à cet idiot bafouillant. Mais enfin, il retrouve le don de la parole : « Voilà, c'était pour te souhaiter un bon retour. J'espère que ça va. »

Ses yeux sont lourd d'un espoir que je ne comprends pas.

Ouais, et j'ai pas besoin d'toi, allé-je dire. Mais je réalise avant d'ouvrir la bouche je n'en ai pas envie. Alors je ne dis rien.

17 mai 2019, 17:07
Sublime dissonance  solo 
Nébor me lance un dernier regard avant de baisser la tête et de me contourner pour rejoindre Gaurang. Ce dernier le regarde venir à lui et pose sa main sur son épaule. Lui n’hésite pas à me regarder ; il me darde de son regard sombre.
*Pagowk*. Ça y est, je me souviens de son nom. *Pagowk*.
Il entoure l’épaule de Nébor qui ne se retourne pas. Moi, je ne dis rien. Je n’ai rien à dire ; j’aimerais qu’ils s’en aillent pour que je puisse voir Ao’.

« Tu pourrais être un peu gentille, Bristyle ! » me crache Pagowk en détournant et en emmenant Léon loin de moi.

Je n’arrive même pas à être énervé.
Je hausse les épaules. Pagowk et Nébor disparaissent de mon esprit en même temps qu’ils tournent à l’angle du couloir. Je ne bouge pas, l’événement me laisse une impression étrange qui me dérange.

« Ely ?! » m’appelle alors une voix dans mon dos.

Je me retourne si vite que la tête me tourne. Mon coeur manque un battement, et un second, quand je remarque le regard d’Aodren posé sur moi. Il me regarde ébahi, puis un sourire étire ses lèvres et illumine son visage.  Les Autres autour de lui se sont retournés vers moi. Quétrilla me sourit, je crois ; comme si être attachée à la main de mon frère l’obligeait à faire tout comme lui. De l’autre côté d’Ao’, un gars blond et trapu. Ses lèvres forment un rond si parfait qu’il me donne envie de rire ; mais je ne le fais pas, pas devant Jace. L’ami de mon frère aime trop m’embrouiller pour que je me laisse aller avec lui — comme il me l’a prouvé cet été.

« Aelle ! s’exclame-t-il. Tu viens chercher ton frère ? Il est occupé, je crois. »

Il ricane et bouscule Aodren de l’épaule. Ce dernier secoue la tête et ne me lâche pas du regard. Gênée, je baisse les yeux. Les mots quittent mon esprit et ma bouche ; il n’y a que mon coeur pour battre à un rythme hallucinant dans ma poitrine.
Aodren. Quétrilla. Jace.
Ils sont si grands ; j’ai envie de disparaître.
Peut-être qu’Aodren capte ma pensée, car il s’avance soudainement vers moi en tirant son Veracrasse derrière lui. Jace ne tarde pas à les suivre. Je m’éloigne du mur et fais quelques pas hésitants dans leur direction. Je cache mes mains dans mes poches pour ne pas qu’ils les voient trembler.

« C’est sympa de te voir, fait Aodren. Tu sors de cours ? »

En voilà une question conne, mais je ne relève pas. Je croise son regard. Il n’est certainement pas aussi grand que Zakary ou Natanaël, mais je dois courber la nuque pour plonger dans ses perles vertes. Il a tellement changé, ce frère, que ma gorge se noue. Je jette un regard au Veracrasse et m’en détourne aussitôt lorsque je tombe dans ses yeux noir de jais.

« J’vais à la bibliothèque, » répondis-je distraitement, le regard fuyant.

J’attrape ma baguette et, la main cachée dans la poche, je la fais tourner entre mes doigts.

« Pour changer ? » rit mon frère et je lui lance un regard noir. Je n’ai pas le temps de réagir que Quétrilla intervient :

« Laisse-là, Ao’, » dit-elle. Puis, en me souriant : « Tu vas étudier quoi ? »

Une moue s’installe sur mon visage ; *m’parle pas !*. Sa voix est aussi chantante que cet été ; et sa gentillesse tout aussi dégoûtante.

« Tout, » murmuré-je du bout des lèvres en me détournant d’elle.

19 mai 2019, 14:49
Sublime dissonance  solo 
Jace *Brodmeal* éclate de rire ; le son est comme un coup de poignard dans mon coeur, il me fait mal. Je me renfrogne et hausse les épaules.

« J’y vais, » dis-je, le coeur au bord des lèvres.

Je lance un dernier regard à Aodren ; lui ne sourit pas. Il me regarde d’un air perplexe, la bouche ouverte et les sourcils froncés. J’ai envie de le détester, mais je n’arrive qu’à ressentir une tristesse idiote. Je me détourne d’eux ; *retiens-moi*, chante mon esprit. Mais c’est une pensée idiote sur laquelle je ne me penche pas. Je n’ai pas besoin d’Aodren. Je vais étudier ; peut-être trouverai-je la serpentard à la bibliothèque. L’idée me plaît davantage que subir mon con de frère.

Je commence à m’éloigner dans le couloir quand Aodren intervient :

« Attends ! Attends, Aelle. ‘Fais chier ! »

Je me retourne. Il piétine sur place ; sa main a lâché celle du Veracrasse. Je fronce les sourcils, mais ne dit rien. Je n’ai pas envie qu’ils entendent ma voix tremblante. J’ai envie de me barrer de ce couloir.
Sans un mot, je regarde Aodren se tourner vers Jace et lui dire quelque chose que je n’entends pas. Quétrilla me sourit  ; je grimace. Elle semble remarquer ma réticence car elle se détourne. *Tant mieux !*. Puis Aodren dit : « J’vous rejoins en Bota’, OK ? ».

Que fait-il ? Mon coeur s’affole quand il quitte les deux Autres pour venir vers moi à grands pas, le visage sérieux et les lèvres pincées. Derrière lui, Brodmeal et Quétrilla s’éloignent et se fondent dans un groupe d’autres grands. Je ne peux bientôt plus les apercevoir ; Ao’ se poste face à moi.
Je penche la tête, fautive sans l’être. Je peux déjà entendre les reproches qu’il va me faire. Ils seront injustes, comme toujours.
*J’ai rien fait !*
Je le regarde, l’impertinence faisant briller mon regard, une moue déformant mon visage.

« J’ai rien fait, beuglé-je. C’est bon ! »

Surpris, il recule puis un petit rire sort de sa bouche :

« Bah… J’sais bien, » dit-il. *Hein ?* « J’veux rien t’reprocher, calme-toi. Je t’accompagne à la bibliothèque. »

Il me sourit et me contourne pour s'avancer dans le couloir. Il fait quelques pas puis se retourne sur moi : « Bah viens, c’est pas moi qui veux aller là-bas. »

« Pourquoi tu veux v’nir, alors ? »

Ma voix me trahit ; elle flanche et je grimace.
Aodren perd son sourire. Je vois bien qu’il se retient. De quoi, je ne sais pas, mais je sais qu’il se retient. Il revient vers moi lentement.

« Tu veux pas qu’j’vienne ? » me demande-t-il sans détour.

*Il va partir !*

« Si ! m’écrié-je. Si, si, c’est bon. »

Je me précipite vers lui. Mes joues sont rouges et ma main si serrée autour de ma baguette que mes doigts me font mal. C’est le coeur en branle que je passe à côté de mon frère et que je marche dans le couloir, bientôt rejoint par celui-ci. Je prends soin de ne pas frôler son bras. Mon esprit, vide, refuse de penser et la seule chose que je suis capable de faire c’est de regarder mes bottines qui me font avancer et traverser le couloir. Les pas de mon frère à côté de moi, dans ses chaussures de cuir, claquent sur les pavés en un bruit réconfortant. Doucement, je desserre l’étreinte de mes doigts autour de ma baguette.
Nous tournons dans un couloir illuminé par une rangée de grandes fenêtres ; le mur, sur la droite, est habillé d’armures et de tableaux. Quelques Autres marchent devant nous, d’autres nous dépassent ou viennent dans notre direction.

Je sais que mon frère va parler avant même qu’il ne le fasse ; il prend toujours une inspiration profonde avant de le faire, comme si les mots qu’il allait balancer allaient faire mal. Et, comme toujours, je me tends, pas prête à les recevoir.

« Je… Ça va ? »

26 mai 2019, 16:03
Sublime dissonance  solo 
Sa voix est grave, maintenant. Elle roule dans ma tête et dans mon coeur. Je hausse les épaules : « Ouais. »

« Super. »

Je regarde distraitement une armure quand on passe près d’elle. Le silence entre moi et Aodren s’étire et dure jusqu’à ce qu’on ait dépassé le couloir pour en emprunter un autre. Ma respiration hurle à mes oreilles, c’est comme si je ne pouvais entendre qu’elle. Pourtant, je ne voudrais pas être ailleurs ; je suis bien là, dans l’ombre de mon frère, auréolée de son odeur et du regard qu’il pose à intervalle régulier sur moi. Je suis bien, même si mon coeur se serre et se desserre, même si ma respiration s’affole et que le silence me fait mal.

« Le garçon à qui tu parlais, me demande soudainement Ao’ en regardant droit devant lui, c’était pas Nébor ? »

Cette fois-ci je le regarde franchement, me démontant le cou. Une brusque vague de colère me chamboule, mais j’essaie de ne pas être emportée par elle. Je serre la mâchoire et détourne le regard. Je hausse les épaules en réponse.

« C’est cool que tu lui r’parles, » marmonne Aodren d’un air désinvolte.

Je lui jette un regard noir : « J’lui parle pas ! » craché-je sans pouvoir me retenir, voulant secrètement écraser de toutes mes forces sa foutue bouche et ses foutues questions. Comme s’il l’avait compris, il s’arrête et se tourne vers moi les sourcils froncés. Je me fige également sans parvenir à cacher mon visage déchiré par la colère.

« Ah. T’énerves pas, Ely. »

Il me rend mon regard. Ce Grand qui ressemble davantage à un adulte qu’à un enfant ; il n’est plus comme moi. Il me regarde de sa hauteur, avec ses sourcils froncés et son air calme. Depuis quand ne répond-il plus à mes cris ? Depuis quand son visage ne se tord plus de colère, depuis quand ne se vexe-t-il plus ? Perdue, ma rage s’en va et avec elle, mon air froissé.

« Je demande, c’est tout, me fait Aodren. Puis je pense que ce serait une bonne idée de lui parler, c’était ton ami. Non ? »

Il sait très bien que non. Je hausse les épaules et regarde obstinément le tableau qui se trouve derrière lui. Je fais semblant de m’intéresser aux bulles qui sortent du grand chaudron peint, mais en fait il n’a aucun intérêt pour moi. Rien n’a d’intérêt si ce n’est le regard avec lequel m’observe Aodren. Quand je me prends à détailler, encore une fois, les coins poussiéreux de l’oeuvre, je comprends que mon frère ne parlera pas. Agacée par ce petit jeu, je prends une grande respiration ; je sais que sur mon visage se dessinent des émotions que j’aimerai garder cachées au fond de moi. Mais je suis incapable de ne pas être en colère, de ne pas être triste, de ne pas être hors de moi. Je n’ai aucun contrôle sur ce que je suis.

« Ça a jamais été un ami, dis-je du bout des lèvres. Puis on s’parle plus d’puis la première année. J’m’en fous d’lui. » Je sens son regard sceptique de grand frère insupportable ; Merlin, j’ai envie de crier. « J’m’en fous de lui, » répété-je avec insistance, déplaçant mon regard pour le plonger dans le sien.

Le visage d’Aodren est aussi malléable que le mien ; sa bouche se tord. Mais ça me fait une belle veine de le savoir puisque je ne sais pas ce que ça signifie. Finalement, après m’avoir décrypté de la force de ses orbes vertes, il murmure un « Ok » qui ne veut certainement pas dire ok et il s’éloigne dans le couloir, me proposant à mi-mot de continuer notre chemin.

Je le suis à pas lents. Mon coeur s’apaise peu à peu, mais mon agacement, lui, ne me quitte pas. Il n’est pourtant pas aussi véhément que d’habitude. Il faut dire que sous cette couche de colère, je peux aisément deviner ma joie, honteuse, de me trouver avec Ao’ ; elle est assez forte pour me faire oublier ses déboires. J’essaye de me la cacher, de ne pas trop la ressentir. Pourquoi ? *Ao’*. Parce que mon frère est mon frère ; je le connais assez pour savoir que bientôt une envie brutale de le frapper me viendra.

08 juin 2019, 12:43
Sublime dissonance  solo 
A mon plus grand bonheur, Aodren ne dit rien jusqu’à ce que nous arrivions aux escaliers. J’ai pu lever la tête en toute sécurité pour regarder devant moi ou, quand il regardait ailleurs, lui jeter un oeil pour m’assurer qu’il était bien là.
Les mots n’ont pas grande importance.
Moi, je suis bien, là. Dès que les Autres s'évertuent à ouvrir la bouche, le monde se déglingue ; il arrive toujours de sales choses quand ils parlent. Alors que le silence laisse tant de place au profit ; quand il n’est pas question de Savoir, bien entendu. Le fait de marcher silencieusement aux côtés d’Ao’ me donne l’impression d’être à la Maison. Comme si mon frère n’allait pas s’en aller dans quelques minutes, me laissant seule tant en proximité qu’en pensées.
*C’est pas grave*, me dis-je aussitôt. Bien sûr, que ce n’est pas grave. J’ai une vie bien trop remplie pour passer du temps avec mon frère, n’est-ce pas ? La famille, c’est pour les vacances. Ici, à Poudlard, je dois mener des recherches ; sur Zik’, sur Ouagadou, sur Nyakane, la magie — notamment celle que l’on n’apprend pas ici. Le temps que j’offre aux Autres ou aux autres est une perte de temps ; du temps gâché en douleur.
Oui, de toute façon, les gens, ce n’est pas bon pour moi.

Satisfaite de mes pensées, j’entame la descente des escaliers. Aodren soupire alors ; je ne prends pas la peine de me tourner vers lui.

« A quoi tu penses ? » dit-il.
« A rien. »
« Comment ça, à rien ? » me demande-t-il en sautant une marche et en trouvant le moyen de me lancer un regard torve par dessus son sourire.
« Bah j’pense à rien, » marmonné-je, harassant son regard en le mitraillant du mien. Je sens venir le moment où Aodren devient insupportable.
« C’est pas possible. »
« Si, ça l’est, » soupiré-je en atteignant le palier du quatrième étage, juste derrière mon grand idiot de frère qui s’arrête en plein milieu du passage, me forçant à faire de même.

Le flux d’Autres autour de nous se coupe en deux ruisseaux ; l’un nous contourne par la gauche, l’autre par la droite. Je ne peux me décaler ni d’un côté, ni de l’autre. Et Ao’ reste planté là comme un cornichon ébahi ; ne voit-il pas tout ces regards qui me caressent ? Ne voit-il pas tous ces visages qui se tournent vers nous ? Ne ressent-il pas la proximité des Autres comme une caresse glacée ?
Non, pas Ao’.

« C’est pas possible, répète-t-il. Si tu penses à rien, t’es mort. »
« J’le suis p’t-être alors. »

Un Autre bouscule Aodren qui se tord le cou pour le mater et lui sourire. Lui sourire. Alors que l’Autre vient de lui arracher l’épaule ? *Il est complètement con…*.

« Dis pas ça ! me répond Ao’ en se tournant vers moi, laissant s’échouer son sourire à nos pieds. Puis quand on dit qu’on pense à rien, c’est qu’on ne veut pas dire à quoi on pense. » Il me regarde fièrement.

« J’veux pas dire c’que j’pense, » dis-je d’une voix égale en soutenant son regard.

Une pointe de satisfaction me secoue l’estomac : j’ai réussi ! Il allait s'agacer, craner et bouder comme le gosse idiot qu’il é

« Comme tu veux ! » Il me balance son immense sourire à la gueule.

*Quoi ?*
Par Merlin, depuis quand cet homme est-il mon frère ? *Homme ?*. Je pouffe intérieurement de ma propre pensée ; Aodren est un enfant, comme moi. Zak’, ‘Naël, Narym sont des hommes, comme Papa. Mais Ao’, c’est un garçon. C’est clair dans ma tête.

Pourtant, quand je le vois, je doute. Son visage est lumineux, ses yeux papillonnent à droite et à gauche, il sourit à des Autres, en salut certains. Il ne me ressemble plus.

Certes, mais s’il n’est plus comme moi et qu’il n’est pas un homme, pourquoi semble-t-il si absent à nos chamailleries d’antan ? Pourquoi semble-t-il avoir oublié toutes nos querelles, tous nos vilains mots, tous mes sales coups, toute la haine qu’il me portait il n’y a ne serait-ce qu’une année de cela ?

09 juin 2019, 15:22
Sublime dissonance  solo 
L’esprit ailleurs je le suis quand il s’infiltre dans le flux des Autres. Une main sur la rambarde, je descends les marches. Je reste non loin de lui , de peur de le perdre, mais pas trop près de peur de comprendre trop rapidement ce qui le rend bizarre. Il ne m’a encore ni engueulé, ni envoyé me faire voir, ni même insulté. Il n’a pas réagi à ma colère, moins encore à mon absence de colère. *’L’est bizarre*. Comme lorsque j’ai reçu cet hibou *doux* de Zak’. C’est étrange ; déplacé ; dérangeant. Cela ne me plait guère.
Pourtant, je suis incapable de détourner mes yeux de la cape sombre qui recouvre son dos.
Je n’aime pas ne pas comprendre.
Pourtant, je ne peux empêcher mon coeur de faire des sauts immenses dans ma poitrine.
J’ai l’impression que se trame une chose qui ne me plaira guère.
Pourtant, à cet instant, je n’en ai rien à faire.

Quand nous arrivons au deuxième étage, l’air devient respirable : les Autres s’en vont dans les couloirs, se dispersent dans les salles de classe. Nous ne sommes plus très loin de la bibliothèque ; je ne peux m’empêcher de vouloir ralentir, juste un peu, pour profiter de la présence d’Aodren. Pour profiter d’une présence, tout simplement.

« C’est pas trop dur ? » me demande-t-il soudainement.

Il marche lentement, le nez levé vers le plafond et les mains cachées dans les poches de sa cape. Il marche tout près de moi, comme s’il voulait bien montrer que nous étions ensemble. Cela ne me dérange pas.
Il fuit mon regard ; je m’entête à vouloir croiser le sien.

« Tu parles de quoi ? » je réponds à mi-voix.

Aodren prend une grande respiration — encore. Puis il se tourne vers moi sans cesser d’avancer et me sourit ; ce n’est pas un sourire de connivence, l’une de ces grimaces que l’on lance à tout va pour rassurer les autres ou leur dire : c’est ça, parle. Non, c’est un sourire sincère qui gagne ses yeux vert ; un sourire qui me fait du bien et qui me rassure. Même si c’est idiot ; Aodren est mon frère, c’est pas comme s’il était Papa. Je fronce les sourcils ; il passe une main dans sa nuque et se lance :

« Ici, j’veux dire, dit-il en ricanant bêtement. Le retour à Poudlard… » Je dois en faire une sale tête, car Ao’ se tait, me regarde d’un air bouleversé. Peut-être que la glace qui fige mes veines se voit sur mon visage ? Peut-être que la peur qui se déverse dans mon coeur se devine dans mes yeux ? « Je… Je sais que y’a plein de gens qui parle de toi et qui disent tout plein de trucs idiots, s’emballe mon frère en bégayant. Enfin, pas que des trucs idiots puisqu’il y en a qui font que répéter ce qu’il s’est passé avec ton chin… Enfin le chinois et tout, mais d’autres sont vraiment cons… Je sais bien qu’il y a des rumeurs qui circulent comme quoi t’es bizarre et que tu vas encore péter u… »

Le souffle court, je regarde Aodren vomir son discours. Mon coeur bat si fort qu’il doit l’entendre. Sans savoir comment, je trouve la force d’ouvrir la bouche :

« Aodren, arrête… »

« Non, laisse-moi finir ! intervient-il en levant une main vers moi. S’il-te-plait ! Je… Veux juste que tu saches que la dernière fois on était dans l’parc avec Jace et qu’il y a ce gros con de Dimitri Jones, tu sais le Serdaigle qui a failli faire exploser le labo’ de potion ? » Non, je ne sais pas. Absolument pas. J’acquiesce, puisqu’il attend une réponse. « Bah il s’est ramené et quand il m’a reconnu comme étant ton frère il a commencé à ricaner bêtement et à dire : alors Bristyle, pas trop gêné d’être le frère de la Honte de Poudlard ? Alors moi, je n’ai rien dit. Tu comprends, je ne voulais pas m’énerver. Et il a continué en disant : si tu la tiens pas, la gamine, c’est nous qu’on va la t’nir ! Elle a pas intérêt à la ramener et à péter un cable. Là, je me suis énervé, je lui ai dit de se taire s’il voulait pas que je… Enfin, je lui ai dit de se taire. Et il a commencé à dire que t’étais… Enfin que tu étais dérangée et que c’est pas la première fois que tu disjonctais complet... » Mon frère mime des guillemets en levant ses mains autour de sa tête. « Il pensait que tu… »

Je croise les bras sur ma poitrine pour qu’il ne remarque pas combien mon souffle est agité. Ses mots me font mal. Lui s’agite, moi je subis. Il parle, il parle. Il ne s’arrête pas. Et moi, j’essaie de ne pas pleurer, de ne pas me laisser atteindre par les trucs débiles qu’il me dit, mais je n’y parviens pas. Alors je laisse couler mon regard autour de nous, sur les quelques élèves qui nous dépassent, sur les portes de la bibliothèque que j’aperçois tout là-bas, mais rien n’y fait. Sa voix est là, tout autour de moi, il me parle de chose que je sais déjà, il me répète des mots que j’entends tous les jours dans les couloirs, il me rappelle des confrontations qui font mal, des Autres qui me détestent, des Autres qui me jugent. Alors au bout d’un moment, je ne peux plus.
Je ne peux plus respirer.
Je ne peux pas pleurer.
Je ne peux pas arrêter.
Alors je fais la seule chose que je sais faire ; je crie :

« TA GUEULE ! »

12 juin 2019, 15:45
Sublime dissonance  solo 
Mains en l’air, Aodren se tait. Sa gueule est ébahie, ses yeux ronds et ses joues rouges. Il n’essaie même pas de se défendre. Il baisse ses mains, il baisse sa tête et il me regarde par dessus ses cils comme l’enfant qu’il n’est plus.

« Arrête ! » Mon souffle est court, je ne peux même plus le cacher. Mes yeux sont grands ouverts, ma bouche est déchirée en une grimace qui me fait mal. Je regarde Aodren comme je ne l’ai jamais regardé, cherchant le contact avec son regard comme je ne l’ai jamais fait. Merlin, je vais pleurer. « Pourquoi tu m’dis tout ça, Ao’ ? »

Merlin, ma voix geint. Je crois que je suis en train de pleurer.
Et je ne pose pas les bonnes questions. Ce qu’il faut dire c’est : pourquoi ça me fait mal ? Qu’est-ce que j’en ai à faire, moi, si Dimitri Jones le Serdaigle dit des méchancetés sur moi à mon frère ? Qu’est-ce que ça peut bien me faire qu’Aodren me déteste parce qu’on vient l’emmerder par ma faute ? La réponse est : rien. Je m’en fous. Alors si je m’en fous, pourquoi j’ai mal ? Pourquoi je pleure ? Pourquoi je reste là, les bras ballants à chialer devant mon grand-frère-qui-me-déteste qui me regarde comme si j’avais une tête de botruc ?

« Pa… Pardon, Ely, je voulais pas… »

Tu veux rien, Aodren, mais tu fais tout. Tu te plains, tu me fais des reproches, mais tu ne comprends pas. Tu ne comprends rien.
J’ai horreur des larmes que je sens couler sur mes joues. Je déteste les pleurs qui me font hoqueter. Je hais la honte qui me noue le coeur, celle qui me rend minable devant mon frère. Celle qui me rend nulle alors que j’attendais ce moment depuis tant de temps.
Je suis lamentable, par Merlin.

« Non, pleure pas Aelle… Je ne voulais pas te faire pleurer… » Il fait un geste vers moi comme s’il voulait me soutenir. Il s’arrête avant ; mais j’ai eu le temps d’avoir un geste de recul. Il baisse sa main, son visage est bouleversé ; ses yeux sont brillants.
Je n’arrête pas de pleurer. Impossible de m’arrêter. Impossible de gueuler sur lui. De lui reprocher ses moqueries. De lui dire d’aller se faire voir. Je ne peux que me noyer en moi-même et garder ma rage tout au fond de moi.

« Aelle…, » souffle-t-il d’une voix minable.

« C’est bon, je parviens à dire d’une voix secouée. C’est bon, j’vais y aller. »

Et je commence à partir en direction de la bibliothèque, le coeur en peine. Je ne sais même pas pourquoi je pleure. Je sais juste que je me sens lamentable et que je veux disparaître. Oublier que tout le monde se souvient de ce que j’ai fait il y a plus de six mois, oublier qu’on le reproche même à mon frère.

14 juin 2019, 15:33
Sublime dissonance  solo 
Je le vois avant même qu’il n’arrive ; Aodren. Il me dépasse en courant et se poste devant moi. Il accroche mon regard et débite à toute vitesse :

« J’l’ai frappé ! » *Hein ?* « Jones ! Quand il a dit ça, je l’ai frappé. Je lui ai mis mon poing dans l’nez. Je pouvais pas faire autrement. J’étais hors de moi. Et il ricanait bêtement. J’ai pas pu m’en empêcher… »

« Je… Comprends pas…, » soufflé-je inutilement, mes yeux grands ouverts, mon souffle perdu, mes larmes oubliées.

« Je l’ai frappé, me répète Aodren. J’lui explosé l’nez parce qu’il avait mal parlé de toi… Je… Je me retiens depuis l’an dernier face à ce petit con, mais là… J’ai pas pu m’en empêcher et… Pardon, c’est débile de ma part. » Il passe une main derrière sa nuque, ses doigts triturent le bout de ses manches. « C’était con de te répéter tout ça… Mais je voulais seulement… Que tu saches… Que… » *Quoi, par Merlin ?!* « Que j’suis avec toi… »

Avec moi ?
Bouché bée, je le regarde se dépêtrer avec ses mots.
Perdue, je veux me faire croire que je n’ai pas compris. Mais le fait est que j’ai compris et que j’ai envie de rire. Un sourire nerveux vient m’éclairer la bouche, comment la dernière fois dans la salle de bain *pas maint’nant* ; un ricanement tout aussi nerveux arrive du côté d’Aodren.
*Tu…*
Je ne comprends pas ce garçon qui est devant moi. Ce frère, ce sang, ce souvenir.
*... l’as fait…*
Ses mots créent une douce chaleur dans mon ventre. L’une de celle que arrive que peu souvent et dont je ne peux pas me passer.
*... pour moi ?*
Un bien être idiot ; juste parce qu’Aodren a frappé un gars alors que j’aurais pu le faire à sa place ? Où est la Aelle qui aurait gueulé sur son frère pour lui dire qu’elle pouvait se débrouiller seule, qu’elle n’avait pas besoin de lui ? Car si au fond de moi je pense toutes ces choses, je n’ai pas la moindre envie de lui dire. Je n’ai pas la moindre envie de me défendre seule.

Le silence s'épaississant, Aodren rougissant, ma voix me parvient comme dans un brouillard :

« Ok, » dis-je simplement sans oser croiser le regard de mon frère. J’essuie mes larmes discrètement.

*Je t’aime*
Je veux lui dire.
Mais je ne sais pas ce que ça veut dire et je préfère crever que de laisser ma voix dire ça. Alors j’emprisonne ma lèvre entre mes dents, je baisse la tête, je regarde les pieds d’Ao’ en écoutant mon coeur battre à un rythme hallucinant. Il bat si vite, ce coeur, que je l’entends dans mes oreilles.

« Ça te dérange pas ? demande Aodren. Tu m’en veux pas, hein ? »

Ma gorge est nouée. Mon coeur est bien trop gros, il est bien trop chaud. Comment apprend-t-on à gérer ça ? J’ai l’impression qu’au moindre souffle je m’effondrerais en larmes ; mais ces larmes seraient chaudes, bienvenues, heureuses ; ouais, heureuses. Mais je ne veux pas pleurer des larmes heureuses, alors je prends une inspiration profonde pour calmer la douce pulsation de cet énorme coeur plein de chaleur.

« Nan. »

C’est le seul mot que je parviens à dire, mais Aodren semble s’en contenter. Ses épaules se relâchent tout à coup et un sourire énorme vient remplacer son air bouleversé. Lui aussi sent son coeur gonfler ? Je ne sais pas, mais il retrouve sa verve et son entrain. Il reprend la direction de la bibliothèque en jacassant joyeusement sur le monde, la vie, tout. Je ne l’écoute même pas. J’en suis incapable. Incapable de réfléchir, de penser, de parler.
Alors je le laisse me mener.
Je le laisse décider, pour aujourd’hui.
Il décide que je suis bien. Heureuse. C’est bien.

« Voilà, on y est ! » qu’il me dit lorsque l’on est devant la bibliothèque. Je regarde les grandes portes. Je n’ai plus envie d’étudier. Mais je hoche la tête et essaie de sourire ; je grimace et ça aussi ça semble contenter mon frère.

« C’était cool Aelle. Vraiment. On se refait ça ? »

Si je réponds, je n’en ai plus aucun souvenir.
A un moment il est là, l’instant d’après il a disparu.
Je n’ai plus qu’à rentrer dans la bibliothèque, m’installer, étudier. Mais je fais comment, moi, avec mon coeur énorme qui est dans ma poitrine ? Je fais comment, moi, avec ma gorge nouée et mon ventre plein d’une sensation inconnue ? Je fais comment, moi, si je meurs d’envie de courir après Aodren pour
*Pourquoi ?*

- Fin -