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22 août 2019, 11:20
Et toi, tu penses à moi ?  Solo 
Mi février 2044
Couloir — Poudlard
3ème année



« Eh ! C’est l’ancienne de Chu-Jung. C’est Bristyle ! »

La voix me pourfend le coeur. Je m’arrête net. Le couloir se déroule sous mes yeux, long serpent de briques et de pierres. Une cage bien solide qui me force à ne plus bouger, ne plus faire un mouvement, ne rien dire du tout. Mais ce n’est pas tant les murs qui me font cet effet-là que le groupe d’élèves qui est assis contre eux ; des Serpentard, des Gryffondor, des Serdaigle, des Poufsouffle. Aucune tête ne m’est connu, aucun d’eux ne se rappelle à moi. Ils sont trop grands ou peut-être trop petits. Je n’en sais rien. Ils sont trop. Ils sont là — c’est déjà trop.
Je m’arrête, car la voix m’a fait mal.
Cela faisait longtemps.
Les Autres ont arrêté. Avec le temps, ils ont cessé de vouloir m’alpaguer dans les couloirs. Ils ont arrêté de me courir après, de me demander des comptes, de m’insulter, de me sourire, de me regarder. Quoi que ce dernier point n’est pas exactement vrai ; les regards me suivent encore. Parfois, je remarque des têtes qui se tournent sur mon passage, parfois j’entends quelques chuchotements. Mais ce n’est rien comparé au début de l’année, alors j’ai bêtement cru que cela s’était arrêté.

Cela fait un moment que je n’ai pas pensé à Chu-Jung. Tout à coup, il me revient. Le petit garçon chinois. Le Chinois ; ce n’est pas un petit garçon, c’est un étranger, un sorcier, un mage. C’est moi la petite fille. C’est moi que l’on a tiré hors de son château comme une gamine encombrante.
Ma gorge se noue.
Je cligne des yeux pour repousser loin de moi ces souvenirs. Je ne sais pas pourquoi j’y pense maintenant, alors que je fais face à ces idiots qui s’esclaffent. Je ne sais pas pourquoi ma gorge se noue, pourquoi une boule se forme dans mon ventre. Je ne sais pas pourquoi tout à coup je me sens Trop. Ca ne peut pas être à cause de ma journée ; il ne s’y est rien passé de transcendant. J’ai travaillé, j’ai écouté mes cours, j’ai évité les Autres. Là, j’allais en direction de la salle d’étude. Puis je suis arrivé dans ce couloir, la voix s’est élevée et je me suis arrêtée.
Tétanisée. 

« Bah tu fous quoi, Bristyle ? Si t’attends qu’ton chinois revienne, tu vas attendre longtemps ! »

25 août 2019, 12:29
Et toi, tu penses à moi ?  Solo 
« 'Fallait un peu réfléchir avant d' le dégager y'a un an, lance une petite brune. P't être que tu serais un peu plus que rien aujourd'hui ! »

La fille se lève après avoir dit ces mots. C’est une fille comme toutes les autres. Grande, longue, droite, normale. Je fronce les sourcils pour retrouver ma réalité. Je les vois tous là à rire et à me regarder avec leur face ignare. Et je me demande pourquoi je ne bouge pas. Pourquoi je ne pars pas. Ces Autres, je sais ce qu’ils sont. Ils parlent, ils crient, mais ils ne font rien. Je n’ai pas peur d’eux, je peux me défendre, je peux faire ce que je veux.
Mais je n’en ai pas envie. Non, mon coeur tremble et ma gorge est nouée. Et Chu-Jung me hante ; je me souviens de sa voix, de son visage, de ses mots. Merlin, comment puis-je autant me souvenir de lui alors que j’ai déjà du mal à visualiser le visage de Zak ?

Les mots tournent dans ma tête. Avant d'le dégager y'a un an. Je devrais comprendre une chose. Je devrais me rappeler. Y'a un an. Tout à coup, mon cœur flanche : un an ! Nous étions en février. A la moitié du mois de février pour être exact. Comme aujourd’hui. *Un an…* que j'ai insulté Chu-Jung d'idiot.
Mon cœur se serre.
Un an.
Pourquoi ai-je l'impression que cela m'est arrivé hier ?

Je ne dis rien. Je suis incapable de parler. Alors je me retourne et je m’éloigne. Les rires fusent derrière moi. Les paroles aussi, mais je n’entends rien. Je ne veux rien entendre, je ne peux rien entendre. Je quitte le couloir, m’enfonce dans des coursives que je reconnais à peine. Je ne sais pas quand est-ce que je me mets à courir. A un moment, je me rends compte que mon souffle est court et que mes jambes sont douloureuses. Je m’arrête à dans un couloir qui donne sur une cour ; les fenêtres sans vitre percent le mur et l’air frais de l’hiver vient caresser mon visage. Les mains sur les genoux, je cherche à retrouver mon souffle.

Je ne trouve rien du tout.
Ça empire.
La panique envahit mes poumons. Elle les serre entre ses doigts griffus, elle les écrase dans ses paumes. Je ferme les yeux pour ne pas voir la pierre se flouter, pour ne plus voir le monde qui tourne dans tous les sens. Ma respiration est bien trop bruyante ; elle m’envahit les oreilles, je n’entends qu’elle. Mon souffle rauque et gémissant. Mes mains, sur mes genoux, s’enfoncent dans ma robe. Elles fouillent le tissu pour trouver de quoi s’accrocher.


J’ai mal. Je ne sais pas trop où. J’ai mal à la gorge, j’ai mal au ventre, j’ai mal à la tête. Un voile noir m’enferme quelque part, même quand j’ouvre les yeux il fait noir.
Et Chu-Jung reste là avec sa tête de chinois.
Il me regarde.
Je le revois, ses mâchoires serrés, son air colérique. Et son absence de mot. Je le revois quitter la salle, je me revois tétanisée. Je revois Loewy.
Oh Merlin, ils ne veulent pas me quitter ces souvenirs. Ils sont là tout autour de moi et se mélangent dans ma tête. Les paroles de Chu-Jung, celles du Doyen, celles de Loewy. Les mois passés à la maison, Charlie sur son estrade, le retour au Domaine, l’incompréhension, la colère de Papa et Maman, la méchanceté de Naël, la solitude, la solitude qui fait mal, celle qu’on ne choisit pas.
Et les regards. Et les mots. Et ma honte lancinante et ma colère destructrice et ma jalousie brûlante. Et Chu-Jung.
Chu-Jung le privilégié.
Chu-Jung qui a fait son caprice.
Chu-Jung qui n’a rien eu.
Chu-Jung qui a pu participer au tournoi. Qui a pu gagner. Qui a pu côtoyer Charlie. Qui est si fort, si puissant, aimé de tous, si admiré.
Je me suis trompé durant tous ces longs mois. En fait, je ne suis pas du tout lié à lui. Il ne pense pas à moi, il ne sait rien de moi, il n’attend rien de moi. Pour lui, je ne suis qu’une tache dans le paysage parfait de sa vie de petit privilégié. Je suis la seule à sentir un lien qui n’existe pas, la seule à croire que malgré son abandon nous sommes toujours un quelque chose. La seule à croire que je suis un petit peu mieux parce que pendant un instant j’ai été la partenaire de cet idiot.
La seule à être réellement idiote.

Les pleurs arrivent sans que je ne m’y attende. Ils envahissent ma gorge. Recroquevillée sur le sol, j’essaie de diminuer mes sanglots ; je n’arrive à rien. Le monde est noir, mes pleurs douloureux, mes poumons vides de tout air, mon coeur entraîné dans un rythme qu’il peine à suivre. Je m’étouffe dans ma propre douleur, j’ai mal de mes propres pleurs. Je ne suis plus moi. Je ne suis plus moi, je ne peux ni arrêter de chialer ni parvenir à respirer.

Le monde m’a fait sienne. Et moi voilà, dégoulinante de pleurs dans un couloir parce qu’une Autre a collé mon nom avec celui de Chu-Jung dans la même phrase. Parce qu’un an me sépare de ces événements, mais que j’ai l’impression de les avoir vécu hier. Parce que je regrette, par Merlin, mais que rien n’y changera jamais rien. Parce que j’ai envie de confronter Chu-Jung pour lui reprocher de ne pas m’avoir compris, mais que je ne pourrais jamais le faire. Parce que j’aimerais le détester de tout mon coeur, mais que je ne parviens qu’à le jalouser. Parce que j’aimerais être invisible, mais que tous me regardent sans cesse ; ils attendent un faux pas de ma part, ils attendent que je me trompe quelque part. 

Et moi, j'ai envie de me tromper sans regards. Faire mes erreurs dans l'ombre. 

- Fin -