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09 sept. 2019, 19:23
Elle n’avait pas le droit !  Solo 
21 JUIN 2044
Escalier du premier étage, Poudlard

Thalia, 13 ans
2ème année


Je regarde Sky en fronçant les sourcils. Juchée sur l’escalier, deux marches au-dessus de lui, j’ai les bras croisés sur ma poitrine et le regard interrogateur. Le brun m’a arrachée à ma révision. Penchée sur mon livre, à tenter d’oublier que presque tout le monde était parti de Poudlard mais que moi je restais alors que c’était ma dernière envie, je ne l’avais pas entendu arriver. Il avait saisi mon bras et m’avait forcé à relever la tête pour le regarder. Sans même me laisser le temps de l’insulter, mon Ciel Noir m’avait intimé de ranger mes affaires et de le suivre. Hâtivement, j’avais saisi mes parchemins pour les fourrer dans mon sac. Je n’avais rien de mieux à faire. Il n’y a plus de devoirs, plus de cours. Hier, le Poudlard Express est parti, et les Nés-Moldus se sont servis de plumes du Paon Noir pour rentrer chez eux. Mais moi, j’ai dû rester. *Aelle aussi*, tenté-je de me rassurer. Oui, Aelle aussi, et c’est bien le seul point positif. Je ne suis pas toute seule. Mais tout à l’heure, je ne l’ai trouvé ni dans la salle d’études, ni dans la bibliothèque. Alors, en lisant des livres au hasard, j’étais toute seule avec ma rancune contre Papa qui me laisse ici. Finalement, je suis heureuse que Sky soit arrivé. Ses grands yeux verts m’ont arrachée à mes réflexions incessantes. Mais je ne comprends pas pourquoi il prend cet air grave, comme s’il avait une horrible nouvelle à m’annoncer.

« Sky ! C’est quoi ton problème ! » m’exclamé-je en faisant la moue. Il ne dit rien, ça me fait peur. Son regard lâche le mien et j’ai envie de le claquer pour qu’il me regarde de nouveau. Plongeant la main dans la poche de sa robe de sorcier — pourquoi porte-t-il donc une robe de cours alors que nous sommes libres de nous habiller bien plus confortablement ? —, il en sort un morceau de papier. À la couleur du parchemin et aux caractères imprimés, je comprends tout de suite qu’il a arraché ceci à un journal. Lequel ? Peu importe. Avec Emily — encore une qui est partie —, nous nous sommes abonnées à la Gazette pour pouvoir lire ce que Parkinson dit. En fait, c’est seulement la Serdaigle qui s’est abonnée, mais je ne cessais de lui emprunter les journaux. Maintenant qu’elle est repartie, je me demande comment est-ce que je vais faire. Il faudra sans doute que je lise par dessus l’épaule des Autres, chose qui me répugne. D’ailleurs, Emily n’a pas encore initié la communication par parchemin que nous nous sommes inventées ; deux papiers soumis au sortilège protéiforme. Elle doit écrire la première le mot de passe que nous avons défini, ou je brûlerai mon morceau : le même principe qu’avec Shaina. Mais je n’ai toujours pas de nouvelles de la grande blonde.
Ce morceau de journal ne vient pas de la Gazette, j’en suis certaine. Ce n’est ni la même couleur, ni la même police de caractères. Et puis, mon Sky ne lit pas la Gazette, même s’il est abonné à d’autres journaux d’informations. Devant mon air interrogateur, il pince les lèvres.

« C’est un journal « libre ». ‘Fin, pas vraiment d’la résistance, pas comme Altaïr,*d’puis quand il l’appelle par son pseudo* — mais c’est des gens qui disent la vérité., mumure-t-il. » Et alors ? « Tu... tu d’vrais l’lire. »

Et il me le tend, tête basse, évitant toujours de croiser mon regard. Saisissant la feuille de papier aux bords déchirés, je me demande pourquoi mon frère de cœur veut-il à tout prix me faire lire cet article. Je me fous royalement d’un petit journal libre : je lis la Gazette pour connaitre les idioties que dit Parkinson, mais j’ai déjà mon avis personnel, je n’ai pas besoin de celui de petits résistants. Il le sait bien. C’est alors que mon regard tombe sur le titre en gras, au centre du parchemin.

ATTEINTE À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
« L’assassinat de l’auteure sorcière Gaël L. Newen »

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

10 sept. 2019, 19:21
Elle n’avait pas le droit !  Solo 
« Par tous les putains d’mages ! » m’exclamé-je sans même m’en rendre compte.

Mes mains lâchent le parchemin. Sous mes yeux, celui-ci flotte un instant dans l’air, porté par un courant d’air, avant de retomber en tourbillonnant. La feuille se froisse légèrement en tombant au sol, le titre épais ace contre terre, inaccessible pour mon regard. Ma respiration s’accélère soudainement, et j’ouvre grand la bouche sans même savoir pour quoi. Peut-être pour chercher de l’air, ou alors pour hurler quelque chose que je n’arrive pas à dire. Passée cette exclamation qui n’en était pas vraiment une puisque je n’ai même pas consciemment pensé parler, les mots se coincent dans ma gorge. Maintenant que la coupure de journal est à terre, je ne peux pas lire la suite. Je sens que, si je me penche pour la ramasser, je vais m’effondrer par terre. Tremblante, je pose ma main gauche sur le mur à côté de moi ; appuyée contre la pierre, je reprends mon souffle et tente d’apaiser mon cœur qui s’affole. *J’ai dû mal lire !* s’inquiète ma conscience, mais je sais très bien que j’ai parfaitement lu.

Devant moi, Sky fixe toujours ses chaussures d’un air gêné. *D’puis quand il est gêné lui ?*. Il me l'a dit : il ne comprend pas vraiment tout ça, les émotions, ni la gêne ni la haine ni l’amour. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire par là puisqu’il est si proche de moi et que, à mon sens, personne ne comprend vraiment tout cela. C’est Au-Dessus de nous, ça nous contrôle. Je ne comprends pas mes émotions, je ne les maitrise pas, mais ça ne m’empêche pas de les ressentir bien plus fort que tout le monde. Je me souviens avoir piqué une crise à Noël, quand Shaina a dit que j’étais hypersensible. Ça n’a rien à voir, rien du tout. Je suis normale. Seulement, je me concentre si fort sur mon cerveau et sur la Connaissance que, lorsque les émotions débarquent, elles cassent tout sur leur passage. Rien de plus normal !
Le brun, lui, m’a expliqué que les psychologues moldus l’ont diagnostiqué autiste Asperger. Encore un mot que je ne comprends pas. Je connais son sens, bien sûr, je le connaissais même avant de m’y intéresser plus précisément quand Sky m’en a parlé. Ce que je ne comprends pas, c’est le principe de cet autisme si bizarre. Il est vrai que mon frère de cœur a une vision particulière du Monde, tout en logique et en noir et blanc. Il est tout aussi vrai qu’il n’a que peu de relations sociales, et qu’il est parfois étrange. Mais ça ne veut rien dire ! Moi aussi, j’ai une vision du monde différente de la normale, moi aussi, je vois parfois tout en logique (alors les émotions se ramènent pour me faire changer d’avis à la manière dure), moi aussi, je suis étrange et je n’ai presque pas de relations sociales. Ça ne veut rien dire du tout, vraiment. Il a dit qu’il ne ressentait pas les mêmes émotions que moi, mais ça aussi je trouve ça stupide : on ressent tous des choses différentes. Je ne comprends vraiment rien du tout. Et puis, de toute façon, les psys sont stupides et ne comprennent rien ! Et un Moldu ne comprendra jamais un sorcier, aussi. Mes rares expériences avec les psys ont été désastreuses. Mais je sais d’avance que Papa m’obligera à y retourner.
En cet instant, j’ai du mal à comprendre pourquoi Sky parait gêné alors qu’il ne fait jamais cette tête là. Il fixe ses baskets moldues comme s’il voulait les transpercer avec son regard, et il se tord les mains en même temps. Comme s’il comprenait ce qu’il venait de m’annoncer. Comme s’il savait que... *Newen est morte !*. Par Merlin, Newen est morte. Morte assassinée. Je ne sais pas du tout comment, ni par qui, mais le mot assassinée n’arrive qu’à me faire penser à Maman, et mon cœur se serre. Morte assassinée, avec du sang partout et des blessures profondes ? Comment ? Pourquoi ? Il faut que je lise la suite, je le sais, mais je n’arrive pas à me décider à ramasser la feuille.

À la place, je me tourne un peu et fais descendre mon sac de mon épaule. Le passant devant moi, je le saisis et tire dessus pour l’ouvrir rapidement. Fouillant d’une main parmi les objets qui trainent dedans, en passant de mes carnets à des plumes cassées en deux, je finis par écarter un parchemin pour attraper un livre. Je le balade avec moi depuis trois jours. Papa, Shaina et Éole me l’ont envoyé dès sa sortie. Mais, avec les cours, les longues heures passées avec Emily avant son départ, et enfin ma journée que j’ai passée dans la bibliothèque, je n’ai pas encore eu le temps de l’ouvrir. Ou plutôt, je n’ai pas trouvé le Temps propice à son ouverture. Un bouquin comme celui ci, il faut que le moment soit le bon pour me plonger dedans, sinon j’avais bien trop peur de gâcher ma découverte. Peut-être ai-je trop attendu. Dans mes mains, la couverture noire et rouge de Je mourrai en enfer trône royalement. Cette couverture est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas encore ouvert l’œuvre : elle est fascinante. Je ne sais pas pourquoi, mais elle me captive. Dans l’obscurité, un visage se dessine : les contours d’un nez, le haut d’une lèvre, une mèche tombant sur le visage et deux yeux. Deux yeux qui rougeoient. Je n’ai pas tout de suite compris pourquoi, je crois qu’il y a un sort là-dedans, une sorte d’Incendio prisonnier dans la couverture ou quelque chose du genre. Mais quoiqu’il en soit, le regard reflète. Il reflète un mur tagué, comme on en trouve tant dans les villes. Un mur tagué d’un mot dégoulinant de rouge : LIBERTÉ.
Et, en haut de la couverture sombre, quelques petites lettres blanches forment le nom de l’auteur : Gaël L. Newen.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

13 sept. 2019, 21:24
Elle n’avait pas le droit !  Solo 
« J’ouvre les yeux sur du sang qui dégouline. Deux grandes trainées de sang écarlate. Il se tord, semble vivant. À mes côtés, le grand sourire d’un ami imaginaire. Pourquoi sourire devant du sang ?
Du sang qui orne un bras qui était trop noir pour les index blancs. Désormais sanglant.
Mes paupières s’abaissent. Se relèvent.
Du sang ; du vrai sang. Artistique.
Grandes lettres sanglantes. Dernier souffle agonisant. Sang vivant ; sang sorcier.
“Liberty”
Sang liberté.

Sans liberté. »


J’ai ouvert le bouquin à une page et je le referme après avoir parcouru quelques lignes. *C’est d’Newen ça ?*. Ça n’a rien à voir avec le style de Newen, au contraire ! Enfin, ses bouquins, ce sont toujours des phrases alambiquées, poétiques, des réflexions philosophiques derrière les lettres noires, des coupures, des... c’est Newen, c'est tout. Ici, je ne comprends pas. Ça n’a rien à voir avec ce que j’ai déjà lu d’elle. Rien à voir du tout, et pourtant j’ai lu tout ce que j’ai trouvé.

Dans mes mains, le livre se met à chauffer. Une vague brûlante traverse mes mains et je sursaute, le bout des doigts presque cramé. Un instant, je crois à une impression. Choc. Rêve. Puis une flammèche rougeâtre surgit de la couverture ; des yeux rouges, du reflet. Je me racle la gorge, bouche sèche. *Par tous les Mages...*. Newen ne sort jamais de livres magiques. Ils ont parfois une couverture ensorcelée, mais le bouquin en lui-même n’est pas vivant, pas comme certains livres du Dôme à la Maison. Il ne va pas me sauter à la face, ou se battre avec un autre ouvrage. Jamais. Il ne me brûle pas non plus. Et ses feuilles ne s’agitent pas toutes seules dans mes mains. Pas comme là. Qu’est-ce qui est passé par la tête de l’écrivaine ? Pour qu’elle fasse... ça. Un bouquin vivant, un vrai livre magique. J’aime les livres comme cela, mais pas pour Elle. Pas pour la puissance de ses mots : c’est contre-nature. Impossible.
Ma respiration s’accélère, devient hachée. Les feuilles battent toutes seules dans mes mains, dans tous les sens, complètement folles. D’un toucher hésitant, je caresse les flammes qui brillent sur la couverture, au risque de me brûler. Elles sont vivantes, les flammes. Agitées et chatoyantes. Mais elles ne me brûlent plus : elles semblent se coller à mes doigts. Une nouvelle page se tourne, solitaire. Ornée de lettres scintillantes, rougeoyantes. Ce livre qui parle à sa manière me fait flipper.

« Et nos larmes brûlantes torturent nos cœurs rêveurs. »


Mon regard virevolte. Les pages qui se tournent, qui vivent d’elles-mêmes.

« Un rêve d’enfant au goût utopique. »


Mon cœur qui bat trop vite. Un Monstre le bouffe.

« Le ciel est comme une perfection inaccessible. »


Le sourire qui chatouille mes lèvres alors qu’il n’y a rien de drôle. C’est un sourire peureux.

« La peinture sanglante a la couleur des rêves à réaliser. »


Comme si Elle savait déjà tout. Tellement bizarre. Tellement flippant.

« J’ai peur de la vie plus que de la mort. »


Un Nœud dans mon ventre. La peur qui dégouline.

« On ne reconnait la Beauté qu’après qu’elle se soit enfuie. »


Qu’est-ce qu’Elle veut dire ?

« Et si la Mort était la dernière porte pour accéder à la Liberté ?


J’aurais dû le lire plus tôt. Oh par Morgane, j’aurais dû le lire plus tôt, j’aurais dû comprendre, j’aurais pu comprendre.
Mon palpitant affolé.

« Il aurait voulu voler jusqu’à la lune, mais on lui avait appris qu’il n’était bon qu’à se brûler les ailes. »


Ses mots n’ont plus du tout la même saveur. Ils sont désagréables. Magnifiques. Horriblement désagréables.
Comme s’ils étaient Annonciateurs.

« Elle rêvait d’un idéal pendant que d’autres s’évertuaient à le construire. »


Mes mains tremblent et les flammes du bouquin me lèchent la peau.

« Il y a ceux qui disent qu’ils sont malheureux et ceux qui vont peindre leur peine sur les murs du Monde. »


Ce n’est pas du tout Newen. Mon cœur ne se serre jamais autant quand je la lis, elle.

« Ces doigts qui s’improvisent Juges. »


Ou peut-être que, justement, c’est bien elle.

« On peut cracher sur la différence ou décider d’abolir les frontières. »


En fait, il y a un peu de son style dans ces mots-là.

« Parfois, pour être entendu, il faut juste disparaitre. »


Mes pensées qui se bousculent et frappent contre mon crâne, de plus en plus fort.

« Le sang sait se faire entendre. »


Non !

« Juste la Liberté qui chatouille mes lèvres. »


Les lettres cessent de scintiller, les pages cessent de se tourner. Seule trace de la Magie, il y a la chaleur qui envahit mes doigts.
Elle me laisse avec cette dernière Page, cette dernière Phrase, alors que je n’ai même pas lu tout le reste — 129, est-il écrit au coin de la feuille. Le plus court livre de Newen. Le plus fort ? Mon cœur qui s’affole et mes yeux qui me brûlent. *J’veux pas !*. Le journal git à terre, abandonné.

Sky me regarde sans rien dire.
Je le regarde sans rien dire non plus.
*Ok*.

Je saisis le journal et prend une grande inspiration malgré mes poumons comprimés.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]