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13 sept. 2019, 17:17
Montre-moi  SOLO 
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Thalia, 12 ans


Jeudi 8 octobre 2043, 16h35
Second couloir du 3ème étage
Seconde année


« J’t’ai vu avec ta black. »

Mes lèvres se retroussent dans une grimace hargneuse. Les yeux de cette fille parlent pour elle, je l’ai toujours su et cette pauvre meuf l’a oublié. Juste une fraction de seconde, mais c’est déjà beaucoup trop ; elle l’a oublié, et son regard a causé à sa place. Gris tourmenté. Dans l’obscurité de ses pupilles, j’ai vu et su ce qu’elle voulait faire avant même qu’elle ne le sache. Cette simple pensée étire des lèvres invisibles à l’intérieur de mon esprit pour former un drôle de sourire : je suis toute puissante devant cette grande fille qui me révèle ses pensées avant même qu’elles ne se forment. En l’occurrence, ses yeux trop plissés et trop sombres hurlent qu’elle m’en veut, qu’elle m’en veut beaucoup trop. Peut-être même qu’elle voulait crier, me frapper, ou simplement tourner les talons, me montrer son misérable cul et partir comme la pauvre fille qu’elle était. Rancunière parce que je l’avais évitée pendant deux ans ; cette grande perche ne comprend rien, c’est de sa faute si je l’ai évité. Puis surtout, c’est pour son bien, pour préserver son petit cœur d’idiote, parce que je la connaissais trop bien moi, elle n’aurait pas supporté que je change comme ça. Qu’elle me voit piquer des crises pour pas aller dans son monde, le monde qu’elle m’avait appris à connaitre, elle n’aurait certainement pas supporté. Moi, je n’ai fait que la préserver, seulement ça. Pour ne pas qu’elle m’abandonne aussi, parce que faut croire que cette Grande qui croit tout savoir alors qu’elle n’est qu’une grosse Ignorante est capable de me laisser tomber par dégout. Alors j’ai vu qu’elle allait frapper, donner un grand coup pour évacuer sa frustration qui n’a pas lieu d’être. Manque de chance, cette fille n’a aucune fichue idée de l’étendue de mon Savoir à son propos. Je sais tout d’elle, même si je ne l’ai pas vu depuis deux longues années je peux discerner et interpréter chaque minuscule variation dans ses jolis yeux. Et elle, tout ce qu’elle connait de moi est devenu faux, comme si tout ce que je suis avait changé. Rien, elle ne peut rien comprendre. Sa capacité à me blesser, je la connais tout de même, je sais qu’elle n’a pas changé. Là, elle ne le sait même pas mais elle a voulu commencer à me blesser, à me faire mal, pour me faire payer. J’en suis certaine. *T’es mal tombée pauv’ fille*. Manque de chance, ouais, manque de chance.
Elle s’est fourrée là où il ne fallait pas qu’elle pointe le bout de son nez trop long, parce que je sis exactement où frapper son petit cœur de lesbienne. *Lesbienne*. Le mot a une sonorité horrible sous ma langue, même en pensée. Il dégouline de partout, râpe ma bouche et écorche mes lèvres. L’associer à Emily est encore plus terrible. Quoique ce qui ne me dérange n’est sans douce pas ça mais plutôt Ça. Virevoltant, mon esprit détestable me ramène à la vision d’Aelle et mes dents se cognent derrière la paroi de mes lèvres. Toujours cette même vision quand je pense à ce mot stupide. De toute manière, ça n’a aucune espèce d’importance ; l’unique importance est que je sais où frapper Emily. En réalité, ça n’a rien à voir avec elle, je n’ai même pas réfléchi une fraction de seconde pour savoir ce qui lui ferait mal ; je sais juste comment me faire mal à moi, alors trouver comment la blesser a été si simple que je n’ai même pas eu à y songer. Naturelle, la phrase s’est présentée à moi, et je l’ai crachée. Encore brûlante de hargne.
Ses yeux trop gris virent à un mélange absolument magnifique de bleu et de gris, une tempête intérieure. Tous les muscles de sa mâchoire se sont tendus, même un aveugle pourrait le voir, et sa bouche entrouverte une fraction de seconde avant que ses dents blanches ne se referment violemment sur sa lèvre inférieure et la ravalent ne trompe pas. J’ai réussi. Mes lèvres se tordent de nouveau, cette fois en un sourire moqueur et vainqueur. Pauvre meuf, vraiment. Lamentable. A-elle vraiment cru qu’elle était capable de me vaincre, comme ça ? Cette éventualité me donne envie de vomir ; elle ne peut pas avoir tant changer, bien sûr que non. Emily est une Grande, mais c’est ma Grande à moi. Seule moi possède ce droit d’avoir changée, pas elle. Même ce droit de loucher sur la black dans les couloirs, elle ne le possède pas. D’ailleurs, je vais vite le lui arracher. Y’a que moi qu’elle peut regarder, personne d’autre. Cette misérable noire ne va pas m’enlever ma belle Emy, de toute manière elle en serait bien incapable puisqu’elle se fiche éperdument d’elle. Les avoir espionner pendant près d’une semaine m’a bien changé les idées, et maintenant je sais presque tout. Et ma petite pique de rien du tout a frappé Emily, l’a faite vaciller, et je n’attends que sa soumission. Ensuite, tout pourra redevenir comme avant. Ensuite.

« Sér... »

Elle a balbutié et a créé encore une nouvelle faille. Parce qu’elle ne veut pas laisser faire. Ses yeux viennent subitement de cesser de m’en vouloir pour mon absence. Désormais, elle brûle d’incompréhension et de rage, semble-t-il. Ou d’autre chose ? Dans ses yeux dansent des étincelles que je ne comprends pas. Seule la faille est visible. Immense, grande, béante, attirante.
Elle me fait flipper. Je m’y engouffre toute entière.

« C’t’ait dégueulasse. »




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Emily Smith, 16 ans
6ème année, Serdaigle


Dégueulasse...
C’t’ait dégueulasse.

*C’t’ait dégueulasse, ma belle*
T’entends Emily ? T’entends ?
*Non*
T’ÉTAIS DÉGUEULASSE !
*J... FERME LÀ J’ÉTAIS PAS DÉGUEULASSE !*
Si ma belle, si, comment pourrais-tu ne pas être dégueulasse alors que tu es comme ça ?
Pauvre fille. Tu t’prends vraiment pour c’que t’es pas.

*Alors j’suis quoi ?*
Mais enfin, t’es dégueulasse, voilà c’que t’es.

*J’vais défoncer ta jolie face*. Tonnantes, les pensées s’enfilent dans mon esprit. Un bruit horrible retentit dans mon dos lorsque mon buste pivote de lui-même pour se tourner face au mur. Mes phalanges craquent et mon poing droit s’écrase contre le mur de pierre. Stupide, tu pourras pas écrire demain, ricane une petite voix. Écrabouillés contre la pierre, mes doigts saignent un peu, dénudés de leur peau par endroits. Tordant mes lèvres, la douleur m’envahit. Je suis stupide de me blesser comme ça pour une simple phrase d’une gosse, vraiment stupide. Non, bien sûr que non. Ce n’est pas cette gamine qui va me faire penser ça de moi même. Profondément intelligente. Voilà ce que je suis, personne ne peut le nier : d’aucuns disent surdouée, si j’avais été en cours chez les Moldus, Mère dit que j’aurais sauté au moins deux classes ; sans doute que son enseignement est de bien meilleure qualité que celui des non-magiques, mais je ne me crois pas surdouée : apprendre n’est pas une facilité. C’est un but. Toute entière dévouée pour avancer sur la voie de la Connaissance, j’y avance grâce à mon dur labeur, non parce que je possède des aptitudes particulières. Mais je suis très intelligente, nul ne peut le nier. Nulle gamine ne me fera songer le contraire.
Haletante, je me retourne. Mon regard bleu-gris se fixe dans celui de la fillette qui me fait face. *Toute p’tite*. Gil’Sayan a beaucoup grandi, c’est irréfutable. Mais ma taille adulte est atteinte depuis quelques mois désormais, et je la domine largement. En physique ; uniquement en physique. Si inhabituelle. Cette pensée est si inhabituelle qu’elle me fait légèrement mal au cœur. Ici, je domine tout le monde par ma froideur et mon regard ; les gens ne m’approchent pas, les gens ne sont pas assez stupides pour m’approcher. Sauf ceux que je connais, bien sûr. Ash est mon meilleur — seul — ami, et bien qu’il soit parfois plus agaçant encore que la petite Thalia d’avant, il connait les justes mots pour me faire me sentir bien. Il y a Nath, aussi. Nath. La boule dans ma gorge grandit. Nath n’est rien d’autre qu’un vieux souvenir qui ne sert à rien ; même dans ses bras d’imbécile, je pensais à Aby. Pourtant *pourtant rien du tout !* il était doux. Il était. Jusqu’à ce qu’il me lâche devant toute la Salle Commune, en criant que je n’étais qu’une sale lesbienne et que je me tapais des filles dans son dos. Chose fausse ; je fixais des filles dans son dos, et d’ailleurs le pluriel était faux : je fixais une fille dans son dos, et personne d’autre. Pauvre mec. La baffe était partie toute seule, je m’en souviens bien. L’Expérience-Nath n’était plus. Elle a eu le mérite de me couper toute envie de recommencer.
Et là, devant Gil’Sayan tant changée, j’ai envie de faire comme devant Nath. De lui envoyer une claque et de partir en courant.
Je ne sais même pas comment elle sait ça. Ni même ce qu’elle sait. Car il n’y a rien à savoir. Il n’y a rien à savoir puisqu’il ne s’est jamais rien passé : ce n’est pas ma black, et rien n’est dégueulasse. Regarder une fille dans les couloirs, ça ne veut rien dire. Pourquoi Thalia dit-elle ça ? Sans doute est-elle plus que perspicace, je connais ce trait de caractère si présent chez elle. Mais elle n’a jamais aimé me blesser, et elle ne m’a jamais trouvé dégueulasse.

Soudain, autre chose me revient à l’esprit. Je n’ai jamais vraiment prêté d’importance aux rumeurs, mais je tends tout de même l’oreille, parce qu’elles peuvent parfois se révéler intéressantes. L’autre jour, j’étais devant la salle de métamorphose quand j’en ai entendu une sur Thalia. J’étais surprise qu’elle parvienne jusqu’à moi, en sixième année, alors que la petite n’est qu’en seconde. Puis j’avais rapidement compris : il n’y a pas d’âge pour parler de la Honte de Poufsouffle. Aelle Bristyle, troisième année, jaune et noire, magnifiquement renvoyée pendant plusieurs mois pour avoir impunément insulté un invité devant toute l’école et la délégation chinoise. Des mois que les rumeurs vont bon train sur cette fille, des mois que je n’y prête pas attention. Dire toujours ce que je pense, c’est bien un de mes plus gros défauts que je considère d’ailleurs comme une qualité. Même si, contrairement à cette petite-là, je ne suis pas assez idiote pour insulter une personnalité importante devant une salle bondée d’élèves. Je ne peux pas dire que je respecte Aelle Bristyle, car c’est faux. Je ne prête aucune attention à elle, je ne fais pas partie des quelques personnes qui la trouvent terriblement courageuse ni des centaines qui l’insultent tout le temps. Mais je l’ai toujours trouvé intrigante. Sans jamais m’y intéresser. Ce jour-là, je n’avais pas compris. Bristyle est dans la même maison que Thalia, je le savais bien, même si la petite Gil’Sayan ne m’a plus du tout parlé depuis qu’elle est arrivée au Château. Mais elles n’ont rien en commun, et jamais je n’aurais pensé trouvé leurs noms accolés dans une phrase plus que surprenante. Que je n’avais, accessoirement, pas cru du tout. Qui m’avait, d’ailleurs, fait interrompre une révision quelques jours plus tard pour vérifier quelque chose à la bibliothèque.
Mon cœur bat un peu plus vite, un peu plus fort. Je ne sais pas comment Thalia savait pour Abigail, mais je sais qu’il n’y a rien à dire sur nous deux. Alors que moi, je sais bien plus de choses. Et des choses concrètes. Comme le fait qu’elle a cessé de réviser toute seule. Ou de manger toute seule. Comme le fait que des rumeurs fondées parviennent jusqu’à moi.

« Tu peux bien causer Gil’Sayan, craché-je. C’est pas moi qui sors avec Aelle Bristyle ! »

Une vague d’incompréhension s’abat sur le visage de la fille qui me fait face. En une fraction de seconde, je vois ses sourcils se hausser, ses épaules retomber, son sourire mourir, son nez se froncer et son regard se faire empli de néant. Devant moi ne se tient plus la Poufsouffle hargneuse et insolente d’il y a quelques instants mais bien une enfant. Une enfant que je ne connais que trop bien : celle que j’ai réconforté des dizaines de fois, celle avec qui j’ai joué, celle avec qui j’ai plaisanté, celle à qui j’ai appris tant de choses. Une enfant qui me fait soudain pitié, trop petite pour son masque de grandeur. Ses lèvres se mettent à trembler et je baisse la tête en la voyant reculer d’un demi-pas. Juste un demi-pas. Juste un demi-tremblement. Juste un demi-regard blessé. Juste une demi-seconde d’inattention, où elle ne peut pas contrôler son corps. Juste une demi-seconde qui me permet d’avoir confirmation de tous mes doutes. *Par Merlin !* songé-je alors. Tout est vrai. Je ne l’ai jamais complètement cru jusqu’à maintenant. Après tout, elles pouvaient bien être amies. Même si je ne vois pas Thalia être amie avec qui-que-ce-soit. De toute manière, je ne la vois pas non plus aimer qui-que-ce-soit.

« J’suis pas en couple avec Aelle ! » s’exclame l’enfant avec un temps de retard. Il y a une telle conviction dans sa voix que mes certitudes vacillent. *Elle l’a appelé Aelle*, compris-je, *mince alors*. « C’est... ‘fin, j’la connais même pas vraiment ! J’lui ai jamais vraiment parlé, comme tout l’monde quoi ! » Elle accompagne ses mots de grands gestes de la main, comme pour essayer de me prouver quelque chose. Ses mots se bousculent bien trop vite, elle bégaye un peu. J’ai envie de répliquer violemment. Vraiment envie. Mais le tremblement de ses mains et de ses lèvres, ainsi que ses yeux qui brillent, m’empêchent de le faire. Je vois ses paupières papillonner, ses dents se refermer sur sa lèvre. Ses poings se serrent et se rouvrent.
Elle me dit qu’elle ne la connait pas vraiment, mais je n’arrive pas à la croire. Thalia n’est certainement pas le genre d’idiote qui révise ou mange presque chaque jour avec une personne qu‘elle ne connait pas vraiment. Pourquoi ne me fait-elle pas confiance ? Ça me blesse, oh oui.

« C’est... une fille, une Autre quoi ! Rien qu’une... Autre. » termine-t-elle d’une voix faible. Je hausse les sourcils d’un air amusé. *Mais oui Petite, mais oui !*. Elle ne me fera jamais avaler ça. Je me revoie, assise sur le banc à l’arrière de la maison des Gil’Sayan, à la taquiner parce qu’elle n’arrive pas à produire d’étincelles. Marchant dans les rues de Godric’s Hollow, lui lançant une pique tandis qu’elle fronce les sourcils. Alors je me laisse aller à un murmure taquin. « Ouais ouais. Et elle est passée où la gamine qui n’parlait à personne ? » Ce n’est même pas méchant. Juste de la sincérité que je veux gentille, mais dans ma voix, il n’y a qu’une certaine amertume qui parait. L’amertume de ma Déception. Comme un sentiment de trahison. Qui n’a pas lieu d’être. Mais qui est là tout de même.

Soudain, sa faiblesse passagère se transforme en colère. Je la vois jeter un coup d’œil autour de nous, comme pour vérifier que nous étions seule, et je prends peur. En septembre, Arthus s’est retrouvé à l’infirmerie, tabassé par quelqu’un qu’il n’a jamais voulu dénoncer. Moi, je soupçonne sa sœur. Bien sûr, je suis plus forte qu’elle et je la maitriserai sans problème. Mais la pensée que Thalia pourrait tenter de me faire mal est dévastatrice.
J’ai complètement renversé la situation avec deux pauvres mots. Un seul nom. Aelle Bristyle.

C’est son visage qui se plisse.
Ce sont ses yeux qui brillent de rage.
C’est son sourire qui se transforme en grimace.
C’est sa bouche qui hurle sa colère.

« J’l’ai embrassée ! T’es contente Emily ?! J’l’ai embrassée Aelle Bristyle ! Ouais, la Honte de Poufsouffle, tu sais ? Bah j’l’ai embrassée ! J’l’aime, ouais ! J’en suis fière ! Tu peux même pas imaginer à quel point, Emily ! J’l’ai embrassée et j’ai jamais été aussi heureuse ! J’l’ai embrassée, ok, t’as compris ? Fous moi la paix maintenant ! »

Et elle fond en larmes.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

13 sept. 2019, 20:19
Montre-moi  SOLO 
J’ai toujours détesté les larmes. Les gens chialent tout le temps pour des raisons incompréhensibles. Des pleurs parce qu’ils ne sont pas satisfaits, parce que quelqu’un les a frustré, parce qu’on leur a dit non, parce qu’ils croient être la personne la plus malheureuse du monde. Ça ne sert à rien, les larmes. Ce ne sont que des gouttes d’eau qui s’échappent des yeux et dégueulassent le visage. Sans aucune utilité scientifique. Ça ne rend pas moins triste, ça ne calme pas la colère. C’est juste terriblement pitoyable. Petite, je restais bouche bée devant les larmes des gens, car je ne les comprenais pas. À partir de ma troisième année à Poudlard, j’ai commencé à développer l’habitude de gifler les gens qui pleuraient devant moi sans raison. Une fille qui s’est fait lâchée par son petit ami, un garçon qui a eu une mauvaise note, un enfant qui a peur d’une bête inoffensive : n’importe quoi. Les gifles, je les distribue généreusement. Le claquement de ma paume contre leur joue réveille généralement les gens ; après une baffe, ils arrêtent de pleurer. Et je me sens bien plus soulagée. Parce que leurs larmes, je ne les comprends pas. Moi, je ne pleure pas. Presque jamais. Je n’en comprends pas vraiment l’utilité, et je ne fais que les choses qui sont utiles, surtout celles utiles pour me faire accéder au Savoir. J’ai déjà pleuré par empathie pour Thalia et par tristesse après la mort de Lily, sa mère. Et une autre fois parce que Père et Mère voulaient m’empêcher de devenir qui je voulais. C’est tout. Je n’ai jamais pleuré après ma rupture avec Nath, je n’ai jamais pleuré en songeant à Abigail. Je suis parfois triste, profondément malheureuse, mais je ne pleure pas.
Pourtant, devant Thalia, je n’ai pas du tout envie de la gifler pour faire cesser ses pleurs. Depuis longtemps, je suis habituée aux larmes de cette enfant-là. Pour moi, c’est une petite fille fragile. Qui fanfaronne, qui utilise des grands mots car elle possède un grand Savoir, mais qui est terriblement fragile. Qui vient se réfugier avec moi pour que je la console. Ou, du moins, qui le faisait.
Aujourd’hui, ses larmes me mettent mal à l’aise. Elles n’arrivent qu’à baisser ma colère. À la remplacer par de l’incompréhension.
Ses mots tournent en boucle dans ma tête.

Stupéfaite, je reste pétrifiée. *Elle l’a embrassée*, intégré-je lentement. Je ne vois vraiment pas Thalia embrasser quelqu’un. Une fille. Merlin alors, une fille. *’l’est comme moi ?*. C’est tellement étrange. Quand je pense à Thalia, je vois la petite gamine qui venait se réfugier dans mes bras après s’être battue avec son frère, qui me souriait en dévoilant ses dents blanches et qui lançait des citations pertinentes avec un tact enfantin, qui pleurait et pleurait encore, seulement devant moi car elle avait toujours honte de laisser couler ses larmes devant les autres. Cette enfant là n’est pas prête à aimer comme cela. Elle doit se limiter à la Grandeur de l’amitié.

Et alors je comprends.
Je saisis exactement ce qui se passe.
C’est horriblement vrai. Terrifiant.
J’ai vu Thalia pour la dernière fois il y a deux ans. C’était une enfant de dix ans. Attachante, intelligente, pertinente, étrange, enfantine, dure, brusque, jeune. Elle avait vécu des épreuves inimaginables mais c’était une enfant.

Aujourd’hui, Thalia a douze ans. C’est une sorcière qui étudie à Poudlard. Pleine d’hormones. Qui a vu son père se remarier — j’ai gardé contact avec la petite Éole, elle m’a envoyé quelques lettres de temps en temps. Qui s’engueule avec sa famille. Qui commence à avoir ses propres opinions. Qui grandit.
Ce n’est plus du tout une enfant.
C’est une adolescente.
Elle a véritablement grandi.
En deux ans, elle a grandi de manière à ce que je ne puisse même plus la reconnaitre maintenant. Ce n’est pas grand chose, deux ans. Mais de dix à douze ans, il y a un énorme écart. C’est ce décalage que je ne peux pas saisir. *J’la connais pas vraiment*. C’est horrible. Et si elle ne voulait plus de moi ? Mais c’est elle qui m’a donné rendez-vous, un petit hibou portant une minuscule lettre de quelques mots. Alors elle ne doit pas m’en vouloir tant que ça, n’est-ce pas ?
Je n’en sais rien.
Je sais juste que la Thalia qui se tient devant moi n’est pas celle que je connais.

Elle a assez grandi pour pouvoir aimer.
Pour pouvoir embrasser une fille en secret.
Pour pouvoir garder la tête haute et affronter les rumeurs.
Pour pouvoir assumer de venir chaque jour s’assoir près de la fille qu’elle aime, même si tout le monde la déteste.
Pour pouvoir se mettre à pleurer si je ne veux pas admettre qu’elle a grandi.
Pour pouvoir être triste de ne pas être comprise.

Devant ses larmes et cette révélation, je cligne quelques secondes des paupières, sans bouger. Mon corps est tétanisé, je ne sais pas quoi faire. Doucement, je tends les bras vers elle et je fais un pas en avant. Elle ne bouge pas, ne réagit pas, se contente de pleurer toujours plus fort. Alors je continue d’avancer, j’avale lentement la distance qui nous sépare.
Et je la prends dans mes bras.

Peut-être que, pour quelques secondes, elle peut redevenir l’enfant que je sais réconforter. Je crois qu’elle est d’accord. Elle se laisse aller, trempant ma robe de sorcière avec ses larmes dégoulinantes. Au bout de quelques secondes, je fais un pas en arrière. Je la regarde ; elle me regarde.
Un léger sourire passe sur ses lèvres. Et je comprends que je dois parler, même si je ne sais pas quoi dire.

« Ok, » murmuré-je. Ma colère s’est complètement évanouie. « Ça m’fait un peu bizarre... » parce que dans ma tête tu es encore une toute petite enfant. « ... mais j’comprends. »

Elle me regarde et je tente un sourire gêné. D’un revers furtif de la main, elle essuie ses larmes et se redresse. Le dos bien droit, le regard sévère, elle me sourit elle aussi. Sa parfaite attitude, tout ce qu’il y a de plus normal, jure grandement avec ses larmes d’il y a quelques instants. Je reconnais bien là la petite Thalia que je connaissais si bien. « Euh, tu m’expliqueras c’qui s’est passé, un jour ? » Une ombre passe sur son visage, son regard sombre s’échappe du mien. Mordillant sa lèvre inférieure, elle hausse les épaules en fixant le sol. « N... J’verrai. Mais pas tout d’suite. » Ce n’est pas une question, c‘est une affirmation. Elle se fiche que je comprenne ou non, elle ne veut pas en parler tout de suite. J’acquiesce pour lui montrer que ça ne me dérange pas. Et, même si je ne comprends pas du tout comment elle s’est retrouvée à embrasser Bristyle et que je suis à la fois curieuse et emplie d’une profonde Jalousie (et si cette petite me volait mon amitié avec Thalia ?), je respecte son choix. Pour le moment.

Alors, le poing que j’ai balancé contre le mur tout à l’heure commence à me faire mal. Grimaçante, je le frotte avec mon autre paume. La peau, à mes phalanges, est abimée et arrachée par endroit. Heureusement, j’ai des potions dans ma valise : je me soignerai tout à l’heure. Un sourire sur les lèvres, je recule encore un peu — ni Thalia ni moi n’avons jamais été fans des contacts, sauf exceptions —, et mes yeux se plissent. Lèvres mordillées, je prends une grande inspiration. *Emy, sois intelligente par Morgane, t’es pas à Serdaigle pour rien !* prévient ma conscience une fraction de seconde trop tard. Bouche entrouverte, j’ai déjà balbutié à toute vitesse l’interrogation qui tourne trop fort dans ma tête, se heurtant aux parois de mon crâne :

« T’as vraiment trouvé ça dégueulasse ? »

Ses yeux s’écarquillent et elle a un mouvement de recul. Passant le poids de son corps d’un côté puis de l’autre, se balançant doucement, elle ne dit rien. Ses lèvres, Croissants, s’entrouvrent. Pas une once de son ne s’en échappe. Ainsi, je peux voir le gouffre obscur de sa bouche, un gouffre étrange. Elle bouge et je suis ses mouvements, fascinée par je-ne-sais-quoi. Ses bras se croisent sur sa poitrine, déterminés.

« Nan. » Tous mes muscles se relâchent soudainement. Mon souffle se fait plus lent, mon cœur moins inquiet. Le sourire qui étire mes lèvres se fait plus sincères, et je joue doucement avec mes lunettes, les remontant avec mon majeur droit. Le livre que je tenais quand elle est arrivée, pile à l’heure au rendez-vous qu’elle m’avait fixé, gis encore par terre, là où je l’ai fais tomber après les premiers mots tranchants de l’enfant. Je me penche pour le ramasser, le fourre dans mon sac et referme ce dernier. Alors seulement je regarde de nouveau Thalia. « Tant mieux. » Je me sens idiote, idiote devant cette enfant qui arrive à me mettre si mal à l’aise. Ce que je dis est stupide, complètement stupide.

Jetant un coup d’œil à ma montre, je me rends compte que j’ai un cours dans quelques minutes et que j’ai plusieurs étages à traverser. Cette échappatoire à ma gène est bienvenue, alors je penche la tête en ajustant mon sac sur mon dos et déclare :

« J’dois y’aller, désolée... » Thalia me regarde en attendant une suite alors que je ne sais pas quoi dire. « Mh, j’aimerais bien qu’on se revoie, qu’on puisse reprendre un peu contact, tu vois c’que je veux dire ? »

Un sourire fugace passe sur ses lèvres. Après un temps de silence, elle me répond doucement.

« Oui. » *Oui quoi ?* « J’vois. Et... oui, j’suis d’accord. »

— FIN —

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]