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08 nov. 2019, 04:38
La Décharge des Maux  SOLO 
[ 29 JUIN 2043 ]
Dortoir Mariana Graysmark, Tour de Gryffondor

Charlie, 13 ans.
2ème Année


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Han…

Les particules de poussière s’élevaient des interstices en une petite danse.

Han…

C’était une belle petite danse pour me faire patienter.

Han…

Attendre que la douleur disparaisse de ma mâchoire, et de tout le reste de ma boite crânienne contaminée.

Han…

J’avais tellement fait danser la poussière qu’elle avait disparu, retranchée dans les interstices un peu plus éloignés. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas pété la gueule en dormant. « Han… ». Mes pensées de ces derniers jours étaient les responsables de cette chute, j’en étais sûre. Ça me faisait penser à l’année dernière, quand je passais des heures à regarder le plafond de mon baldaquin, mouillant mon coussin de mes larmes, et quand je m’autorisais enfin à dormir, ma gueule s’éclatait par terre. *J’dois pas y penser*. Un peu comme maintenant, la situation était presque la même ; le Sens était différent, lui. Et j’aimais l’autre, pas celui-là.
*Pas maintenant…*. « Han ». Ce souffle-ci était un peu plus fort, les quelques restes de poussière étaient éjectés sans la moindre danse. Les vagues de douleur se calmaient dans ma mâchoire, elles ressemblaient de plus en plus à des vaguelettes. Cet entre-deux me plaisait : ni des vagues gigantesques, ni le calme plat. Juste un point d’équilibre rassurant entre deux extrêmes, pas assez fort pour faire mal, et pas assez faible pour être ignoré. *Comme un anesthésiant*. Je ne savais pas d’où venait cette pensée bizarre mais pas totalement fausse.
Ma cervelle se remettait à fonctionner, les éléments qui entouraient mon intérieur et mon extérieur s’assemblaient en mots dans ma conscience. *Comme un halo*. Il faisait presque nuit autour de moi, mais je voyais quand même la poussière, la roche, un autre lit un peu plus loin. C’était un peu éclairé. *L’jour doit s’lever*. Ouais, je m’étais couchée tard hier, et ce n’était pas une nuit de lune ; alors le minuscule éclairage ne pouvait être que l’aube. *Halo, halo…*. Ce mot me vrillait la tête, il se répétait sans s’arrêter en me cognant la paroi interne. *La fille*. Oh. Ma respiration se coupa.

*La fille qui brille*. Oh ! *LA LETTRE !*. OH BON DIEU !
Je jetais mon bras sur mon lit, agrippant tout ce que je pouvais de mes doigts tremblants. *La foutue lettre !*. Une brutale inspiration me fit avaler de la poussière. « Argh ! ». Les particules intruses se plantèrent dans ma gorge. *Merde ! Vite !*. Tout mon buste fut secoué d’une toux ignoble, entrecoupée de bruits de gorge que je n’arrivais pas à contrôler ; mais je m’en foutais, il n’y avait que l’image de cette lettre dans ma conscience. Elle seule avait de l’importance.
Mon bras tremblait, mes muscles étaient engourdis. *Bordel, allez !*. La force de mes doigts secouait toute mon épaule. *Du parchemin. De l’encre*. Ma traitresse de gorge avait décidé de me torturer. À moitié accroupie, une toux encore plus violente déforma ma tronche. « Han ! ». Mes poumons étaient sur le point de se déchirer, un tout petit filin les maintenait pendus à mes lèvres. « Han ! ». *Faut que j’l’envoie !*. Ravalant mes bronches, mon regard se jeta sur ma gauche. Là où était clouée la table de nuit. La vision de ma plume et de mes parchemins m’arracha un grognement de satisfaction. Les yeux mouillés — presque expulsés à cause de cette foutue toux — je sentis un grand sourire m’écarter la bouche.



Han. Han. Han… Un lancer, un autre.
Encore un, encore un autre.
Je courais de toutes mes forces. Les murs défilaient aux coins de mes yeux, confondant toutes les pierres entre elles ; elles ne faisaient plus qu’un, comme deux grands ciels marron-moches infinis, à droite et à gauche. *’Dieu !*. Mes poumons étaient en feu. Ma gorge m’insultait des pires noms. Mais je continuais à lancer mes jambes aussi loin que je le pouvais.
Ma lettre était foutrement urgente, et même si elle ne l’était pas assez pour justifier la torture que j’infligeais à mon corps, je savais que courir aussi fort me libérait. Ça me shootait, même. La brûlure de mes deux poumons était le réceptacle des ailes qui poussaient dans mon dos. *J’vais l’écrire !*. Ma peau se craquelait, mes vêtements se déchiraient, et mes ailes prenaient leur envol, m’emmenant dans le ciel de l’excitation ; je pouvais presque ressentir la réalité de tout ça.
La ligne de marches menant à la volière apparut juste devant moi. *Oh*. Ma respiration m’arrachait la gueule, elle faisait un bordel à réveiller des cadavres. Entre mes doigts, divers parchemins vides étaient écrasés, alors que ma plume rebondissait dans ma robe à chaque fois que je touchais le sol. Je grippais les marches quatre par quatre, frappant mon poing fermé sur la rambarde pour mieux me lancer vers le haut. Mes phalanges criaient, mais pas autant que mes poumons. Tout s’étouffait en moi, même moi-même. « Raah ! ». Ultime bond.

Et j’atterris sur le palier le plus haut de la volière avec l’entrée sur ma gauche. Dès que mes pieds se posèrent contre la roche, deux éclairs de douleur éclatèrent dans mon corps. « Haa ! ». Toute la tension dans mes cuisses s’évapora, laissant mes genoux plonger vers le sol. *Merde*. Le choc écrasa mes paupières, tout autant que ma mâchoire ; mais je me sentais libre, même avec les dents pétées. *J’vais dev’nir puissante*. J’avais couru de toutes mes forces, même si mes poumons se consumaient de souffrance. *Enfin*. Miss Lloyd me disait n’importe quoi avec ses interdictions de ne pas forcer sur mon corps ; mon souffle avait du mal, mais la sensation était magnifique. C’était moi qui provoquais cette liberté, et personne d’autre. *Surtout pas toi*. Mes mains se plaquèrent contre le sol, relâchant la tension de mes doigts. *J’tremble un peu*. Une énergie nouvelle bouillonnait tout au fond de moi, liée à mes ailes de liberté. *Papa*. J’étais en train de changer parce que je l’avais décidé.

Trainant la magnifique boule de douleur qu’était mon corps, je fis ramper mes fesses jusqu’à la rambarde de roche pour y poser mon dos. *Papa*. Depuis que j’étais rentrée dans cette école, je n’avais jamais reçu la moindre lettre de mon père, même si cette année m’avait moins gênée que la première. *Bon Dieu, Papa*. Je m’y étais habituée, même s’il m’avait beaucoup facilité la tâche en acceptant l’Autre-déchet. *Foutue trainée*. C’était à mon tour de m’imposer. Lui imposer mes choix. *Et tu vas les accepter*.

Trifouillant dans la poche de ma roche, j’en sortis ma plume abimée ; il ne fallait pas que j’oublie de m’en acheter plusieurs nouvelles pour l’année prochaine. Ma bouche était foutrement gorgée de mucus, je détournais la tête pour cracher par terre. Les deux sacs de douleur qui me servaient à respirer étaient en train de me refouler leur merde. *Concentre-toi*. Je me raclais la gorge sans retenue. Mes yeux se dirigeaient vers les parchemins que j’avais ramenés. *’êtes parfaits*. Ils étaient tous complètement froissés, dégageant un air négligé. C’était comme si j’offrais une importance minimale à mon père. « Bien » soufflais-je, le regard fixe. Entre les parchemins, il y en avait un qui me plaisait beaucoup. Un de ses coins froissés formait un bras tendu vers le ciel, comme s’il était en train d’agoniser, les veines gonflées par la mort. *J’t’aime bien*. Je le choisis pour écrire ma lettre, l’enroulant de mes doigts pour le froisser encore un peu plus. *Bien…*.
Ma tête bascula en arrière pour se poser contre les grosses pierres. C’était le moment de réfléchir à mes mots. *Alors…*. Le château était en train de se colorer tout doucement, la lumière du soleil augmentait de plus en plus même s’il faisait encore assez sombre. Demain, j’allais être chez moi, même si je ne voulais pas. L’idée de rester ici n’était pas palpitante non plus. J’espérais que mon hibou allait arriver avant demain. *C’pas trop tard*. Le temps me compressait, je devais me grouiller.

Rabattant mon visage vers le parchemin chiffonné, je serrais ma plume magique pour me lancer dans les premières pensées qui me traversaient. *Papa*.

Papa,


J’avais un doute. Mon visage se froissa presque autant que le parchemin. Et si c’était l’Autre-trainée qui interceptait mon hibou ? *C’pas possible*. Je ne devais pas y penser, c’était ridicule. Il fallait juste que je précise bien le nom de mon père. *Il arrivera à lui*. Je ne devais pas m’en inquiéter.
Le flux de mes pensées reprit son déroulement.

Papa,

Je veux


*Ne veux*. J’avais oublié la négation. *Je ne veux pas que tu viennes me chercher*. Bordel.
Mes dents se plantaient dans ma lèvre inférieure. Je relevais le regard sur les autres parchemins éparpillés, il y en avait encore beaucoup. *Non*. Mais ils ne m’attiraient pas, aucun n’arrivait à dégager la douceur-piquante de celui que je tenais entre mes doigts. *Douceur-piquante*. C’était un joli mot.
Je m’étais foirée sur le début de ma phrase, alors j’allais la changer pour la rendre plus douce, mais bien plus piquante. *Mordre avec les lèvres* susurra ma conscience, me déstabilisant un instant. Ma concentration bifurqua vers mon avant-bras. J’observais ma peau en imaginant une morsure de lèvres gravée dessus. *Ça f’rait qu’un cercle de bave*. Je me demandais quelle sensation fourmillante pouvait créer un tel truc. *C’pas l’moment*. Je verrais ça plus tard.
Les mots qui étaient en train de s’aligner dans mon esprit m’inspiraient une bonne grosse douceur-piquée.

Je veux te revoir, mais à l’appartement.


Monter pour mieux redescendre, c’était tout ce que mon père méritait. La pointe de ma plume revint à la ligne, s’agitant d’une volonté propre.

Je


*Veux… Non ! Vais*. Mon choix était fait, je ne demandais pas l’avis de mon père. Ma lettre devait être un fait, et pas une demande ridicule.

Je vais rentrer seule.


Mes mots étaient durs. Mon regard passait et repassait dessus.
Plus je les lisais, plus je me rendais compte qu’ils étaient vraiment durs. *J’abuse*. Ce n’était pas un moment de faiblesse, mais un constat. *Carrément, j’abuse de ma liberté*. Mon propre père m’avait appris que les changements se faisaient doucement, tout doucement. Je devais ajouter un peu de moi dans cette lettre. Ma bouche était encore une fois pleine de mucus dégueulasse, je crachais le tout sur ma gauche, sans quitter des yeux mon parchemin. *J’dois être un peu plus gentille après ça*.

S’il-te-plait, respecte mon envie.


J’apposais le point à ma phrase, appuyant sur la pointe de ma plume. *C’est…*. Je ne savais pas quoi penser de ces mots. Ils n’étaient ni bons, ni mauvais ; ce qui en faisait des mots inutiles. Ma plume traversa le parchemin pour se planter dans ma main-support. « Ah ! Bon Dieu ! ». Mon point trop appuyé était un cratère maintenant. « Fait chier ! ». Finalement, l’écriture de cette lettre m’énervait. Je pensais de plus en plus à la réaction de mon père quand ses yeux allaient se poser sur mes mots, et ça me donnait envie de le prendre dans mes bras. *C’toi qui a accepté l’Autre, c’pas d’ma faute !*. Mon cœur s’écrasait dans ma poitrine encore brûlante, et ça me faisait chier.

Ta fille.


Grattant rapidement ma signature, j’agitais mon corps pour ne pas laisser de temps à mon esprit pour réfléchir. *Vite*. Je poussais sur mes jambes.
*Oh bon Dieu*. Mes yeux s’écarquillèrent de surprise, je baissais mon regard sur mes genoux. Ils s’étaient durcis, horriblement, comme deux grosses masses de plomb. *Mais ça fait mal !*. Je ne pouvais pas les utiliser sans avoir l’impression de perdre mes jambes. Mon corps retomba vers le sol, m’écorchant tout le dos contre la rambarde, m’explosant les fesses contre les grosses pierres. J’engouffrais une longue inspiration entre mes dents serrées pour m’empêcher de crier.

Han. Han.

Je ne desserrais pas la mâchoire. *Bon dieu d’merde !*. Mes dents étaient tellement serrées que j’en avais mal au cou. Mon cœur battait dans ma gorge, ça me donnait envie de vomir. *Faut qu’j’attende comme une merde*. J’allongeais mes jambes sur la roche, insultant mon corps qui me trahissait comme à chaque fois.
Jaugeant la lumière qui commençait à prendre le dessus sur le noir, je fermais les paupières. Le mucus dans ma bouche s’était encore accumulé, il rejoignit aussitôt ses deux prédécesseurs dans un crachat. *C’pas grave*. Si l’envoi de mon hibou était retardé de dix minutes, ce n’était pas si grave.
Une goulée d’air pleine de rosée m’éclaboussa les poumons. « Mmh… » soupira ma bouche, de plaisir.
Je devais me concentrer à refroidir ma gorge encore brûlante. Lentement, la plume que j’avais utilisée se retrouva sur le sol, et le parchemin noirci se blottit contre mes doigts. *Pas qu’j’oublie d’mettre son nom*.
La température était douce. J’étais la première du Tournoi. Je commençais à imposer mes choix. *C’t’harmonie j’crois*.

Je me sentais de mieux en mieux, enfin. *J’crois*.
Il me restait plus que Louna.

je suis Là ᚨ