Le garçon met tant d’ardeur à vouloir me faire croire qu’il ne me ment pas que je le croirais presque. Mais je n’ai nulle confiance en les Autres. Ils ne cessent de me mentir, pourquoi feraient-ils autrement, après tout ? Threepipes n’a aucune raison de me dire la vérité, il ne me doit rien. Et c’est bien plus amusant, j’imagine, de se foutre des gens plutôt que de leur dire la vérité. Perplexe, mes poings se serrent convulsivement au bout de mes bras. Je ne sais que croire. La foule autour de nous me met mal à l’aise, je sens les regards qui nous frôlent, les Autres commencent à se poser des questions. La quatrième année que je suis n’a aucune raison d’être dans ce couloir rempli de marmots, j’en ai conscience. Je déglutis, sans savoir que faire. J’ai envie de secouer Threepipes et de lui enfoncer ma baguette dans la gorge pour m’assurer qu’il dise la vérité, mais je sais bien que je ne peux pas faire ça.

Le garçon m’offre le secret du renard et je suis plus perdue encore. C’est ça, son secret ? Une phrase idiote qui ne veut pas dire grand chose ? Voir avec la magie, je suis d’accord, mais le coeur ? C’est complètement con. Pourtant, quelque chose dans le regard de Threepipes m’assure qu’il ne me ment pas. Et j’en viens à me demander si ce prince dont il me parle n’est pas plus ennuyant que je le croyais. Peut-être qu’il ne vaut pas tous les efforts que je fais pour avoir des informations sur lui.

Je fronce les sourcils aux dernières paroles que l’Autre me lance et le regarde de toute ma hauteur, une grimace colérique sur les traits. Je déteste lorsque les Autres feignent me connaître. Déjà, la plupart du temps ils ont tort mais en plus cela a tendance à me mettre en colère.

« Je me fous que tu m’apprécies ou pas. Et Zikomo est assez intelligent pour voir ma réelle valeur, rétorqué-je froidement, c’est pour ça qu’il reste avec moi. J’te dem-m… Je ne te demande pas de me comprendre. »

Que faire, désormais ? Il ne m’a pas donné les réponses que j’espérais. Je ne sais toujours pas où chercher le prince, je sais encore moins où et comment le trouver. Pour faire simple, je n’ai rien et je me retrouve encore à devoir demander. Threepipes va finir par me rendre folle. Il est incapable de répondre à des questions simples ! Comment un garçon de ce genre peut réussir en cours ? Il doit avoir un niveau déplorable, ce n’est pas possible. Il ne sait pas réfléchir, il ne sait pas penser. Il y a quelque chose qui cloche, chez lui.

Je laisse un léger soupir m’apaiser et décrisper mes traits. J’enfonce mon regard dans celui du garçon, puisant dans mes derniers grains de patience pour garder mon calme et afficher un air serein.

« Tu dis de la merde. Tout ce que tu m’as dit sur ce prince, c’est des conneries. Arrête de vouloir m’impressionner ou… Ou te foutre de moi. Je veux juste apprendre à connaître ton prince, c’est tout. Je veux une information concrète qui me permettra de le retrouver, voilà. »

C’est en énonçant ces paroles que je me rappelle tout à coup une information essentielle à ma recherche : Threepipes a parlé d’un serpent doué de parole ! Je pensais qu’il me mentait, mais j’avais seulement mal compris l’information. Ce n’est pas le serpent qui est important, mais le fait que le prince puisse le comprendre ! Et partager les paroles du serpent. C’est un fourchelang ! *J’pensais qu’il en existait plus…*. Excitée par ma découverte, un sourire immense me grimpe sur le visage. Avec cette information, ce sera beaucoup plus simple de trouver mon prince !

Je me penche vers Threepipes, distribue des regards noirs pour obliger les Autres à se détourner et lui murmure :

« C’est bon, j’ai compris pourquoi tu voulais pas tout me dire. Mais t’en fais pas, j’ai pas peur des mages noirs. »

Le petit renard bleu resterait avec Aelle rien que pour sa valeur? Est-ce qu'ils sont ensembles pour se seconder l'un l'autre pour faire face à l'adversité? Quelle adversité d'ailleurs? Et les sentiments amicaux là dedans? Etrange... Cette fille l'étonnera toujours. Dans tous les cas ils avaient l'air de bien s'entendre et il avait même remarqué de la complicité et des chamailleries de vieux couple. Leur lien était certainement plus profond qu'un respect mutuel de la valeur de l'autre, se dit Ethan.

Ethan ouvrit ensuite de grands yeux d'étonnement. Jamais, au grand jamais il n'avait envisagé que le Petit Prince pouvait être considéré comme un mage noir, lui qui était si gentil et si tendre. L'idée était tellement saugrenue qu'il partit dans un fou rire incontrôlable. Il se plia en deux en se couvrant le ventre de ses bras, riant bruyamment. Il en pleurait, tellement il n'en pouvait plus. Ce sont des semaines de tensions qui s'échappèrent d'un seul coup, profitant de la brèche. Il dût s'y reprendre à plusieurs reprises afin de pouvoir se contrôler à nouveau et de pouvoir reprendre une conversation normale avec la très sérieuse Aelle.

- Franchement, tu m'as tué! dit-il encore un peu hilare. Si tu ne me crois pas et si tu veux tous les détails, tu n'as qu'à aller acheter le livre qui parle de lui. Il s'appelle tout simplement "Le Petit Prince". Très facile à trouver dans les librairies moldues, expliqua patiemment Ethan. Il regarda autour de lui et se dit qu'il était temps qu'ils terminent cette conversation. Bon, c'est pas qu'j'aime pas ta compagnie, mais on va éviter d'arriver en retard. A une prochaine Aelle! Et merci pour la rigolade, ça m'a fait du bien!

Le garçon déguerpit en direction de la salle de cours. Les couloirs se vidaient déjà. L'heure de cours approchait à grand pas désormais. Il serait certainement cantonné à une place mal située. Mais ce n'était pas grave car le fou rire l'avait mis de bonne humeur. Sacrée Aelle!

Fin du RP pour moi. Merci!

La surprise déforme le visage de Threepipes ; mon coeur sursaute. J’ai enfin accroché la vérité ! Un mage noir, ce prince est un mage noir. Cela explique pourquoi le garçon était si réticent à m’en parler. Comme la plupart des sorciers de notre âge et des sorciers tout court, il n’aime guère parler des mages noirs ou songer à eux. Moi, je n’ai pas peur de cela. La magie est intéressante sous tous ces aspects. Surtout ceux que l’on ne veut pas nous apprendre. Je me redresse, ravie, en attente que Threepipes me livre enfin tous ses secrets. J’ai désormais une piste sérieuse pour répondre à mes questions (la raison pour laquelle je veux absolument savoir qui est ce prince m’est encore obscure, je mets cela sur ma curiosité du savoir et de la connaissance).

Quelle surprise lorsque l’ébahissement du gamin se transforme en éclat de rire. J’en perds tous mes repères. Je cesse même de paraître — paraître à mon aise, paraître à ma place — pour être : mes épaules s’affaissent, mon coeur se serre, mes yeux s’agrandissent et mes foutues joues se remplissent de rouge. Le rire du garçon me fait mal. Il me crève le coeur et me torture l’âme. Tout à coup, c’est comme si mon corps était trop étroit, comme si le monde se resserrait autour de moi, comme si tous les autres enfants du couloir avaient leur regard braqué sur moi, comme si je brûlais sous leur attention. Je me sens brûler de la tête au pied, m’enflammer dans les sons de la moquerie de Threepipes, mourir de son rire.
Il se fout de moi.
*Il se fout de moi*.
La pensée tourne en boucle dans ma tête et m’arrache mon souffle. Mes poumons se compriment et tout à coup, je comprends que je suis tellement mal à l’aise et blessée que je pourrais disparaître en courant, sans me soucier de me ridiculiser.

Threepipes ne m’en laisse pas l’occasion. Son rire se meurt, mais il ne cesse pas de sourire, ni même de parler d’une voix enjouée, comme si tout allait bien, comme si le monde était parfait, comme s’il ne venait pas de m’enfoncer un pieux dans le coeur. Ce gamin est… Je crois que je le déteste. Je le déteste avec la simplicité d’un enfant, sans effusion d’émotions, sans rage destructrice ; je le déteste et ce sentiment ne me donne qu’une envie : ne plus jamais le côtoyer.

Il me donne assez de réponses pour que je puisse accéder à ce désir : le titre d’un livre. Un livre moldu. La surprise est assez puissante pour me détourner de mes tourments — *un livre moldu ? Un mage noir dans un livre moldu ?* ; je ne comprends pas grand chose — mais pas assez pour effacer le rouge qui me colore les joues. Les dernières paroles du garçon me font crisper les poings. *La rigolade ?*. Je me retiens de toutes mes forces pour ne pas le rattraper et lui enfoncer mon poing dans la tronche. Je me rends compte que je n’en ai de toute manière pas envie. Ce gosse est dangereux, je n’arrive pas à le comprendre, à le suivre. Je crois que nous ne sommes tout simplement pas fait pour traîner ensemble, lui et moi.

Une fois seule, je ne bouge plus. Je n’y arrive pas. Les Autres me regardent étrangement, pourtant, mais je n’arrive pas à bouger. Mon regard est fixé sur l’endroit où a disparu Threepipes. Je crois que j’en suis encore à essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. Ce rire, mon coup de chaud, la honte qui m’a étreint le coeur. Putain, mais j’aurais dû le remballer ! Puisque je n’ai pas réagi, ce garçon va croire qu’il peut tout me faire ! A moi, Aelle Bristyle ! Je suis vraiment trop bête !

Le regard sombre et le coeur en berne, je fais demi-tour vers les escaliers, me hâtant pour ne pas arriver en retard en cours. J’essaie de ne pas écouter mes pensées qui me malmènent et me torturent. *Oublie Threepipes* me forcé-je à songer *et ne pense qu’au livre*. Je me demande s’il est à la bibliothèque. Cela m’étonnerait. Il me faudra envoyer un courrier à Papa.

Même si je concentre mes pensées sur le livre du petit prince, je n’arrive pas à me sortir de la tête la moquerie de Threepipes et le mal qu’elle me fait. Comment un garçon aussi simple que lui arrive à me faire ressentir une telle brûlure ? C’est idiot. Mais pourtant bien réel. Ce putain de gamin m’a blessé et je le déteste pour cela.



Ethan tuera Aelle, tu le sais n'est-ce pas ?
Merci pour ces mots que nous avons partagé. Écrire avec toi est un plaisir et nos rencontres sont toujours pleines de surprises ! J'ai hâte que nous passions à la prochaine.