Sortir de cours. Vite.
La Salle Commune. Où était-elle ?
Je ne sais plus.
Aïe. Réfléchir. Respirer.
Inspirer, expirer.

Descendre. Les escaliers. Vers le bas.
Le sous-sol. La Salle Commune.
Aller dans la Salle Commune pour y respirer.
Respirer calmement. Enfin.
Bientôt. Ce n'étaient que quelques escaliers…
Trop d'escaliers.

C’était dur, d’aller bien quand tout allait mal.
C’était très dur. Trop dur.
Trop dur pour elle.

Malya n’en était pas capable. Elle alternait entre états d’euphorie, et de déprime. Il fallait dire que c’était fatigant, d’aller bien. De sourire. D'être heureux.

Il a encore écrit.
Qui était il ?
Je ne sais pas.

Malya aussi avait écrit, dans la nuit. L'idée était née en cours d’Astronomie. Elle venait de terminer une strophe, en cours. Sa strophe. Il ne manquait que quelques mots, quelques syllabes, mais elle les avait trouvés, ces Inconnus qui n'en étaient plus. Elle n’aimait plus ces cours où il fallait rester calmement assis sur sa chaise, sans respirer.
Finalement, elle avait décidé de laisser la strophe seule sur son parchemin, sans plus insister pour que des mots s'ajoutent à la suite. Elle rangerait le parchemin dans son recueil de Nocturnes, où il aurait toute sa place.

Marcher. Vite. Ne pas courir. Courir, c'était paniquer. Avouer sa panique. Et ça, non.

Marcher… Ne pas voir s'échapper, de la poche de sa robe…

Lueur frêle éclatante magnifique ascendante
Disque d'or ou d'argent puissance éblouissante
Tu effraies les sorciers qui prennent leur potion
Chaque mois ils épient tes fines portions
Moi qui n'ai que treize ans j'admire ta descente
Sur les flots je t'observe en prenant précautions.

Elle ne l'avait même pas relu. Avait-elle seulement conscience d'y avoir écrit un âge qui n'était pas le sien ? S'en doutait-elle, au fond d'elle-même ? Si oui, c'était bien malgré elle...

Avancer.

Désolée pour le timing ! N'hésite pas à me dire si quelque chose ne te va pas

Devant une toile se tenait la douce Alaska, d'une humeur plutôt charitable et agréable... non pas que ce soit rare, mais certains pourraient en dire tout le contraire. Ses longs cheveux bruns tombaient dans son dos, couvert par une robe assez légère et noire, avec quelques accents de dentelles et de bleus marins. Son chapeau en main, elle détaillait les traits fins sur le portrait accroché au mur du couloir, mais bien que ses prunelles dorées décelaient les couleurs, son esprit lui semblait incapable d'une quelconque analyse, incapable d'y apercevoir une simple profondeur. Qui pouvait bien être cette femme, assise sur une balançoire en mouvement ?

« Hé ho ? Y'a quelqu'un ? » avait-elle marmonné en agitant sa main devant le tableau pour faire parler la mystérieuse femme.

La préfète avait fermé ses yeux, cherchant peut-être à ne pas se laisser abattre par le peu de réponse qu'elle avait mais bien vite, des pas, celle d'une autre élève, s'étaient faufilés jusqu'à ses pensées. Alaska les suivit du regard en jurant reconnaître une fille de sa maison. Prête à lui offrir son plus beau sourire pour saluer Malya, elle la dépassa avant même qu'un son sorte de sa bouche : elle ne semblait pas avoir fait attention à sa présence dans ce même-couloir, et avait même fait tomber un bout de parchemin de sa poche.

« Malya attend ! interpella Alaska en même temps de se pencher vers le sol pour récupérer ce qui appartenait à la brune. Tu as fait tomber ça. » Par respect, la troisième année lui tendit le parchemin sans penser à le déplier avant pour découvrir son contenu. En réalité, elle ne savait même pas qu'un poème se cachait à l'intérieur.

Marcher. Traverser le couloir. Avan...

Hein ?
Un son. Une voix. Un prénom. Malya.
S'arrêter. Se retourner. Faire face à la voix.
Alaska.
Alaska Cross, préfète de sa maison. En troisième année. Malya ne pouvait pas prétendre la connaître, mais elle lui semblait sympathique.
Un parchemin tombé. C'est malin.
Remercier. Récupérer l'objet. Sociabiliser.

- Zut ! Merci, commença la petite, attrapant le morceau de parchemin plié que lui tendait sa camarade. C'est sûrement mes notes du cours de...
Malya s'interrompit brusquement. Elle venait de déplier le parchemin, car elle n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait bien contenir, ni de quel cours il pouvait s'agir.

Ça, c'est pas un cours.
Indéniablement. Si un professeur avait parlé ainsi de la lune, Malya avait un meilleur ami moldu.

Elle lut son poème, debout, immobile dans le couloir. Elle le trouvait mauvais. Mis à part le fait qu'il était rédigé en alexandrins, il n'y avait rien de bon. Court, rimes moyennes, pauvres, sujet surexploité...
Son regard s'arrêta sur le cinquième vers de sa strophe.
Depuis quand j'ai treize ans, moi ?
Elle resta ainsi, perplexes, les yeux ronds fixant ce nombre dont le sens lui échappait.

Troublée, elle releva lentement la tête vers sa camarade, espérant croiser son regard.
- C'est pas des notes, en fait. Tu... tu peux lire, s'il te plaît ? Pourquoi j'ai écrit treize ans ?
Son propre étonnement la sidérait. Elle avait pour habitude de comprendre ses écrits... Elle espérait que plus âgée, Alaska pourrait l'aider à trouver un sens là où il n'y en avait pas.

Ses joues s’empourprèrent sous son ton amusé. « Comment pourrais-je le savoir ? demanda-t-elle en reprenant un air sérieux, quand elle se rendit compte que la brune l'était. Alaska haussa automatiquement les épaules, et commença à lire les premières lignes dans sa tête, puis les dernières à haute voix : Moi qui n'ai que treize ans j'admire ta descente. Sur les flots je t'observe en prenant précautions. »

Tout ce qui était sorti de sa bouche semblait s'être évaporé dans l'air ambiant, la jeune fille ne parvenait pas à se faire une idée claire sur ce qu'il semblait être un poème. Son regard se promena ensuite des lèvres de la Serpentard au parchemin et ce, sans effort.

« Ce n'est pas toi qui l'as écrit ? J'ignore ce que ça signifie mais tu ne parlais sûrement pas de toi, ou alors c'est un poème que tu as rédigé pour la Malya du futur quand elle aura treize ans ? » supposa-t-elle en gardant cette idée dans le coin de sa tête, la préfète souhaitait faire de même, mais sous la forme d'une lettre.

Alaska était restée dans la simplicité, car elle n'appréciait pas forcément l'écriture : elle se plaisait à en faire que d'en observer, en toute honnêteté.

« Il est sympa sinon... » mentit-elle en détournant ses prunelles vertes sur le poème, fade. En réalité il ne lui évoquait rien, c'était comme cette toile sur le mur tout à l'heure : elle n'arrivait pas à faire une quelconque interprétation, ni à saisir les volontés de l'auteur.

Malya ne comprenait pas. Déjà qu'elle était perdue, mais y ajouter la réponse de sa camarade ne l'aidait pas.
Malya ne parlait pas d'elle dans ses textes, enfin pas volontairement, mais il y avait toujours une partie de ses propres émotions. Or, ici, elle ne se retrouvait pas. Elle finit par se demander si Alaska n'avait pas raison de demander si les mots venaient vraiment de sa plume.

Quant à la Malya du futur, c'était quasiment impossible. Malya ignorait où elle irait le surlendemain... Elle n'arrivait pas à se projeter, son avenir semblait flou, comme une tache d'encre. Des fils de plomb à démêler.
En un sens, elle se plaisait à contempler ces fils. Elle voulait les tresser, former à partir de ce tas noir quelque chose d'harmonieux. Hélas ! le pourrait-elle un jour ? Pour l'instant, en tout cas, il n'en était pas question. Elle devait d'abord se libérer de son passé, puis songer à arranger son présent...
Satanées lettres.
Que maudites soient les lettres anonymes et le lot de tracas qu'elles apportent à un esprit déjà suffisamment tourmenté.

Au moins, Alaska était gentille. Le texte - comment appeler ça un poème ? - était tout sauf sympa. Formules lourdes, énumérations ennuyeuses... Les rejets ne coulaient pas, bref. Mauvais.

- Peut-être... Je ne parle jamais de mon futur, je n'arrive pas à l'imaginer. Non, c'est mauvais, comme texte. En même temps, pendant le cours, je ne pouvais pas vraiment me concentrer.
Rouler les yeux qui n'avaient quasiment pas bougé jusque là. Fixer le parchemin, ou fixer Alaska. Ils n'avaient rien fait d'autre, finalement.
- Tu préfères écrire sur le futur, ou réinventer le passé ?
La préfète de sa maison avait-elle une âme littéraire ?

Sûrement ma dernière réponse pour aujourd'hui, je ne peux pas en promettre une deuxième, mais si besoin, j'essaierai

La jeune fille s'était montrée très attentive au savoir de sa nouvelle compagnie, peut-être aussi parce que le ton de sa voix était plutôt agréable. Mais à présent, Alaska soupira doucement, délaissant le poème de la brune pour se concentrer sur sa question.

« Je n'écris pas, je n'aime pas ça . grimaça-t-elle sous son aveu. Lire encore moins, j'ai du mal à déceler les intentions de l'auteur, s'il y en a. C'est comme les toiles qui nous entourent, qu'est-ce qu'elles signifient, qui sont ces gens et pourquoi les a-t-on peint ? Et pourquoi toi tu as écrit un truc aussi tordu ? »

La troisième année avait seulement besoin de comprendre... pourquoi avoir mis autant de mots compliqués les uns à la suite des autres, pourquoi avoir écrit des choses qui n'ont aucun sens, même pour celle qui les a écrit.

« Désolé, c'est juste un peu trop perché pour moi. reprit-elle sans vouloir l'offenser, bien que sa délicatesse n'arrangeait pas forcément les choses. C'est assez... spécial. Ton écriture m'a perturbé, surtout que tu n'as pas l'air de la comprendre non plus. »

Alaska était prête à faire des efforts pour changer son point de vue, s'intéresser à l'écriture et à l'art, seulement si on lui expliquait enfin. Malya avait l'air de s'intéresser à tout ça, alors dans la subtilité, elle sollicita son aide pour l'éclairer.

Un truc aussi tordu ?
Malya avait conscience du bas niveau de son écrit, mais le mot la blessait tout de même, et son sourire s'envola complètement. Oui, c'était mauvais, mais quand même... Cependant, sa camarade n'avait pas l'air méchante, peut-être que ce n'était pas un reproche.
Au fur et à mesure qu'Alaska décrivait ce qu'elle ressentait, Malya s'aperçut qu'Alaska essayait vraiment de comprendre, mais ça lui passait au-dessus de la tête. En même temps, ce n'est pas avec un texte comme ça qu'elle allait pouvoir lui expliquer les subtilités de la poésie...

La petite s'en voulut, de n'avoir fourni un texte d'appui digne de ce nom. Elle aurait bien cherché son carnet, dans lequel elle rangeait ses autres textes, mais craignait deux choses : premièrement, de tout faire tomber au milieu du couloir, et deuxièmement, de se trouver face à la même désolation avec ce qu'elle prendrait au hasard.

Et surtout, pourquoi il avait-il décidé de concentrer pour lui seul toutes ses capacités cérébrales ?

- Je... je t'avoue que j'ai du mal à réfléchir à ce que j'écris, en ce moment. D'habitude, quand je relis, je comprends au moins ce à quoi je pensais, même quand c'est aussi mauvais, mais là, c'est juste... flou, dans ma tête. Je pense à trop de trucs, et il y en a trop que je ne comprends pas.

C'était triste, quand même. Alaska ratait toute la beauté de l'écriture, et de la lecture aussi. Comment lui expliquer ce qu'il y avait derrière ? Comment convaincre une fille de deux ans de plus que soi qu'elle passe à côté de l'essence de la réflexion ?

- D'accord, je ne sais pas comment l'expliquer. C'est assez étrange, pour moi aussi. C'est pour ça que je t'avais demandé de l'aide, d'ailleurs. Je ne devais pas avoir la tête à ce que j'écrivais. Mais, c'est tellement dommage, de ne pas écrire, je trouve. Du coup, tu ne sais pas ce que c'est, de mettre des mots sur des émotions ? De comprendre par ses écrits ce qu'on arrive pas à expliquer ?

Malya se souvint du dimanche où sa Plume avait remarqué la présence du Calamar Géant avant la partie consciente de son esprit. Un vrai choc, mais tellement profond, à bien y réfléchir...

Il faut qu'elle essaye.
Oui, mais comment ?
Comme ça.

- Regarde, là, tu es troublée, tu dis. Tu vas avoir un peu de temps, ce soir ? Tu pourrais essayer de penser à des images qui te troublent, enfin des pensées, et écrire ce que tu ressens sur un parchemin ? Tu y penses pendant deux ou trois petites minutes, puis tu écris comme tu penses. Comme ça vient. Comme un compte-rendu, mais sans réfléchir. Pas besoin d'écrire en vers ou avec des rimes, tu vois que ça ne marche pas à tous les coups. Mais, tu pourrais essayer ? Pour moi ?

Ses yeux qui, juste là, trahissaient son désarroi voire sa tristesse, se transformait en petit espoir. Tout petit, mais la minuscule flamme brûlait.

Le soupir de lassitude qui lui échappa des lèvres fut bruyant, Alaska n'avait pas vraiment de passion à part entière, alors elle ne pouvait pas voir les choses de la même manière que la brune. Son attitude fut ensuite plus tolérante, elle ne manifestait pas beaucoup d'intérêt, mais au moins un peu de curiosité pour les idées de Malya, qui différaient totalement des siennes.

« Si je suis troublée, je vais surtout le montrer : de part ma présence, mes gestes, ou ma parole. Je n'ai pas besoin de l'écrire, mais bon, je vais essayer. » dit-elle en haussant simplement les épaules.

La troisième année apporta son sac à sa hauteur, décrocha les sangles de celui-ci, puis plongea la main dedans pour en ressortir un bloc-note. Certaines pages étaient déjà griffonnées, il ne s'agissait pas de dessins, mais d'un support pour son organisation en temps que préfète. Toutes les tâches qu'elle devait réaliser étaient dessus : son emploi du temps, ses réunions quotidiennes avec Saul, ses bilans avec Miss Taylor, et tout le reste qui était important, touchant de près ou de loin à sa responsabilité. Alaska tourna les pages rapidement, puis s'arrêta sur une qui était vierge.

Dans la main de la Serpentard, un crayon, et son carnet, elle les regardait de manière dubitative, en se tournant vers sa camarade.

« Et maintenant ? » demanda-t-elle sans vouloir attendre le soir. De toute façon, elle était beaucoup trop fatiguée une fois sa journée terminée, et parfois, elle n'avait pas le temps pour se poser, elle devait surveiller que le couvre-feu soit respecté.