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24 oct. 2020, 00:09
Paradoxes orgueilleux  PV 
Brûle, brûle,
Sens-tu nos consciences qui brûlent – brûlent autour de nous ?
Et quand on brûle, brûle,
Sens-tu ces absences qui brûlent – brûlent nos défauts ?
Georgio — Brûle
_____

8 Mai 2045, 8h12,
2nde année,
Couloirs, Poudlard.


Depuis combien d’heures écris-tu ? Depuis combien de temps, seulement éclairée par la lueur vacillante d’une bougie, ta plume gratte sur le papier ? Depuis combien de temps, assise en tailleur sur ton lit, gardes-tu le dos courbé, obnubilée par les lignes qui se tracent au fur et à mesure que tu relates tes souvenirs ?

Ses yeux sont deux abîmes dans lesquelles on peut se perdre bien trop facilement. Et tout en elle respire la colère, la haine ; le désintérêt. Elle se fout de tout, elle ne semble se pencher que sur des sujets sombres et terrifiants. Elle se sent supérieure à tout et m’a jugée indigne de son attention.
Alors pourquoi Diable ai-je décidé de la poursuivre, ce jour de Janvier, où je n’avais besoin que d’une personne sur qui me défouler ? Pourquoi ai-je choisi Aelle Bristyle pour déchaîner ma colère ? Peut-être parce que je voulais me venger.
Pourtant, j’ai été faible, j’ai été pitoyable. J’ai essayé de lui faire comprendre les raisons de mon envie de la frapper, j’ai taché de lui expliquer pourquoi elle était responsable de mon échec au Match, et elle n’a absolument rien compris ; pire, elle s’est moquée. Elle m’a fixée de ses yeux pleins de flammes, qui n’ont rien vu mais qui ont la prétention d’étinceler d'ironie, elle a réduit en cendres mes espoirs et brûlé toute la confiance que j’avais eu la folie de placer en elle. Elle n’a pas voulu croire au nous qui nous avait réunies, elle n’a pas voulu ouvrir les yeux sur la personne que j’étais réellement. Aveuglée par ses certitudes stupides, entravée par ce qu’elle croyait vrai, elle est restée les yeux fermés, incapable d’accepter que l’on aurait pu se comprendre.

Mais elle aussi a laissé apparaître ses failles. Elle aussi a perdu la face et m’a laissé entrevoir qu’elle était mal. Alors, comme elle a su si bien le faire, je me suis engouffrée dans ses fêlures, et je l’ai blessée aussi violemment qu'elle m’a blessée. Ça m’a fait du bien de sentir mon poing percuter sa pommette, de voir ses yeux un peu larmoyants. Ça m’a fait du bien de lui tourner le dos comme si je ne craignais plus rien, comme si j’avais l’intime conviction qu’elle serait absolument incapable de me faire le moindre mal. Ça m’a fait du bien, de la voir pleine de douleur comme elle m’avait vue submergée d’émotions, de la voir pitoyable comme elle m’avait vue inutile et désespérée.
Ouais, à cet instant où je l’ai frappée, où son visage est parti sur le côté à cause de mon coup, je me suis sentie puissante. Et ça m’a redonné un peu de la confiance que j’avais perdue à cause de ses mots teigneux.

Tu souris. Les textes sauvages que tu arraches à ton esprit de la pointe de ta plume, te font te sentir vivante davantage que n’importe quelle parole. Ils te permettent de mettre de l’ordre dans tes pensées, d’évacuer ce que tu ne peux pas crier. Ils t’aident à rendre tes souvenirs plus clairs, ils te permettent de sortir de ton esprit les Autres qui t’ont fait du mal.
Tu risques un œil au-dehors, fixes la lumière qui commence à se déverser sur la pierre du Dortoir. Rassemblant les trois feuilles de parchemin que tu as rédigées ce matin, tu te lèves pour t’habiller. Tu as laissé passer l’heure du petit-déjeuner pour continuer de faire courir ta plume sur le papier, mais tu ne peux plus échapper à tes devoirs. Descendant les escaliers interminables en serrant contre toi tes feuilles, tu marches d’un pas lourd. Aller en cours est la dernière chose que tu désires faire, mais tu ne sais que trop bien qu’apprendre est le dernier cadeau que tu puisses offrir à Papa. Le seul remerciement que tu puisses exprimer à la professeure qui a accepté de t’accompagner le voir.

Pourtant, ce matin, tu ne souhaites que les mots. Ce matin, les souvenirs se déchaînent sous ton crâne, et ton besoin d’écrire martèle les portes de ta conscience. Ce matin, tu marches sans envie parce qu’enfin, tu te sens capable de penser à cet instant vécu avec Aelle Bristyle sans avoir mal, sans te sentir coupable. Ce matin, les lettres sont tombées pour donner un sens à tes pensées, les lettres sont tombées pour dresser le portrait de cette Autre trop vivante, les lettres sont tombées pour rendre le fruit de ta mémoire concret et réel.
Car oui, de nombreuses fois, tu as douté de la réalité de vos trois rencontres. De nombreuses fois, tu t’es demandé si Bristyle n’était pas le fruit de ton imagination. Tu t’es interrogée, te demandant si les blessures que tu portais dans ton cœur n’étaient pas finalement que des cicatrices que tu pensais rouvertes.

Tes jambes se dirigent seules mais, trop concentrée sur tes pensées et ton besoin d’écrire, tu ne prêtes pas attention aux feuilles qui glissent, peu à peu. Tu penses davantage à tes mots qu’à ce sur quoi tu les as écrit, et soudain, ils s’échappent. Ils tombent sur le sol, bousculés par les pieds des Autres inconscients de leur brutalité, malmenés par l’air et la pierre sur laquelle ils s’écrasent. Ton souvenir de Bristyle s’envole et, incapable de le protéger, tu l’observes fuir dans la nuée d’élèves.

L’effroi s’empare de toi, et tu fonds sur le sol pour retrouver tes feuilles. Priant pour qu’elles soient réduites à néant avant que quelqu’un ne les trouve, tu grognes en en voyant une s’éloigner encore de toi. Tu saisis le premier éclat blanc et léger qui s’aventure près de tes mains ; retrouves un morceau de parchemin sali et froissé. Tu le serres contre toi, parcours des yeux la nuée mouvante de jambes pour retrouver les autres. Ton cœur bat la chamade, et tu sens tes membres trembler.

*Et si elle les lisait avant ?*

_____
Plume d'@Aelle Bristyle, voilà. J'ai un peu peur, je te l'avoue. De ce que fera
ta Protégée. Entre dans la Danse ; j'ai hâte de lire tes mots.

• ‘til it seemed
that Sense was breaking through — •

ent‘r‘êvée

25 oct. 2020, 17:28
Paradoxes orgueilleux  PV 
8 mai 2045 — matin
Couloirs — Poudlard
4ème année



Lire en marchant est un talent. En plus de demander une concentration particulière, il faut être capable de comprendre les phrases tout en surveillant les Autres qui me forcent à slalomer. Lorsque je lis en marchant, je ne suis pas celle qui marche en attendant que les autres se décalent, non ; je suis obligée d’être celle qui amorce le mouvement avant que l’autre ne le fasse. Ainsi, je ne marche pas tout droit, je ne suis pas le flux. Je contourne, je frôle, j’avance, je m’arrête, je dépasse, j’accélère. Le plus compliqué est de faire comprendre aux Autres sans leur parler ni les regarder qu’ils n’ont rien à faire, que c’est moi qui gère — ces abrutis pensent que puisque j’ai le nez plongé dans un bouquin, je suis incapable de voir où je vais et donc que je vais leur rentrer dedans. Merlin, ce que les Autres sont idiots ! Celui qui lit en marchant est capable de savoir où il va, c’est évident !

Je peux me vanter d’être une très bonne Lectrice-en-marche ; les autres élèves ne sont que des ombres autour de moi, je les frôle sans les toucher et les dépasse sans frémir, me riant même parfois de leur regard effrayé — « elle a manqué de me bousculer ! » doivent-ils se dire sans savoir combien ils ont tort. Ce matin, le couloir est fort rempli. La sonnerie ne va pas tarder à sonner et je ne suis pas en avance. Mais cela n’a guère d’importance, rien n’a d’importance si ce ne sont les lignes qui défilent devant mes yeux. Elles me passionnent tellement que pour la première fois depuis un moment je suis frustrée à l’idée de devoir aller en cours et arrêter ma lecture.

Je lève rapidement les yeux pour voir où je vais. Un Autre sur ma gauche, un groupe sur ma droite ; je peux traverser au milieu et si je place mes épaules comme il le faut je ne toucherais même pas l’Autre qui bavasse comme l’idiot qu’il est. C’est parfait. Je me lance… Avant de m’arrêter brusquement quand l’Autre en question, un grand mec à la tignasse emmêlée, brandit son doigt en direction du sol, justement devant mes pieds.

« Fais gaffe, » qu’il dit en me jetant un regard en coin avant de s’en aller.

*Y m’veut quoi, lui ?*. Je baisse mon livre pour regarder au sol et je grimace. Une feuille. *Tout ça pour ça ?*. Un parchemin qui s’est certainement collé à une dizaine de paires de chaussures avant d'atterrir devant moi. Dans mon dos, je sens l’impatience des élèves. L’un d’eux me bouscule sur la droite pour me dépasser. Je grogne, lui jette un regard noir et me penche finalement pour ramasser la feuille. Je ne sais pas très bien pourquoi je prends le temps de faire ça alors que j’aurais pu disparaître sans un mot, piétinant cette chose sans chercher à en savoir plus. C’est un réflexe. Si Narym avait été là, sans doute m’aurait-il : « C’est peut-être ta gentillesse qui t’a fait te baisser » mais heureusement Narym n’est pas là — il n’aurait pas supporté avoir tort.

Parchemin en main, je regarde vaguement autour de moi. Si je retrouve son propriétaire — qui devra se manifester s’il veut que je le reconnaisse — je lui restituerais son torchon avant de me barrer, mais si je ne le trouve pas je me débarrasserais de la chose dans la première poubelle que je croiserais.

Je me décale pour ne plus encombrer le couloir. Les Autres qui me frôlent me dérangent. Avec leur tronche écarquillée, ils me font penser à des Veaudelunes. Merlin, ce que je peux détester traverser les couloirs les matins ! *L’est où l’autre con ?*. Déjà, je commence à froisser le parchemin et à attraper mon sac pour le fourrer à l’intérieur.

Tu vois ? Il n'y avait pas de quoi avoir peur — nos Protégées ont encore quelques secondes devant elles avant que ne gronde l'orage.

26 oct. 2020, 00:11
Paradoxes orgueilleux  PV 
L’angoisse te tord les entrailles ; la peur te noue le ventre. Les mains frémissantes, tu parcours du regard les dalles de pierre, fouilles l’amas de pieds de tes yeux glacés. Tu sens la panique monter jusque dans ta gorge : irrationnelle et étouffante, elle entrave ton cœur.

Comment a-t-elle pu, d’une simple poussée sur mes épaules, réduire en bouillie l’intégralité de mes certitudes ? Comment est-elle parvenue à passer outre les murailles que j’avais taché, tant bien que mal, de dresser entre le Monde et moi ; comment a-t-elle pu anéantir ce que je croyais profondément enfoui dans mon cœur ? Cette Autre est un Monstre, une Montagne, une Puissance. Un Être terriblement dangereux.

Finalement, je crois que j’ai pu apprendre quelque chose grâce à Aelle Bristyle. Finalement, je crois que j’ai compris qu’au lieu d’ancrer, au fond de nos âmes, il valait mieux encrer, sur les feuilles : les écrits valent mieux que les pensées, et les doutes n’atteignent pas les parchemins, frêles remparts contre les pensées noires.
Ecrire, je dois me rendre à l’évidence, m’a permis d’oublier la douleur qu’elle m’a infligée. Sans ma plume, je crois que j’aurais gardé au fond de mon cœur des plaies à-demi cicatrisées, j’aurais perdu l’esprit et l’espoir. Encrer mes maux, les faire devenir mots, est comme un moyen de me soigner, de faire le deuil de ce que j’ai perdu ; Aelle Bristyle m’a aidée à comprendre cela.

Le souffle court, tu cherches le calme qui t’échappe. Tu portes ta main fermée en poing contre ta poitrine, tentes d’y trouver la tranquille puissance qui se dégageait de la peau de Petite Ombre. Repoussant la panique qui te fait perdre la raison, tu trouves du réconfort dans le souvenir de son contact, songes fugacement au baiser étoilé échangé il y a tant d’éternités. Puis les bruits, les murmures, les sons, te ramènent à la réalité, au monde et à l’effroi qui fait chavirer ton cœur. Une main toujours pressée contre toi, l’autre douloureusement posée sur le sol, tu inspires, expires, jusqu’à sentir le rythme effréné auquel tes pensées voguaient s’apaiser.

*’m’en manque deux*, tu te redresses, poses un pied à plat sur la pierre et te relèves. Chancelante, tu contemples le flot d’élèves s’écouler tout autour de toi, marée humaine d’Autres affairés. Le parchemin serré dans ta main à t’en faire pâlir les phalanges, la mâchoire serrée et les yeux portant encore les vestiges de ton angoisse, tu avances tant bien que mal, les jambes tremblantes. Incertaine quant au réel intérêt de ton entreprise mais pourtant incapable d’abandonner tes mots à la brutalité des pieds des Autres, à leur négligence, tu fais courir ton regard d’un bout à l’autre du couloir.

Le premier papier, grêlé, abîmé, semble apparaître sous tes yeux, glisse lentement sur le sol tandis que les courants d’air le portent.

*Toutes ces heures pour ça*, et cette pensée te fait froncer les sourcils. Tu inclines le buste pour t’emparer de la feuille salie avant qu’elle ne t’échappe à nouveau, prends quelques secondes pour la contempler. Tu tentes de la lisser du mieux que tu peux, de lui rendre son éclat d’antan, mais rien n’y fait : elle est abîmée et tes mots disparaissent par endroits, cachés par de l’eau ou la poussière du château. Un moue déçue vient plisser tes traits, et tu te morigènes de ton inattention.

Ses yeux sont trop sombres pour qu’on ne se risque à la croire pleine de bonnes intentions. Elle irradie de moquerie, de mépris contenu, et un mot suffit à la faire cracher le venin qui lui sert de paroles. Elle a été douce, au début. Elle a semblé croire en une fusion, ce jour où, à la Bibliothèque, nous avons par la force de nos deux volontés fait fuir cet Autre bien trop envahissant. Mais bien vite, elle a renoncé à croire en cette hypothétique ressemblance, et a préféré me rejeter. Ce matin de janvier, elle a décidé que je n’en valais pas la peine, que je ne correspondais pas à ce qu’elle attendait de moi.
Quelques mots haineux qu’Aelle tient dans ses mains, quelques lettres vaguement effacées mais toujours bien trop lisibles. —


Quittant la feuilles des yeux, tu relèves la tête, te figes.
De l’autre côté du couloir, au parfait opposé de la où tu te tiens, se trouve la dernière Autre que tu désirais voir. Et entre ses doigts, se trouve l’ultime parchemin, froissé. Pétrifiée, ton regard où la tempête de tes émotions se discerne fixé sur Aelle Bristyle, tu te sens sombrer.
Puis, sans vraiment t’en rendre compte, tu te mets en marche ; tu avances jusqu’à te planter devant elle. Ton visage se lève légèrement, et tu graves ses traits dans ton esprit.


« Rends-moi ça. »


Aucune hésitation dans ta voix que tu empêches de trembler. Rien qui lui prouve qu’au fond de toi, tu es dévorée d’angoisses. Rien qui témoigne de ton envie de fuir, de disparaître pour l'éternité — ou du moins jusqu'à ce qu'elle t'oublie.

Cette dernière rencontre, s’est achevée sur une victoire. Je lui ai fait face, je lui ai tenu tête, et elle a fini par tomber.
Mais comment se déroulera notre prochaine entrevue ? Me laisserai-je envahir des émotions contradictoires qu’elle m’inspire ou saurai-je contrôler mon cœur ? Je crains de la revoir, je le crains terriblement, parce que je ne sais pas si je serai assez forte pour lui survivre.
Ce sont les derniers mots qu’elle a rédigés avant de sortir affronter le monde. Ils se trouvent, eux, serrés contre elle. —

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ent‘r‘êvée

26 oct. 2020, 18:56
Paradoxes orgueilleux  PV 
Je fourre dans mon sac le parchemin froissé avant de m'immobiliser brusquement — mon coeur sursaute d’une étrange façon contre ma cage thoracique. Il me semble avoir aperçu là-bas, à l’autre bout du couloir, une petite personne à la chevelure de feu et au regard de glace. Une petite personne dont le regard semblait braqué sur moi. Mais c’est impossible, tout simplement parce que cette personne n’a rien à faire ici — dans ce couloir et dans mon esprit. *Et si ?* se demande cependant mon esprit ; *et si ?* s’inquiète mon coeur. En proie à cette étrange angoisse, je ne peux faire autrement que ramener mon regard sur le fantôme que j’ai cru avoir vu. La foule est dense, dans le couloir ; dense, mais en mouvement. En une fraction de seconde, je comprends que ce que j’ai cru avoir vu est bien réel. Mon coeur rate un battement, un uniquement battement avant de s’emballer furieusement.
*Lewis*.

Et en un flash, je me souviens de notre dernière altercation ; de son coup de poing ; de mon « va te faire foutre » ; de ma déception, de ma colère, de ma tristesse ; de la seconde chance que je lui ai laissé ; de son incapacité à me comprendre — tout cela défile dans mon esprit abîmé. Et je ne peux rien faire pour l’empêcher de s’approcher de moi.

Mon coeur se serre. Je ne l’ai pas oublié, évidemment. Je la croise régulièrement dans les couloirs, mais jusqu’ici jamais elle ne m’avait approché. Et moi, j'ai fait mon possible pour oublier tout ce qu’il s’est passé, trop honteuse *non, trop intelligente* pour confronter la gamine. J’ai fait mon possible pour rester loin d’elle parce que Kyana Lewis ne mérite même pas que je pose mon regard sur elle.

Elle se plante devant moi. Elle est tellement petite qu’elle en est ridicule. Quand elle lève son regard sur moi, elle est ridicule ; quand elle prend la parole de sa petite voix fluette, elle est ridicule ; quand elle exige, elle est ridicule. Et en la regardant de toute ma hauteur, je me rends compte que je le pense sincèrement : *ridicule*. Je me demande pourquoi, pourquoi est-ce que j’ai pensé un jour que je pourrais m’attacher à cette fille ? Sans doute avais-je perdu l’esprit, ce jour-là. *Non*, je devais certainement me sentir mal à cause de Thalia et alors j’ai cru que cette gamine pourrait la remplacer. C’était complètement idiot, complètement con, j’ai tellement honte de l’idiote que j’étais alors. Quelle naïve ! Quelle enfant ! Et cette petite rousse *Lewis* n’a pas changé : finalement, elle est toujours aussi insipide, à délirer sans comprendre.

Ma bouche se tord en une moue dégoûtée. Il me faut quelques secondes pour comprendre la nature des mots qu’elle m’a balancé ; « Rends-moi ça » a-t-elle dit. Elle ne peut parler que d’une chose. Mes yeux d’obscur dégringolent jusqu’à atteindre les pages que l’enfant tient contre elle, étrangement semblables à celle que j’ai fourré dans mon sac. *C’est à elle ?*. Mes sourcils se dressent sur mon front. Merlin m’a-t-il réellement fait cela à moi ? Me faire ramasser un parchemin appartenant à une fille que jamais, jamais je ne voulais revoir ? La voir se tenir devant moi comme une petite reine me donne envie de la bousculer. Son regard de glace me donne envie de lui arracher les yeux — et ses putains de doigts crispés me donnent envie de hurler, ils me rappellent si fort, si fort, Merlin, le poing qu’elle m’a envoyé dans la tronche la dernière fois que nous nous sommes vu.

Je dois détourner le regard, rien qu’une fraction de seconde, pour résister à la brusque pulsion de haine qui me fait crisper la mâchoire. Je me souviens encore du coup, de la douleur, des larmes, de l’injustice, de la colère. J’aimerais tellement lui faire aussi mal qu’elle m’a fait mal. *Pas ici* me chuchote ma conscience, *pas maintenant*. Une inspiration, longue et profonde, me fait ravaler ma colère — celle-ci s’inscrit cependant sur mon visage et dans mes yeux.

Je bouge sans y songer. Le regard plongé dans la glace de Lewis, j’attrape mon sac et le fouille jusqu’à en ressortir la feuille de parchemin froissé. Je prends garde à la tenir éloignée de la fille. Je me recule d’un pas avant de sentir dans mon dos la morsure du mur ; je fais mine de m’adosser à celui-ci pour cacher mon trouble. Il y a quelque chose dans mon corps, quelque chose de grand qui grossit et qui a besoin de place. Je me sens étouffer avec tous ces Autres autour de moi, étouffer sous le regard de glace de cette fille qui ose se tenir devant moi après tout ce qu'elle m'a fait.

« C’est à toi ça, Lewis ? » demandé-je d’une voix froide en déposant mes yeux sur le parchemin.

Un vulgaire parchemin, très certainement une feuille de cours. Et si cette idiote a traversé tout le couloir pour venir la récupérer, ce n’est pas parce qu’elle est importante, non — c’est parce qu’elle veut me faire chier, voilà tout. Parce que ça lui plait de me narguer, c’est comme si elle me disait : « J’t’ai vu chialer et j’t’ai même frappé, je sais que tu es faible ! ». Et cela me donne envie de lui exploser la tête contre un mur.

Je ne sais pas comment je fais pour me concentrer sur les mots alors que je bous littéralement de rage. Je ne sais pas comment je fais pour lire alors que je n’ai qu’une envie, défouler toute ma colère contre cette toute petite fille qui arrive encore, des mois après, à me rappeler combien elle m’a déçue. Je ne sais pas comment je fais pour— *Ses yeux sont trop sombres pour… C’quoi cette merde ?*. Mes yeux parcourent quelques lignes. *... qu’on ne se risque à la croire pleine de bonnes intentions*. Je fronce les sourcils, peinant à croire en ce que j’ai sous les yeux. *Ce matin de janvier, elle a décidé que je n’en valais pas la peine, que je ne correspondais pas à ce qu’elle attendait de moi*. Un putain de journal intime, voilà ce que je suis en train de lire. Un rictus me déforme le coin de la bouche. Il n’y a que Lewis pour écrire son journal intime sur des parchemins volants que tous peuvent lire — encore une façon de faire son intéressante et de se Déverser sur le monde, certainement. Comme si le monde en a quelque chose à foutre de ce qu’il se passe dans cette tête-là.

Je garde le bras en l’air, le parchemin toujours étroitement serrés entre mes doigts ; inaccessible. Je dépose mes yeux sur le visage de Lewis et l’observe quelques secondes sans ne rien dire. Je n’ai jamais particulièrement aimé emmerder les autres sans raison. D’ailleurs, je ne trouve pas que ça ait le moindre intérêt. Pourtant, aujourd’hui, c’est différent. Aujourd’hui, je me retrouve face à cette fille qui a osé me frapper, qui a osé m’insulter, se foutre de ma gueule. Et plus que ça : cette fille qui m’a déçue. Je ne sais même pas que penser d’elle. Mes pensées se mélangent dans ma tête et mon coeur vrombit de plusieurs émotions que je ne comprends pas. Il se passe tant de choses dans ce corps, tant chose dans ce coeur que je ne sais plus où donner de la tête, je n’arrive pas très bien à réfléchir, à comprendre ce qu’il se passe.
Je ne retiens qu’une chose, simple et claire : Lewis mérite ma colère et mon dégoût.

« On a de noires pensées, Lewis ? » fis-je finalement d’une voix moqueuse. Je jette un regard au parchemin et lis : « Elle a été douce au début. » Je ricane. « Chagrin d’amour ? Pitoyable. »

28 oct. 2020, 10:24
Paradoxes orgueilleux  PV 
Tes yeux cillent, l’espace d’un instant. Tu détournes le regard, soudain envahie par l’hésitation, baisses le menton. Sous tes pieds, les dalles semblent se mouvoir, s’allier pour que tu tombes, que ton corps s’écrase sur elles et y reste pour l’éternité. Tu sens ta tête tourner, tes émotions s’entrechoquer et ta peur, victorieuse, s’élever au-dessus de tes pensées et les écraser de son poids.

*Pourquoi j’ai pris c’risque, bordel ? Pourquoi j’tiens toujours à faire des trucs débiles ?*
L’abattement doit se lire sur tes traits, lorsque la pensée traverse ton esprit. Prête à faire demi-tour, à te laisser emporter dans le flot vivant, tu manques de faire un pas en arrière, de lui tourner le dos.
Pourquoi ? crie ton esprit assailli d’effroi. La combativité disparaît, de même que la rage et l’envie de récupérer ce qui t’appartient. Tu sens une chape de glace se poser sur ton cœur ; ton corps frémissant chancelle encore. Les yeux égarés dans le vague, évitant à tous prix les orbes brûlants d’Aelle Bristyle, tu respires lentement, forçant ton cœur à se calmer.

Sa voix détruit tout ; la bulle qui avait paru se construire autour de toi pour te protéger de ton angoisse, l’espoir que tu avais qu’elle te rende ton parchemin sans rien dire, sans rien faire, tout jusqu’à ton envie de fuir. Elle te pétrifie là, muette et le regard baissé, face à cette fille plus dangereuse que tout. Elle t’empêche de prononcer le moindre mot, d’émettre le moindre son, elle bloque ton visage incliné vers la pierre centenaire. Elle fait remonter la glace qui habitait ton cœur jusque dans ta gorge, jusque dans ton cerveau, et tu sens une profonde résignation s’installer en toi.
Comme si tu devinais déjà ce qu’elle allait faire ; comme si son intention s’était gravée au fer rouge dans ton esprit avant même qu’elle l’exprime. Sans même l’observer, tu attends ; tu laisses les sons du couloir assombrir tes pensées alors qu’elle parcourt de ses yeux venimeux les quelques lignes tracées sur le papier sali. Tu frémis seule, en silence, les yeux baissés ; comme une Gamine prise en faute. Attendant sans doute la sentence de l’Autre qui se dresse là, attendant son coup de poing, sa gifle.

Tes mots vont-ils lui rappeler la douleur qui semblait l’assaillir, lorsque tu as tourné les talons pour te diriger vers le Château ? Vont-ils faire revenir à son esprit le coup qui a paru ébranler ses fondements, sauront-ils lui faire aussi mal que le poing qui s’était écrasé sur sa joue ? Au fond de toi, comme un espoir un peu coupable, tu voudrais que oui ; tu voudrais qu’elle se souvienne du mal que tu lui as infligé. Qu’elle ait encore mal à la pommette, qu’elle sente encore la brûlure des larmes qui, honteuses preuves de sa colère, avaient dévalé ses joues. Qu’elle ait gravé au fer rouge dans son cœur ta violence et ta haine ; qu’elle comprenne l’étendue de ta déception.


C’est comme un besoin de me prouver quelque chose ; de m’affirmer que je n’ai pas fait cela par désir ou par besoin, que ce n’était qu’une vengeance. Qu’un moyen de lui montrer l’étendue de ce qu’elle m’a fait subir. Qu’une manière de lui faire comprendre que ses mots étaient des flèches, que ses moqueries étaient des poignards, et que tous se sont plantés dans mon cœur.
J’aurais aimé qu’elle voie ça comme une manière d'oublier nos différends ; « on fait la paix, maintenant », que j’espérais. Je ne sais pas ce qu’elle est, je ne sais pas ce qu’elle pense, mais j’ose croire en son intelligence. Qu’elle se rendra compte que mon coup n’était qu’un moyen de lui montrer le mal qu’elle m’a fait, de lui rendre ce qu’elle m’a pris.
Une feuille froissée, sur laquelle on ne peut plus rien lire ; Kyana la serre contre elle. —


Entendre Aelle Bristyle murmurer des mots que tu avais rédigés pour toi, et pour toi seule, te coupe la respiration pendant quelques secondes. Brisant, détruisant toute la confiance que tu avais réussi à passer dans ton texte, elle prononce ton écrit avec un mépris incroyable.

Et à cet instant, ton cerveau se déconnecte. Toute trace de raison disparaît de ton esprit, remplacée par les bribes de folies, et tu apprécies le silence qui peuple ton corps un instant. Ton visage se relève lentement, tes yeux se figent dans les siens, et une voix que tu ne reconnais pas sort de ta bouche ; une voix assourdie que tu entends comme égarée dans un rêve.
Tu indiques la feuille qu’elle a du menton, tes yeux se plissent.


« C’est d’toi qu’ça parle, Aelle. De c’moment après l’match, tu t’souviens ? »


Tes dents se découvrent brièvement, en un rictus indéfinissable. La peur continue de vrombir mais tu ne l’entends plus ; la prudence a déserté ton esprit. *Elle a rien compris, p’tain. Elle a rien compris, c’pas possible.*

« D’mon poing sur ta joue. »


C’est amusant, parce que c’est la première fois que j’ose admettre que Bristyle me fait peur. Que j’ose me rendre à l’évidence ; oui, cette fille est terrifiante. La croiser dans les couloirs, c’est… quelque chose de particulier. Qui serre le cœur, mais qui emplit aussi d’une sorte de défi ; la voir me donne envie de dépasser les limites, de voir de quoi je suis capable. Elle me fait terriblement peur, et je veux combattre cette peur. Je veux affronter Aelle Bristyle comme j’ai affronté ma peur du vide, je veux affronter Aelle Bristyle comme j’ai affronté ma peur de la mort. Je veux la vaincre, pour me prouver que j’en suis capable.
Ces mots-là en revanche... Aelle les a en sa possession ; ce sont les derniers qu'elle a écrits sur la page et ils se découpent, propre paragraphe, au pied de la feuille. —


« Et d'tes larmes. »

• ‘til it seemed
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ent‘r‘êvée

28 oct. 2020, 18:22
Paradoxes orgueilleux  PV 
Mon dégoût est un monstre orgueilleux. Il n’a pas envie de se tapir quelque part dans l’ombre de mon esprit, non. Il veut apparaître au grand monde, se délasser sur mon visage et se rire de la gueule de Lewis. Et moi, je n’ai pas envie de le retenir. Peu importe ces mots que je tiens dans ma main, finalement. Peu importe ce qu’ils signifient, ce qu’ils représentent — le fait est que cette gamine se trouve devant moi et que j’ai envie de la réduire à moins que rien. J’en ai sincèrement envie, comme ce jour-là au haut de la tour d’astronomie avec *Elowen* ; *rappelle-toi les conséquences…*. Mais je n'en ai absolument rien à faire de faire souffrir Kyana Lewis, elle l’a mérité et elle le mérite encore, contrairement à l’autre Serdaigle. Tout dans son comportement nous a amené à cette situation : elle en face de moi et moi la dominant de toute ma taille. C’est de sa faute à elle, à cause de son idiotie, de son incompréhension et de sa méchanceté, voilà tout.

Je suis si bien assise sur mon trône de haine, si bien drapée dans ma cape de dégoût que lorsque Lewis prend la parole je ne réagis pas. Il me faut quelques secondes pour que ses mots se déposent dans mon esprit et encore plus pour que je les comprenne. Et lorsqu’enfin j’y arrive… Lorsque j’entends mon prénom dans sa bouche, je dégringole de mon piédestal pour m’écraser lamentablement sur le sol de la réalité. La chute est brutale et douloureuse, elle fracasse le masque de dégoût qui m’habillait les traits pour ne laisser qu’un air oscillant entre l’ahurissement et la débilité.
*Hein ?* murmure mon esprit.
Seule pensée un tant soit peu cohérente que je suis encore capable de formuler.
*Hein ?* geins-je, mon regard passant des yeux de glace de cette *foutue* Lewis à la feuille de parchemin que je tiens entre les mains. *C’pas possible*. Absolument impossible. Pourquoi cette feuille parlerait-elle de moi ? Pourquoi Lewis voudrait-elle seulement parler de moi à un parchemin ? Pourquoi prendre le temps d’écrire des mots me concernant ? Tout à coup, je ressens le besoin de relire ses mots que j’ai totalement oublié, de les faire miens, de les comprendre avec ce que je viens d’apprendre.

*De c’moment après le match qu’elle dit* songé-je en parcourant frénétiquement la feuille des yeux. Mais je n’ai pas le temps de lire.
Lewis l’ouvre.
Cette voix, ces mots…

« D’mon poing sur ta joue. »

… me ramènent des mois en arrière, lorsque nous nous trouvions moi et elle dans le parc, après le match de Quidditch. Je ne me souviens guère des mots sans sens qu’elle m’a offert au début de notre conversation, non. Ce sont les autres qui me frappent brutalement, qui s'immiscent dans mon coeur pour le tordre avec un malin plaisir. « Quand t’écoutais pas ce que je te disais ? Quand tu te croyais tout permis, à foutre ton nez là où t’avais pas à le f-foutre ? » Sauf que… « Quand t’es pas capable de respecter l’autre... » … que ce ne sont pas ses mots à elle... « Va te faire foutre, Lewis. » ... ce sont les miens, vibrant de colère, vivant de déception, surtout. Une déception tellement puissante qu’elle me revient en pleine gueule aujourd’hui.

« Et d'tes larmes. »

Et Kyana Lewis se fait un plaisir de me la rappeler, cette foutue déception. Elle se fait un plaisir de me rappeler qu’elle a tout compris, qu’elle sait qu’elle m’a fait mal, qu’elle sait qu’elle a vu ce qu’elle ne devait pas voir — et fait ce qu’elle ne devait pas faire, ma pommette se souvient encore de son coup, minable mais douloureux.
Et elle ose se pointer devant moi.
Et me dire tout cela.
Se jouer de moi.
Se foutre de ma gueule.

J’ai du mal à respirer. Depuis quand ma respiration s’est-elle emballée ? Je suis essoufflée et mes yeux sont piquants, comme si les larmes allaient couler, mais irrémédiablement secs. Il est absolument hors de question, hors de question que je chiale encore devant cette fille, je m’en fais la promesse. Je me le jure. Mon poing libre se serre tout au bout de mon bras tremblant. Je résiste très fort à l’envie de l’envoyer rencontrer la joue de Lewis. Je me retiens parce que le couloir est rempli d’Autres et aussi parce que je dois comprendre avant de frapper. Je dois comprendre, c’est essentiel et après je pourrais me défouler.

J’arrache difficilement mon regard de Lewis pour le reposer sur son parchemin, essayant en vain de contrôler ma respiration désordonnée. Certains passages m’agressent aussitôt : “Elle a semblé croire en une fusion, ce jour où, à la Bibliothèque, nous avons par la force de nos deux volontés fait fuir cet Autre bien trop envahissant.” C’est à peine si je me rends compte combien je suis bouleversée qu’elle ait compris que ce jour-là je m’étais senti proche d’elle, c’est à peine si je comprends qu’elle aussi a ressenti les mêmes choses que moi — le reste arrive trop rapidement pour que je me concentre sur ce que je ressens.
Ce matin de janvier, elle a décidé que je n’en valais pas la peine, que je ne correspondais pas à ce qu’elle attendait de moi.” ; *putain, ouais, t’en vaux pas la peine*.
Bristyle me fait peur.
La voir me donne envie de dépasser les limites.
Je veux la vaincre, pour me prouver que j’en suis capable.

J’ai le souffle coupé en parcourant les mots à toute vitesse, en sautant des lignes entières, en me jetant avidement sur les phrases, comme si j’espérais trouver quelque chose pour apaiser l’immense peine qui s’installe dans mon coeur. Mais je ne trouve rien du tout, chaque mot que je lis rajoute un poids sur mes épaules, enfonce un peu plus le pieux dans mon âme, comme si je n’avais pas déjà assez mal. Merde, mais je ne veux pas avoir mal, pas à cause d’elle ! Elle n’est rien du tout, rien du tout. Pourtant, je n’arrive pas à empêcher la tristesse de grignoter des pans entiers de mon coeur.

« Je suis un défi ? » murmuré-je sans même m’en rendre compte en ramenant mes yeux perdus sur Lewis, sans même chercher à cacher toutes les émotions qui doivent s’afficher sur mes traits.

C’est donc ça que je suis ? Jusqu’ici, je pensais n’être rien. Juste une fille qu’elle avait pris plaisir à frapper pour je ne sais quelle raison, sans doute parce qu’elle était trop fière pour comprendre qu’elle était en tort. Une fille qu’elle n’a pas compris, une fille qu’elle a harcelé avec ses questions alors que je lui ai dit clairement bordel que je ne voulais pas qu’elle insiste. Je pensais n’être rien du tout, je pensais qu’elle m’avait oublié, qu’elle avait cessé de penser à moi, d’ailleurs j’étais persuadée qu’elle n’avait jamais pensé à moi. Même après ce jour à la bibliothèque, même après cette fois sur le terrain de Quidditch, même après le lac, même après le coup dans le parc — je ne devais pas l’avoir bien marqué, pourquoi l’aurais-je fait ? Pourquoi serais-je présente dans ses pensées ? Pourquoi est-ce que je compterais pour elle ? Pourquoi est-ce qu’elle penserait à moi ?
Ce n'est pas crédible, alors je n’y ai jamais cru.
J’étais persuadée d’être la seule à penser à elle — quand je m’y autorisais, rarement donc.

Je me suis trompée en beauté. Oh, si, Kyana Lewis pensait à moi. Kyana Lewis et sa fierté malmenée pensaient à moi. « Je veux la vaincre » se chuchotait-elle quand elle me croisait dans les couloirs sans que je ne l’aperçoive, « je veux lui faire du mal », comme si le coup de poing n’avait pas suffit. Je n’arrive pas bien à comprendre comment elle peut autant me détester. Je le jure, je ne comprends pas. Est-ce seulement une question de fierté ?

Ça me fait mal.
Là, quelque part dans le coeur, ça me fait mal. Je n’arrive pas à comprendre ce que j’ai fait pour mériter ça alors que c’est elle qui est en tort dans l’histoire. Le pire, c’est que cette douleur a bouffé toute la colère que je ressentais. Je me sens totalement vide, à présent. Lourde et vide à la fois. J’ai envie de disparaître.

Mais je suis ici, face à Lewis. Je dois me reprendre. Me retrouver. J’essaie de reprendre le contrôle de mon souffle. Mes yeux dégringolent du visage de la fille jusqu’aux feuilles qu’elle tient encore contre elle. *Y’a peut-être d’autres trucs écrits*. Des trucs me concernant. Si je dois avoir mal, autant avoir réellement mal.

Les Autres ont totalement disparu autour de moi. Il ne reste que Lewis. Elle prend toute la place dans ma tête. Elle prend toute la place, putain. Soudainement, je jette ma main en avant et agrippe l’épaule de la petite. Habilement, j’intervertis nos places ; sans aucune douceur, je pousse Lewis contre le mur et me place devant elle. Mes doigts serrent son épaule, ils serrent, ils serrent — j’aimerais être capable de lui faire plus de mal encore, mais je suis comme ankylosée, comme figée. Ni les mots, ni les gestes ne me viennent. Je reste ainsi quelques secondes, mon regard plongé dans le sien, avant de réussir à bouger. Du bout des doigts, j’essaie d’attraper les parchemins qu’elle tient contre elle. Je me penche, grignotant les derniers centimètres qui nous séparent, et toute proche d’elle je murmure d’une voix rauque :

« T’as intérêt à me les passer. »

Je voudrais te dire tant d’autres choses. Je voudrais te gueuler dessus, te frapper, te malmener, te faire mal, t’arracher la vérité du bout de ma baguette. J’aimerais te secouer dans tous les sens, te forcer à parler, à me dire tout ce que je veux entendre. J’aimerais voir les larmes couler sur tes joues, que tu te roules en boule de douleur, que tu cries ta peine. J’aimerais te toucher comme tu m’as touché. Mais le fait est que c’est impossible. Je ne pourrais jamais arriver à un tel résultat, tout simplement parce que je ne suis rien, je ne suis pas grand chose, hein ? Pour toi, je n’ai guère d’importance, je suis invisible, je ne compte pas. Et j’aurais beau faire tout ce que je peux pour exister, je ne serais toujours qu’un défi, qu’un but à atteindre. Alors je n’ai même pas envie de me fatiguer pour toi. Je n’ai pas envie de me fatiguer pour rien.

29 oct. 2020, 15:50
Paradoxes orgueilleux  PV 
Le visage qu’elle affiche de procure un sentiment étrange. Son incrédulité, comme une avidité, un besoin de savoir, manque de te faire reculer. *J’suis un animal qu’elle veut comprendre, en fait. Une énigme qu'elle veut élucider.* Mais tu continues, tu arraches les mots à ta bouche ; tu les craches à ses pieds *et débrouille toi avec*. Tu les extraits après les avoir trempés dans la colère – dans le dégoût qui bout dans ton cœur. Tu les enduis de toute la haine qui avait animé ton corps lorsque tu as écrasé ton poing sur sa joue, les inondes de la douleur que tu voudrais qu’elle comprenne, et tu lui jettes au visage.
La sensation d’avoir pris le dessus, la puissance que tu sens irradier dans tes veines, sont les plus beaux cadeaux qu’Aelle Bristyle pouvait t’offrir. Tu la fixes, vois ses traits se décomposer, son visage prendre la couleur de la cendre l’espace d’un instant. Un sourire vient flotter sur tes lèvres, rictus de moquerie et de satisfaction, reflet de l’émotion qui traverse ton âme. Comme si le monde se trouvait à tes pieds, comme si, couronnée de gloire, tu pouvais enfin respirer librement.
Dans ton cœur, plus de trace d’angoisse. Seulement le vague tiraillement de la peur qui s’atténue chaque seconde, à mesure que Bristyle parcourt de ses yeux d’ombre les lignes que tu as écrites, emportée par la frénésie des souvenirs.
*J’crains plus rien d’elle*, tu vrilles tes yeux dans les siens quand elle ouvre la bouche.

J’ai tout perdu à cause d’elle, je crois. Elle a égaré ma confiance, l’a reléguée au second plan. Elle a amené le doute au fond de mon cœur, m’a appris la haine et a fait flamber mes maux. Sous couvert de m’aider, elle a rouvert mes plaies déjà à vif ; m’a rappelé l’abandon de ma famille. Sans aucun regard pour mon âme torturée, elle est parvenue à me rendre bancale, branlante ; un édifice qui s’est effondré sur lui-même dès qu’elle m’a craché ses paroles.
Finalement, je me demande si elle n’est pas insensible, si elle parvient à voir la douleur des autres. Sans doute trop centrée sur le mal qu’elle faisait, trop concentrée sur elle-même, a-t-elle été incapable d’ouvrir les yeux.
Je me souviens encore de mes notes. Des cordes du violon sur lequel je laissais glisser mon archet. Et de la manière dont elle est parvenue à les arrêter, ces sons qui s’échappaient de mon cœur et se déversaient sur le monde enneigé. Elle s’est plantée devant moi ; il me semble qu’elle a murmuré, et moi, naïve que j’étais, je l’ai écoutée. J’ai essayé de comprendre ce qu’elle me disait, j’ai essayé d’intégrer ce qu’elle m’expliqué. Trop confiante sans doute, je lui ai posé des questions ; trop certaine de sa douceur et de sa compréhension, j’ai osé parler.

*« N’attends pas la fin du monde, pourquoi tu danses avec le diable ? »*
Les mots se mélangent dans ton esprit, la mélodie de la chanson se joue en fond, et tu contemples Aelle Bristyle s’emmêler avec les mots.

« Je suis un défi ? »


« Un défi ? », qu’elle murmure, incrédule. Saisie, tu gardes ton regard de glacé posé dans le sien, le menton relevé ; tu observes ses traits le cœur battant. *Nan, pas un défi, Bristyle. T’es pas un défi, t’es bien pire que ça.*
*« Pourquoi tu danses avec le diable ? »*
, répète ton esprit. Tu hoches lentement la tête. Voir ses émotions courir sur son visage, briser ce masque de dégoût te rend victorieuse. Incapable de détacher ton sourire de tes lèvres, tu l’observes comprendre, peu à peu. Ses pensées allant et venant, presque capable de les voir traverser son esprit, tu la fixes.

Mais s’il existait une chose à laquelle tu ne t’attendais pas le moins du monde, s’il y avait un acte que tu ne l’imaginais pas capable de faire, c’était bien cela. Ses mains posées brutalement sur tes épaules, ses doigts qui t’empoignent, qui tentent tant bien que mal de te prouver sa supériorité. Ses yeux dans les siens, son visage figé, et ton envie grandissante de te dégager, peut-être de la bousculer.
Tu l’observes, cette Autre trop grande, trop puissante, trop effrayante, qu’avec tes mots tu as rendue faible et désespérée. Tu contemples ses traits, ses yeux pleins de Nuit, ses cheveux assombris par le manque de lumière du Couloir, et tu écoutes, en fond, le fracas produit par les Autres qui avancent.
Pendant quelques secondes, c’est comme si tu avais perdu connaissance, que le Monde était flou autour de toi. Que l’univers avait cessé de fonctionner durant un instant, ou bien que ton corps était incapable d’accepter le mouvement qu’elle lui imprime. L’air fuit tes poumons quand elle te pousse contre le mur et qu’elle se dresse devant toi, encore auréolée d’incompréhension. Gagnée par la surprise – elle remplace ta fierté et s’installe dans ton cœur –, tu fixes Bristyle tendre la main pour saisir tes parchemins. Les dents serrées, tu gardes les yeux plantées dans les siens, ton hiver combattant ses ténèbres. Tu poses une main protectrice sur les feuilles, laisses tes lèvres s’entrouvrir.


« T’as intérêt à me les passer. »


Ah, Aelle Bristyle et ses injonctions ridicules. Aelle Bristyle et les ordres qu’elle balance comme ça, comme si elle était certaine qu’on lui obéirait. Aelle Bristyle qui se croit reine et qui désire certainement asservir les autres. Aelle Bristyle qui pense que tout lui est dû et qui se permet de faire savoir ce qu’elle veut à tout le monde.
Encore une belle preuve qu’elle ne comprend rien, qu’elle est aveugle ; qu’elle voit le monde bien plus pitoyable qu’il ne l’est réellement.

Tu hausses les sourcils, ironique. Tout dans ton attitude imite le mépris qu’elle affichait plus tôt, et tu ne prononces rien. Tu te contentes de prendre les deux feuilles froissées dans ta main, et de la laisser tomber contre ta jambe. Elles ne sont pas hors d’atteinte, tu sais que si elle le désirait, elle pourrait tendre le bras et s’en emparer. Au lieu d’essayer de les dissimuler, de l’empêcher de les saisir, tu laisses ta voix sortir de ta bouche en un murmure.

« Pourquoi ? »


Bristyle ne pourra nier ne pas t’avoir entendue, son visage à quelque centimètres du tien et son regard rivé dans tes yeux. Ton souffle se dilue, seulement audible par elle.
Tu bouges doucement la main et les parchemins bruissent ; tes lèvres sourient à nouveau, moqueuses. « Vas-y, essaie. Essaie d’les récupérer. Essaie d’me prouver que t’as l’dessus. », clament-elles.


« T’en as vraiment quelque chose à foutre ? »


Pourquoi voudrait-elle lire cela ? Pour pouvoir ensuite affirmer haut et fort que tu lui fais pitié ? Pour balancer tes mots aux Autres ? Pour les conserver avec elle ? Pour les déchirer, les réduire en miettes, pour faire comme si ces écrits n’avaient jamais existé ? Pour les oublier, pour te les faire oublier, à jamais ?

• ‘til it seemed
that Sense was breaking through — •

ent‘r‘êvée

01 nov. 2020, 18:18
Paradoxes orgueilleux  PV 
Une première fois, Kyana Lewis m’a déçu si fort qu’elle a réussi à me faire mal. Peut-être aurais-je pu lui pardonner. Si elle m’avait dit qu’elle était désolée et que plus jamais elle ne recommencerait à insister avec ses questions indiscrètes. Si elle avait compris que sous-entendre que j’avais des blessures cachées à l’intérieur de moi n’était pas une bonne chose, tout cela ne se serait jamais déroulé — et si elle ne m’avait pas envoyé son poing dans la figure. Et aujourd’hui, elle me déçoit une seconde fois. Je ne savais même que c’était possible, jamais je n’aurais cru qu’elle puisse me faire mal, encore. Mais pourtant, c’est ce qu’elle a fait. Je n’arrive pas à oublier les mots que j’ai lu. “Je veux la vaincre, pour me prouver que j’en suis capable”. La seule chose que cette fille veut, c’est me vaincre. Me réduire à moins que rien. C’est pour cela qu’elle écrit toutes ces choses, juste pour se prouver *et me prouver* qu’elle peut me toucher. Que croit-elle ? J’ai affronté une éminente sorcière africaine lors de ma première année, je suis amie avec un Mngwi, j’ai rencontré le Manitou suprême de la Confédération internationale des sorciers, j’ai confronté Dai Hong Dao, puissante sorcière, et je suis même allée au Japon toute seule où j’ai fait la connaissance de la fameuse Ururu Yokohyama. Je suis bien plus qu’elle ne pourra jamais l’être, elle ne peut pas me toucher *elle m’a déjà fait mal*, elle ne peut rien me faire *elle m’a déjà déçu* et encore moins me vaincre *elle m’a déjà fait mal*.

Mon coeur rate un battement et mes yeux quittent un instant ceux de Lewis pour dégringoler sur les feuilles qu’elle tient contre elle. Celles-ci échappent à ma faible prise lorsque la fille baisse la main. Je pourrais aisément m’en saisir, les lui arracher dans l’instant. Je l’aurais fait si elle n’avait pas pris la parole, me faisant crisper les mâchoires et les poings — dans ma main gauche, je sens le parchemin se froisser.

*Pourquoi ?*, ose-t-elle demander. Et ce regard qui brille d’impertinence, cette tronche qui se moque de moi, cette voix moqueuse. Comment ai-je seulement pu croire que je pouvais l’apprécier ? Ce visage, le moindre de ses traits, de sa voix à son regard, tout me débecte chez elle. Je la déteste, pas comme je déteste les Autres, mais comme je déteste ceux qui m’ont déjà fait du mal. Je la déteste au point de vouloir lui briser toutes les dents, je la déteste au point de vouloir tout abandonner maintenant pour m’enfuir très loin, pour me réfugier dans un endroit où plus personne ne pourra m’atteindre. Je la déteste au point de vouloir faire semblant que rien ne s’est passé. Je pourrais feindre que rien n’est arrivé, que je n’ai pas eu mal, qu’elle ne m’a pas déçu. Je la déteste tellement que je voudrais tout oublier, absolument tout.

Je sais que mon coeur n’est qu’un organe qui ne ressent rien. Alors pourquoi me fait-il si mal à présent ? Pourquoi se tord-il de cette manière, comme si toute ma douleur se trouvait à l’intérieur de cette chose qui bat trop fort et trop vite ? Les mots de Lewis m’arrache son souffle. « Non, j’en ai pas vraiment quelque chose à foutre » ai-je envie d’hurler ; je m’en fous complètement, ce n’est que de la curiosité ! Mais c’est un mensonge tellement gros qu’il ne parvient même pas à dépasser la barrière de mes lèvres. Le fait est que c’est important pour moi de savoir ce qu’il y a écrit sur ces feuilles parce que j’ai envie de me rendre compte à quel point j’ai été conne. J’ai envie de lire le moindre de ses mots pour avoir mal encore et encore — si je crève de douleur, peut-être que faire semblant que rien de tout cela n’est arrivé sera plus facile, non ?

Merde, j’ai envie de chialer. Mon visage le hurle au monde, que j’ai envie de chialer ! Mes lèvres s’incurvent vers le bas et mes yeux me piquent. Je sens que je perds le contrôle de moi. Je tremble, je suis faible et j’ai mal, Merlin, j’ai mal à l’intérieur du coeur. Je vais perdre pied. Dans quelques instants, les vannes vont souffrir et il n’y aura alors que deux scénarios possibles. Le premier est trop terrible pour que je l’accepte : m’effondrer en sanglots de gamine. Puisque je refuse que cela arrive, ne reste plus que le second scénario : la frapper, frapper Lewis jusqu’à ce que l’on m’arrête, la frapper à m’en briser les phalanges, la frapper pour lui faire perdre cet air qu'elle a sur le visage.

Oh, Merlin.
Comment ai-je pu laisser cela arriver ?
Moi, Aelle Bristyle, ai envie de chialer pour cette gamine.
Chialer comme une enfant. Une enfant déçue.
Et j’ose prétendre vouloir être une sorcière puissante que les barrières, quelles qu’elles soient, ne limitent pas, à l’imagine de Kristen Loewy — bordel, mais je n’arrive même pas à la cheville de cette femme et moins encore à celle de Nyakane qui jamais, jamais ne se serait laisser bouleverser de cette manière, même à mon âge.

*J’suis pitoyable*.
Je dois me barrer. Maintenant.

Je bouge si vite que je me surprends moi-même : je plaque mon avant bras contre le torse de Lewis, juste en-dessous de son si fragile cou. Coincée contre moi et le mur, elle ne peut plus bouger. Je n’ai pas la force de croiser son regard. Je me sens forte physiquement *comme un golem* mais si faible tout à l’intérieur. J’espère que je lui fais mal ; même si pour cela elle doit sentir que je tremble de tout mon corps et que je respire avec difficulté. Sans réduire la pression de mon attaque, je me penche et arrache brutalement les feuilles des mains de la fille. Le trésor étant désormais mien, je me recule et dégaine rapidement ma baguette magique ; je l’enfonce dans le ventre de Lewis.

« Petrifucus Totalus » murmuré-je et, de la main qui emprisonne les feuilles de parchemin, je l’empêche de tomber à la renverse.

Le sortilège est une réussite, évidemment — cependant, je le sais pas très puissant, je suis trop bouleversée pour avoir un meilleur résultat, j’en ai conscience. Je me détends légèrement. Désormais, Lewis est hors d’état de nuire. Elle ne peut plus parler, plus me narguer, plus se moquer et surtout plus me suivre. Alors seulement, j’ose me noyer dans son regard.

Mon coeur bat comme un tambour. Il bat si fort qu’il résonne dans mes oreilles. Cela ne m’empêche pas d’entendre ce qu’il se passe autour de moi. Je me rappelle des Autres, du couloir bondé, de l’heure qu’il est. Je me souviens que j’ai une vie en dehors de Lewis, un cours auquel me rendre, des devoirs à faire, des gens qui m’apprécient réellement pour ce que je suis. Et tout à coup, la glace fige mes veines : je me souviens qu’il est interdit de jeter des sortilèges dans les couloirs et d’attaquer ses camarades — ce serait exceptionnel que personne ne m’ait vu agir. Et à partir du moment où je m’éloignerais, Lewis tombera à la renverse. Quelqu’un la libérera et elle pourra, à volonté, me dénoncer pour ce que je lui ai fait.
J’ai un peu peur.
Parce qu’actuellement, mon regard plongé dans le sien, je n’en ai rien à foutre de ce qu’elle pourrait dire et à qui elle pourrait le dire. Absolument rien à foutre.

J’aimerais dire quelque chose. Une phrase pleine de puissance pour lui faire croire que je suis toujours maîtresse de la situation. Mais la vérité, c’est que je ne maîtrise rien du tout et que je n’ai rien à lui dire. J’ai seulement envie de disparaître avec mon trésor empoisonné, disparaître très loin. Si j’avais été une plus grande sorcière, si nous avions été loin des Autres elle et moi, sans doute aurais-je fait en sorte qu’elle oublie jusqu’à mon existence. *Si seulement j’pouvais lancer le sortilège d’Amnésie* — mais j’en suis incapable. Alors je ne peux que répondre à mon envie viscérale : fuir.

Un dernier regard et je m’éloigne brutalement. Une main pleine de parchemins accrochée à la lanière de mon sac, l’autre désespérément rattachée à ma baguette, je fais demi-tour, bouscule des Autres, subit leurs regards et leurs râles, et disparais dans la foule, l'esprit hanté par ce qu'il vient de se passer.

Je n'ai jamais vu fuite plus lâche que celle-ci. Pour qu'elle ait ainsi recours à la magie, c'est qu'elle a vraiment mal. Bon, Aelle supporte très mal la déception et Kyana l'a déjà bien trop déçue. Si j'étais ta Protégée, je ferais en sorte de ne pas la croiser ces prochains jours. Aelle va se retirer pour lire au calme les parchemins — à nous de discuter pour voir où se situera la suite.
D'ailleurs, si des Plumes lisent ces mots vous pouvez tout à fait me contacter si votre Protégé.e a vu l'action d'Aelle et décide de l'embêter en la dénonçant à un prof' ou que sais-je encore.
Je te remercie pour la beauté de nos Danses mais je sais que celle-ci n'est pas vraiment terminée !

15 nov. 2020, 16:09
Paradoxes orgueilleux  PV 
Dans ta tête, le silence est complet. Absolu. Impénétrable.
Tes pensées se sont tues ; elles ont échappé à ton esprit empli de défi, le laissant désert et vide. Egarée au cœur de la plaine qui s’étend désormais dans ta tête, envahie de cette brume rougeâtre, comme l’enfant perdue que tu étais autrefois, tu avances. Un pas après l’autre, les mains protégeant tant bien que mal tes iris de glace de la chaleur de ta colère, tu marches, un peu chancelante. Tu hésites.

Au fond de toi, tu sais que tu n’as pas réellement envie de continuer de te battre avec Aelle Bristyle. Tu sais que c’est peine perdue, que malgré tout ce que tu lui diras, tout ce qu’elle te fera, elle aura toujours gagné, elle remportera toutes les batailles. Que même en jetant toutes tes forces désespérées dans le combat, tu ne parviendras qu’à te briser encore une fois ; Aelle Bristyle est une arme qui saura te détruire, morceau par morceau, poussière par poussière, pensée par pensée. Tu sais pertinemment qu’elle trouverait les actes ou les mots pour te dépouiller de toute ta confiance, et sa moquerie est si terrible que tu voudrais t’en aller pour ne pas avoir à y faire face de nouveau. Ton dos encore appuyé contre le mur, et l’ombre de l’Autre qui se dresse entre le reste du couloir et ton être frêle, sont de constants rappels de sa force et de ta stupidité.
Mais tes yeux n’expriment rien des doutes qui t’étreignent. Tu la contemples avec cet air de mépris, avec ce même sourire qu’elle avait plaqué sur ses lèvres à peine quelques secondes auparavant, avec ce regard dur et ces paroles haineuses sur les lèvres, prêtes à être crachées à ses pieds. Tu la fixes avec le menton relevé et un bâillon sur le cœur, pour l’empêcher de parler ; avec de la pierre dans le regard pour remplacer la tempête d’émotions qui y git habituellement, avec les dents serrées pour refouler ton besoin de la supplier de te laisser tes feuilles.


*Faire disparaître ma peur* ; *reviens, Défi, j’t’en supplie*. Les prières envahissent ton esprit, assaillent ton cerveau et martèlent tes tempes d’une douleur lancinante. Tu implores ta combativité de revenir habiter ton cœur, de ne plus te laisser si vide, vaguement protégée sous cette couche de colère bien trop fine. Tu conjures l’envie de te battre de faire demi-tour pour t’embraser toute entière. Parce que tu finis par t’avouer que, bloquée contre ce mur trop froid, avec cette Autre si grande qui veut récupérer des parchemins dont elle ne savait rien quelques minutes plus tôt, avec cette envie taraudante qui t’ordonne de la bousculer pour t’enfuir, avec ton cœur qui palpite à cent à l’heure dans ta cage thoracique, tu ne fais pas le poids. Tes cheveux courts déjà peu soignés emmêlés par ton combat contre le flot humain, tes mains devenues moites, ton souffle qui se perd, te renvoient l’image d’une Gamine un peu pitoyable. Tu t’observes, tu juges ton visage trop pâle et ton corps minuscule, et tu réalises que la meilleure chose à faire désormais serait de disparaître parmi les Autres. De devenir l’une d’eux, pour que Bristyle t’oublie ; de jeter tes parchemins pour faire comme s’ils n’avaient jamais existé. Voir les ténèbres qui envahissent ses yeux, qui petit à petit, grignotent la lumière qui aurait pu y exister, te conforte dans ton idée. Incapable de porter sur tes épaules minces le poids de son dégoût, et désireuse de disparaître de ses pensées, tu songes à tous les scénarios possibles pour te permettre de t’en aller.

Son bras juste au-dessous de ton cou te coupe le souffle. Tu suffoques sous la force qu’elle insuffle – malgré elle ? – à son geste, frémis quand tu sens son poids s’appuyer sur ta cage thoracique. Les Autres mugissent, se meuvent et crachent leur pensées sur la pierre de l’école. Ils se déversent autour de vous sans même accorder un regard au duo bien particulier que vous formez, elle dissimulant le Soleil à ton regard d’hiver, toi la contemplant de tes yeux où le mépris suinte.
Le monde paraît presque doux, en cet instant. Elle a plaqué son avant-bras à la base de ton cou, elle t’a arraché tes parchemins, et l’univers semble s’être apaisé. En une éternité qui s’étire entre vous, où, immobiles, vous vous jaugez, sans même chercher à comprendre ce qui se déroule, tu sens ton cœur se calmer, et ta stupéfaction disparaître. Elle a fait un pas en arrière, comme pour juger de son méfait, elle se dresse devant toi, et le calme qui t’envahit serait comparable à celui qui t’aurait submergée à l’instant où tu aurais senti la mort arriver. Comme saisie d’une tranquille acceptation, comme persuadée que l’évidence va arriver, tu vrilles tes yeux dans les siens et sens sa baguette s’enfoncer dans ton ventre. Un instant, ton cœur s’arrête ; un instant, ton organisme s’inquiète de cet objet bien trop menaçant pointé dans sa direction. Puis, eux aussi se taisent, et ton corps tout entier arrête de palpiter au rythme de tes pensées. Plus rien ne te vient, seulement les lents battements de ton palpitant, et la certitude qu’elle a gagné.

Oui, car enfin l’intégralité de ton être, depuis le sommet de ta tête jusqu’à l’extrémité de tes doigts, en passant par tes phalanges qui portent encore sa marque, a accepté qu’Aelle Bristyle avait remporté ce combat qui vous opposait depuis si longtemps maintenant. Elle a gagné, elle t’a battue, et maintenant elle va disparaître, avec tes mots dissimulés au creux de sa paume. Elle va reculer, t’adresser quelques paroles plus menaçantes que jamais, t’affirmer sa supériorité et disparaître dans le méandre que forment les couloirs. Tu ne la reverras plus, tu baisseras le visage lorsque tu la croiseras, et la Terre continuera de tourner, le monde vivra et les Autres feront ce qu’ils font toujours ; ils t’observeront sans même te voir. Tu l’oublieras, tu disparaîtras de son esprit, et vous irez en cours, vous sourirez, comme si rien ne s’était passé. Vous ne ferez plus jamais référence à cet instant, même si vos cœur porteront longtemps encore la cruelle morsure de la douleur. Tu sais que tes nuits seront hantées par le souvenir de son bras contre ton sternum, que tes rêves seront peuplés de ses yeux noircis par les abysses. Mais tu sais aussi, surtout, que tu ne l’évoqueras plus jamais, que tu la pousseras au limites de ta conscience pour qu’elle disparaisse de tes pensées.

Même les mots qu’elle prononce, presque noyés par l’écho émis par les Autres, ne t’étonnent plus.
« Petrificus Totalus », qu’elle laisse tomber au sol, qu’elle murmure de sa voix trop basse. Tu la dévisages dans comprendre, sans chercher à comprendre, et le temps que tes yeux s’écarquillent, que ton corps se rebelle, le froid de la pierre a déjà remplacé la chaleur de la vie. Elle bloque ta chute, vrille ses yeux dans les tiens et dans ses billes sombres, tu vois la lâcheté.
Une lâcheté plus grande que l’univers entier, que la masse d’Autres réunis ici, plus imposantes que les cieux eux-mêmes. Tu comprends enfin la colère de Bristyle, ses mots et ces paroles crachées ; tu devines, en te perdant dans ses yeux alors que le sortilège envahit la totalité de ton être, que cette attitude n’était qu’un moyen de fuir, d’échapper aux évidences que tu lui demandais d’accepter. Cette bousculade qu’elle t’avait fait subir, ce jour-là près du Lac, était seulement destinée à te faire taire, pour que tu ne ramènes pas à sa mémoire cette certitude d’être pitoyable et méprisable, et ton poing lui a sans doute rappelé tout ce qu’elle s’efforçait d’enfouir.
Alors, inconsciemment, au fond de ton cœur, tu pardonnes à Aelle Bristyle. Tu lui pardonnes la maladresse de ses actes et la douleur qui les a guidés, parce que tu réalises enfin l’étendue de son besoin d’échapper à la réalité. Tu lui pardonnes même cette lâcheté que tu vois palpiter au fond de ses pupilles, et tu t’abandonnes à la glace qui pétrifie ton corps.

Et, tandis qu’elle se noie dans le flot d’élèves, tu chutes, parfaitement droite, et t’affales contre le sol froid. Tu chutes mais sans réellement lui en vouloir, sans même prêter attention aux bruits qui paraissent pourtant enfler à mesure que les secondes avancent. Complètement égarée mais pourtant sûre d’une seule chose, tu sens ton corps s’écraser contre la pierre ; tu as pardonné à Aelle Bristyle chacun de ses actes, chacun de ses mots. Chacun de ses coups.


_______
Bon. Définitivement, je ne comprends pas cette Gamine. Elle... elle se fait pétrifier, et elle parvient encore à trouver des excuses à Aelle ! Elle lui pardonne alors qu'elle devrait être absolument détruite, désespérée qu'elle lui ait pris ses parchemins, en colère voire déterminée à les récupérer... et pourtant voilà. Non, vraiment, je ne comprends pas.
En tous cas... merci, infiniment pour ça. Même si la situation empire chaque fois qu'elles se voient, écrire nos deux Protégées ensemble est extrêmement puissant, et tellement beau !
Et, si elles nous le permettent, j'ai hâte de leur donner une suite.

• ‘til it seemed
that Sense was breaking through — •

ent‘r‘êvée

12 déc. 2020, 00:41
Paradoxes orgueilleux  PV 
Quelques heures plus tard

D’un geste brusque de la main, j’essuie les larmes qui perlent au coin de mes yeux. Le regard braqué devant moi je m’efforce d’oublier que j’ai le cœur si lourd, que j’ai si mal, que je me sens si misérable et tellement en colère. Des dizaines d’émotions se bousculent dans mon cœur et dans mon esprit des milliards de pensées.

Quand la pause de la matinée est arrivée, j’ai quitté la salle de classe pour me réfugier dans cette petite cour ouverte aux quatre vents. Là, adossée à une colonne et assise sur le sol froid, je me suis plongée dans la lecture des feuilles de parchemin rédigées par Kyana Lewis.

Jusqu’à ce jour, sans pour autant nier son intelligence, je m’étais persuadée que Lewis était tout simplement idiote et incapable de me comprendre. Son idiotie expliquait parfaitement son acharnement et son indiscrétion ; cela ne l’excusait pas, mais je pouvais au moins me targuer de comprendre pourquoi elle était comme elle était. Les feuilles que je serre dans mon poing me prouvent que j’ai eu tort. Lewis n’est pas idiote. Elle n’est pas indiscrète, elle n’est pas acharnée ni incapable de me comprendre. Non, elle est seulement en colère. Tous ces mots qui parlent de moi… Ils sont nourrit d’une colère effrayante, d’une rage, d’une haine qui me bouleverse malgré moi. Elle me déteste, je le sais désormais. Elle me hait tellement fort qu’elle noircit des parchemins pour moi.
Mais ce n’est pas sa haine qui fait couler mes larmes.
C’est sa mauvaise foi.

Rien, aucun mot, aucune ligne, aucun paragraphe ne met en avant ses erreurs, ses mauvais choix, sa méchanceté. Quiconque lirait ces lignes penserait que je suis la Méchante, la Mauvaise, celle qu’il faut accabler de reproches. Oh, en lisant ces mots, j’ai cru pendant un instant que j’étais celle qu’elle décrivait : perfide, écrasante, hautaine, sadique. Pendant un instant, je l’ai cru et j’ai eu peur. Mais après, j’ai remarqué qu’elle m’accablait de tous les maux de la Terre sans se remettre une seule fois en question. Pour Kyana Lexis, je suis la grande méchante ! Selon elle, je suis la seule en tort ! Oh, je ne nie pas avoir fait certaines erreurs, toujours dans l’objectif de réaliser une bonne action : en voulant faire comprendre à Lewis qu’elle n’avait pas à être indiscrète, ce qui est tout à fait légitime, je l’ai certes bousculé ; c’est là mon unique erreur, la seule dont je suis coupable. Tout le reste, c’est elle. Les questions indiscrète ? elle ; l’insistance ? elle ; le coup de poing ? elle ; les insultes ? elle ; les mots méchants ? elle. Elle. Elle. Elle. Toujours elle. Et elle ose avec ces putains de parchemins dire tout le contraire !

Une brusque bouffée de colère me saisit. Sans réfléchir, je laisse tomber les feuilles au sol, pointe ma baguette magique dans leur direction et murmure d’une voix pleine de hargne : « Incendio ! ». Les flammes lèchent les parchemins et les désintègrent rapidement. Tremblante, je ramène ma baguette dans mon giron, mes yeux noirs braqués sur les flammes, le cœur battant si fort, si fort qu’il résonne dans mes oreilles.

*Fallait qu’elles disparaissent*, me murmuré-je intérieurement. Je n’aurais pu accepter que quiconque pose ses yeux sur les mots de Lewis. Mais leur disparition n’efface pas pour autant la grande injustice qui me gonfle le cœur. Je me sens trahie, je me sens tellement mal. Je n’ai jamais été ce que décrit cette fille, je n’ai jamais été aussi méchante, aussi sadique, aussi effrayante. Je ne suis rien de ce qu’elle dit : elle ne comprend rien à ce que je suis. Il n’y a rien de bon chez elle. Son cœur est noir. Son esprit est gangrené par l’envie de manipuler. Je me demande si elle a seulement été sincère avec moi. Au tout début peut-être, certainement, et peut-être le jour du violon aussi. Mais à partir du moment où elle m’a posé ses questions indiscrètes, c’est comme si elle s’était mise elle-même des œillères : elle a décidé qu’elle était la seule à exister et que je ne ressentais rien, qu’elle n’avait rien à se reprocher et que j’étais coupable de tout. Et dire que dans ses mots, elle avait l’air de croire sincèrement à sa bonne foi ! « J’ai essayé de lui faire comprendre » dit-elle, « j’ai taché de lui expliquer ». Mais elle ne m’a rien fait comprendre, elle ne m’a jamais rien expliqué. Elle s’est toujours contentée de me faire passer pour la coupable, de me blâmer, de m’insulter. De me frapper.

D’un coup de baguette, je fais disparaître les flammes. Le vent éparpille les cendres et bientôt il n’existe plus aucune trace des vilains mots de Kyana Lewis — excepté dans mon cœur. Après quelques secondes, ou peut-être des heures, je me lève. Les couloirs sont vides, les élèves ont disparu ; je suis en retard pour mon prochain cours, mais cela ne m’importe pas. Je n’arrive pas à penser à autre chose que Lewis. Mon cœur est déchiré. Bouleversée, triste, étouffé par l’injustice. J’ai envie d’aller la retrouver, ou qu’elle soit, pour lui balancer tout ce que je pense à la gueule, et d’un autre côté, et c'est ce côté qui vaincra, j’ai juste besoin de reprendre le cours de ma vie et d’oublier jusqu’à l’existence de cette fille.

- Fin -