Le train avait enfin démarré. Charlotte avait entendu le bruit du sifflet et par une fenêtre elle avait vu les vapeurs s'échapper dans le ciel, guidées par le vent. À chaque pas, chaque action qu'elle faisait, elle avait l'impression de commencer une toute nouvelle aventure. Tout n'était que mystère dorénavant et il fallait qu'elle élucide tout. C'est en parti grâce à cette forte volonté que la jeune fille ne s'était pas mise à pleurer quand le temps des au revoir fut venu sur les quais de la gare de King's cross. Et pourtant ses parents avaient fait les choses en grand rien que pour elle.

Même si elle était originaire d'Haverhill et qu'elle était suffisamment âgée maintenant, Charlotte n'était jamais allée à Londres. Ses parents, car elle devait partir pour Poudlard, avaient alors organisé un voyage d'une semaine en famille dans la périphérie londonienne. Ils étaient allés dans les musées, avaient visité de nombreuses structures, étaient également allés voir de vieilles demeures dans les alentours. Ils lui avaient offert de merveilleux souvenirs et c'était loin d'être terminé. À la gare ils s'étaient promis de se revoir en Ecosse, chez ses grands-parents pour Noël, et elle attendait cela avec impatience.

Toutefois, l'heure n'était pas à penser aux prochaines vacances. Le train regorgeait de petit détail tout aussi intéressant les uns que les autres et, d'un œil admiratif, Charlotte les observait. Elle marchait sans but évident, elle voulait seulement calmer ses désirs de découverte. Elle touchait du bout des doigts le bois lisse et ciré et souriait en apercevant les superbes montagnes des Highlands. Elle s'arrêta même un long moment pour observer les somptueux et gigantesques paysages qui s'offraient à elle. Ah l'Ecosse ! Ce qu'elle aimait ce pays. Aucun doute pour elle que plus tard, lorsqu'elle serait majeur et vaccinée, elle vivrait ici, ou sur l'île de Skye qu'elle n'avait pour l'instant vu que de photos.

Quand la jeune fille reprit le cours de son chemin elle s'arrêta au hasard devant un compartiment pratiquement vide. Elle s'y glissa discrètement et observa les deux passagers dedans. L'un dormait paisiblement la bouche grande ouverte, il ne manquait plus qu'un filet de bave pour rendre ce tableau encore plus amusant qu'il ne l'était ; et l'autre bien moins drôle car il semblait souffrir du mal des transports. Elle le salua d'un petit sourire compatissant qu'il ne lui renvoya pas car le simple fait d'avoir détourné son regard du paysage l'avait rendu encore plus blanc qu'il ne l'était déjà.

Charlotte s'assit sur la même banquette que lui, mais pas à côté. Elle se dit que s'il devait vomir, avec une chance sur deux, il le ferait sur le pauvre enfant assis, endormi, en face de lui sinon... elle n'aurait juste pas eu de chance.

Charlotte ignorait le temps qu'il faudrait pour arriver à Poudlard mais elle se doutait que le voyage ne serait pas court de quelques minutes seulement. Alors, comme elle était seule puisque ses voisins étaient tous préoccupés par leurs propres activités, elle décida de sortir d'une poche extérieure de sa valise un carnet. C'était ce qui se rapprochait le plus d'un journal intime. De toute évidence elle ne couchait pas sur la feuille tous ses états d'âmes et ce qu'elle ressentait pour tel ou tel personne. Non, c'était un calepin qui regroupait toutes ses aventures, ses découvertes, ses réussites. Elle trouvait une plume, elle la collerait dedans ; elle verrait un superbe arbre centenaire, elle déciderait de le dessiner pour ne jamais l'oublier... Ce genre de petites choses qui nourrissaient son cœur d'aventurière. 

Elle attrapa un stylo, car même si la plume était un objet de toute beauté elle restait bien mon pratique à utiliser que le traditionnel bic 4 couleurs qu'elle rangerait au fin fond de son sac une fois arrivée au château. Et commença à noter quelques remarques sur les paysages et mêmes les personnes qu'elle avait croisé avant de s'asseoir dans le compartiment. De temps à autre elle jetait un coup d’œil à la porte à sa droite pour voir les personnes se déplacer dans la joie et la bonne humeur.

Quand Charlotte releva une énième fois la tête vers la porte, elle y remarqua une chevelure de feu arrêtée et regardant vers l'intérieur de son compartiment. La surprise fut telle qu'elle sursauta mais sourit aussitôt. La personne entra sans un bruit, discret comme une fourmille.

- Euh… Bonjour. J’espère ne pas déranger, dit-il en chuchotant presque pour ne pas réveiller le passager en train de dormir. C’est la première fois que je viens ici.

Il ne semblait vraiment pas sur de lui. Elle ne l'aurait pas vraiment défini comme timide, juste un peu perdu, tout comme elle. Elle s'imagina qu'il venait également d'une famille de non-sorcier et qu'elle n'était pas la seule. Bien entendu elle ne s'était pas considérée comme une élue, elle se doutait qu'elle n'était pas la seule dans cette situation mais il était le premier qu'elle approchait de près et qui vivait peut-être la même chose qu'elle.

- Bonjour ! Le salua-t-elle avec un peu trop d'enthousiasme. Non, bien-sûr que non, installe-toi. Il y a de la place juste ici, lui signala Charlotte en lui montrant la place juste en face d'elle.

Charlotte regardait le jeune garçon fixement. Heureusement pour elle, il lui avait tourné le dos afin de ranger ses affaires et elle put en profiter pour le détailler. Il avait de superbes cheveux roux qui lui semblaient vraiment doux au touché et si elle avait pu apercevoir ses yeux que rapidement lorsqu'il était entré elle les avait trouvé d'un marron très doux et affectueux. Quand il s'assit en face elle baissa bien vite le regard, les joues légèrement cramoisies. Cette rentrée à Poudlard la rendait tellement enthousiaste et pleine de vie mais également si impolie qu'elle en venait à observer les personnes comme des mystères ou des bêtes de foire. Maintenant elle se sentait honteuse. 

– Vous… Euh… Vous êtes en première année, vous aussi ? Demanda t-il pour essayer d’entamer un sujet de conversation. J’suis un peu nerveux, mais je suppose que c’est normal. Après tout, tout ça , c’est nouveau pour moi.

Charlotte releva les yeux instantanément. Il tentait de dialoguer avec elle et il ne se ferait pas prier plus longtemps, elle en avait des choses à dire. Mais, même si ses yeux brillaient de milles feux, elle retint le flot de paroles inutiles qui brûlait d'envie de s'échapper de ses lèvres. Par automatisme elle attrapa distraitement le manche de son gilet et joua avec nerveusement comme pour retenir en elle son trop plein d'énergie. Non pas qu'elle ne le sentait pas énergique mais surtout parce qu'elle ne souhaitait pas lui faire peur. Il était la première personne à qui elle adressait la parole, elle se devait de faire attention à ses mots.

- Oui, je suis en première année, dit-elle vraiment lentement, trop lentement.

Pour une première impression elle faisait vraiment fort. Mais il reprit la parole bien vite.

– Oh, j’oubliais ! Je suis Keith Varner, dit-il en tendant sa vers Charlotte.
– Bonjour Keith, moi c'est Charlotte, répondit-elle en lui serrant la main. Je suis honorée de faire ta connaissance, s'entendit-elle dire et elle se traita de bécasse car maintenant elle en faisait trop. Mais pour faire passer sa phrase inaperçue elle continua sur sa lancé : Quand tu dis que c'est nouveau pour toi, tu parles de la magie ? Tu ne la connaissais pas avant ? demanda-t-elle curieuse.

Charlotte se sentit soulagée. Il riait, discrètement, mais riait quand même ce qui ne pouvait être que bon signe ! En plus de cela il n'était pas avare de mots et parlait naturellement. Si elle comprit qu'il avait vécu une situation proche de la sienne en découvrant la magie il n'y a quelques semaines, Charlotte ne comprit pas le moment où il se mit à parler de son père et du rasoir de quelqu'un. Elle tenta de faire le lien entre son père et le rasoir d'un autre qui aurait pu prouver l'existence de la magie mais abandonna rapidement. Ce qu'il disait n'avait aucun sens pour elle. D'ailleurs il dut se rendre compte qu'elle ne comprenait pas car il s'arrêta de parler aussitôt. 
Elle se dit qu'elle devait vraiment le fixer bizarrement et pour remédier à cela fit un sourire très maladroit qui se rapprochait plus d'une grimace. Elle voulait l'inciter à continuer de parler de cet étrange rasoir mais il changea de sujet bien vite et elle se promit de lui en refaire parler. 

– Euh… Et toi, ça s'est passé comment ? lui demanda-t-il mais reprit la parole de suite. Tu veux un bonbon ?

Il lui expliqua qu'ils lui avaient été offerts par son grand-père, qu'elle avait compris être un sorcier. Elle se pencha en avant pour attraper une sucrerie et en tira une bleue qu'elle observa un peu avant de la mettre dans la bouche tout en haussant les épaules. C'était sorcier, pas mortel ; normalement. 

– Merci, lui dit-elle cependant la goût du dragée devint vite très mauvais et elle l'avala d'une traite pour ne pas supporter plus longtemps l'immondice qui fondait sur sa langue. Je comprends mieux pourquoi ils disent que c'est surprise, vaut mieux tomber sur le bon, lui conseilla-t-elle doucement puis un des passagers du compartiment sortit à vive allure, la main sur la bouche. 
– Bah... J’ai dit quelque chose qu’il fallait pas ?
– C'est mieux de ne pas parler de nourriture avec un malade des transports à côté. Enfin... Moi aussi je ne savais pas que la magie était réelle, reprit-t-elle pour changer le sujet. Mais j'y rêvais jour et nuit d'un monde magique avec des animaux différents, des aventures fantastiques et des lieux féeriques ! J'imagine un peu trop je pense... remarqua-t-elle. Ton grand-père est allé à Poudlard ? Et puis... c'est quoi cette histoire de rasoir avec ton papa...

Sans l'exprimer avec ses mots Charlotte était d'accord avec lui. C'était on ne peut plus rassurant de savoir qu'il y avait d'autres enfants qui vivaient la même chose qu'elle. Elle n'était pas une drôle d’exception, une étrange chose ; elle était normale dans un certain univers. Dans un autre par contre c'était autre chose, mais elle avait du temps devant elle pour ne pas se soucier de ces détails là maintenant. Puis sans s'attarder sur ces pensées, elle se concentra sur les explications que lui donnait le jeune garçon devant elle concernant le rasoir d'Ockham. 

Au début ce fut difficile. Mais dès qu'il lui demanda de faire recourt à son imagination tout devint plus facile. Elle était la meilleure en guise de représentation intérieure d'une scène en particulier. Alors quand il lui raconta, avec beaucoup de conviction, l'événement pris comme exemple tout se déroula sous ses yeux comme si elle le vivait actuellement. Elle voyait au milieu de la pièce, en face de la télévision, le canapé canari, comme le qualifiait si souvent sa maman, tout éventré avec de la mousse partout autour et son hypothétique chienne juste à côté. Lorsqu'il se mit à émettre diverses hypothèses Charlotte ne put s'empêcher d'émettre un petit rire. Elle l'aimait bien, il l'amusait. Elle fit alors mine de réfléchir malgré son grand sourire qui la trahissait. 

– Je crois que je dirais que c'est Aragorn ainsi que ses fiers compagnons qui ont atterris miraculeusement dans mon salon et qui se sont battus avec bravoure, surtout Legolas, dit Charlotte le sourire béat. Mais seulement s'ils sont encore là après pour que je puisse les admirer de près. 

Elle adorait le Seigneur des Anneaux, si elle pouvait vivre les aventures de la communauté elle donnerait n'importe quoi. Toutefois elle savait qu'elle ne possédait rien de valeur qui permettait un échange équivalent alors, parfois, elle se permettait de s'imaginer être une femme, grande, belle et courageuse voyageant avec eux au cœur de la Terre du Milieu. 

– Mais s'ils ne sont plus là, je dirais sans hésiter que c'est mon canapé qui a agressé ma pauvre Nana. Oh ma pauvre Nana... dit-elle en feintant une grande tristesse. 

Charlotte était ravie d'avoir pu arracher un rire franc du garçon assis devant elle. Il semblait moins nerveux ou perdu que lorsqu'il était entré dans le compartiment. Elle s'en félicitait, d'une certaine manière c'était grâce à elle s'il lui souriait si joliment. 
Keith lui répondit d'un rictus toujours aussi rayonnant qu'elle s'était trompée de réponse. Elle n'était vraiment pas surprise, la logique voulait qu'il n'y ait que cette réponse qui soit correcte dans le cas actuel. Mais comme il l'évoqua ensuite, peut-être que cette logique serait remise en cause avec leur arrivée à Poudlard. Oui, peut-être les animaux se mettrait-il à parler comme dans un vieux film de la jeunesse de ses parents -Narnia si elle se souvenait bien ; ou peut-être les objets deviendraient vivant comme dans un remake de Toy Story, un classique indémodable des films d'animations.

– C’est bien la première fois que je vois cet endroit… Où penses-tu que nous sommes ? Ça ne ressemble tellement pas à Bearsden ou Glasgow. Remarque, j’pense pas être déjà allé plus loin qu’Édimbourg. D’où est-ce que tu viens, au fait ? 

La jeune fille l'envia soudainement. Si elle comprenait bien ses mots cela signifiait qu'il vivait en Ecosse, dans ce beau paradis. Quelle chance il a, pensa-t-elle tristement sans pour autant s'arrêter de lui sourire amicalement. 

– Moi je suis d'Angleterre. Mes parents vivent à Haverhill, mais tu ne dois pas connaitre, lui dit-elle en remuant la main en signe d'insignifiance. Qu'est-ce que ça fait de vivre en Ecosse à plein temps ? s’enquérit-elle rapidement des étoiles dans les yeux.