Les vacances de Noël étaient terminées. Hannah était rentrée pour passer les fêtes de fin d’année en famille, à Galway. Comme chaque année, la jeune irlandaise avait été particulièrement gâtée. Ses parents lui avaient offert un jeu d’échecs version sorcier, de nouvelles pellicules pour son appareil photo et quelques gallions pour qu’elle puisse se faire plaisir. De sa grand-mère, elle avait reçu une paire de multiplettes, une boussole pour son balai et de nouvelles plumes, ainsi qu’un assortiment de friandises. Ces deux semaines avaient surtout été l’occasion de retrouver la complicité avec son petit frère, qui avait sacrément grandi pendant les derniers mois, mais aussi de se chamailler avec sa sœur jumelle.

En ce premier jour de 2045, Hannah et son père avaient transplané à la gare de King’s Cross, directement depuis le manoir Skerrett. Contrairement à la rentrée de septembre, le reste de la famille n’était pas venu les accompagner cette fois-ci. Les aurevoirs furent brefs, mais tendres. La fillette, qui était plutôt contente de retrouver Poudlard et ses coéquipiers de Quidditch, était parmi les premiers élèves à grimper dans l’un des wagons à l’avant du train. Traînant tant bien que mal son encombrante valise derrière elle, la Serpentard avançait à la recherche d’un compartiment vide, qu’elle trouva rapidement. D’un petit coup de baguette, elle fit léviter sa malle jusqu’au porte-bagage.

« Wingardium Leviosa »

Sa réussite la fit sourire, elle maîtrisait encore ce sortilège après deux semaines de vacances. La blondinette se laissa tomber sur la banquette en cuir, à côté de la fenêtre, tournant le dos à l’avant du train. Elle sortit le dernier numéro d’Attrapeur-Hebdo du revers de sa robe, le posant sur les genoux sans l’ouvrir et posa sa tête contre la vitre. Le regard mélancolique, elle répondit à son père qui lui faisait de petits signes de la main sur le quai. Elle n’avait toujours pas osé lui annoncer qu’elle avait brillamment passé les sélections de Quidditch et qu’elle faisait désormais partie des Crochets d’Argent. 

Alors que le Poudlard Express se mit en route, la fillette leva les yeux de la plateforme 9 ¾ qui s’éloignait et balaya du regard son compartiment. En septembre déjà, elle avait voyagé seule, mais cette perspective ne la dérangeait pas outre mesure. Avec les né-Moldus qui restaient au château ou utilisaient des plumes noires, le train était sans doute loin d’être complet. Une silhouette qu’elle connaissait bien passa dans le couloir sans s’arrêter. Hannah se leva rapidement pour ouvrir la petite porte de son compartiment et interpella la préfète de sa maison, qui était également l’une de ses camarades de dortoir.

« Hé Alaska, il y a de la place ici si tu veux ! »

@Alaska Cross

Deux semaines de vie commune s'était évaporées en quelques minutes. Le bruit des pas de son père dans l'escalier, puis plus rien. Pas de rancune. Si ce n'est celle de sa mère, qui n'a pas eu pour lui de mots assez durs. Ce type est une merde. Un monstre d'égoïsme et de mesquinerie. La brune aurait pu rentrer en confrontation avec elle, mais à la place, elle posa sa main sur la sienne pour tenter de la rassurer. Tout va bien maman. lui dit-elle. Je n'ai pas de colère. La jeune fille ne ressentait rien. Depuis quand sa mère s'inquiétait de sa santé mentale vis à vis du divorce ? Elle s'en était très bien sortie pendant plus de cinq ans, si il fallait qu'on lui donne des raisons à ces disputes incessantes, même pendant les repas de Noël, ou les jours de fêtes, c'était avant. Ce n'était pas le moment de toute manière, il était l'heure de partir. Alaska avait enfouit ses affaires dans sa malle, puis avait claqué la porte de la maison qu'elle reverra seulement l'an prochain.

La réalité fut brutale. La foule l'oppressait, l'agitation l'inquiétait, elle voulait retourner dans le monde des songes, celui dont elle s'égarait la plupart du temps. Les cris. Les effusions. L'enivrement général. Elle avait toujours été mal à l'aise dans ce genre d'endroit, parce qu'elle n'avait personne à retrouver, personne à embrasser, ni à qui raconter ses vacances tout au long du trajet. Le quai était bondé, partout elle cherchait un passage dérobé. Un itinéraire secret. La troisième année pressa le pas quand un passage se forma, et où elle put rapidement atteindre le train et ses wagons. Elle avait passé les trois premiers compartiments, et sa gorge de desserra. Alaska respirait un peu mieux, tout était plus doux ici, plus calme. Sourires mélancoliques et gestes las, elle déambulait d'un wagon à l'autre, lorsqu'on l'interpella. Elle se retourna et sursauta. Hannah, elle se tenait là. Depuis qu'elle était arrivée en première année, l'écossaise faisait tout pour essayer de la fuir, mais voilà que maintenant, cette dernière lui demandait de la rejoindre. 

Heu. C'est que j'allais passer le voyage dans le wagon des préfets. Ils m'attendent. La seconde d'après, elle s'empressa de dissimuler ce demi-mensonge à travers un large sourire de politesse. Pourquoi est-ce qu'elle viendrait avec elle après tout ? Certes, depuis septembre elles s'étaient sans cesse croisées, elles partageaient aussi la même chambre, la même salle commune, les mêmes tribunes, mais selon elle, il n'y avait pas de quoi passer plusieurs heures ensemble, dans un compartiment. Finalement, sa mémoire la rattrapa : au fil des jours les deux filles avaient fini par s'adresser de discrets hochements de tête, de furtifs signes de reconnaissance. Elles avaient fini par sourire de ces étranges successions de coïncidences. C'était presque à croire si leurs parcours étaient entremêlés par leurs errances parallèles, entre le Parc, la Volière, la Grande Salle, et même les Toilettes. Chaque fois que la préfète la croisait, c'était le même regard, la même sensation, un mélange de soulagement et de douleur. Hannah lui rappelait Diesel, un peu trop. Tout la ramenait à elle, son visage, ses détails, ses perspectives. Elle changea alors d'avis : J'arrive tout de suite, Sparks. C'est ce qu'elle aurait fait, Diesel. Elle qui était si imprévisible, si insaisissable, et si mystérieuse.

Alaska était un peu perdue. Tout ce qu'elle voyait d'Hannah lui serrait le cœur, elle devait faire abstraction de sa chevelure blonde, et de ses yeux verts, même si son visage ne suivait pas ses pensées. Celui-ci était crispé : les muscles de sa mâchoire étaient en tension, tout comme ceux de ses tempes. Pas un instant elle savait ce qu'il allait advenir de ce voyage, mais elle savait qu'elle avait prit la bonne décision. Elle ne voulait plus être rongée par les regrets, elle l'avait décidé, 2045 allait être une année pleines de changements. Pour limiter les silences trop pesants, la jeune fille demanda : Raconte moi Sparks, comment se sont passées tes vacances ? 

Ah oui... Le wagon des préfets...

La première année esquissa un petit sourire attristé lorsqu’Alaska lui expliqua qu’elle était déjà attendue par ses collègues à l’avant du train. Certes, elle comprenait bien que son titre s’accompagnait de certaines obligations, mais sa camarade avait-elle le devoir de passer les sept heures de trajet en compagnie des autres préfets ? Elle acquiesça poliment de la tête, avant de rapidement faire demi-tour, cherchant à masquer se déception. Tant pis, elle voyagerait avec son magazine de Quidditch, comme elle l’avait initialement prévu.

Pourtant, la troisième année changea d’avis et s’invita dans le compartiment où Hannah s’était déjà installée. Un large sourire se dessina cette fois sur les lèvres de la blondinette, révélant en partie ses dents blanches. Le visage de la jeune préfète semblait plus crispé. Depuis le début de l’année scolaire, même si les deux fillettes partageaient le même dortoir, elles n’avaient pas échangé beaucoup plus que quelques longs silences, accompagnés de petits signes de tête. Pourtant, depuis le premier jour, la plus jeune des deux Serpentard se sentait proche d’Alaska. Elle avait l’impression que l’écossaise la regardait différemment, la dévisageait presque. Son regard souvent mélancolique, à la fois doux et insistant, l’avait intimidée les premiers temps, mais elle avait fini par s’y habituer.

Son aînée lui avait même proposé de l’accompagner au premier match de Quidditch de la saison, entre Gryffondor et Serdaigle, ce qu’elle s’était empressée d’accepter. La première année avait d’ailleurs passé un très bon moment, mais elle n’avait pas vraiment compris pourquoi la préfète avait quitté le stade en courant dès la fin de la rencontre. Depuis Alaska était devenue capitaine des cheerleaders de Serpentard et Hannah avait intégré les Crochets d’Argent, en tant que gardienne remplaçante. D’ailleurs, elle avait bien vu la meneuse des Crocheers interrompre sa chorégraphie pour agiter ses pompons et manifester sa joie lorsqu’elle avait effectué, avec une réussite plus qu’insolente, une double parade devant ses buts. Néanmoins, maintenant qu’elles étaient seules dans ce compartiment, la blondinette se rendit compte qu’elle ne connaissait que très peu sa camarade.

« J’espère que tu auras pas de soucis avec les autres préfets ! »

Elle avait soufflé cette excuse déguisée pour lancer la conversation, alors qu’Alaska s’installait face à elle dans le compartiment. Lorsque la préfète lui demanda comment s’étaient passées ses vacances, la première année sourit de plus belle en repensant aux deux semaines passées au manoir familial de Galway. D’une voix enjouée, elle se lança dans un petit monologue.

« Oh et bien... »

Par où commencer ?

« Ma grand-mère est venue fêter Noël avec nous, c’était génial ! D’habitude, elle reste dans les Cornouaille pour les fêtes et on ne la voit que l’été. Avec mon frère et ma... »

La blondinette n’avait jamais mentionné sa sœur à Poudlard et elle ne comptait pas commencer aujourd’hui. Elle avait bien trop honte de sa jumelle Cracmol. Après un temps d’hésitation, elle reprit son récit.

« Avec mon petit frère, on passe l’été au bord de mer chez elle, à Newquay ! C’est elle qui m’avait offert mon premier balai d’ailleurs ! Enfin bref... sinon, quand je suis rentrée, le sapin était déjà décoré, alors qu’on le fait généralement tous ensemble en famille... Mais bon, ils m’avaient laissé l’étoile à mettre tout en haut... d’habitude, c’est mon petit frère qui a cette chance-là, parce que c’est le plus jeune ! Du coup, j’en ai profité pour utiliser Wingardium Leviosa, qu’on a appris en Sortilèges juste avant les vacances ! Je l’ai aussi utilisé pour monter ma valise là-haut et j’ai réussi du premier coup ! »

Pas peu fière, Hannah avait désigné du doigt le porte-bagage en hauteur. Même si la troisième année maîtrisait sans doute mieux qu’elle la lévitation, elle avait dégainé sa baguette, prête à reproduite le sortilège sur la malle d’Alaska encore au sol.

« Tu veux que je te montre ? »

Avec un sourire enfantin, elle fixait la préfète de Serpentard, attendant son approbation pour déplacer sa valise. Elle se demandait si elle parlait trop, mais si Alaska la laissait faire, elle était capable de raconter ses vacances pendant une bonne partie du trajet. Pour éviter cela, elle questionna à son tour l’écossaise.

« Et toi, les vacances étaient bonnes ? »

Elle songeait à la somme de hasard, au fatras de coïncidences qu'il faudrait pour qu'Hannah et elle se retrouve aujourd'hui-même dans le même compartiment. A la masse de déni qu'il lui fallait convoquer pour simplement lui dire la vérité, pour sentir son cœur se comprimé à l'idée que Diesel lui manquait. A la masse de déni qu'il lui fallait convoquer pour ne pas rire, ni pleurer de tout cela. Sa folie, son aveuglement, cette lubie à quoi elle s'accrochait malgré elle. Alaska pourrait tout lui dire, mais pourquoi prendrait-elle ce risque ? Elle ne comprendrait pas, elle aurait sûrement peur. La jeune fille savait comment ça allait finir, comme dans son rêve : Hannah l'apprend, recule, puis s'enfuit. Elle l'évite, la dévisage, la perd, mais c'était tout ce dont l'écossaise ne voulait pas. 

Elle aimerait être privée de toute carapace, de tout masque. Elle voulait être consolée, être drapée de douceur et de joie, garder une certaine mélancolie. La voix d'Hannah, d'abord recouverte des pensées de la troisième année, la regagna peu à peu, à force de grace et de beauté, elle imposait le silence et l'écoute émerveillée. Les gestes se figèrent, Alaska recula dans son siège et après avoir écouté le long monologue de sa camarade, elle acquiesça puis suivit du regard sa valise en lévitation. Elle se pencha sur le côté pour mieux voir et se décala encore, par simple précaution. 

Quand la blonde lui retourna la question, ce fut le calme profond. Même le train semblait arrêté, la préfète resta un moment perdue, désemparée, sans plus aucun repère. Elle avait envie de se confier, mais quelque chose obstrua : aucun son ne voulait sortir de sa gorge, tout demeurait coincé dans ses poumons. Alaska aurait voulu que la première année lui parle encore, l'inonde de paroles sans conséquences. Elle aurait voulu qu'un gramophone soit branché, que le bruit recouvre tout, l'anesthésie. Elle aurait voulu ne plus penser, ne plus ressasser les questions, la colère qui l'assaillait subitement. La brune voulait résoudre l'équation, trouver une logique : pourquoi ressemblait-elle autant à Diesel ? Avait-elle une jumelle cachée ? Elle avait un trajet pour tout comprendre. 

Excellente, rassura-t-elle après cet étrange silence, j'ai profité de ma famille, du repos, et de la ville. Edimbourg m'avait manqué, mais pas plus que Poudlard. affirma la jeune fille en pensant à la rentrée. Tu crois qu'Harrison va revenir ? Ou bien que Delphillia va refaire des siennes ? J'ai été mise en courant, après le match où je t'ai laissé en plan. A ce propos... je suis... j'aurai pas dû te laisser seule, ça t'aurait peut-être évité cet affront, et puis même, j'aurai aimé être là pour te défendre, elle n'avait aucune raison de t'agresser comme ça. Alaska marqua une courte pause. Tu connais la réputation des Hel's de toute manière... souffla-t-elle en levant les yeux au ciel, comme si elle n'était même plus étonnée.  

« Wingardium Leviosa »

Avec application, la langue pincée entre ses lèvres, la première année fit léviter la valise de sa camarade du bout de sa baguette en cerisier. Elle redoubla de précaution, bien plus qu’elle n’en avait fait preuve précédemment avec sa propre malle. Ainsi, la manœuvre lui prit plusieurs minutes, mais elle réussit à ranger l’encombrant bagage de la préfète sans trop le cogner. Bien qu’elle l’avait vue se décaler, la jeune Sparks fit mine de n’avoir rien remarqué et lui adressa un grand sourire, plutôt fière de son sortilège.

Après avoir rangé sa baguette, Hannah se laissa tomber sur la banquette derrière elle. Elle se cala bien confortablement, prête à écouter le récit des vacances d’Alaska, mais celui-ci se fit attendre. Elle pencha la tête, dévisageant la troisième année qui semblait perdue dans ses pensées, comme incapable de répondre à sa simple question. Un silence embarrassant s’installa entre les deux fillettes. Ayant l’impression d’intimider sa camarade de dortoir, pourtant plus âgée, l’irlandaise finit par détourner ses grands yeux verts et appuya sa tête contre la vitre, regardant vaguement le paysage qui défilait. Le Poudlard Express avait quitté King’s Cross depuis une bonne demi-heure et l’agglomération londonienne avait fait place à la monotonie de la campagne anglaise.

Après quelques minutes, qui lui parurent bien plus longues, la préfète de Serpentard la rassura en sortant de son mutisme. Alors qu’elle parlait de sa ville, Hannah se surprit à imaginer la capitale écossaise. Elle avait souvent espéré accompagner son paternel lors de l’un de ses nombreux déplacements à Edimbourg, mais elle avait dû se contenter de voir le centre médiéval en photo. En y réfléchissant, elle réalisa qu’en-dehors de Poudlard, elle n’avait jamais eu l’occasion de se rendre en Ecosse.

Ca doit être bizarre, de se rendre à Londres pour prendre le Poudlard Express et retourner en Ecosse...

Alaska semblait se détendre petit à petit, et avec elle, c’était toute l’atmosphère du compartiment qui s’apaisait. La blondinette réalisa que les deux Serpentard ne s’étaient jamais autant parlées depuis le début de l’année scolaire. Elle prit conscience que, plus que l’école ou le château, la préfète était l’une des camarades qui lui avaient le plus manqué, malgré sa présence souvent discrète.

Hannah écoutait, un sourire léger dessiné sur ses lèvres, la troisième année évoquer les incidents du bal d’Halloween et notamment Carry Harrison, leur ancienne camarade de dortoir. Une question lui brûlait toutefois les lèvres : où se trouvait donc la préfète lorsque les apprentis-Mangemorts avaient débarqué ou encore plus tard, lorsque les Serpentard s’étaient rassemblés dans la salle commune ? De crainte de gâcher l’ambiance, la blondinette garda ses interrogations pour elle-même.

De toutes façons, l’écossaise enchaîna rapidement sur le Quidditch et la fameuse altercation qui avait eu lieu à la fin du match contre les Poufsouffle. La jeune gardienne remplaçante des Crochets d’Argent émit un rictus nerveux quant à la réputation des Hel’s.

« Disons que je sais à quoi m’en tenir maintenant ! Mais je compte pas me laisser faire, j’ai pas dit mon dernier mot ! »

La jeune Sparks avait détourné les yeux, ne pouvant soutenir le regard de la préfète alors qu’elle était en train d’affirmer qu’elle se vengerait. Très vite pourtant, elle la fixa à nouveau et reprit de plus belle.

« C’est pas grave, tu sais... Wilson et Eil... »

La première année se remémora brièvement les remarques acerbes qu’avait faites Alaska à propos de la capitaine de Quidditch, lors de leur première soirée à Poudlard.

« Enfin, le reste de l’équipe est venu me défendre ! Tu aurais rien pu faire, de toutes façons... Puis, tu étais avec les Crocheers ! D’ailleurs, vous avez assuré ! »

Pas comme nous...

Le visage de la blondinette se rembrunit quelque peu, en repensant à ce match, son tout premier en tant que membre des Crochets d’Argent. Malgré la défaite et l’accrochage avec Delphillia, elle en gardait tout de même un bon souvenir. Elle avait ressenti énormément de fierté à défendre les couleurs de sa maison, et avait d’ailleurs eu une réussite insolente, arrêtant notamment un penalty dès son entrée en jeu. Hannah avait bien conscience d’avoir bénéficier de ce que l’on appelait couramment, la chance du débutant. Elle se souvenait également avoir vu Alaska s’arrêter dans sa chorégraphie, lorsqu’elle avait réussi une double parade devant le capitaine adverse. Se remémorer cette anecdote la fit sourire.

« Je... Merci Alaska. Sans toi... Enfin, si on était pas allées voir ce premier match ensemble, je crois que... que j’aurais pas osé me présenter aux sélections de Quidditch... D’ailleurs, j’ai pas encore osé le dire à mes parents... Mon père, il était pas d’accord pour que je joue... »

L’irlandaise ponctua sa phrase d’un soupir, avant de poursuivre, pensive.

« Mais moi, je regrette vraiment pas d’être entrée dans l’équipe ! »

Pensive, et visiblement préoccupée, Alaska n'écoute que la moitié des paroles de sa camarade. Le Quiddtich, le premier match, c'est tout ce qu'elle retient. 

« C'est rien Sparks. En plus de ça, ça m'a fait plaisir d'y aller avec toi. » Ah oui ? Donc c'était sûrement une raison valable pour s'enfuir en courant, sans donner d'explications. 

Elle croise son regard et semble perturbée. Elle la voit partout, elle la reconnait. Puis elle ne supporte plus d'attendre, tant pis si tout cela contredit la réserve minutieuse, ainsi que sa pudeur sensible. Tellement à l'aise face à Hannah, un peu ivre d'elle-même, la jeune fille gémit :

« T'as une sœur, ou bien une jumelle ?  Son jugement n'a plus d'importance, elle croit. Elle veut savoir, en a marre d'être de nature invisible, d'attendre que les choses arrivent toutes seules. Ce n'est qu'après, qu'elle est terrorisée. Comment dire... les traits de ton visage me sont familiers, tu ressembles étrangement à quelqu'un que j'ai rencontré l'été dernier, au pensionnat. Tu es son sosie, les mêmes cheveux, le même regard, les mêmes mains. » Sa voix tremble un peu, peut-être, comme si elle vient de voir un fantôme. Au moment de prononcer ces mots, elle pense à Diesel. Elles ont tout en commun, tout sauf le timbre de voix. 

Le visage collé contre la vitre, elle regarde les paysages défiler, et la vitesse ajoute de la lumière à la lumière du matin. Alaska ne sait pas quelle réponse attendre en retour, elle ne s'y est pas préparée, mais elle espère au fond d'elle, aussi improbable que ce soit, qu'elle acquiesce. Soudain, elle réalise que l'impair est commis. La troisième année sait que désormais il est trop tard : les questions vont s'enchaîner, la blonde va tenter de comprendre, à son tour. Elle n'est pas sûre de vouloir lui donner ses souvenirs, ni lui raconter son histoire de fantôme, saura-t-elle lui répondre ? Même elle, elle n'en est pas pas persuadée. 

Doucement, elle se recule et adosse son dos contre la banquette froide du wagon. Elle est prête à affronter sa réponse, prête à être déçue. L'excitation est aussi à son comble, la brune a trop attendu, depuis le premier jour de l'année, Hannah Lyse Sparks lui donne le tournis, occupe ses pensées, elle a été assez patiente. Une petite étincelle danse dans son regard, qu'elle adresse alors à sa voisine. 

Je regrette vraiment pas d’être entrée dans l’équipe...

Hannah resta quelques instants dans ses pensées. Le Quidditch avait toujours eu ce don pour la mettre de bonne humeur, mais en ce moment, le sujet la préoccupait particulièrement. Pendant ces vacances, elle n’avait pas trouvé le courage d’affronter son père pour lui annoncer qu’elle avait intégré les Crochets d’Argent. Pourtant, son petit secret avait été découvert par son parrain et la fillette n’avait désormais plus le choix ; aux prochaines vacances, il lui faudrait tout dire. Son oncle avait été très clair sur le sujet.

Un sourire illumina le visage de la blondinette, alors que sa camarade venait de la rassurer en quelques mots seulement. Elle aurait aimé les entendre avant, il est vrai, mais elle n’avait jamais osé la questionner sur cette fuite, à la fin du premier match de la saison. La première année se sentait très proche de la préfète, mais Alaska savait aussi se montrer distante et intimidante. Parfois, elle était carrément directe, comme à cet instant précis. La question percuta la jeune Sparks de plein fouet, comme un Cognard qui l’aurait atteint à l’estomac, la laissant sans voix. Tout juste arriva-t-elle à articuler dans un souffle.

« Comment... Comment tu sais ? »

Bouche bée, Hannah cherchait à accrocher le regard de la préfète. A travers ses grands yeux verts, on pouvait facilement déceler toute son inquiétude. En deux mots, Alaska venait de dévoiler son plus grand secret, bien plus grand que son mensonge par omission à propos du Quidditch. Comment pouvait-elle être au courant ? L’irlandaise avait pourtant soigneusement éviter de parler de sa sœur jumelle depuis qu’elle était à Poudlard.

La blondinette écoutait silencieusement les quelques explications de l’écossaise, fronçant les sourcils en se repassant le fil de ses souvenirs. Toute la fratrie avait passé l’été chez leur grand-mère maternelle dans les Cornouailles, comme chaque année. Elle finit par secouer la tête d’incompréhension.

« Rose, elle était pas... Elle est jamais allée en pensionnat... »

La jeune Sparks laissa sa phrase en suspens, laissant le silence s’installer dans l’étroit compartiment du Poudlard Express. Pourtant, elle avait l’impression de devoir la vérité à Alaska et plongea son regard dans celui de sa camarade. Elle déglutit, comme pour se donner du courage, avant de compléter son explication.

« Ma sœur jumelle, elle est pas... Enfin, c’est une... une Cracmol »

Sa voix se brise sur le dernier mot, à peine murmuré, qui avait eu tant de mal à sortir. Elle retenait de toutes ses forces, les larmes de honte qui lui montaient au visage. Elle ne l’avait dit à personne personne d’autre et ses grands yeux imploraient la troisième année de garder ce secret pour elle.

La brune a presque des haut-le-cœur, tant la réponse d'Hannah est déroutante. La gorge nouée, Alaska inspire longuement, elle a bien une jumelle, mais il ne s'agit pas de celle à qui elle pense. La jeune fille rejette ses cheveux par-dessus ses épaules, et soutient son regard dans l'incompréhension avant de faire finalement le lien.

« Rose ? J'imaginais plus un nom comme Diesel en fait... articule-t-elle fébrilement en fuyant son regard. J'ignorais pour ta jumelle Cracmol Sparks, je te promets que j'en savais vraiment rien. »

Son visage reprit progressivement ses couleurs habituelles, et son toc - que constitue le frottement frénétique de son majeur contre son pouce - lui arrache intérieurement quelques plaintes. Le sourire vague qu’elle arbore depuis le début du trajet ne l’a pas quitté, il n’est que plus intense. D’un mouvement las, elle pose sa main sur l'épaule de la première année afin de lui montrer un peu de compassion.

La brun ferme durement les yeux, soupire silencieusement : pourquoi la réalité est-elle si dure ? Autant pour Alaska que pour Hannah. Pourquoi ne pas se faire à l'idée qu'elle ne reverra plus jamais Diesel ? Son cœur se serre, mais il faut se rendre à l'évidence. Et pour la blonde et sa sœur jumelle ? La préfète comprend rapidement qu'il s'agit d'un secret qu'elle a percé à jour sans le vouloir, elle tente une nouvelle approche rassurante alors qu'elle remarque ses yeux bouffis :

« Sparks, je dirai rien si c'est ce que tu souhaites. » déclare-t-elle solennellement.

Cracmol

Ce mot résonnait inlassablement dans son esprit, depuis qu’elle venait de révéler son plus grand secret à Alaska. Ce terme concentrait à lui seul la honte, le dégoût et la rancœur que la jeune Sparks ressentait à l’égard de sa sœur jumelle. La première année contenait difficilement ses émotions ; elle avait baissé sa garde quelques instants, et voilà qu’elle avait l’impression de s’être mise à nue. Jusque-là, personne ne savait pour Rose à Poudlard, et personne n’aurait dû savoir.

Ses grands yeux verts humides avaient beau fixer la galloise, il y avait comme un voile qui s’était installé. Son regard était vague, perdu dans ses pensées dirigées vers Galway et le manoir familial. Elle n’entendait pas les paroles réconfortantes de la préfète, qui lui promettait pourtant de garder le secret. Si seulement son double dépourvue de pouvoirs avaient pu ne jamais voir le jour... Hannah s’était déjà faite tellement de fois cette réflexion, seule dans sa chambre, allongée sur son lit, regardant le plafond sans trouver le sommeil. Depuis qu’elle était à Poudlard cependant, sa jumelle occupait bien moins son esprit. Pour la première fois, elle se sentait unique et non plus seulement la moitié d’un ensemble.

La main qu’Alaska posa sur son épaule la sortit de sa torpeur. Elle sursauta légèrement sur son siège et esquissa un léger mouvement de recul, avant de sourire de son réflexe de surprise.

« Désolée... Je préfèrerais que tu dises rien, oui... S’il te plait... C’est pas très... »

C’est vraiment pas glorieux... Encore moins d’être comparée à elle en permanence...

La blondinette détourna le regard pour se concentrer sur le paysage qui défilait à toute vitesse derrière la vitre. Elle n’avait aucune idée d’où se trouvait le Poudlard Express à cet instant. Étaient-ils déjà en Ecosse ? A mi-voix, elle commenta plus pour elle-même qu’à l’attention de sa camarade.

« Tant qu’il y a de la magie, il y a de l’espoir, hein... M’enfin, quand il n’y a pas de magie... »

Après quelques minutes de silence, la première année se tourna vers la préfète de Serpentard, gênée par sa propre curiosité. Elle ne savait pas trop comment poser la question sans froisser sa camarade, mais ses propos l’avaient interpellée. Elle opta finalement pour la manière directe ; cela ne servait à rien de tourner autour du chaudron. Après tout, c’était la brune qui avait abordé ce sujet, visiblement source de confusions pour les deux fillettes.

« C’est qui cette Diesel que tu cherches ? »

Hannah tenta de lui adresser un sourire encourageant, mais son ventre gargouilla bruyamment.

J’espère que le chariot de friandises passe bientôt !

Les mèches brunes qui s'ennuyaient sous les bords de son chapeau, chatoyèrent le soleil qui franchissait les poudroiements des rayons. Jeux de cartes, bavardages, manuels scolaires, c'est de cette manière qu'Alaska pensait s'occuper tout le long du trajet, mais finalement, c'est au milieu de la confidence qu'il se déroula. Elle n'avait jamais été en contact avec un Cracmol, elle n'était même pas sûre d'en avoir rencontré un jour dans sa petite existence, et elle connaissait très peu de choses sur eux. La bouche en pomme, la préfète écoutait attentivement la première année en parler, forcément intriguée, et remarqua un certain embarras dans son timbre de voix.

« Tu ressens comme... de la honte ? Qu'est-ce que ta sœur t'a fait ? » demanda-t-elle de manière intrusive, sans pour autant le faire exprès. Elle n'avait pas envie de la brusquer, encore moins dans ces circonstances, mais c'était raté.

La jeune fille sentit ses joues picoter à l'intérieur, tant elle était gênée par la question que lui posa Hannah. Ses doigts vinrent alors à la rencontre de ses joues chaudes qu'elle effleura, les yeux mi-clos, et durant quelques secondes, elle sentit une vague de chaleur enivrer son corps. Un sourire timide nicha aux creux de ses lèvres, puis inspirant légèrement, elle balbutia :

« Diesel c'est Diesel Barnol, une amie du pensionnat. On s'est rencontré là-bas l'été dernier. »

Elle avait du mal à garder ce même sourire, trop perdues dans ses pensées, mais quand le ventre d'Hannah exprima sa faim, la troisième année laissa échapper un léger rictus alors qu'elle entendait les roues usées du chariot au loin, à quelques compartiments du leur. Un des préfets passa à ce moment là, puis toqua contre la vitre pour faire signe à Alaska de le rejoindre, elle comprit qu'elle était attendue. Dans une excuse, elle se leva de la banquette pour récupérer sa malle et quitta la blonde au détriment du wagon des préfets.