Inscription
Connexion

09 nov. 2018, 22:26
Château de papier  LIBRE 
Elle ne comprenait pas. Telle était sa prison en cet instant précis. Tout était aussi noir que ces gouffres aspirants et destructeurs qui vinrent arracher une part de l’adolescente quand il posa son ombre ravageuse sur les yeux d’argent de la Serpentard. Sa silhouette floue s’approcha pour saisir une forme, la magicienne supposa selon ce que son ouïe lui disait qu’un contenant était rempli par des gestes frénétiques. Quoiqu’il pût se passer, elle ne bougea pas d’un iota et demeura statique sans s’intéresser à ce qu’elle faisait, figée alors que des pensées qui peinaient à se faire complètes tentaient de percer son esprit et de provoquer quelque chose de clair, mais en vain. L’argentée n’eut pas à se concentrer plus longtemps sur le décryptage de ce qui se bousculait en elle car la voix dont elle n’aima pas le chant dans son expression vint à sa rencontre. L’étudiante ne se tourna pas même en direction de la source et laissa les mots s’infiltrer, tracer leur chemin.  Ses paroles avaient une dureté incroyable. Comment un si jeune être pouvait-être aussi… destructeur ? Phœbe était douceur à côté, lisse. Du moins… tout était contenu en elle et y bouillonnait à une variable intensité, et ce qu’elle faisait sortir était enrobé d’une coque dont elle avait la maîtrise de la construction et de la nature. Elles étaient deux enfants, devant le même spectacle d’horreur, mais elles ne voyaient pas la même chose, deux visions irrémédiablement incompatibles. La petite Swan ne savait si les cloisons les séparant étaient prétextes de ne pas respecter l’altérité. Elle, elle était prête à se démener et à s’agiter pour rendre tangible la sombre fumée. Tant que ce restait complètement insaisissable l’argentée n’avais pas vraiment de position arrêtée. L’adolescente ne voulait rien prouver, elle souhaitait uniquement exister.

Le rêve… le Rêve était un refuge auquel elle n’avait le droit, il lui fuyait et coulait entre ses doigts. Après avoir connu une longue illusion tout aussi suave que cruelle, elle était partagée entre l’envie de se noyer dans la réalité et sa rugosité désenchanteresse et la création d’un nouveau filtre factice. Une fois longuement ancré, l’ôter brusquement un jour et reconstruire est une longue entreprise dans laquelle la sorcière verte et argent se débattait déjà depuis plus d’un an. Le plus simple serait d’effacer tout ce qui sortait de la bouche de cette fille pour ne pas laisser ses piliers s’ébranler, elle pourrait tomber de vraiment très haut si elle ne prenait garde, elle manquait cruellement de vigilance. La jeune fille fondait en des instants et s’égarait sans boussole, désorientée, n’écoutant que ce mouvement qui la transportait, poussé par quelque forme de fascination ou d’élément d’intrigue. Comme un enfant qui tire la main de son chaperon pour s’attarder sur un détail auquel lui seul s’intéresserait, sans se poser de limites la petite Swan glissait dès qu’elle se faisait hypnotiser. Elle regrettait s’être approchée de cet Ersatz de geôle qui l’avait détournée de son but premier mais surtout l’avait entourée d’une poix épaisse dans laquelle elle s’étranglait et suffoquait. Elle ne parvenait à fermer les yeux et s’embourbait irrémédiablement. En son regard se cachait presque une lueur de honte. Ne t’attarde pas sur l’objet de ton attirance ou de ta révulsion, il ne te rendra pas plus que l’objet de ton indifférence.

Son esprit vola très loin, en un autre temps, en un autre espace. Des traits familiers mais qui commençaient à revêtir de plus en plus de distance, le Souvenir était ancré en elle pour que jamais il ne perde sa force. Il était possible de l’oublier et de l’effacer, certes à un terrible prix que Phœbe serait à ce jour absolument incapable de payer, mais ce demeurait envisageable. Si une avait balayé cette réalité, d’autres le pouvaient. Elle avait besoin d’avoir un empire sur son alentour, elle voulait être capable de le distordre au gré de son envie folle, c’est pourquoi elle ne pouvait en aucune façon se permettre d’être confrontée à l’impuissance de ses moyens. La Serpentard sentit l’amertume en constatant que ses aspirations ne seraient jamais pleinement satisfaites. Sa place n’était pas ici, un étrangère ne peut prétendre modeler un monde dont les autres forcent la définition des contours par le passage du flux puissant et continu qu’ils forment. Elle s’accrochait au simulacre de pouvoir qui lui restait, poser un doigt sur le bord et doucement l’enfoncer, faire s’effriter une minuscule parcelle à son échelle avant de se réfugier en ses impénétrables frontières.

La jeune élève était sur le départ et amorça sa fuite sur ces dernière paroles qui bourdonnèrent sans intensité aux oreilles de la petite Swan silencieuse, ses mains étaient posées sur le bois pour se soutenir. Elle aurait aimé l’écraser mais en dépit de toute la pression apportée, elle savait que ses doigts ne le remporteraient alors elle regardait simplement ses membres trembler à cause de la trop importante tension déferlant jusqu’à ses extrémités. Elle s’arrêta sur le dos de cette silhouette qui allait bientôt s’estomper. Évidemment que sa foi en l’irréel pourrait le faire s’estomper. C’était une présence comme une autre. Si l’une se détourne, sa silhouette aux contours tracés se floute, perd sa figuration jusqu’à disparaître au sein d’un lointain temporairement hors de portée.

L’étudiante avança pour se retrouver dans son champ de vision, mais resta relativement en retrait, positionnée perpendiculairement à la jeune magicienne de telle sorte qu’elle voyait le coin de son œil et sa joue, sa joue qui lui dirait quel rictus ses lèvres formaient et dessineraient.

« Je n'arrêterais pas, même si tu n’y crois pas. J’entoure de ce que je veux ce que je perçois. »

Puis elle recula d’un pas alors qu’elle scellait de nouveau ses lèvres. Elle regardait à terre, cachant son regret, son dégoût, son rejet. Elle pouvait être bêtise parfois. Ce qu’elle voyait ne lui appartenait qu’à elle, si même les personnes l’ayant côtoyée depuis son plus jeune âge étaient incapables de saisir quoique ce soit, seul son alter ego le pourrait. Son alter ego n’existait pas, ou du moins pas encore. Jusqu’alors elle devrait contenir ses hésitations, effarements et fascinations pour qu’elles explosent en son sein sans n’en sortir jamais. Autrement elle s’exposait à des frictions qu’elle n’avait pas la force de gérer, son déploiement demeurera interne, là où il n’aurait pas à cogner les écrasantes limites de l’extérieur. *Disparais donc, je ne te comprendrais jamais.*

Son doigt glissa sur la côté d’un ouvrage qui l’avait attiré alors qu’elle avait détourné la tête. Elle se retourna alors complètement pour faire face au rayonnage dans lequel elle avait failli rentrer dedans, il lui semblait que c’était ce qu’elle recherchait, tentant d’oublier cette sorcière qui assénait de façon destructrice pour la petite Swan, sans rien justifier.

Éternelle nouvelle Lune
Sombre Ciel

22 nov. 2018, 09:49
Château de papier  LIBRE 
Mes mots flottent un peu dans mon esprit avant de disparaître. Ils glissent lentement vers le fond de mon crâne avant de finir engloutis par la myriade d’autres pensées qui m’habite. Bientôt, je n’ai de souvenirs d’eux que la trace qu’ils ont laissé dans ma bouche. J’ai vaguement la sensation d’avoir dit quelque chose, mais quand j’essaie de focaliser mon esprit sur ces paroles, leur signification se barre. Je secoue la tête pour me forcer à me détourner de ces mots. Ils n’ont plus d’importance maintenant qu’ils ont été jetés au monde.

Je réajuste la bretelle de mon sac sur l’épaule. Mon coeur bat trop fort ; je le sais. Il s’agite sans peine dans ma poitrine, frappant et frappant encore. Je rêve d’être ailleurs, d’être sans les Autres, sans Regards. *Au parc*. Ouais, dans le parc il n’y aurait que peu de monde pour venir m’arracher. Je pourrais faire le tour du lac, me cacher derrière une montagne de pierres et *Zikomo* sortir Zikomo ! Mon coeur s’affirme soudainement dans son réceptacle, réagissant à cette pensée qui dégage toutes les autres sans difficulté. Mon visage frémit déjà de voir la lueur du petit renard et mes oreilles bourdonnent rien qu’à l’imaginer me parler à moi.
*Nyakane*.
Mon cauchemar me revient aussitôt à l’esprit et je frissonne violemment. Zikomo acceptera-t-il de me parler d’elle ?

J'amorce un pas vigoureux pour m’en aller quand je me souviens que je ne suis pas seule. Je ne sais pas pourquoi je me retourne, mais je le fais. Une main agrippée à la bandoulière de mon sac, je regarde la fille et son regard de Lune qui me paraît tout à coup bien étrange. Mon air renfrogné retrouve sa place sur mon visage et je soutiens son regard sans mot dire. Je sais quand elle va parler car ses épaules se soulèvent légèrement. Je me crispe avant même que ses mots ne me parviennent. Je sais déjà que ce qu’elle dira me mettra en rogne.

« Je n'arrêterais pas, même si tu n’y crois pas. J’entoure de ce que je veux ce que je perçois. »

Ouais, ils me foutent en rogne. Je n’ai même pas la force d’afficher sur mes lèvres le sourire moqueur qui me titille les entrailles. Je ne veux pas ressentir cette fausse moquerie ; je me fous de cette fille comme je me fous de tous les Autres. Je veux me départir de la sensation étrange qui me dit que j’ai mal agit. *Non !*. Je respire profondément, la tête dévissée pour suivre du regard l’Autre que je veux voir disparaître. *C’est elle qu’avait pas à v’nir là !*. Ouais, elle n’avait pas à se ramener là où n’est pas sa place.

Je soupire bruyamment et je me détourne une nouvelle fois.

Je m’infiltre entre deux rayons et, tête penchée sur le sol, je disparais dans l’obscurité de la bibliothèque. La pensée de cette fille imposante gravite encore dans mon esprit. Elle se fait sa place entre deux idée et quand je me concentre sur elle, mon coeur se tord dans ma poitrine. Alors je revois la façon dont elle s’est imposée à moi et la colère efface tout le reste ; elle efface le souvenir étrange de ses larmes et la façon qu’avait son regard de se perdre dans tout ce qu’il frôlait.

En sortant de la bibliothèque, Zikomo retrouve sa place au-devant de mes pensées. Alors se noie peu à peu l’Autre dans la mélasse de tous les Autres.


- Fin -